Utilisateur:Djielle/Brouillon/Évolution cognitive des Hominines

Du singe à l'Homme : Schéma populaire de la « Marche du Progrès ».
Ce schéma ne doit pas être compris comme traduisant une « logique » : invoquer une cause finale ne serait pas une méthode scientifique. Pour la sélection naturelle, seul moteur scientifiquement reconnu de l'évolution des espèces, le « progrès » ou la « création de l'Homme » n'est pas une fin en soi.
L'évolution est une réalité étudiée par la science, et son explication scientifique s'appuie sur une série de causes efficientes.
...Alors, qu'est-ce qui a fait que l'Homme est Homme?

L’évolution cognitive des hominines depuis les grands singes, et notamment celle de l'intelligence et de l'origine du langage, est une question complexe, très débattue, et remplie d’obscurités et d’incertitudes.

L'évolution des Hominines —les ancêtres de l'homme— ne se réduit pas à l'anatomie, et le cas échéant à la fabrication et l’utilisation des outils, qui laissent des traces tangibles et immédiates dans les restes fossiles. Ce que l'on peut relever des squelettes et des restes paléolithiques ne constitue que l'ombre de l'histoire elle-même, que l'on doit reconstituer à partir de ces indices fragiles. L'histoire porte aussi sur les niches écologiques occupées, sur le comportement de l'espèce et son organisation sociale, qui n'apparaissent qu'indirectement, et souvent confusément, après un travail d'enquête digne des sciences forensiques. L'histoire porte également sur les capacités cognitives et psychomotrices nécessaires à ces comportements et pratiques, qui ne laissent aucune trace, mais dont la présence est impliquée par les éléments précédents.

C'est l'ensemble de ces évolutions qui est en interdépendance mutuelle. Les évolutions écologiques, comportementales et cognitives à la fois présupposent des préadaptations les rendant possibles, et induisent des évolutions anatomiques sous la pression de sélection. De ce fait, les évolutions ces différents aspects ne peuvent pas se comprendre isolément, mais doivent être articulés les uns aux autres pour reconstituer une histoire cohérente, éclairée tant par l'anatomie que par les sciences comportementales et les sciences cognitives, et ce n'est qu'en superposant l'ensemble des disciplines que l'on peut reconstituer une histoire cohérente - et exclure les incohérences.

L’origine évolutive de l’Homme est ponctuée de très nombreuses espèces, dont les relations de filiation et de parenté ne sont jamais franchement déterminées. Si on se contente des grandes lignes, cependant, on peut articuler l'histoire évolutive en cinq tableaux, correspondant à des grandes étapes évolutives et des spéciations entre les grands singes et l’homme moderne : Australopithèque, Habilis, Erectus, Heidelberg et Sapiens. D’une étape à l’autre, on trouve des changements significatifs dans l’anatomie, la niche écologique, l’outillage, les capacités cognitives, et les pratiques quotidiennes – et dans le nom de l’espèce Homo principalement concernée. Dans le détail, et aux transitions, ces changements sont progressifs, ne sont pas nécessairement concomitants, et de plus s’influent mutuellement. Mais si les limites de ces étapes sont donc nécessairement arbitraires, elles n’en demeurent pas moins correctes dans les grandes lignes, et dessinent une histoire cohérente des différents aspects de l'évolution humaine.

  • NB: Les ancêtres de l'Homme sont à cheval entre deux échelles de temps : entre le million d'années (méga année, ou Ma) et les milliers d'années (kilo années ou ka, c'est à dire millénaires). D'une manière générale, les dates sont données ici de manière abrégée et doivent être interprétées en années avant le présent : la date de 20Ma signifie « il y a vingt millions d'années » ou « en -20Ma avant le présent ». La date des événements diminue donc au fur et à mesure de l'avancée dans le temps, en un compte à rebours qui s'achève sur zéro au temps présent.
  • NB: Cet article traite de l'évolution des ancêtres de Homo sapiens (la généalogie des hominines) par rapport au dernier ancêtre commun qu'ils ont eu avec les grands singes (les hominidés) ou plus spécifiquement les grands singes africains (les homininés). Ce cadre étant posé, et pour alléger la rédaction, on conviendra que dans cet article, ce qui est dit spécifiquement des ancêtres de l'homme ne s'intéresse qu'à la partie de son arbre généalogique qui s'étend jusqu'à ce dernier ancêtre commun, mais pas au-delà. D'autre part, lorsque des comparaisons sont faites entre les ancêtres de l'homme et « le singe » ou « les grands singes », il est entendu et assumé que ces expressions désigneront (conventionnellement et de manière informelle) un groupe paraphylétique formé par les hominidés mais excluant les ancêtres de l'homme.
Évolution anatomique : Collection de crânes des ancêtres de l'Homme.
Chronogramme des hominines.


Problématiques modifier

Traits spécifiquement humains modifier

 
Claudine André et un jeune Bonobo.

Par rapport aux grands singes, l'Homme moderne « civilisé » (celui que l'on découvre au néolithique, maîtrisant l'agriculture et la domestication) est très différent :

Du point de vue de la niche écologique, il part d'un régime frugivore pour conquérir le régime de tubercules, charognard, carnivore et chasseur, il devient maître de chasse et prédateur en chef : de la chasse au jet de pierre, il sait traquer le gibier, passe à la chasse à l'épieu, puis à l'arc, puis... Il adopte le chien comme commensal (et le bacille de la tuberculose). Il domestique des animaux.

Sur le plan anatomique, l'Homme est bipède, peut marcher efficacement et courir en coureur de fond. Il a perdu les canines du mâle hominidé. Le crâne est hypertrophié, les naissances sont prématurées, le développement physique et cérébral est très lent. La femme a une ovulation non apparente et est ménopausée. La pupille étroite et le blanc de l’œil permettent de suivre la direction du regard. Sa pilosité est presque inexistante (singe nu) et ses glandes sudoripares très développées.

La sexualité humaine et la reproduction humaine se distinguent de celle des autres grands singes. La femme humaine n'a pas d'œstrus visible, ce qui implique que le succès reproductif du mâle repose non sur le succès d'un coït ponctuel, mais sur une séquence de monogamie exclusive sufisamment prolongée[1]. Le mâle humain a un pénis long, flexible et épais, se distinguant des pénis de la taille d'un petit crayon et rigidifié par un baculum des autres grands singes[1] —c'est une question de taille— ; la copulation d'un couple humain est beaucoup plus variée et prolongée que celle de ses cousins — plus c'est long, plus c'est bon[1], et la partenaire femelle heureusement stimulée peut atteindre un orgasme clitoridien inconnu de ses cousines[1] ; l'ensemble suggérant que pénis et clitoris ont co-évolué dans un effet de sélection sexuelle comme organe respectivement émetteur et récepteur d'une mesure de valeur sélective mesurée à la capacité à donner du plaisir sexuel[1]. Mais contrairement à ses cousines, la femme « enfante dans la douleur »[2] : la grossesse est pour elle une période de nausées, fatigues, dérèglements de l'équilibre hématique[3], à cause d'une course aux armements entre elle-même et son fœtus visant au contrôle du flux sanguin passant dans le placenta[3],[4], dont un effet secondaire est l'apparition des règles chez la femme[3],[5].

Sur le plan psychomoteur, il devient capable de visualiser et maîtriser le choix d'alternatives dans son action. Il est capable d'intérioriser des séquences complexes de geste pour les reproduire, et de s'exercer jusqu'à ce qu'elles atteignent le résultat escompté (ce qui suppose que ce résultat soit conscient). Il peut faire de la musique et danser en groupe. Il reproduit instinctivement de manière mimétique ce qu'il perçoit enfant (sons, gestes,...) avant même d'en acquérir le sens. Il a acquis un contrôle fin de la mobilité de la langue et du souffle. Les hommes ne disposent pas de sacs vocaux, ont un larynx en position basse[6], permettant de proférer les énoncés nécessaires au langage moderne

Sur le plan technique, il a utilisé des outils et techniques de plus en plus complexes : galet aménagé, biface, outils mésolithiques, outils néolithiques. Il utilise des matériaux variés : bois, pierre, os, peau, ligament,... Il maîtrise le feu et la cuisine. Il sait s'habiller, se parer avec décorations et bijoux. Il invente et utilise galets percuteurs, galets tranchants, épieux, lames coupantes, propulseurs, arcs et flèches, haches, ... Le bois n'a guère laissé de traces par rapport à la pierre, d'où la notion de paléolithique pour décrire son industrie première.

Sur le plan psychologique, il peut rire - "le rire est le propre de l'Homme". Sur le plan cognitif, son "niveau d'abstraction" (théorie de l'esprit) passe de un ou deux (grands singes) jusqu'aux alentours de cinq, autorisant jusqu'à la discussion de systèmes politiques concernant la société elle-même. Il acquiert un proto-language, puis un langage. Il maîtrise les modalités dans le langage. Il pratique des arts décoratifs, art pariétal, sculpture. Il découvre et use de la transe chamanique,... Il construit une société religieuse.

Sur le plan social, il passe d'un régime d'appariement sexuel par proximité à un régime de harem, puis (mais ce n'est pas tout à fait acquis) à un régime monogame. La structure familiale sert à l'éducation des enfants, les enfants sont soutenus (de manière altruiste) par la collectivités. Il invente la division du travail, entre sexes puis entre artisanats. Il peut gérer l'agressivité alors qu'il dispose d'armes létales, découvre la coopération, découvre le conformisme la moralité et la culpabilité, privilégie l'échange d'informations dans le groupe et l'éducation et instruction. Il évolue dans une société complexe, dont les éléments (taille du groupe / proximité) se distribuent d'une manière fractale. L'acquis social s'étend : de la simple imitation des pratiques du groupe, il se complexifie à une instruction verbale ; le langage permet la transmission de règles (comportementales, éthiques), de légendes, d'histoires reliant les communautés les unes aux autres, de faits religieux,...

Ces traits ont été acquis progressivement, par sélection naturelle, en fonction de l'adaptation de tel ou tel ancêtre à une niche écologique ou comportementale. En rendre compte sur le plan évolutif consiste à se demander en quoi ce trait apporte fonctionnellement un avantage sélectif dans le contexte de cette niche, dans quelle mesure des expressions balbutiantes de ce trait présentaient également un avantage adaptatif conduisant à une pression de sélection le développant de manière incrémentale, et quelles étaient les structures et fonctionnalités antérieures qui ont été modifiées pour développer ce trait, constituant une nécessaire pré-adaptation[7].

  • Ce sont ces niches et adaptations successives qu'il faut pouvoir reconstituer pour décrire l'histoire de l'évolution adaptative humaine. C'est l'objet du présent article.
  • Une grande partie de la problématique étant celle des capacités cognitives, verbales ou intellectuelles, une discussion rapide de ces points paraît nécessaire au préalable. C'est l'objet du reste de cette section.

Capacité cognitive de modélisation modifier

Besoins de sécurité
(environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise)

Besoins physiologiques
(faim, soif, sexualité, respiration, sommeil, élimination)

Pyramide des besoins : Besoins animaux

Une difficulté pour comprendre l'histoire de l'homme (et le comportement animal) est de croire que le fonctionnement du cerveau se traduit par une « prise de conscience » qui permet de décider d'un comportement intelligent. En réalité, un comportement « intelligent » a pu être sélectionné par la sélection naturelle et n'implique pas nécessairement de conscience ; et il faut comprendre que notre capacité cognitive elle-même est très largement inconsciente ou subconsciente.

Par rapport à la pyramide des besoins, tout être vivant doit assurer la satisfaction de ses « besoins physiologiques ». C'est vrai aussi bien pour les animaux que pour les plantes.

Ensuite, à partir d’un certain niveau d’autonomie, tout animal agit sur le monde pour satisfaire ses « besoins de sécurité », que ce soit pour fuir un prédateur, poursuivre une proie, ou retrouver son gîte. Mais la réponse comportementale d’un animal est largement stéréotypée, avec une faible variabilité : quand on a vu un groupe de lions, on les a tous vus.[8] Cette réponse stéréotypée de l'animal est fondamentalement celle qui est adaptée à son environnement, mais elle le lie aussi à ce mode de vie. Tant que l’environnement est stable, c’est l’individu dont le comportement est le plus « intériorisé », celui qui ne se pose pas de question et n’a pas un instant de doute entre la perception et l’action, qui détient un avantage sélectif : sa réaction est à la fois adaptée et plus rapide. Si l’environnement change, le comportement changera sous la pression sélective associée – ou l’espèce perdra sa place si une autre plus adaptative et plus maline le fait avant elle. Inversement, dans un environnement de plus en plus instable, l’adaptabilité devient par elle-même une valeur adaptative.

 
La modélisation du monde par les reptiles n'intègre pas la permanence de l'objet.

Au minimum, le système nerveux d'un animal est donc capable de maintenir une représentation interne homologue au monde extérieur.[9] La boucle cybernétique agissant sur le comportement animal comprend au minimum un certain nombre de rétroactions[10] :

  • Les organes de perception permettent de modifier cette représentation interne en fonction de l'état du monde (extérieur ou intérieur) ; cette représentation n’est pas « verbale », mais est une propriété émergente. Une partie de l'état du monde ainsi représenté reflète l'état somatique : besoins vitaux, stress, état d'humeur..., et de même, le comportement enclenché peut avoir un effet sur cet état somatique.
  • Un système de décision permet d'arbitrer (ce qui représente une attention à un niveau élémentaire) et d'enclencher des actions (comportements élémentaires ou stéréotypés, tropismes) en fonction de cette représentation interne[10].
  • Ces comportements se traduisent par des actions sur le monde (extérieur ou intérieur).

Chaque espèce animale filtre la réalité à travers un ensemble de catégories qui constituent son système de représentation primaire. La sélection naturelle a favorisé l'émergence de systèmes de représentation de plus en plus complexes, non pas parce que les systèmes précédents ne sont pas adéquats, mais dans la mesure où la perception de réalités plus différentiées ou plus complexes donne à celui qui en est capable un avantage sélectif sur ses congénères, malgré le coût énergétique que cette capacité représente[11].

La représentation interne comprend non seulement l'état présent, mais également son avenir possible. Le système de décision évalue ces alternatives en fonction de leur danger potentiel et de leur capacité à satisfaire les exigences et besoins, ou les buts immédiats. Quand un individu lance une balle et la rattrape, tout se passe comme s'il avait pu résoudre un système d'équations différentielles pour prédire la trajectoire de cette balle. Il peut n'avoir jamais entendu parler d'équation différentielle et s'en moquer, le point est que cela n'interfère en rien avec sa capacité à rattraper la balle : à un niveau subconscient, il y a quelque chose qui se réalise, qui équivaut fonctionnellement à ce calcul[12].

 
Permanence de l'objet : les mammifères peuvent continuer à agir en fonction d'objets devenus invisibles, et anticiper sur leur évolution probable.

Une capacité importante des systèmes cognitifs évolués est la mémoire et l'apprentissage, c'est à dire la capacité à faire évoluer la réponse comportementale en fonction du résultat des expériences passées, acquérant ainsi des compétences qui par nature ne peuvent pas être innées. L'Hippocampe joue un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale. Cette capacité correspond à un deuxième niveau d'autonomie des êtres vivants, le niveau skinnérien, étudié par le behaviourisme[10] L'apprentissage peut être simplement associatif, quand la perception d'un objet ou d'une situation déclenche de manière conditionnée un sentiment (attrait, répulsion) ou un comportement (fuite, attaque). Il peut être plus complexe, et conduire par rapprochements de similitudes à la reconnaissance de nouvelles catégories d'objets (un éléphant), ou de distinguer des individus particuliers (mon rejeton).

La représentation du monde s'appuie sur la perception de sensations, mais également à travers la permanence de l'objet sur la connaissance déjà acquise et une modélisation de son comportement futur. Cette capacité n'apparaît que chez les mammifères (dotés d'un néocortex) et les oiseaux (qui disposent d'une structure analogue, l'hyperstriatum) ; et chez l'homme, n'est acquise qu'entre un an et 18 mois. La représentation coordonne les sensations de différentes origines, et en fait une perception amodale[10].

Activité cognitive et conscience modifier

 
La conscience (qui nous permet de juger que ce « cube » est une illusion) ne se confond pas avec la capacité cognitive (dont le traitement inconscient « reconnaît » la présence d'un cube).

Un aspect difficile à apprécier pour un être humain est le caractère très peu conscient et maîtrisé d'un comportement stéréotypé : en réaction à des stimuli l'animal réagit « comme ça », et cette réaction est globale et vécue de manière événementielle, non décomposée. De toute évidence, l'impulsion de base peut s'adapter en fonction des circonstances et de l'environnement (c'est évident, par exemple, pour ce qui est de déféquer) ; mais ce serait un anthropomorphisme de croire que cette adaptation puisse être « réfléchie » ou même « pensée ». De l'autre côté du miroir, pour la vision qu'un homme moderne peut en avoir par introspection, toute l'activité cognitive animale décrite précédemment est essentiellement inconsciente : dans la mesure où l'animal n'a pas de capacité de recul par rapport à cette adaptation, elle est exécutée suivant un mode quasi somnambulique, qui pourrait faire penser à un zombie.

Ce traitement cognitif est à la base entièrement automatique, et suffit généralement pour déclencher des actions stéréotypées, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir une conscience. Et inversement, les capacités cognitives associées pour l'Homme à une manifestation de conscience sont absentes chez l'animal. Les capacités cognitives de l'animal restent évidemment présentes chez l'Homme, mais il peut être difficile pour un lecteur non prévenu de réaliser ce que peut être, pour lui et en lui-même, un comportement stéréotypé essentiellement piloté par l'inconscient, du type que l'on voit chez les autres mammifères et chez les grands singes, voire chez les proto-humains : l'Homme n'est il pas essentiellement un être conscient ?

En réalité, si l'Homme est effectivement capable, la plupart du temps, de prendre conscience d'un comportement donné, en pratique il ne le fait pas constamment - sérieusement, qui peut prétendre qu'il réfléchit toujours avant de parler?... Même pour l'Homme moderne, n'importe quelle illusion d'optique montre que le traitement et la catégorisation des perceptions se fait de manière automatique, sans que la conscience y ait accès : nous n'avons conscience que du résultat final. Aucun processus conscient n'est impliqué quand le mot « éléphant » fait surgir par association l'idée d'un éléphant — l'association est juste une histoire comme ça. Le type de mémoire mise en jeu par le conditionnement n'est pas accessible à la conscience.[10] Au delà, certains comportement échappent à toute analyse rationnelle : qu'est-ce qui déclenche les fou-rires dans un groupe ? qu'est-ce qui fait qu'on trouve les bébés animaux « mignons » ? ces comportements ont une racine très profonde, rejoignant des situations où ils sont des comportements stéréotypés ayant par eux-mêmes une valeur adaptative, et à ce titre génétiquement sélectionnés.

Le système cognitif permet le même niveau de pilotage (subconscient et automatique) que pour celui qui marche « sans y prêter attention » au milieu d’une foule : la fluidité de cette évolution montre que l’articulation entre représentation interne et action n’a pas besoin d’être réfléchie pour être efficace. Le traitement cognitif qui maintient une modélisation interne de notre environnement n'a la plupart du temps pas besoin d'une couche supplémentaire. Il est certainement possible de prendre conscience de son évolution dans la foule, mais ce n'est pas nécessaire, et on peut évoluer en rêvant à tout autre chose, au point de parfois se retrouver à se dire « mais qu'est-ce que je fais ici ? »

Par rapport à la conscience, l'ensemble du traitement préalable (et la gestion des actions machinales) se fait en amont, de manière largement automatique, et échappe à la perception par la conscience. La conscience (quand il y en a une) en découvre le résultat, et peut en faire un examen critique. Cet examen se situe alors en aval du traitement cognitif, au niveau des jugements de valeurs et des arbitrages entre alternatives. Même dans une activité créative, la solution d’un problème ne se construit pas nécessairement par réflexion dirigée ni a fortiori verbalisée, mais par intuition synthétique, inconsciente et automatique ; le plus souvent elle « pops into mind » - arrive tout formée dans la tête, telle Athena (déesse de la sagesse) sortant toute armée de la tête de Jupiter. Ce n'est pas notre conscience qui trouve une solution, mais elle nous permet de juger que ce que nous avons trouvé est satisfaisant, le cas échéant par une analyse critique, qui peut se faire sur un mode verbalisé et argumenté.

Évolution du langage modifier

Système de communication animal modifier

 
Singe hurleur en train de « communiquer », c'est-à-dire d'exprimer un état émotionnel.

Les principales raison de pousser des cris sont l’appel sexuel, l’intimidation, la signalisation de nourriture et le cri d’alarme. Seuls ces signaux peuvent améliorer significativement la valeur sélective d’un animal.

Un cri indiquant de la nourriture ou la présence d’un prédateur n’augmente pas directement les chances de survie de l’animal qui pousse ce cri, en fait, il les réduit. Mais il augmente les chances de survie des proches de cet animal, qui pour la plupart sont porteurs des mêmes gènes.[13] D'autre part, se poser en « héro » dans le groupe, en signalant le danger ou la nourriture, peut contribuer à construire une position hiérarchique et/ou induire une préférence sexuelle. De ce fait, il apparaît aussi souvent dans le vocabulaire d'un système de communication animal.

Au-delà de ce que les animaux peuvent communiquer, il y a aussi ce qu'ils peuvent comprendre, et cette capacité est beaucoup plus développée. L'expérience courante montre qu'un chien peut comprendre quelques dizaines de mots dans la bouche de son maître ; des chiens particulièrement bien dressés ont pu comprendre un vocabulaire de l'ordre du millier,[14] et on a pu estimer que le bonobo Kanzi en comprend trois fois plus[15].

Associer un signal auditif à l'évocation mentale d'un objet présente en effet un avantage sélectif évident : c'est ce qui permet de comprendre la signification d'un bruit comme l'indice d'un changement dans l'environnement ; c'est ce qui permet de reconnaître la présence de l'animal émetteur dans le paysage, et parfois même de deviner ses intentions.

Évolution du système phonatoire modifier

 
Organes phonatoires humains.

Anatomiquement, par rapport au singe, la position basse du larynx de l'Homme créé une « cavité laryngée » qui forme un premier résonateur, lequel améliore la séparation des voyelles. Cette même position basse permet de faire passer le son non seulement dans la cavité nasale (comme pour le singe) mais également dans la cavité buccale, jouant le rôle d'un second résonateur. La langue peut bloquer l'accès à la cavité buccale, produisant les voyelles nasales, mais le voile du palais peut aussi se relever et bloquer la cavité nasale, produisant les voyelles cardinales (A, I, U) inconnues des singes. Enfin (sauf laryngocele), l'Homme a perdu les sacs vocaux communs à ses cousins primates, ce qui stabilise la hauteur de son émission[16].

Mais surtout, un Sapiens peut sans problème parler sur un rythme allant jusqu'à une quinzaine de phonèmes par secondes, un exploit qui ne lui est possible que parce qu'il dispose d'un contrôle extrêmement précis de ses cordes vocales, de son larynx, de sa langue, de ses lèvres et de son palais[17].

L'origine évolutive de la communication intentionnelle humaine est probablement à rechercher vers le système miroir des primates, qui est actif aussi bien quand l'animal observe une action que quand il l'exécute lui-même. Chez les primates, la composante motrice de ce système se situe dans l'aire F5, homologue de l'aire de Broca qui participe à la production du langage. Chez les primates non humains, cette aire n'est pas activée par les vocalisations des congénères, mais par le son produit par différentes actions, comme la chute d'un bâton sur le sol ou l'ouverture d'une noix. De ce point de vue, il ne s'agit donc pas d'un système simplement « miroir », mais d'un système participant plus généralement à l'apprentissage perceptif et moteur.[18] Cette aire cérébrale commande les mouvements de la bouche et de la face, mais pas du larynx, dont les mouvements sont involontaires et insusceptibles d'apprentissage. Il a fallu l'extension de cette zone à la commande du larynx pour que l'homme puisse également mimer et contrôler son langage oral ; corroborant l'idée d'une origine gestuelle du langage[18].

Sur le plan évolutif, la question centrale est de décrire comment le système phonatoire humain a pu évoluer vers ce qu'il est : si Sapiens n'avait pas eu une morphologie se prêtant à une articulation des phonèmes; et un système neurocérébral lui permettant d'en contrôler l'activité musculaire avec précision, il n'aurait pas pu accéder au langage doublement articulé que nous lui connaissons aujourd'hui. Le langage humain est contraint par une physiologie hautement spécialisée, sans laquelle il ne serait pas envisageable[19].

Cette physiologie hautement spécialisée prouve deux choses : (1) les capacités impliquées dans le langage ont été le fruit de la sélection naturelle, (2) ces capacités ont été sélectionnées parce qu'elles procurent un avantage sélectif.[17] Il ne s'agit cependant pas de se demander si le langage (en tant que tel) procure un avantage adaptatif, mais en quoi les adaptations physiologiques qui permettent aujourd'hui le langage ont pu apporter un avantage adaptatif dans les conditions écologiques où elles ont émergé. Une fonction est initialement une propriété émergente, qui se révèle parce que les contraintes de la physiologie en offrent la possibilité ; la pression sélective initiale porte sur les limitations physiologiques, qui seule peut réaliser une pré-adaptation, non directement sur les fonctions, qui ne peuvent pas avoir de valeur sélective tant qu'elles n'ont pas émergé[19].

D'autre part, plutôt que de d'analyser ce qui a pu causer une évolution vers le langage à partir du système de communication animal, il semble préférable de modéliser des évolutions successives, comportant plusieurs stades de protolangages. La meilleure preuve en est les longues plages temporelles longues de millions d'années pendant lesquelles Habilis, Erectus ou Heidelberg n'ont pas évolué : si une « pression évolutive vers le langage » avait été à l'œuvre, il n'y aurait pas eu de tels paliers évolutifs. Sur le plan linguistique, il est moins important d'identifier à quel moment ces différents stades ont pu être acquis (Australopithèque, Erectus,...) que de présenter un scénario plausible suivant lequel de nouvelles capacité ont pu évoluer, s'appuyant sur des mécanismes préexistants, en les développant dans une nouvelle direction[20].

Système cognitif associé modifier

Avant tout il est important de souligner que « le langage » ne se confond pas avec « la parole », il s'agit de deux réalités très différentes. Une communication symbolique formant un langage ne passe pas nécessairement par la voix (comme en témoigne le langage des signes), et une maîtrise et une créativité vocale peut se développer sans référence à un langage (comme le chant des baleines ou celui des oiseaux). Dans l'évolution des hominines, il est de ce fait concevable (et même probable) que langage et parole ont pu se développer à des moments et pour des raisons différentes.

Très souvent, le langage humain est abordé comme un cas particulier de système de communication, une capacité partagée par les animaux et même les plantes. Pour comprendre sa spécificité, le langage doit avant tout être abordé comme un système cognitif, dépendant du fonctionnement neuronal, et qui ne peut se réduire à une simple problématique de communication. Il est exact que le langage est utilisé pour la communication, mais ce n'est pas sa caractéristique première, et l'analyse de son évolution relève avant tout de l'évolution des capacités psychomotrices et cognitives, non de la seule problématique de communication[21].

Le langage n'est pas uniquement un moyen de communication, c'est avant tout la manifestation d'un mode de pensée, la représentation symbolique[7]. Mais cette pensée symbolique n'est pas innée, elle ne se développe qu'en internalisant les processus symboliques qui sous-tendent le langage lui-même.

Avant même de commencer à s'exprimer il faut avoir quelque chose à dire ; et le langage est avant tout une manière de se formuler ce que l'on veut communiquer. L'histoire du langage en tant que tel est donc plus celle des systèmes de représentations et de la conscience, que simplement celle d'un système de communication animal[11].

Globalement, le langage humain ne se réduit pas à un simple système de communication animal[22] :

Cris et signaux Langage
Contrôle de la forme Déterminés génétiquement Conventions culturelles partagées
Émission Émission instinctive et réactive Émission volontaire planifiée
Première articulation Peu de signaux Grand nombre de morphèmes
Double articulation Signaux autosuffisants et invariables (« sort de mon territoire »), combinaisons rares Articulation de composants incomplets par eux-mêmes
Domaine de signification Situation holistique, découlant de perceptions et de sensations Domaine symbolique, représentation abstraite, détachée de l'immédiat
Sujet concerné Sujet implicitement désigné par le contexte Forme prédicative explicitant le sujet
Situation de référence Pas de sens en l'absence du contexte Capacité d'évoquer quelque chose qui n'est pas présent ici et maintenant
Zone exprimable Ici et maintenant uniquement Capacité d'évoquer quelque chose qui échappe à l'expérience

Les formes de communication animales sont très différentes de ce qu'est le langage humain. À titre de comparaison, l'homme dispose également d'un répertoire important d'attitudes et de comportements à travers lesquels nous signalons des attentions ou des dispositions d'esprit : rire et sourire, froncer les sourcils, faire une moue de dégoût, montrer de l'étonnement... Ces signaux peuvent avoir un impact très fort sur celui qui les observe : le rire est facilement contagieux, de même que la nausée d'un vomissement. Mais ces signaux ne forment pas un langage, et il serait généralement impossible d'en faire une analyse lexicale ou grammaticale[7]. Il s'agit d'une forme de communication animale dont l'homme dispose en plus du langage.

La psychologie linguistique permet de dégager un certain nombre de couches successives, qui ont pu n'émerger que progressivement.

Pourquoi communique-t-on ? Sur le plan fonctionnel, dans la fonction de coordination et de communication au sein d'un groupe, il est possible de distinguer trois niveaux de communication proprement dite, se superposant à un simple niveau d'interaction[23],[24] :

  • Le niveau 0 est celui de la praxis. À ce niveau, les membres du groupe peuvent interagir dans leur activité commune, sans avoir besoin de recourir à une communication intentionnelle.
  • Le niveau 1 est celui de la direction. À ce niveau, la coordination des actions n'est plus implicite mais passe par des instructions et demandes explicites, assertions ou désignations dont la signification est claire par rapport à l'activité en cours.
  • Le niveau 2 est celui du partage de la planification. À ce niveau, les membres du groupe discutent entre eux sur l'activité elle-même, pour en construire une vision partagée. À ce niveau il devient nécessaire de désigner clairement des objets ou activités qui ne sont pas encore présents dans le contexte, et l'élaboration de la vision partagée comprend également des jeux de questions et de réponses.
  • Le niveau 3 est celui du partage du sens. À ce niveau, l'explication vise à construire une vision partagée, cette fois ci sur le sens même des mots et symboles, ou sur d'autres éléments employés dans la communication (par exemple syntaxique s'il y a lieu).

Ces quatre niveaux fonctionnent de manière hiérarchique. Quand le groupe rencontre un échec dans la communication à un niveau donné, le déroulement à ce niveau est suspendu, et le groupe ouvre une discussion en incise au niveau immédiatement supérieur. Quand le problème est résolu, les participants manifestent leur accord et retournent au niveau inférieur.

En outre, de quoi parle-t-on ? L'abstraction croissante du langage conduit à distinguer trois zones[25] :

  • une de coïncidence, la zone identitaire (concepts relevant de ici et maintenant) ;
  • une d’adjacence, la zone proximale (concepts dont une expérience directe est possible) ;
  • une d’étrangeté, la zone distale (concepts abstraits, par nature non expérimentale).

Le système de communication animal ne peut traiter que de la première zone - « out of sight, out of mind ». Un des enjeux de la communication humaine est d'acquérir la capacité cognitive permettant de gérer les deux autres zones.

Ces différences doivent être explicables par les évolutions successives des conditions d'utilisation de la communication par les ancêtres de l'Homme.

Théorie de l'esprit modifier

Test du miroir. Voir Neurone miroir

La théorie de l'esprit consiste à pouvoir se représenter mentalement l'état mental de tel ou tel individu, en reconnaissant qu'il est comparable à celui que l'on perçoit en soi-même. C'est donc au minimum une modélisation de deuxième niveau : au sein de la représentation du monde, une partie consiste à modéliser ce qu'est la modélisation de l'autre.

Des comportements qui demandent une théorie de l'esprit sont par exemple[26] :

  • Communiquer intentionnellement avec un interlocuteur - non pas pour influer son comportement, comme dans un système de communication animal, mais dans le but de lui fournir de l'information.
  • Corriger des incompréhensions, ce qui suppose de comprendre que le message a pu ne pas être compris et qu'il faut le transmettre d'une autre manière.
  • Enseigner quelque chose, que l'on veuille changer la connaissance de son interlocuteur suppose qu'on puisse se la représenter comme différente de la sienne propre.
  • Avoir une stratégie de persuasion, ce qui revient à communiquer pour modifier la manière dont son interlocuteur voit les choses.
  • Tromper intentionnellement quelqu'un,
  • Partager des plans et des buts : chaque membre du groupe doit comprendre les intentions des autres, et coordonner les actions en conséquences. Une chasse en meute n'est qu'une superposition de comportements individuels.
  • Partager l'objet de son attention, c'est à dire non seulement être attentif à l'objet, mais être conscient que l'autre l'est également.
  • Faire semblant, agir comme si un objet en était un autre, ou avait des propriétés différentes, ce qui suppose de pouvoir faire l'aller-retour entre la réalité et le monde supposé.

Les singes hominoïdes atteignent un niveau d'abstraction de deux, alors que l'homme moderne atteint couramment un cinquième niveau, ce qui est particulièrement évident dans des situations d'espionnage ou de diplomatie (si je réagis comme ça, je vais l'induire à croire que je ne sais pas quelles avaient été ses intentions vis-à-vis de X, parce que lui ne sait pas que par ailleurs...). Toutes choses égales par ailleurs, un niveau d'abstraction supplémentaire demande une capacité supplémentaire de modéliser le monde, donc est coûteuse en neurones. Et, toutes choses égales par ailleurs, des comportements sociaux de plus en plus sophistiqués impliquent des situations de communication de complexité croissante, et donc des niveaux d'abstractions de plus en plus élevés.

Pour Robin Dunbar, le niveau d'abstraction pouvant être atteint dépend directement du volume du lobe frontal. Ce volume étant lui-même biologiquement coûteux, tant en énergie de fonctionnement qu'en temps de développement, la sélection naturelle maintient le niveau d'abstraction de l'espèce au « juste besoin » par rapport à sa niche écologique. Si l'on considère que le niveau d'abstraction est dans l'ensemble proportionnel au volume du cortex frontal, cela impliquerait (selon lui) que les hommes primitifs auraient une capacité d'abstraction de quatrième niveau, et les proto-hommes du troisième niveau[27].

En réalité, cependant, toutes les choses ne sont pas « égales par ailleurs », et de toute évidence, le niveau d'abstraction susceptible d'être atteint dépend aussi du fonctionnement cognitif qualitatif. Lorsqu'un singe montre une certaine maîtrise d'une théorie de l'esprit, il le fait à travers des situations qu'il peut évoquer et imaginer, mais que de toute évidence il ne peut pas verbaliser, parce qu'il ne dispose pas de cette fonction cognitive. Lorsqu'un Sapiens réfléchit « à un niveau cinq », ce peut être complexe, mais sa représentation de la situation porte sur l'évocation d'assertions verbalisées, qui se présentent donc successivement, non sur des situations imaginées perçues de manière holistique - il n'est pas du tout certain que son intuition utilisée isolément aboutirait à une même performance. Sa performance est avant tout due à un mode cognitif différent, pas à une différence dans la puissance intellectuelle brute. Les différents développements cérébraux des hominines ont certainement conduit à des comportements différents et novateurs, qui en ont constitué l'avantage sélectif, mais la différence n'est donc pas nécessairement directement liée à une simple question de niveau d'abstraction.

Ancêtres de l'Homme et Anthropomorphisme modifier

Quelle conscience pour nos ancêtres ? modifier

 
Cerveau humain et cerveau de chimpanzé. Que se passe-t-il dans la tête d'un chimpanzé?

Une question récurrente lorsqu'on se penche sur l'évolution entre « animal » et « humain » est de savoir à quel point l'ancêtre de l'Homme acquiert une conscience humaine, et en quelque sorte devient « vraiment humain ». En pratique, les structures mentales semblent avoir émergé suivant un certain ordre évolutif, et ont un lien direct avec certaines structures cérébrales spécialisées[28].

Un premier point à noter est que de toute évidence, le degré de conscience ne se fossilise pas, et que même pour des animaux vivants il est difficile de déterminer si une telle conscience existe - la difficulté est d'autant plus grande pour évaluer celle de nos ancêtres.

Un second point est que si le système nerveux assure une capacité cognitive, permettant de réaliser des fonctions variées, il le fait toujours de manière minimaliste : le tissu nerveux est très consommateur d'énergie, bien que le cerveau ne représente que 2% du poids du corps, il consomme pas moins de 20% de l'énergie nécessaire à notre métabolisme (qu'il soit ou non au repos).

S'il devient nécessaire, pour la survie de l'animal dans tel environnement et tel comportement, de disposer a minima d'une certaine capacité cognitive, la sélection naturelle finira par éliminer ceux qui disposent d'une capacité insuffisante. Mais disposer de trop de capacité cognitive par rapport à ce minimum vital signifie un besoin alimentaire plus important que nécessaire, et la sélection naturelle éliminera tout autant ceux dont la capacité cognitive est trop performante, parce que leur fringale perpétuelle par rapport à leurs congénères les condamnera en temps de disette. La nature n'a que faire de petits génies, sa seule pierre de touche est le succès reproductif. Lorsqu'on cherche à évaluer et décrire la capacité cognitive de l'un de nos ancêtres, la « règle du jeu » est donc qu'il faut strictement ne lui accorder que les capacités nécessaires à réaliser la performance constatée, et ne pas aller au-delà.

En même temps, il n'y a pas de réelle solution de continuité entre niveau, et l'atteinte d'un niveau donné donne peut-être accès à un embryon de capacité relevant du niveau suivant : c'est ce que l'on voit lorsque le chimpanzé sort de son somnambulisme quotidien pour dans un éclair de lucidité résoudre le problème que lui soumet le chercheur.

Le point est que la masse cérébrale disponible joue le rôle d'un plafond de verre sur les capacités cognitives ou conscientes, ce qui se situe « au-dessus » n'étant accessible que comme l'esquisse des choses à venir, et non leur substance même. Les variations statistiques feront que certains individus mieux dotés peuvent de temps à autre avoir des étincelles de perception d'un niveau supérieur (et le cas échéant, en transmettre quelques éléments à leurs congénères, si une transmission de connaissance est possible), mais ce n'est pas pour autant que le niveau de conscience correspondant constitue le quotidien de l'espèce. En réalité, même aujourd'hui, il serait irréaliste de prétendre que le niveau courant de conscience humaine correspond à celui atteint par ses représentants d'exceptions, que l'on décore par exemple de la médaille Fields ou du prix Nobel.

À quoi ressemble une capacité cognitive limitée ? modifier

 
Le « pilotage automatique » qui reste actif pendant le somnambulisme est suffisant pour évoluer dans l'environnement, même si ce comportement est par ailleurs limité faute d'un contrôle conscient.

Un troisième point est qu'il est difficile de comprendre à quoi correspond réellement de tels états de conscience, parce que notre tendance naturelle est de projeter sur les tiers nos propres modes de pensée, y compris sur des animaux par anthropomorphisme, et donc de leur attribuer implicitement des capacités cognitives ou conscientes injustifiées.

Pour prendre la mesure de l'erreur que cela représente, il suffit de considérer les comportements complexes qu'un dormeur peut réaliser en état de somnambulisme : le « pilotage automatique » que peut réaliser le traitement cognitif inconscient conduit à un comportement raisonnablement adapté à son environnement, même lorsqu'aucune conscience réflexive n'est aux commandes.

À travers ses réactions holistiques et ses réponses comportementales stéréotypées, c'est ce même « pilotage automatique » que le traitement cognitif réalise au quotidien chez le chimpanzé. Lui attribuer une conscience réflexive est donc injustifié, parce que pour vivre au quotidien il n'a besoin que de ce « pilotage automatique » et rien de plus.

Fonctions cognitives « supérieures » modifier

 
Il n'y a jamais de « manque ». La capacité cognitive d'un chimpanzé est celle qui le rend adapté à son environnement.

Un quatrième point, enfin, est que quel que soit le niveau cognitif « primitif » qu'utilise au quotidien l'animal (ou l'hominidé), ce niveau est nécessairement celui qui est adapté à ses besoins environnementaux et comportementaux — si ce n'était pas le cas, la sélection naturelle aurait tôt fait d'y remédier en éliminant les inadaptés.

Pour l'hominidé qui fonctionne à ce niveau, cette capacité cognitive est autonome, elle ne peut être qu'adaptée à fonctionner seule - elle ne se confond pas avec celle dont nous avons l'expérience. De ce fait, ce que l'on peut comprendre comme une « limitation » des capacités cognitives, par rapport à celles dont nous avons l'expérience, n'est aucunement un manque pour cet hominidé : c'est son mode cognitif quotidien et il est parfaitement heureux et adapté avec ça. Lorsqu'on indique à titre de comparaison que la capacité intellectuelle de telle ou telle espèce est « comparable à celle d'un enfant de deux ans », il faut garder en tête qu'une telle comparaison peut être très facilement une source de confusion. Physiquement, un « grand singe » adulte est avant tout un adulte, qui peut se battre et tuer, être en rut et copuler,... choses que l'on n'attend évidemment pas d'un enfant de deux ans.

Pour notre part, nous disposons à la fois de ces fonctionnalités cognitives primitives, et d'autres développées depuis ; et clairement, si nous étions limités à ces seules capacités primitives (dans leur état actuel), nous serions gravement handicapés. C'est parce que pour nous, ces capacités primitives ont été transformées et adaptées à un pilotage par des fonctions cognitives ultérieures, et ne sont donc plus autonomes.

Le grand singe est parfaitement adapté à maîtriser ces activités au niveau pour lui suffisant, et il ne faut attendre aucune maladresse de sa part. En relation avec son environnement, le « grand singe » est tout à fait au point sur le plan perceptif ; ce n'est pas sur sa capacité d'attention que son développement peut paraître insuffisant. Si le chimpanzé fonctionne au quotidien avec un niveau de performance cognitive qui serait pour nous celui d'un somnambulisme, il est de son côté parfaitement éveillé, perceptif et réactif à son environnement, d'une manière optimisée par rapport à son mode de vie.

—oO§Oo—

Cet avertissement long mais nécessaire étant donné, il devient possible de se pencher sur l'évolution cognitive des hominidés en évitant —autant que faire se peut— de verser dans l'anthropomorphisme.

Acquisition de la verticalité modifier

Singes hominoïdes et Huchibo modifier

 
Chimpanzé commun. De 17Ma à 7Ma, les ancêtres de l'homme sont des grands singes.

Le « berceau de l'Humanité » modifier

 
Grand rift africain .

Au Miocène moyen (16-11Ma), le poinçonnement de l’Eurasie par la sous-plaque arabique —qui s’écarte de l’Afrique le long du fossé océanique de la mer Rouge— finit par interrompre les dernières communications marines qui unissaient encore l’espace méditerranéen à l’Océan indo-pacifique.[29] Séparés des singes du Nouveau Monde depuis la séparation entre Afrique et Amérique du Sud au Crétacé, soit il y a 80 Ma, la sous-population restée sur le radeau africain devient celle des singes de l'Ancien Monde.

Commencée au Miocène vers 20Ma, la formation du grand rift africain suit le déplacement d’un point chaud ; elle s’achèvera vers 1Ma en atteignant le Mozambique. Cette vallée présentait toutes les conditions requises pour créer et conserver des fossiles. La vallée du grand rift connaît une très grande activité volcanique. L’effondrement provoque une importante sédimentation lacustre (jusqu'à 8 000 m). Cette accumulation de sédiments a permis de fossiliser rapidement les ossements et les industries lithiques des anciens hominines. L'érosion a ensuite creusé ces dépôts sédimentaires, permettant d'accéder à des fossiles très anciens des restes d'hominidés qui habitaient jadis la région.

La vallée du grand rift est ainsi surnommée le « berceau de l'humanité », car de nombreux fossiles d'hominidés et de nombreux vestiges archéologiques très anciens y ont été découverts. Cette source abondante ne doit cependant pas être considérée comme exclusive : d'autres ancêtres de l'homme ont pu évoluer dans d'autres endroits, mais les hasards de la fossilisation font que le grand rift fait de fait référence pour suivre l'évolution des hominines.

Les « grands singes » modifier

Vers 17Ma (Miocène supérieur) les singes hominoïdes (les « grands singes  ») se séparent des cercopithèques, singes avec queue et plus petits. Parmi les fossiles les plus connus on peut citer le Proconsul (premier singe sans queue connu), Proconsul africanus (18Ma). Ces grands singes africains ont été rassemblés dans la sous-famille des Homininae[30]. Cette famille des « grands singes » prolifère initialement en de nombreux primates, elle présente une forte radiation au Miocène moyen puis supérieur. Le détail de ces espèces et évolutions est indifférent pour l'histoire humaine.

Cette famille nombreuse subit une crise à la fin du Miocène (début du Pliocène, 5.5Ma), période caractérisée par son refroidissement climatique, qui entraîne une modification des écosystèmes et la quasi disparition des grands singes qui y étaient trop inféodés. Ne résistent que les ancêtres des orang-outans à l'est, celui des gibbons, et en Afrique les ancêtres des gorilles, des Pan (bonobos et chimpanzés) et des homo — dont nous sommes issus.

 
Classification des hominidés.

L'ancêtre de l'Homme est donc un « grand singe » typique, probablement proche du chimpanzé. Pour imaginer à quoi ressemblait cet ancêtre, on suppose que les grands singes actuels sont représentatifs de l'ensemble de la famille. C'est légitime dans la mesure où, à part l'Homme, les grand singes vivent toujours dans leur milieu originel, la forêt équatoriale.

Et ceci entraînant cela, à part l'Homme, tous les membres de cette famille sont en danger d'extinction, à cause de la disparition de la forêt équatoriale tant sous la pression anthropique que du fait de l'évolution climatique — on estime que dans un siècle, l'Homme sera le seul représentant des Hominidae.

Anatomie modifier

 
Squelette d'Homo sapiens et de Gorille.

Les grands singes sont, précisément, des « grands singes » : leur taille est grande, leur musculature robuste, et la masse des adultes est généralement comprise entre 50 et 250 kg. Ce sont des singes sans queue. Cette particularité impacte sur leur morphologie : le torse et les membres sont sollicités pour effectuer des mouvements d’équilibrage autrement réalisés par la queue. La cage thoracique est plus large et plate, de forme plutôt conique, qui évoluera vers une forme plutôt cylindrique chez l'Homme.

La face des hominidés est prognathe et le cerveau particulièrement développé, comparé aux autres primates. Le pelage est généralement noir, plutôt long et soyeux, et couvre tout le corps à l’exception du visage (nez, yeux, bouche), des mains et des pieds.

 
Déplacement par brachiation.

Les membres supérieurs sont plutôt longs et puissants, le poignet flexible, et la main est préhensile. La ceinture scapulaire est adaptée à la suspension par les bras en position verticale. Ces traits correspondent au déplacement par brachiation et à la suspension arboricole. Les pieds tendent à être mieux adaptés à la marche, avec la plante des pieds plus large et les orteils plus courts ; mais le pied reste préhensile.

Les femelles ont des menstruations[3],[31]. Ils peuvent s’accoupler tout au long de l’année. La gestation dure huit mois. La femelle met au monde un petit à la fois. Tout de suite après la naissance, le petit sans défense s'accroche au pelage de sa mère, et s'installe sur son dos quand elle se déplace. Il est sevré tardivement, après trois ou quatre ans. La femelle reste stérile tant que son petit n'est pas sevré, la lactation inhibant l'œstrus (de ce fait, un mâle accédant au rôle dominant tend à pratiquer l'infanticide pour améliorer plus rapidement son score reproductif).

Le jeune reste attaché longtemps à sa mère. Les mères chimpanzés enseignent à leurs enfants certaines techniques pour trouver de la nourriture. Avec son apprentissage par imitation et répétition des gestes de sa mère et des autres membres du groupe, le jeune assure la transmission d'une « culture » et d'un savoir propre à sa communauté. La maturité sexuelle est tardive.

Chez les Primates, l’organe voméronasal (permettant de percevoir et décoder les signaux chimiques, très complexes et nombreux, que sont les phéromones) existe chez les Prosimiens et les singes du Nouveau Monde mais manque chez les Singes de l’Ancien Monde, chez les Anthropoïdes et chez l’Homme : c’est à ce moment de l’évolution que d’autres modalités, et notamment le développement de la vision en couleur, ont pu remplacer largement les signaux phéromonaux.

Développement cérébral modifier

Sur le plan cognitif, le proconsul se distingue déjà des autres prosimiens par un index de céphalisation élevé : en règle général, pour un mammifère, le poids du cerveau varie comme la puissance 3/4 du poids du corps ; la famille des grands singes a un cerveau deux à trois fois plus lourd que le mammifère typique (et l'homme moderne six fois plus)[32]. Cette capacité neuronale supplémentaire est probablement celle nécessaire pour conserver la trace des parentés et alliances individuelles dans le groupe social où évolue l'individu.

L'encéphalisation peut être due à trois types de phénomènes dans le développement biologique[33]. Le développement vers le nanisme est au départ normal, mais la croissance du corps est ralentie à la fin du développement, donnant proportionnellement une tête plus grosse qu'attendue compte tenu du poids du corps atteint. Les primates ont un développement ni ralenti ni prolongé, mais dès le départ la part de tissu embryonnaire consacré à la tête est deux fois plus importante que normale. Les humains se développent suivant le schéma des primates, mais la croissance cérébrale se prolonge par rapport à ce qui serait attendu de celle du corps.

Cette céphalisation importante des primates provient d'un déplacement dans l'expression des gènes homéotiques délimitant la part de l'embryon consacrée à la tête de celle consacrée au reste du corps[33]. Si l'on trace (en coordonnées log-log) la courbe décrivant la croissance du cerveau par rapport à celle du corps,[34] tous les fœtus des mammifères se répartissent en deux trajectoires parallèles : une droite générale valable pour l'ensemble des mammifères, sauf les primates, les cétacés et les éléphants, qui se placent sur une seconde droite parallèle à la première[33], montrant que dès les premières différenciations tissulaires leur cerveau est en proportion trois fois plus grand que la normale. Cependant, le développement du cerveau en fonction du temps reste identique à celui des autres mammifères : le cerveau des grands singes ne se développe pas plus ou plus vite que pour les autres animaux, mais c'est leur corps qui en proportion est plus petit.

Le cerveau de l’homme et de certains grands singes contient un neurone appelé neurone en fuseau. Ces neurones semblent associés au transfert rapide de signaux neuronaux. Ces neurones spéciaux se trouvent dans le cortex antérieur du cerveau, une région qui contrôle le cœur, la tension artérielle et la digestion ; elle sert aussi de siège à certaines opérations complexes, comme la capacité de communiquer en émettant des sons.

Niche écologique modifier

 

Ils vivent dans la forêt tropicale, où les saisons sont peu marquées. Ils se déplacent volontiers par brachiation (suspension arboricole).

Ils sont généralement plutôt végétariens, et consomment des Fruits, des graines de plantes herbacées, des bourgeons et jeunes feuilles ; certains mangent également des racines. Ils ont perdu la capacité de digérer des fruits verts. Ils consomment également des petits insectes (chasse aux termites, aux fourmis) et des invertébrés. Ils mangent à l’occasion de petits vertébrés (dont d'autres singes plus petits, voire pratiquent parfois du cannibalisme).

Généralement, les tubercules sont rarement exploitées par les grands singes, parce qu'ils demandent un travail d'extraction important, et celui qui s'y consacre court le risque de se voir confisquer le résultat de son travail sous la menace ou l'agression des autres membres du groupe ; la cueillette se limite par conséquent à ce qui peut être rapidement récolté et mangé par le cueilleur[35].

Mode de vie modifier

 
Toilettage et épouillage.

Les grands singes (à l'exception de l'orang-outang) vivent en communautés dans lesquelles tous les individus se connaissent personnellement et entretiennent des relations individuelles. La taille du groupe est une défense contre les prédateurs, mais est limitée par la capacité de ses membres à gérer les conflits et stress inter-membres. La taille et le fonctionnement du groupe sont largement déterminés par la stratégie des femelles vis-à-vis des ressources et de leur progéniture[36] : les femelles tendent à se regrouper là où il y a des ressources alimentaires, et les mâles tendent à se regrouper là où il y a des femelles.

Des relations hiérarchiques complexes s’établissent au sein d’un groupe. La relation de dominance se double généralement d'un réseau de cliques, généralement liées par des liens familiaux, dont les membres entretiennent des liens privilégiés et s'entraident pour faire face à une trop forte agressivité du reste du groupe. Les liens de proximité entre individus sont entretenus par le toilettage mutuel, facteur d'apaisement des tensions.

La relation de l’enfant avec sa mère est très particulière. Leur relation commence à la naissance et s’intensifie durant les premiers mois de la vie par l’intimité du contact corporel permanent. Au cours de cette première période, l’enfant dépend entièrement de sa mère pour la satisfaction de ses besoins. La mère allaite son petit trois ou quatre ans. Après le sevrage, l’enfant reste profondément attaché à sa mère pendant de nombreuses années. En effet, il aura encore souvent besoin d’elle dans bien des situations. Mère et enfant resteront liés tout au long de leur vie.

Les primates sont généralement territoriaux, les mâles défendant un territoire pour monopoliser l'accès aux femelles en âge de procréer.[27] Certains groupes n’acceptent qu’un seul mâle reproducteur. En présence de plusieurs mâles, la capacité du mâle dominant à monopoliser l'accès aux femelles en œstrus est en effet rapidement limitée par la taille du groupe.

Ils passent la plupart de leur temps à manger, à se reposer ou à s'épouiller (et copuler à l'occasion). Chaque soir, ils se font un nid en haut d'un arbre où ils passent la nuit.

Comportement sexuel modifier

 
La canine présente un fort dimorphisme sexuel, organe de démonstration de force, en lien avec l'agressivité intrasexuelle des mâles.

Ils pratiquent généralement un accouplement par proximité : une femelle en œstrus cherchera à s'accoupler avec le ou les mâles disponibles ; les mâles du groupe cherchant à s'accoupler avec toute femelle en œstrus se présentant. La reproduction est limitée par la structure hiérarchique du groupe. Le mâle dominant tend à avoir la principale part des copulations. Les femelles en position non-dominante tendent à avoir une ovulation inhibée, ce qui diminue leur potentiel reproductif, et les incite à favoriser au contraire la vie en petit groupe.

Chez le gorille, le mâle dominant tend à chasser tous les autres et à monopoliser son harem ; le choix des femelles est implicite : puisque le mâle est dominant c'est nécessairement qu'il est le meilleur. Le chimpanzé assure la défense collective du groupe de femelles par une alliance entre mâles consanguins.

Chez le chimpanzé, le premier œstrus apparaît vers dix ans, et se caractérise initialement par un gonflement ano-génital ; la menarche survient quelques mois plus tard et continue sur un cycle de l'ordre de 36 jours[37]. Les femelles sont initialement infertiles pendant une période initiale, qui coïncide s'il y a lieu avec leur émigration depuis leur groupe natal[37],[38]. Pendant cette période de transition, les femelles continuent à afficher leur œstrus apparent, qui leur sert peut-être de passeport pour se faire accepter dans la nouvelle communauté[39]. Une fois en place, ces femelles cessent leur cycle pendant deux ou trois ans, mais continuent à attirer des mâles et à s'accoupler par proximité[40].

Le fait pour les enfants de rester dans le même groupe que leur mère peut à la longue poser des problèmes de consanguinité, conduisant à une pression sélective comportementale pour éviter que le problème ne devienne trop important. Cette pression s'exerce surtout sur la femelle, dont l'investissement reproductif est important, et pour laquelle la bonne qualité de sa progéniture est un facteur important ; pour le mâle dominant, dont le score reproductif peut être important, la stratégie de reproduction vise la quantité plus que la qualité.

Lorsque les femelles chimpanzé ont le choix de leur partenaire, l'observation montre qu'elles préfèrent des partenaires génétiquement dissemblables[41]. Dans le groupe natal, l'apparition du premier œstrus et de la menarche les marque comme n'étant plus des juvéniles, mais des partenaires sexuellement actives ; et les mâles du groupe cherchent en conséquence un accouplement. Dans cette phase d'initiation, cependant, la femelle est initialement infertile ; ce signal sexuel est prématuré par rapport à la fécondité réelle. En revanche, si les mâles du groupe correspondent à une trop forte consanguinité, ce premier harcèlement induit le départ de la femelle vers d'autres groupes.

Réaction au stress modifier

La réaction au stress dépend du système nerveux autonome. Celui-ci va modifier l'équilibre biologique interne, pour privilégier (par activation physiologique) le fonctionnement des organes dont dépend une réaction rapide (cerveau, muscles striés, rythme cardiaque et respiratoire), et inversement, réduire le fonctionnement des fonctions qui peuvent être suspendues (digestion, système reproductif, etc.).

Dans le cas des grands singes, comme pour les autres animaux, le stress résulte de facteurs extérieurs : dangers ou agressions environnementaux, mais également harcèlements au sein du groupe. Ces éléments extérieurs sont objectifs, les animaux ne vivent qu'au présent, et contrairement à l'Homme ne connaissent pas d'anxiété, stress particulier induit par la conscience d'épisodes qui ne sont pas en cours.

Le harcèlement pour établir une relation de dominance reste relativement épisodique, dans la mesure où il n'est déclenché que lorsque l'ordre établi est remis en cause. En revanche, le harcèlement des femelles en œstrus peut devenir permanent si celles-ci ne sont pas « protégées » par leur statut ou par un mâle dominant. De ce fait, les femelles en position non-dominante tendent à avoir une ovulation inhibée.

Organisation sociale de Huchibo modifier

 
Illustration de apomorphie, synapomorphie et symplésiomorphie.

Le dernier ancêtre commun entre le genre Homo et les autres grands singes (vers 8 Ma) correspond à la séparation d'avec la branche qui a ensuite donné les chimpanzés et les bonobos (chimpanzés nains), donc la séparation est ultérieure. Pour cette raison, ce grand singe —non identifié à ce jour, les fossiles de cette période étant rares— est parfois appelé Huchibo, concaténation des premières syllabes de « Humain – Chimpanzé – Bonobo ». Le clade Huchibo ressemble par ses caractères ancestraux à ses cousins gorilles (et grands cousins orangs-outans), dont la séparation est plus ancienne. Inversement, outre ce fond commun aux grands singes, Huchibo porte conventionnellement les (éventuels) caractères dérivés communs à ces trois espèces.

La branche Homo ayant beaucoup dérivé par rapport à Huchibo, et étant atypique parmi les grands singes, les traits attribués à ce dernier sont principalement ceux communs aux chimpanzés (Pan troglodytes) et aux bonobos (Pan paniscus), sauf lorsqu'il apparaît que ces traits sont des traits dérivés de la branche Pan.

Les caractères propres au clade Huchibo sont surtout propres à l'organisation sociale. Ils vivent en groupes, où les mâles sont consanguins et les femelles d'origine extérieure. Ils sont territoriaux, défendent collectivement le territoire. Leur accouplement est polygame, le mâle alpha tendant à retenir l'exclusivité, les autres mâles ayant des accouplements opportunistes.[42] Les mâles peuvent collectivement attaquer des communautés voisines plus faible, ce qui serait à l'origine de l'art de la guerre[43].

Le dimorphisme sexuel est plus faible que celui des gorilles, tout en restant notable[44].

Outillage modifier

Ils font preuve d'une réelle intelligence dans la résolution de problèmes et l'utilisation d'outils simples. Il est courant de nos jours d'observer des chimpanzés utilisant une pierre en guise de marteau. Il peut utiliser à l’occasion un bâton pour attraper des termites, ou un percuteur pour casser des noix. Ce comportement est connu y compris sur des singes capucins[45].


Des chimpanzés sauvages du Sénégal fabriqueraient une arme pointue avec une branche. Munis de cette « lance », ils cherchent des arbres possédant des excavations naturelles. Ils enfoncent l’outil d’un coup sec dans les trous pour dénicher des Galagos (petits lémuriens diurnes qui s’y reposent le jour).

Mais il s’agit d’outils primaires, et l’usage de l’outil n’est pas son quotidien.

Communication modifier

 

Les grands singes ont un mode de communication avant tout gestuel. Une grande expressivité faciale leur permet de manifester leurs émotions. Tous sont capables de communiquer de façon efficace, par une grande variété de cris et de grimaces.

Tous sont capables, avec un dressage approprié, d'apprendre un langage rudimentaire et de manipuler des concepts abstraits, ces gestes étant cependant stéréotypés : le gorille qui apprend la langue des signes reproduit en fait des gestes que l’on retrouve dans la nature, les assimilant aux modèles de la langue des signes enseignée par les chercheurs. La gestuelle des gorilles n’est pas apprise mais acquise ; elle fait partie d’un répertoire naturel permettant aux gorilles de communiquer entre eux, mais un jeune gorille ne sait pas signer, il apprendra en regardant faire ses congénères.[46] Les jeunes chimpanzés doivent choisir au sein d’un large répertoire de gestes innés, d’au moins 66 types différents, ce qui est beaucoup plus que le nombre de fonctions pour lesquelles ils sont employés. L'utilisation de plusieurs gestes en combinaison rapide semble être une stratégie qui permet d'augmenter la probabilité qu'au moins un de ces gestes atteindra le résultat souhaité. Avec le temps et l’expérience, les individus deviennent capables d‘ajuster l’emploi de ce répertoire pour se concentrer sur les gestes les plus efficaces, qu’ils peuvent ensuite utiliser individuellement pour atteindre leur objectif.[47]

La communication gestuelle des grands singes est un système riche et complexe. Elle est utilisée de manière flexible dans l’intention de communiquer des objectifs précis à des individus particuliers - en tant que telle, elle partage la plupart des attributs de base du langage humain et permet de soutenir l'idée que les deux systèmes ont une racine évolutive commune. Autant que leurs homologues humains, les grands singes communiquent avec un système intégré qui comprend des gestes, des vocalisations, des expressions faciales et même des postures du corps (Slocombe et al., 2011)[47].

L’association entre le cri et le prédateur s’affine du juvénile à l’adulte. Cela peut refléter un développement cognitif (le singe apprend progressivement à distinguer le prédateur d’animaux similaires), ou sémantique (le singe apprend à signaler non pas un animal mais le danger qu’il représente), ou pragmatique (le singe apprend quels sont les animaux dont la signalisation est appréciée par les autres). Il est possible en outre que cette amélioration soit le fait d’un apprentissage : les adultes répètent plus volontiers l’alerte d’un juvénile quand celle-ci est correcte ; et les juvéniles tendent à imiter la réaction que les adultes ont sur une alarme.

Ils reconnaissent l’émetteur à sa voix.[48] Ils peuvent émettre des faux signaux, et savent ne plus réagir à des émetteurs non fiables. La mère sait différencier le cri d’appel de son propre petit.

Ce système de communication animal n'a rien à voir avec un quelconque « contrat social », où sa fonction serait de partager une information - ce niveau d'abstraction n'existe pas pour les grands singes. Un signal correspond pour l'émetteur à l'expression d'une réalité physique et biologique, égocentrique et actuelle, le signal étant inséparable de ce qu'est l'animal ici et maintenant. Le signal est holistique, l'indice d'un état corporel et émotionnel, des faits purement comportementaux induisant un impact et des conséquences comportementaux.[49] Il est douteux que Huchibo ait eu une théorie de l'esprit ; la communication des grands singes a pour but de modifier le comportement de l'auditeur, pas de lui apporter des connaissances. En particulier, on ne les voit pas menant des activités typiques de cette capacité cognitive, comme corriger des incompréhensions, tromper intentionnellement ou partager des plans[26].

Capacité cognitive modifier

Les hominidés font également partie des rares animaux à avoir conscience d'eux-mêmes (ils se reconnaissent dans un miroir, contrairement au chat, par exemple). Ils peuvent faire montre de théorie de l’esprit en prêtant des intentions à des tiers, congénères ou humains. Mais ce n’est pas le cas du macaque, considéré comme « moins évolué ». On lui attribue l’intelligence d’un enfant de 2 ans, alors que les chimpanzés auraient celle d’un enfant de 7 ans. Le macaque dans la nature n’imite pas et ne prête qu’une attention limitée à ses congénères[50].

La capacité cognitive des grands singes peut être qualifiée de purement « épisodique » : leur vie est vécue entièrement au présent, comme une série d'épisodes concrets ; et le plus grand élément de représentation dont ils disposent est celui de l'épisode. La mémorisation d'un évènement est décomposée en une série de scènes successives, qui constituent l'unité atomique de leur expérience, chacune ayant sa cohérence et sa conclusion propre. Globalement, la perception d'un épisode peut ainsi être vue comme une succession de reconnaissances de forme, intégrant divers canaux perceptifs, chaque « forme » identifiée étant finalement mémorisé comme une scène atomique.[51] Encore ne peuvent-ils pas se remémorer volontairement leurs propres souvenirs, parce que de même que des réseaux neuronaux, ils dépendent des stimulus de l'environnement pour déclencher un accès mémoriel[52].


« Singes debout » - les australopithèques modifier

Contexte géologique modifier

 
Transformation de la forêt équatoriale en savane suivant la pluviométrie.

Au Pliocène, le climat se réchauffe de nouveau jusque vers 3 Ma. L'aridité s’accentue dans de nombreuses régions, notamment en Afrique.

L'évolution du grand rift transforme le paysage de l'est africain (initialement plat, homogène, et couvert d’une forêt tropicale) : l’environnement devient varié et hétérogène, avec des montagnes atteignant les 4000m d’altitude, et des végétations pouvant varier de la forêt tropicale au désert. La dépression du rift créé de nombreux bassins lacustres, extrêmement sensibles aux changements dans les régimes de précipitation[53].

 
Les carnivores ne peuvent s'implanter qu'après l'adaptation des herbivores.

Les forêts tropicales continuent à se réduire et n’occupent plus qu’une étroite bande autour de l’équateur, laissant la place à des savanes, les graminées conquièrent tous les continents. Cette différenciation serait, selon la théorie de l’East Side Story, à l'origine de la séparation de deux lignées évolutives aboutissant à l'ouest aux grands singes arboricoles, et à l'est aux Australopithèques. L'idée que le rift ait pu être une « barrière » dans ce modèle a depuis été relativisée (et on voit mal pourquoi un singe ne pourrait pas traverser une vallée).

Les espèces sont adaptées à leur environnement écologique ; et une partie de la population de type Huchibo s'est déplacée pour suivre le déplacement de la forêt équatoriale à laquelle elle était adaptée, et où sont encore actuellement les chimpanzés et les bonobos. L'apparition d'un écosystème de savane peut être vue comme une opportunité, parce que les espèces africaines de l'époque, adaptées à la forêt équatoriale, n'y étaient pas présentes ; ces environnements nouveaux présentaient initialement des ressources végétales exploitable, mais une chaîne trophique peu développée. Une partie de la population de Hushibo a pu profiter de cet environnement à faible concurrence herbivore et où les prédateurs étaient encore rares et peu adaptés. Parmi les descendants de cette sous-population, les ancêtres de l'homme ont ensuite subi la pression sélective de la course aux armements les opposant à leurs nouveaux prédateurs et se sont rapidement adaptés à l'environnement de savane. Ils ont commencé par acquérir la bipédie, donnant naissance à la branche des australopithèques.

Bipèdes précurseurs modifier

 
Hominidae.

Les paléontologues tendent à considérer (mais implicitement) que tout « singe debout » qu'ils découvrent est nécessairement un ancêtre de l'Homme (puisque c'est le caractère dérivé pour le seul singe debout actuel et ses ancêtres identifiables). Ces classifications donnent lieu à de nombreux débats, que ce soit pour contester le caractère bipède, ou pour douter du rattachement à la branche humaine. Parmi ces « hominidés précurseurs » dont la bipédie est parfois contestée, on peut citer Sahelanthropus tchadensis (Toumaï, 7Ma), Orrorin tugenensis & Ardipithecus kadabba (6Ma) Ardipithèque (5.8-4.5Ma), Ardipithecus ramidus (4.4Ma). Leur habitat se situe en bordure de la zone de forêt vierge, dans les savanes du nord (contrairement aux australopithèques, que l'on trouve plutôt dans l'est africain).

On peut noter de plus qu'un singe comme l'Oréopithèque semble avoir pu adopter indépendamment la station debout, dans un milieu plutôt marécageux (mais ce point est disputé). Cette adaptation rappelle la théorie du primate aquatique, selon laquelle de nombreux traits humains peuvent s'interpréter comme le résultat d'une adaptation à la nage ou à une vie plus aquatique : y compris la bipédie, si l'on en croit la formulation originale de cette théorie, mais ce dernier point n'est pas retenu en paléoanthropologie comme une hypothèse réaliste.

 
Bâton de marche.

Structurellement, la bipédie paraît être un trait nécessaire à la survie puis l'expansion des grands singes dans une zone de savane ; ce qui implique que si la bipédie est un trait nécessaire, il n'est pas forcément suffisant pour caractériser un ancêtre de l'homme, ce trait pouvant résulter d'une convergence évolutive :

  1. Dans la forêt équatoriale, les singes arboricoles se réfugient dans les arbres face au danger au sol. La savane (zone ouverte sans arbres) est contre nature pour eux, donc source de stress.
  2. Le bâton en main rassure au moins symboliquement, le primate s'aventurant en terrain découvert s'agrippe instinctivement à quelque chose (comme le bébé primate s'agrippe instinctivement à sa mère pour rester en sécurité)[54].
  3. Le comportement stéréotypé de « marcher avec un bâton de marche » fait l'objet d'une double pression sélective : marquer le pas avec un bâton fait fuir les serpents et scorpions ; une troupe de singes armée d'un bâton peut faire le « hérisson » face à un groupe de hyènes ou autre. L'ensemble est un évident avantage sélectif.[55]
  4. Mais on ne peut pas progresser sur les phalanges avec un bâton à la main, d'où une adaptation nécessaire à la station debout.

On retrouve ce tropisme du bâton chez l'homme : le promeneur se sent mieux armé quand il est muni d'un bâton de marche. Le déplacement bipède se rencontre chez le chimpanzé, quand il doit utiliser ses mains pour transporter quelque chose[56], il est donc logique qu'un singe apparenté ait adopté la même démarche s'il devait transporter un bâton et un galet sur son site de cueillette. Si cette interprétation est correcte, ce n'est pas la bipédie qui a libéré la main et permis l'utilisation de l'outil, mais à l'inverse, la pression de sélection sur le comportement de s'accompagner d'un bâton de marche qui a imposé de libérer la main et de privilégier une meilleure adaptation à la bipédie.

En outre, sur le plan de la thermorégulation, le déplacement bipède diminue la surface du corps exposée au soleil, et permet une meilleure évacuation de la chaleur en exposant la tête au vent[57], ce qui dans un climat chaud augmente la durée pendant laquelle une activité reste possible. Cependant, si cette meilleure thermorégulation est clairement a posteriori un avantage pour un bipède, ce ne peut pas être une cause évolutive suffisante pour pousser à la bipédie une espèce quadrupède : l'avantage est initialement insuffisant pour contrebalancer le handicap que constitue un corps mal adapté à cette allure ; et la stratégie comportementale éprouvée pour une meilleure thermorégulation consiste à se mettre à l'ombre.

Inversement, il faut remarquer que des races de singe sont adaptées à la savane sans verser pour autant dans la bipédalité[58]  : Patas, certains Chlorocebus, Babouin, ... Ces singes ont eu d'autres stratégies d'adaptation que celle des Australopithèques, démontrant que la station debout n'est pas une nécessité.

Anatomie modifier

 

L'apparence générale des australopithèques est celle des chimpanzés, leur caractéristique essentielle étant qu'ils se tiennent généralement debout. Le dimorphisme sexuel reste important, plus que pour les chimpanzés (1.27), les mâles pouvant être jusqu’à 50% plus grand que les femelles (1.56 pour afarensis, 1.35 pour africanus). Le mâle pèse de 35 à 40 kg pour le mâle, 30 à 35 kg pour les femelles[59].

Le pied n’étant plus préhensile, les juvéniles ne peuvent plus s’accrocher facilement à leur mère, ce qui accentue la nécessité de soins maternels durables. L’escalade des arbres devient plus difficile.

La station debout conduit à des bras et avant-bras plus courts et des jambes plus longues, sans atteindre dans un premier temps les valeurs modernes pour l'Homme. La main n’est plus impliquée dans la locomotion, et peut commencer à gagner en précision ce qu’elle va perdre en force. La structure des mains des australopithèques est identique à celle des humains, en dehors de l'articulation de la première phalange du pouce, qui ne permet pas tous les mouvements d'une main d'homme moderne (mais qui est quasi identique à celle d'Homo erectus). La structure de la main témoigne de la possibilité qu'avaient les australopithèques de manipuler des objets, même s'ils ne disposaient pas de l'habileté permettant d'exécuter par exemple des tressages, ou de tailler des pierres avec précision.

 
La bipédie permet la pratique de la boxe.

La canine hypertrophiée des hominidés se réduit, il y a découplage entre le dimorphisme sexuel de taille corporelle et celui des canines, en relation avec une fonction masticatrice de plus en plus intense[60]. En outre, une position bipède a diminué l'importance des coups de dents dans les combats entre mâle, dans la mesure où l'attaque prédominante utilise la plus grande allonge des bras pour tenir son adversaire à distance ou le frapper du poing[35].

Bipédie modifier

 
Évolution de la hanche et du fémur entre les grands singes (gauche), l'australopithèque (centre) et l'homme (droite).
 
Articulation du gros orteil.

La bipédie est l'adaptation première de la ligne d'Hominini, et elle est considérée comme la principale cause d'une série de changements du squelette partagée par tous les hominidés bipèdes, les « singes debout ». Les premiers bipèdes se sont développés dans le genre Australopithecus, et ultérieurement dans le genre Homo.

La bipédie entraine des changements dans le pied, la cheville, la jambe et l’articulation au bassin (pelvis). Le pied perd sa capacité préhensile, le gros orteil s’aligne avec les autres doigts, ce qui le conduit à supporter le poids du corps pendant la marche, et aide à la locomotion. Les articulations de la cheville et du genou se renforcent pour supporter à présent en permanence tout le poids du corps. Le fémur prend une position plus angulaire, incliné vers l'intérieur, ce qui ramène les articulations du genou et de la cheville sous le centre de gravité du corps, et entraîne un déhanchement plus fluide lors de la marche.

Plus haut, la bipédie et la station verticale entraînent également des changements tout au long de la colonne vertébrale. Avec la station verticale, les hommes acquièrent des fesses : en effet, le grand glutéal se développe, et deviendra le plus puissant des muscles humains, permettant de maintenir en permanence le torse en position verticale et de garder un centre de gravité stable pendant la marche et la course à pied. Conséquence de ce redressement du buste et de la tête, la colonne vertébrale acquiert sa « double courbure », deux courbures secondaires (concavité vers l'arrière), au niveau des vertèbres cervicales et des vertèbres lombaires. Les vertèbres lombaires, qui supportent à présent tout le poids du haut du corps, deviennent plus courtes et plus larges. L’attache du crâne se déplace, le trou occipital se positionnant sous le crâne, permettant une position horizontale de la tête. Un effet de la bipédie est de déplacer le foramen magnum vers l'avant du crâne, ce qui (joint au raccourcissement de la mâchoire) réduit l'espace offert au larynx et le déplace vers le bas[61].

Les changements les plus importants interviennent dans la ceinture pelvienne (bassin), qui assure l’articulation entre la colonne vertébrale et les membres inférieurs. Chez le grand singe, les os iliaques sont longs et dirigés vers le bas. Avec la station verticale, le bassin supérieur devient plus large et évasé, sa plus grande surface fournit la meilleure attache à présent nécessaire au grand glutéal. Le bassin ne s’évase cependant que dans sa partie supérieure ; l’articulation de la hanche devant au contraire rester sur un plan vertical, pour conserver une amplitude suffisante aux mouvements du fémur et ne pas gêner le mouvement de marche normal. Entre ces deux régions apparaît une ligne arquée, marquant la transition entre la partie supérieure du bassin, en forme de coupe, et le « petit bassin » plus cylindrique.

Le petit bassin devient soumis à des exigences contradictoires : pour faciliter la marche à pied, il doit être le plus étroit possible, afin de mettre l’articulation des fémurs à l’aplomb du centre de gravité du corps ; mais il doit en même temps rester suffisamment large pour permettre le passage du fœtus pendant l’accouchement. Ces contraintes ont eu des effets significatifs sur le processus de mise au monde, qui est beaucoup plus difficile chez l'homme moderne que chez les autres primates. De ce fait, l'enfant vient au monde relativement prématuré, et son cerveau est encore en plein développement alors qu'il devient exposé à la complexité de l'environnement extérieur[61].

Le petit bassin du mâle, qui n’est pas soumis à cette contrainte, prend une forme plus triangulaire et étroite que celui des femelles, plus arrondi. Les hanches plus larges donneront à la femelle une moins bonne adaptation à la marche et la course de longue durée.

Développement cérébral modifier

 
Embryon humain, 4 semaines, vue dorsale - de : Gray's Anatomy

Chez l’australopithèque, la capacité crânienne est de l’ordre de 350 à 400 cm3, le tiers de celle de l’homme moderne. Elle n'est pas très différente de celle du chimpanzé ; la différence s'explique par un plus grand développement du cervelet. Le cervelet contribue en effet à la coordination et la synchronisation des gestes, et à la précision des mouvements ; et à taille égale, une capacité de traitement supérieure à celle du chimpanzé était nécessaire pour coordonner automatiquement et en permanence les mouvements de la marche et assurer l'équilibre vertical, tâche plus complexe que dans le cas quadrupède.

Un chimpanzé est capable de se tenir en équilibre sur ses deux jambes, de même qu'un homme peut marcher sur ses mains, mais l'exercice n'est pas naturel et demande une certaine concentration. En revanche, l'australopithèque doit se tenir debout en permanence. Il a donc été soumis à une pression de sélection constante pour que son trait comportemental de « singe debout » soit de plus en plus automatisé, ce qui passe par un développement plus prononcé du cervelet.

La croissance des cerveaux des mammifères suit normalement des lois régulières. En règle générale, les proportions relatives des différentes structures du cerveau se déduisent de manière prévisible de la taille globale du cerveau. Cette régularité dans la croissance vient de ce que des cerveaux de tailles très différentes dérivent au départ d'un même secteur d'expression de gène homéotique, et se différencient par la manière dont est ensuite extrapolée la prolifération cellulaire[33]. Mais cette régularité n'est pas totalement observée chez l'homme : certaines structures cérébrales sont trop grandes par rapport à ce qui serait attendu d'un cerveau de cette taille. Les deux structures les plus déviantes sont le cervelet et le cortex cérébral, et plus généralement les structures qui émergent du développement de la partie dorsale du tube neural. Il semble que dans le cas de l'homme, l'expression des gènes homéotiques définissant cette zone ait été suractivée, entraînant un développement comparativement plus important des structures cérébrales qui en dérivent[33].

On peut donc supposer que dès le stade de l'australopithèque, la pression de sélection poussant à un accroissement de la capacité du cervelet a conduit à un surdéveloppement de cette partie du tube neural qui lui donne naissance, suivant le même mécanisme à présent constaté chez l'homme. Dans ce cas, l'australopithèque a également bénéficié d'un développement comparativement plus important des autres parties qui en découlent, et en particulier du cortex cérébral.

La similarité de l'australopithèque et du chimpanzé en taille et capacité crânienne suggère que les profils de vie de ces deux animaux étaient similaires[59] : une durée de vie de l'ordre de cinquante ans, une maturité adulte vers dix ans

Niche écologique de l'australopithèque modifier

Dans un paysage général de savanes, ils sont inféodés aux bordures de zones humides, où la densité de végétation est suffisante pour qu'ils puissent trouver de quoi se nourrir au quotidien : forêts galeries, et bordures de lac. Le régime est largement végétarien, avec un apport opportuniste de viande.

Les touts premiers australopithèques se nourrissent de noix (d'après le rapport C3/C4), suivant l'écologie commune des grands singes : ils se déplacent tôt le matin de bosquets en bosquets, et cassent les noix avec des cailloux (comme le font les chimpanzés) ; puis retournent le soir à leur refuge dans la forêt[27]. Les australopithèques étaient végétariens et insectivores. Ils consommaient d'autres aliments coriaces tels que des légumes et des fruits. À l'occasion, certains pouvaient manger des rongeurs, des reptiles, des oiseaux, des œufs[62].

Très rapidement, comme le montre le rapport C3/C4 et les traces d'abrasion sur les molaires, ils modifient leur stratégie d'alimentation et passent aux parties souterraines des plantes : racines, bulbes, tubercules, rhizomes... Les zones humides en sont en effet riches (les parties souterraines accumulant réserve et eau suivant que la saison est sèche ou humide).

Le probable bâton de marche se double probablement d'une fonction de bâton fouisseur . L'exploitation de tubercules montre que l'Australopithèque, contrairement au chimpanzé, peut s'investir à consacrer du temps à creuser sans risquer de se voir confisquer par violence le fruit de son effort[35], soit qu'il est moins violent, soit que des cliques protègent le fouisseur et se partagent son travail en retour. L'exploitation de tubercules montre en outre que l'Australopithèque est capable de relier un indice (la partie aérienne d'une plante) à une réalité qu'il ne voit pas (la partie souterraine) ; et cette connaissance ne pouvant pas être innée est nécessairement transmise par l'exemple des autres membres du groupe, c'est donc une transmission culturelle.

Plus tardivement, le régime se fait un peu plus carné. Se familiarisant avec le milieu ouvert, l'australopithèque devient partiellement charognard secondaire. Il arrive après les prédateurs et les premiers charognards, sa spécialité (dont il a le monopole) étant de casser les crânes (récupération des cervelles) et les grands os (récupération de la moelle) avec des cailloux - transférant sur les carcasses le traitement des noix de son régime habituel[63]. On en retrouve les traces archéologiques sous forme de grands os brisés associés à des percuteurs[35].

À ce stade, les ancêtres de l'homme ne se différencient des autres (type chimpanzés) que par leur écologie : ils se tiennent debout et se spécialisent à un habitat en savane. Ils se promènent avec des « outils » élémentaires : bâtons (probablement) et peut-être galets percuteurs. Mais ces outils ne laissent pas de traces fossiles.

Comportement sexuel de l'Australopithèque modifier

 
Œstrus apparent d'une femelle maura.

Sur le plan de la signalisation sexuelle, l'œstrus de la femelle Huchibo n'était apparent que parce que la locomotion quadrupède expose la vulve vers l'arrière. Dès lors que la station verticale devient prépondérante chez l'australopithèque, cachant la vulve tant en position debout qu'en position assise, cette fonction de signalisation des périodes de fertilité n'est plus très opérante. L'espèce reste polygame, éventuellement d'accouplement opportuniste par proximité. Cependant, l'absence de signal sexuel clair rend beaucoup moins payante la stratégie du mâle non dominant guettant une opportunité d'accouplement hors de la surveillance du mâle dominant.[64]

L'absence de signal clair signifie donc que le comportement de harcèlement des mâles tend à disparaître. La compétition entre mâles se fait donc moins aigüe, ce qui permet la disparition de la canine mâle au profit d'une meilleure capacité de mastication. L'australopithèque est donc moins agressif en groupe que le chimpanzé. La compétition physique entre mâles reste cependant un facteur important, ce que montre leur taille plus grande que celle des femelles[35].

La sexualité de l'australopithèque peut ressembler à celle des gorilles, dont les femelles n'ont pas d'œstrus physiquement très apparent. Ce sont généralement les femelles qui se signalent aux mâles par un comportement de « parade nuptiale » signalant l'opportunité d'un accouplement[65].

Le mâle reste dans le groupe natal tandis que la femelle se joint à d'autres groupe[27], ce qui correspond aux pratiques actuelles des chimpanzés. Pour qu'un mâle dominant supporte la présence d'autres mâles dans le groupe, susceptible de partager l'accès aux femelles en âge de procréer, il faut que ce cocuage potentiel ne constitue pas un désavantage sélectif trop important. De fait, dans un groupe où ce sont les femelles qui sont exogènes, les mâles sont apparentés, ce qui amoindrit la pression de la compétition génétique.

Outillage modifier

Le niveau d’outillage reste celui observé chez les grands singes, c'est à dire qu'il ne laisse pas de traces. Il n’y a pas de trace d’usage régulier d’outils, ni initialement de l’élaboration d’outils secondaires : cette élaboration n'apparaîtra à l'état fossile qu'avec l'Homo Habilis, avec les galets aménagés.

Noter cependant que les premières traces de découpe sur des os apparaissent très rapidement, avec Afarensis, ce qui suggère l'utilisation de galets aménagés de type Oldowayen. Et de toute évidence, rien n'est resté des bâtons appointés, gourdins et autres outils de bois pour fouir le sol, qui accompagnaient certainement les premiers outils de pierre.[66].

Par ailleurs, les premières utilisations de galets aménagés ont cependant pu être le fait des australopithèques : En 2015, des outils datés de 3,3 millions d'années ont été découverts au Kenya,[67] et des galets aménagés datés de 2,6 millions d’années ont été découverts dans les contreforts de l’Himalaya à Masol, en Inde[68].


« Singe coureur à outil » - Homo Habilis modifier

Changement climatique modifier

Un refroidissement général intervient après la fin du Pliocène (2.6Ma), achevant l'ère tertiaire. Débutant à cette époque, le Pléistocène au début du quaternaire est marqué par les glaciations quaternaires et sa fin (11ka) correspond à celle du Paléolithique. Des glaciers apparaissent aux latitudes moyennes durant le Gélasien, premières des glaciations qui vont se poursuivre pendant tout le Pléistocène. L'Inlandsis arctique se reforme, celui d'Antarctique s'épaissit.

Cet épisode glaciaire est le premier épisode de glaciation depuis celui qui a eu lieu à la de la jonction Carbonifère - Permien (de -360 Ma à -260 Ma), l'âge glaciaire de Karoo en:Karoo Ice Age, qui avait eu lien entre 350 et 250 Ma. La glaciation met donc fin à près de 250Ma —un quart de milliard d'années— de climat chaud et stable.

Le changement se traduit en Afrique de l'Est par un climat encore plus sec, et des environnements encore plus ouverts. Cette crise du Pléistocène met les australopithèques face à une baisse des ressources liées aux bordures d'eau.

En réponse à la disparition progressive de leur niche écologique, les australopithèques se séparent en deux groupes :

 
Variations de température durant les cinq derniers millions d'années calculées à partir du ratio O18 / O16 dans les sédiments marins. Les températures qui se refroidissent marquent le Pléistocène, à partir de 2.6Ma.

En retournant au régime majoritairement végétarien des hominoïdes primitifs, inféodés à leur écosystème, les bipèdes robustes s'engagent dans ce qui s'avérera une voie sans issue un million d'années plus tard.

L'adaptation au régime partiellement carnivore se manifeste dans la dentition de Habilis : par rapport aux molaires de l'Australopithèque, celles de Habilis sont plus petites, tandis que les incisives sont plus larges ; ce qui traduit un régime alimentaire où la mastication des végétaux est moins importante.

On considère habituellement que les formes spécialisées sont inféodées à leur écosystème, et donc plus susceptibles de disparaître lors de variations rapides de leur milieu ; les formes généralistes étant au contraire plus adaptatives. De fait, c'est la « branche gracile » et son régime alimentaire moins spécialisé, qui n'hésite pas à s'appuyer sur de la viande, qui va donner naissance au genre Homo. Mais en réalité, si le genre Homo se caractérise donc par un régime partiellement carnivore, on peut remarquer que les principales évolutions que l'on y observent sont liées au maintien d'une alimentation carnée, et c'est le régime carné qui constitue une spécialisation : c'est peut-être au contraire l'incapacité de l'australopithèque gracile à se passer de viande, malgré l'absence de griffes et de dents carnassières caractérisant les carnivores, qui l'a poussé dans une voie évolutive originale : celle de la prothèse fonctionnelle que représente l'outil en pierre.

Adaptation à la course de fond modifier

 
Course de fond.

Habilis présente la particularité d'être un singe glabre. En effet, d'après les horloges moléculaires, le pou du pubis de l'homme a divergé de son cousin du gorille vers 3.3Ma, le gorille ayant infesté l'homme par transmission horizontale[69]. Le pou est sensible au diamètre des poils où il s'accroche, et est passé des poils épais du gorille à ceux du pubis, au moment où le pubis de l'homme devenait plus velu que celui d’Huchibo, dont la pilosité est au contraire plus clairsemée. La toison pubienne joue le rôle d'un signal de maturité sexuelle pour un « singe debout », mais ne peut le faire que si le reste du corps est nu[69]. On peut donc estimer que le « singe debout » est devenu un « singe nu » avec Homo Habilis, ou plus tôt avec Australopithecus africanus (qui apparaît vers 3.5Ma)[70].

L'anatomie et le dimorphisme sexuel restent sensiblement ceux des australopithèques — en particulier, il n'y a pas de raison à ce stade de supposer que les glandes mammaires des femelles soient devenues permanentes, ce qui est un trait secondaire de l'espèce humaine acquis probablement plus tardivement.

Les humains ont deux traits uniques par rapport aux primates, très probablement acquis à ce stade, parce que représentant des avantages sélectifs à la course : ils ont donc perdu leur fourrure sur la quasi-totalité du corps, et ils ont augmenté le nombre de glande sudoripare sur le corps, leur permettant de suer plus facilement. La peau étant nue, elle devient noire à l'origine en Afrique, mais pourra s'éclaircir quand les migrations de ses descendants leur feront atteindre des latitudes plus élevées. Ces deux adaptations permettent à Habilis de gérer le bilan thermique de la course à pied sous le soleil africain[57],[71], adaptation comportementale rendue possible par le climat plus froid et plus sec que précédemment.

 
La chasse à l'épuisement ne présente d'intérêt que pour chasser le gros gibier.

Par rapport aux Hominines précédents, Habilis est non seulement bien adapté à la marche, mais commence également à l'être à la course de fond.[72],[73] Cette adaptation se prolongera avec Ergaster, dont les proportions corporelles sont pratiquement celles de l'homme moderne. Les jambes sont longues, ce qui permet une foulée plus rapide ; et les bras sont raccourcis, ce qui permet de mieux équilibrer le corps dans la course.

Le ligament nuchal sert à stabiliser sa tête et à maintenir son équilibre pendant la course alors que les singes et les Australopithèques en sont dépourvus. La ceinture scapulaire est moins liée au cou et au dos, ce qui permet de stabiliser le corps par des mouvements des bras plus amples et plus fluides. Les articulations s’élargissent dans le bas du corps, renforçant la résistance aux chocs de la course. La voûte plantaire gagne en élasticité, le tendon d'Achille et les tendons de la voûte plantaire se reforment suivant le pied humain : ils permettent d’emmagasiner de l'énergie pour la restituer comme un ressort lors de la marche ou de la course.

L'adaptation à la course, la perte du pelage et le développement des glandes sudoripares lui permettent de réaliser une « chasse à l'épuisement » ou « persistent hunting » dans la chaleur de la savane, en améliorant le refroidissement par la transpiration (l’homme et le cheval sont pratiquement les seuls animaux à se refroidir ainsi).

Niche écologique modifier

La réponse des australopithèques graciles au changement climatique est probablement de profiter de l'avantage que confère le gourdin pour changer de niche, et passer de charognard secondaire à charognard primaire, en compétition avec les prédateurs et charognards qui sévissent en savane ; ce qui lui permet de ne plus être inféodé aux écosystèmes humides des bordures d'eau, mais de profiter des ressources sur toute la superficie de la savane sèche. Tant qu'à avoir des bâtons (et des cailloux) en main, autant s'en servir pour améliorer l'ordinaire : Habilis s'enhardit à arriver plus tôt sur les carcasses pour éventuellement chasser (activement et collectivement) les autres charognards (à coup de bâton et/ou de pierres), et accède ainsi à des carcasses plus charnues.

On trouve en archéologie des traces de découpe sur des grands os d'animaux manifestement trop grands pour avoir été tués par eux[35]. Ils exploitent donc en groupe les cadavres de la mégafaune, ou encore les reliefs des carcasses chassées puis délaissés par les prédateurs.

Habilis devient partiellement carnivore. La viande crue n'est pas facilement digérée par les primates, mais une fois avalée, elle reste suffisamment digeste pour faire partie d'un régime alimentaire régulier - de même que pour les tubercules, la cuisson ne fait qu'améliorer la digestibilité et permet de rendre ces nourritures encore plus nourrissantes, d'à peu près un tiers.[27] Le problème qui réduit l'intérêt de l'alimentation carnée pour Hochibo n'est pas tant la digestion que la mastication : arracher sans outil une bouchée de chair crue à une carcasse et réduire cette chair en bol alimentaire demande un très long temps de mastication, et ce délai supplémentaire consacré à la sustentation fait perdre une grande partie du bénéfice énergétique intrinsèque de cette nourriture.

Dans son mode de vie, et de même que les grands singes, Habilis est donc avant tout un « cueilleur ». Les deux tiers de son régime sont formés de végétaux et de petites bestioles relativement facile à attraper (insectes, larves, mollusques,…). C’est un carnivore, mais principalement charognard, qui va « cueillir » et dépecer des carcasses d’herbivores tués par d'autres animaux. De même que Huchibo, il peut peut-être plus ponctuellement chasser de petites proies (jeunes cochons, petits singes...), probablement au bâton, qui ne laisse pas de trace archéologique[62].

Sans être donc encore réellement un « chasseur », il inaugure ainsi chez les grands singes le régime alimentaire du « chasseur cueilleur », et en même temps, déplace sa niche écologique vers des territoires plus herbeux. Il reste cependant à proximité des arbres qui lui servent de refuge.

Galets aménagés modifier

 
Galet aménagé de l'Oldowayen.

Ce changement de régime alimentaire soulève un problème potentiel pour Habilis : sa dentition n'est pas adapté à déchirer la viande. Mais Habilis se sert des bords tranchants de fragments de ses cailloux-marteau pour lacérer les chairs. C'est le fait de trouver de tels galets aménagés qui montre que Habilis a accès à des carcasses recouvertes de chair, et donc est bien passé à un stade où il concurrence les charognards primaires : le seul usage crédible d'un tel outil est de permettre de dépecer le cuir et les chairs de carcasses[35].

C’est l’usage systématique de pierres taillées comme outil qui lui permet cette adaptation au charognage : des galets taillés généralement sur une seule face, pour servir d’outil (galet aménagé) ou pour en obtenir des éclats tranchants, permettant de dépecer des proies que ses dents seraient incapable de traiter. Ce galet aménagé devient un outil nécessaire pour son alimentation.

L’outil devient son compagnon obligé, au point d’être transporté dans ses déplacements, ce que n’avait jamais fait le grand singe. Doublant le bâton, il devient partie intégrante de la panoplie de Habilis en déplacement, lui permettant de découper des carcasses, y compris dans des zones dépourvues de galets.

L’usage d’outil, qui reste très occasionnel et accidentel chez le grand singe, devient comportemental. C'est le tout début de l'« homo habilis », caractérisé par cet usage d'un outil secondaire.

Au début du paléolithique, cette industrie des galets aménagés caractérise l'étage Oldowayen. De ce fait, Habilis ouvre le début du « paléolithique », comme le premier représentant du genre Homo, et auteur des plus anciennes industries de pierre taillée : avec lui, l’outil devient « secondaire » (résultant lui-même d’une activité spécifique impliquant un autre outil).

L'outil reste cependant à un niveau de simplicité élémentaire, dont l’apprentissage peut se faire directement par observation et imitation, sans nécessiter une intention d'enseignement.

Les Habilis commençaient à peine à utiliser des outils de pierre sous forme de galet aménagé, et les lances n'étaient tout au plus que des bâtons mal aiguisés. Faute de lance ou d'arc, ils ne pouvaient chasser qu'à très faible distance — au plus de six à dix mètres[74].

Technique de chasse modifier

 
Compétition entre charognards autour d'une carcasse.

Toutes les adaptations mentionnées ci-dessus ont permis aux premiers représentants du genre Homo de rechercher leur nourriture avec une plus grande efficacité. Se déplacer en courant permet d'accéder à des carcasses distantes, ou toute autre source de nourriture, plus rapidement que d'autres charognards ou d'autres concurrents.

La stratégie du charognard peut être « opportuniste », ou « stratégique » :

  • Les premiers hominines pratiquaient certainement un charognage « opportuniste ». Un charognage peut être qualifié d'opportuniste quand « ils tombent sur une carcasse au cours de leur activité quotidienne de recherche de nourriture »[75].
  • Un charognage « stratégique » implique au contraire une recherche délibérée de carcasses. C'est pour ce type de charognage que la course de fond peut avoir été un avantage adaptatif de nos premiers ancêtres.

Le charognage stratégique s'appuie sur des indices visibles à grande distance, comme des oiseaux charognards en train de tourner au dessus d'une carcasse. Maîtriser la course de fond est alors un avantage, parce qu'elle permet à l'hominine d'atteindre plus rapidement la carcasse. La pression sélective a pu être très forte dans ce contexte, parce que les hominidés sont des animaux diurnes, alors que leurs principaux concurrents (hyènes, lions, etc.) ne le sont pas. Ils doivent donc atteindre rapidement les carcasses pour en tirer le plus possible avant la tombée de la nuit.

En outre, une pression sélective supplémentaire résulte de la faiblesse naturelle des hominidés : parce qu'ils n'ont pas d'arme naturelle, ils n'ont pas la capacité de chasser d'une carcasse un groupe de gros carnivores qui décide d'en profiter (même si avec leurs bâtons ils ne constituent pas, par ailleurs, une proie intéressante). De ce fait, il est d'autant plus urgent qu'ils puissent atteindre la carcasse avant ces concurrents[75].

Les restes de squelette suggèrent que pendant le paléolithique moyen, les hominines ont eu recours au « pistage systémique » pour chasser des antilopes dans une prairie plus ouverte. Ce « pistage systémique » se limite dans ce cas à suivre les traces de pas de l'animal, et peut facilement être utilisé pour suivre des herbivores sur du terrain où leur passage laisse des traces.

Âge reproductif et ménopause modifier

 
Chez les grands singes, la meilleure stratégie de reproduction est de démarrer une grossesse dès que le dernier enfant est sevré.

Pour la mère, à la suite du rétrécissement du bassin, chaque nouvelle naissance devient un risque de complications (dystocie)[76] ; et le risque est de plus en plus grand avec le vieillissement, qui diminue la résistance de l'organisme et sa capacité de régénération[77].

En règle générale, chez les primates, le risque pour la mère est indifférent : la stratégie assurant le meilleur succès reproductif consiste à avoir le plus d'enfants possible, même si une grossesse supplémentaire constitue un risque très élevé, et donc de déclencher un œstrus et une grossesse dès que l'enfant précédent est sevré. Cette stratégie ne marche que parce qu'un jeune singe sevré est normalement capable de se procurer seul de la nourriture.

Mais avec une technicité croissante dans l'alimentation, le jeune Habilis n'est pas immédiatement autonome : il doit compter sur la compétence technique de sa mère pour s'alimenter pendant son enfance. De plus, dans un régime où c'est la mère qui s'attache à un groupe où les mâles adultes sont parents, il ne peut pas compter sur l'aide d'une grand-mère ou d'une tante maternelle. La dépendance de l'enfant vis-à-vis de sa mère fait qu'un jeune orphelin a des chances de survie beaucoup plus faibles qu'un enfant attaché à sa mère, même quand cette dernière est par ailleurs en train d'allaiter le nourrisson suivant.

À partir du moment où l'enfant sevré n'est pas totalement autonome, et qu'une grossesse tardive présente un risque de plus en plus important, il arrive un point où le succès reproductif ne consiste plus à avoir un enfant supplémentaire, tant que le précédent est non seulement sevré mais également autonome, afin de ne pas mettre la vie de l'orphelin en danger. Si une grossesse a plus d'une chance sur deux de se terminer par la mort de la mère, à l'accouchement ou pendant l'allaitement, le risque de perdre l'enfant sevré devient supérieur à la probabilité que le suivant atteigne le stade juvénile. De ce fait, passé un certain âge, l'arrêt de l'allaitement ne doit plus déclencher immédiatement un nouvel œstrus. (Une nouvelle ovulation ne procurerait un succès reproductif positif qu'à condition de survenir plusieurs années plus tard, et encore son succès n'est-il alors que très marginal, statistiquement parlant.)

La pression de sélection pousse alors à déclencher une ménopause à l'âge où le risque d'une grossesse supplémentaire sur le rejeton précédent ne contrebalance plus l'intérêt d'un rejeton supplémentaire. Inversement, cette même pression de sélection conduira à sélectionner les femelles ménopausées suffisamment robustes à cet âge pour survivre au moins jusqu'à ce que leur dernier rejeton soit autonome. On voit ainsi apparaître une période de ménopause en fin de vie des femelles, d'autant plus longue que la durée de dépendance alimentaire des juvéniles est longue[44].

Comportement sexuel de Habilis modifier

 
Le comportement social du bonobo est peut-être un modèle pour celui de Habilis.

Si Habilis devient dépendant de la course à pied pour son alimentation ou sa sécurité, il est cependant clair qu'une femelle chargée d'un nourrisson ne peut pas courir avec la même efficacité qu'un mâle isolé. Le schéma de chasse que l'on peut donc imaginer pour Habilis est celui du chimpanzé, où le mâle est celui qui « récolte » d'une manière ou d'une autre la ressource carnée, et la partage ensuite avec le reste du groupe. Ici, le partage devient d'autant plus facile que Habilis dispose d'outils oldowayens pour le faire.

En particulier, l'apport de pièces de viande peut être un moyen d'établir ou de conforter une relation privilégiée entre un mâle et la ou les femelles qu'il alimente, les femelles « échangeant » cet apport contre une disponibilité sexuelle plus exclusive. Dans la mesure où l'œstrus n'est pas apparent, la stratégie mâle consiste à s'accoupler le plus fréquemment possible avec la femelle de son choix, du moins jusqu'à ce qu'elle montre des signes évidents de non-fécondité, c'est-à-dire qu'elle soit manifestement gravide ou surtout allaitante. L'apparition d'un stade de ménopause conduit à un nouveau « signal » de stérilité, celui d'une femelle adulte non entourée de juvénile. De tels signaux négatifs montrent que la femelle correspondante n'est pas un bon investissement reproductif. Pour la femelle, avoir un partenaire attitré n'est pas exclusif d'une stratégie d'opportunité, l'œstrus pouvant l'amener à solliciter un accouplement ponctuel avec un mâle dominant[36].

Sur ces bases, on peut imaginer pour Habilis un comportement ressemblant à celui des Bonobos : des groupes rassemblant mâles et femelles, les mâles pratiquant occasionnellement la chasse (ou la recherche de viandes), une réceptivité sexuelle quasi permanente des femelles, un partage de viande en échange de copulation, et un appariement semi-permanent entre mâles et femelles[35].

Menstruation comme signal d'appel à partenaire modifier

 
La menstruation apparente devient un signal d'appel pour un protecteur candidat.

Inversement, la perte de sang importante lors des menstruations ne constitue pas un « signal » de fertilité comme l'est l'œstrus, et ne favorise donc pas une stratégie mâle d'accouplement opportuniste. En revanche, cette perte signale la femelle au mâle comme un signal de fécondité prochaine, rendant la femelle plus attractive pour le mâle qui la fréquente habituellement, et est prêt à lui consacrer du temps pour s'accoupler et la défendre contre des concurrents[64]. Il est donc possible que cette perte de sang ait été accentuée comme un signal permettant spécifiquement à la femelle de s'attirer un protecteur attitré[36].

Parler de « stratégie sexuelle mâle » et d'« investissement » peut paraître lui prêter une attitude raisonnée et cynique, mais il faut bien garder en tête que la « stratégie » en question est une propriété émergente de la sélection naturelle. Pour le mâle Habilis, le comportement adopté est celui qui lui fait plaisir, ou pour lequel il anticipe du plaisir, et il évite inversement ce qu'il perçoit comme une douleur ou une crainte. En pratique, le mâle Habilis trouve donc plaisant de partager sa venaison « en famille », avec la ou les femelles et les petits à la mamelle, avec lesquels il a une relation personnalisée privilégiée ; ne trouve rien d'attirant à une femelle sans petit en bas âge ; mais au contraire se sent une âme de chevalier servant devant intervenir toutes affaires cessantes lorsqu'une menstruation apparente lui signale une jeune femelle en mal de protecteur. Ce sont ces plaisirs comportementaux qui seront sélectionnés, et « inscrits dans les gênes », parce que ceux qui auront eu d'autres tendances comportementales auront eu un moindre succès reproductif.

Capacité cognitive modifier

 
Prédateur de savane bientôt prêt à lâcher le morceau.

Habilis a transporté ses pierres et galets aménagés parfois sur plusieurs kilomètres, ce que ne font jamais les autres singes. La fabrication anticipée d'outils qui sont ensuite déplacés sur le lieu d'utilisation démontre une capacité de planification et d'anticipation sur les besoins futurs, que n'a pas le singe lorsqu'il n'utilise que des outils élaborés ici et maintenant. Son adaptation à la course par la transpiration le rend dépendant de ressources en eau, et il est possible qu'il ait appris à anticiper également ce besoin, en transportant aussi des gourdes, mais de tels outils ne laissent pas de trace archéologiques[10].

La compétition avec les prédateurs de la savane demande un niveau cognitif supplémentaire par rapport à celui de l'australopithèque précédent : il doit toujours disposer d'une théorie de l'esprit apte à anticiper correctement les mouvements des prédateurs, mais également mieux se représenter l'enchaînement des causes et des effets passés et futurs de leurs mouvements.

Cette capacité à anticiper sur l'avenir présente un avantage sélectif évident dans ce contexte. Cette anticipation, qui s'est généralisée jusqu'à devenir prépondérante pour nous, est la fin d'une vie insouciante : la préparation nécessaire aux besoins futurs entre souvent en conflit avec la satisfaction des désirs immédiats, et Habilis découvre ce qui pour nous se traduit par l'angoisse du futur —mais aussi l'espérance—, au contraire des animaux qui ne vivent que par rapport aux besoins et sentiments présents[10].

Il doit également pouvoir communiquer à l'intérieur du groupe sur l'état supposé des prédateurs, pour assurer que cette perception est correctement partagée, afin de ne se montrer ni trop tôt (le lion a encore faim) ni trop tard (les vautours sont trop nombreux). Pour fonctionner correctement, une telle évaluation collective consensuelle nécessite de disposer d'un troisième niveau d'abstraction (= je comprends que / le chef pense que / les lions ont fini de manger), et d'un minimum de théorie de l'esprit soutenant cette communication.

Ce mode de vie implique également de pouvoir dominer une réaction de panique face aux danger que représentent les prédateurs, pour pouvoir évaluer objectivement du danger : cette maîtrise de soi sera plus tard nécessaire pour dominer la peur instinctive que l'animal a du feu.

Évolutions physiologiques modifier

Une première adaptation physiologique à la production du langage a dû être le découplage du larynx, qui chez le singe est initialement sous le contrôle direct de la substance grise périaqueducale, mais qui chez l'Homme passe sous le contrôle cortical direct, ne laissant comme émission instinctive et relativement incontrôlée que les rires et les pleurs.[20] Une certaine inhibition de l'émission vocale est déjà détectable chez le singe, qui émet plus ou moins de signaux d'alerte suivant les congénères qui sont situés à portée de voix, mais ce contrôle reste probablement instinctif. En face de prédateurs, c'est l'appréciation globale et très différenciée de la situation qui doit conduire ou non à émettre un signal, et cette exigence de maîtrise de soi met une pression sélective pour que le larynx passe sous un meilleur contrôle cortical.

Ces évolutions cognitives justifient un développement plus important de l'aire de Broca et de l'aire de Wernicke.[78] La morphologie du crâne de Habilis est marquée par l’apparition d’une flexure antéropostérieure, conduisait à l’expansion des zones cérébrales impliquées aujourd’hui dans le langage articulé.[79] L'ensemble des facultés nécessaires à cette vie plus dangereuse impose donc un incrément de la capacité crânienne, qui de 400cm3 augmente alors jusque vers 600 cm3.

On peut mesurer la corrélation générale entre la masse du cerveau et celle du corps, le cerveau variant comme la puissance 3/4 de la masse corporelle. Cette loi d'allométrie générale permet de calculer le coefficient d'encéphalisation d'une espèce, qui est le rapport entre le poids réel et le poids attendu du cerveau. Les grands singes ont ainsi un coefficient d'encéphalisation de l'ordre de 2 : leur cerveau est deux fois plus lourd qu'attendu, ce qui reflète la capacité cognitive nécessaire pour maîtriser des relations sociales complexes au sein de leur groupe. Là où le coefficient d'encéphalisation des Australopithèques reste de l'ordre de 2 à 2,5, celui de Habilis est nettement plus important, de l'ordre de 3,5 (ce qui restera sensiblement la valeur pour Erectus).

Stabilité écologique modifier

 
Phénomène des équilibre ponctué.

Pour Habilis, cette période de 2.5Ma jusqu'à 1.5Ma se passe ensuite sans guère d'évolution cognitive ou comportementale. Il jette probablement des cailloux pour éloigner à distance ses compétiteurs charognards, mais même s'il lui arrive d'en tuer un à l'occasion (et peut-être le manger), il n'a pas -durant cette époque- de pression sélective justifiant qu'il s'y améliore. Il n'apprend pas (pas encore) à jeter des pierres, et de charognard ne devient pas encore chasseur.

De même que pour les étapes précédentes, on peut se demander pourquoi cette très longue période de quasi-équilibre (un million d'années!), alors qu'il serait apparemment si facile de sauter ce pas supplémentaire. Ce « pas suivant » permettrait d'assurer une autre ressource alimentaire, et donc peut paraître en soi porteur d'un avantage sélectif. Cependant, quand une niche écologique permet à une espèce de prospérer, rien ne favorise le changement pour lui-même :

  • Se représenter un comportement animal « légèrement différent » est une capacité purement humaine ; à son niveau cognitif, l'animal ne peut pas se poser une telle question : il suit un comportement stéréotypé, assurant globalement la survie de l'espèce par rapport à son milieu, et sur lequel il n'a pas la possibilité de poser un regard critique.
  • Si ce comportement stéréotypé conduit parfois à la marge à tuer un vautour, ce n'est pas un avantage très net tant que par ailleurs il dispose de ressources suffisantes : l'évolution procède par sélection naturelle, et la sélection naturelle consiste à éliminer les solutions moins adaptées - pas à sélectionner positivement une direction prometteuse (ce qui serait du finalisme).
  • Inversement, dériver vers un comportement où la chasse serait plus fréquente et efficiente a un coût : l'organisme doit s'adapter à ce nouveau comportement, ce qui l'éloigne de l'optimum associé à sa niche écologique actuelle.

Dans un environnement donné, la ressource génétique d'une espèce tend vers l'état où elle constitue une collection de gènes évolutivement stable (son expression morphologique et comportementale constitue une stratégie évolutivement stable), ce qui revient à dire qu'en ce point, elle est stable par rapport à des petites perturbations qui induisent des traits ou comportements mutants : la plupart des mutations constituent un désavantage par rapport à ce point d'équilibre, et sont par conséquence éliminées par la sélection naturelle, ce qui restaure le point évolutivement stable[12].

D'une niche écologique à sa voisine il y a un seuil, dont le franchissement n'est pas gratuit, parce que le déplacement éloigne de l'optimum local, et que la sélection naturelle est là pour éliminer les organismes non optimaux. Pour que l'avantage sélectif virtuel d'un comportement « à portée de main » puisse se concrétiser, conduisant à un saut qualitatif, il faut que la niche écologique occupée cesse d'être hospitalière, et que le coût du changement devienne moindre que celui de maintenir le comportement écologique passé. Il faudra que la niche « charognard » occupée par Habilis devienne « moins adaptée » pour pousser l'évolution de son espèce vers la chasse active ; tant que ce n'est pas le cas, il n'y a pas de raison de changer.

Homo de plain exercice, ou Australopithèque ? modifier

L'appartenance de Habilis et Rudolfensis au genre Homo est parfois contestée. De fait, qu'y a-t-il de réellement différent par rapport au régime de son ancêtre australopithèque ?

Le fait de trouver des galets aménagés amène à considérer que Habilis est un Homo, peut-être simplement parce que le stade de l'Oldowayen fait partie de ce que l'on étudie comme le paléolithique. Mais son mode de vie et ses capacités intellectuelles (crâniennes) ne se distingue guère de celui des chimpanzés. Un observateur impartial n'aurait vu que des « singes debout », sans particularité cognitive particulière suggérant une racine d'humanité.

  • Le régime alimentaire n'est pas fondamentalement différent de celui des australopithèques, il s'agit toujours d'un régime semi-carnivore. Sa stratégie écologique n'est toujours pas vraiment celle d'un chasseur-cueilleur, puisque la viande n'est pas obtenue suivant le mode du chasseur, elle reste celle du « cueilleur » opportuniste à la manière d'un charognard.
  • Son arrivée dans le monde des charognards primaires se fonde finalement sur une imposture : il n'a pas les griffes et les dents carnassières lui permettant de passer pour un carnivore authentique, et il doit par conséquent s'appuyer sur la prothèse qu'est le galet aménagé, pour pouvoir lacérer les cuirs et débiter les chairs de ses charognes. De fait, c'est cette situation paradoxale de « carnivore imposteur » qui engendrera les pressions sélectives successives le poussant vers plus d'humanité. Mais à ce stade, au-delà de cette singularité comportementale, est-ce réellement un nouveau genre d'organisation physiologique et écologique, justifiant de tracer une frontière d'avec les australopithèques ?
  • Sur le plan des outils, le galet aménagé —dans la mesure où il est transporté pour lui-même— peut passer pour un début d'« outillage secondaire », réalisé dans un contexte autre que celui de son utilisation. Mais cela ne démontre guère qu'une capacité cognitive d'anticipation : par lui-même, le galet aménagé reste d'une réalisation frustre, qui n'implique aucun savoir-faire technique particulier.
  • Le seul point indéniablement acquis à ce stade, et que l'on reconnaît à présent comme « non animal », est une certaine capacité à anticiper : anticiper son propre scénario, pour prévoir d'emporter un galet aménagé qui lui sera nécessaire ; anticiper le scénario que suivront des carnivores attablés sur une carcasse, pour prévoir à quel moment il devient prudent d'approcher, et anticiper l'interaction possible entre les deux, pour relativiser la crainte naturelle que ces carnivores armés peuvent lui susciter. Cette capacité est unique. Suffit-elle à définir un Homo ?

En réalité, vu de manière globale, le débat est sans grand intérêt, puisque les espèces de transition entre le singe et l'Homme n'introduisent que progressivement les traits qui caractérisent notre humanité : il n'y aura jamais de limite franche objective permettant de placer une frontière indiscutable entre Homo et ses ancêtres directs ; s'agissant d'une évolution temporelle la distinction est nécessairement arbitraire. La dispute est importante pour les paléontologues qui revendiquent l'honneur d'avoir déterré le « premier Homo », elle est indifférente pour comprendre ce qui a conduit structurellement à l'évolution de cette lignée.

Proto-hommes - Ergaster et Erectus modifier

Évolutions fonctionnelles constatées modifier

Evolution du climat modifier

L'accroissement rapide de la capacité crânienne de Erectus coïncide avec une période humide, où le Rift africain était par moment occupé par un unique grand lac en eau profonde, depuis la vallée de l'Omo en Éthiopie jusqu'au lac Baringo au Kenya, et sans aucun doute encore d'autres lacs plus au sud. Cette humidité a offert aux Hominines une nouvelle niche écologique. Le fait que ces lacs du Rift s'asséchaient fréquemment (et parfois très rapidement) leurs imposait cependant de pouvoir s'adapter rapidement à des conditions plus arides - ou aller à l'extinction[27].

Le paysage de l'époque en Afrique du sud-est était majoritairement de prairies ouvertes. La proportion entre arbre et herbe est fluctuante, suivant les variations climatiques, mais jamais au point de reconstituer une couverture forestière continue. Les arbres marquent un maximum vers 1.6Ma, les herbes en marquent un autre vers 1.0Ma[80].

Anatomie modifier

Les spécimens Ergaster découverts mesuraient entre 1,55 m et 1,70 m, pour un poids de 50 à 65 kg. Erectus, son successeur, est un peu plus petit, et mesurait entre 1,50 et 1,65 mètre, pesait entre 45 et 55 kilogrammes (45-50 pour les femelles et 50-55 pour les mâles). Le dimorphisme sexuel de cette espèce est plus réduit que chez Homo Habilis. La taille de son corps et les proportions de ses membres présentent de grandes similitudes avec ceux de l'homme moderne, au point que pour un spectateur non averti, le squelette (en dehors du crâne) est difficilement distinguable de celui d'un homme moderne.[80] Ses membres inférieurs plus longs que ceux d’Habilis font d’Ergaster un bon marcheur.

Bien que la silhouette soit dans l'ensemble moderne, la tête des proto-hommes reste assez simiesque dans sa forme générale. Ergaster reste très archaïque de faciès, avec un nez absent et une mâchoire très prognathe. Erectus a également une mâchoire puissante, un prognathisme marqué, des os épais, un front assez bas, un menton absent, un chignon occipital, un bourrelet sus-orbitaire. La forme du nez évolue cependant : au lieu de s'ouvrir vers l'avant, comme pour les autres hominoïdes, les narines s'ouvrent vers le bas, ce qui constitue une adaptation à la course permettant de minimiser les pertes d'eau. L'ensemble donne à Erectus une figure nettement plus humaine, mais d'un humain qui serait atteint de microcéphalie.

Le volume crânien augmente rapidement dès l'apparition du taxon en Afrique, à 1800ka. Ergaster, plus primitif, a une capacité crânienne de 850 cm3. Erectus avait une capacité crânienne de 850 cm3 à 1 100 cm3, à comparer aux ~600cm3 de Habilis ; sa capacité crânienne représente 75% de celle de l’homme moderne.[81] Cette augmentation du volume cérébral est en partie due à l'augmentation de la taille, mais traduit également une évolution et une complexification de la capacité cognitive. Le cas d’Erectus est complexe, dans la mesure où ce terme est supposé réunir dans une même espèce des individus anciens d‘une capacité crânienne de 700 cm3 et des individus plus récents dont le crâne dépasse 1 200 cm3[17].

La taille de Erectus, intermédiaire entre le chimpanzé et l'homme moderne, suggère que sa durée de vie a également pu être intermédiaire, de l'ordre de 70 ans. Son développement dentaire suggère que le juvénile arrivait à l'âge adulte vers quinze ans, entre les dix ans de l'Australopithèque et les vingt ans de l'homme moderne[59].

Adaptation au jet de pierre et de bâton modifier

 
Erectus en Asie n'était pas inféodé aux milieux arides.

Erectus se spécialise non seulement dans la course, mais également dans le jet. Les muscles fessiers (grand glutéal) se développent plus encore que pour les Australopithèques : ces muscles permettent la stabilisation durant la course en reliant le fémur au tronc ; ils permettent également de donner une énergie supplémentaire aux projectiles en fin de lancers. Sa ceinture scapulaire se libère davantage, ce qui lui permet des mouvement plus amples du bras. De même, sur le plan physiologique, la préhension devient plus précise et plus puissante. Les os du poignet évoluent, permettant une meilleure mobilité et une prise plus assurée des objets entre le pouce opposable et le reste de la main.

Erectus est en effet le premier hominine à être sorti d'Afrique, ce qui montre qu'il n'était pas inféodé à un type spécifique de terrain ou de climat. Mais avec quelle arme? Erectus ne paraît pas avoir eu la capacité physique de lancer correctement des lances, ni d'ailleurs la capacité technique d'en fabriquer (ni même probablement d'en imaginer le concept).

En revanche, il a très bien pu attraper ses proies en leur jetant des galets (ou des bâton de jet, voire des bolas). Le garçon de Turkana (1.5Ma, entre Ergaster et Erectus) héritait d'un million d'années de pratiques des Habilis jouant avec ses galets aménagés de l'Oldowayen. Il aurait été surprenant que ces derniers n'aient jamais jeté quelque chose avec succès sur des prédateurs ou des proies[27]. De ce fait, on peut imaginer que sa pratique primitive de charognard l'ait mis en concurrence avec des oiseaux charognards (vautours, marabout,...), lui imposant de chasser ces concurrents à coups de cailloux. À l'occasion, il a pu ainsi achever d'un coup de gourdin un oiseau dont l'aile avait ainsi été brisée, et le dévorer ensuite. Devenant une source non négligeable de viande, cette pratique opportuniste peut devenir délibérée, la dépendance à cette technique quand d'autres sources se font rares conduisant ensuite à une pression sélective pour améliorer la force et la précision de son lancer.

La capacité à bien viser est rare chez les singes. Le singe capucin est une exception remarquable sur ce point, qui peut jeter des pierres avec une bonne précision ; ces singes s'envoient également de la nourriture en la lançant, ce qui explique que cette capacité se soit affinée chez eux. On peut remarquer que chez le capucin, mâles et femelles sont aussi doués l'un que l'autre pour viser, alors que les mâles humain y sont significativement meilleurs que leurs congénères féminins[10].

La capacité à une lapidation efficace a donc très probablement été acquise par Erectus :

  • elle n'était pas nécessaire aux stades précédents,
  • elle justifie qu'il puisse avoir une technique de chasse non inféodée à un écosystème sans avoir développé d'outil spécifique à cette fin (à part éventuellement le bola),
  • et elle explique que les capacités neurologiques nécessaires au langage aient pu se développer au préalable, à travers une évolution comportementale.

On peut même imaginer que le tropisme des petits enfants modernes à jeter des cailloux dans les bassins des parcs (relevé dans l’Esthétique de Hegel) remonte à l'entraînement au ricochet nécessaire pour nos lointains ancêtres.

Première sortie d'Afrique modifier

 
Proto-hommes (bleu), hommes primitifs (rose) et hommes modernes (rouge).

Erectus au sens large est le nom d'une chrono-espèce recouvrant différents types de proto-hommes, séparés dans l'espace et dans le temps.

Le proto-homme apparaît primitivement en Afrique, avec Homo ergaster (1.8-1Ma).

La plus ancienne trace d'hominine hors d'Afrique se présente vers 1.8Ma en Georgie, dans les monts du Caucase avec Homo georgicus (1.8Ma). Homo erectus (1.5Ma-100ka stricto sensu en Eurasie) va peupler progressivement le Proche-Orient (1.4Ma en Palestine). Il atteint l’Europe (Homo antecessor, 1200-700ka) . Il s'étend en Asie (1Ma/ - 800ka) en Chine (homme de Pékin) et à Java (homme de Java).

Ce sont ses restes fossiles en Asie qui ont été reconnus pour la première fois comme « Ancêtre de l'Homme  », sous le nom de Pithécanthrope — conduisant à la théorie longtemps maintenue d'une origine asiatique de l'Homme, à présent discréditée au profit d'une origine africaine.

On trouve de ses fossiles en Chine et à Java jusqu'à 250 ka. En Asie orientale, Erectus survivra jusqu'à 60ka, et même 12ka pour l'Homme de Florès

Technique de chasse modifier

Erectus réagit certainement au changement climatique en changeant à nouveau son régime, qui de charognard devient plutôt prédateur.[62] Cependant, s'il devient prédateur, c'est pratiquement sans disposer d'arme nouvelle autre que son bâton et ses galets (il n'invente le biface que 300ka plus tard) ; il semble cependant avoir inventé le bola[82].

Sa technique de chasse n'est pas clairement identifiée, et est probablement multiforme. De même que pour Habilis, Erectus est adapté à la course de fond et peut à l'occasion pratiquer une chasse à l'épuisement, mais cette forme de chasse demande des conditions climatiques particulières. La première sortie d'Afrique réalisée par Erectus montre que l'espèce n'est plus inféodée à un écosystème particulier, et que sa chasse devient donc en un sens généraliste. En revanche, contrairement à ce qui sera le cas de l'Homme primitif, il ne semble pas avoir pratiqué la chasse collective : la performance du chasseur reste pour Erectus une performance individuelle.

Le pistage a évolué vers un « pistage spéculatif » : lorsque les traces ne peuvent pas facilement être suivies, homo anticipe la réaction de son gibier et interprète d'autres indices pour déterminer où il a le plus de chances de se diriger, et localiser ainsi à nouveau sa proie.[83] Cette méthode avancée permet de retrouver une proie dans une plus grande variété de terrains, rendant encore plus plausible l'hypothèse d'une utilisation de la course de fond pour une chasse à l'épuisement.

Cette technique de chasse est épuisante pour le chasseur presqu'autant que pour le gibier. Pour les hommes modernes la pratiquant, l'effort nécessaire pour la poursuite demande ensuite facilement une journée de repos pour reconstituer les forces. Sur le plan énergétique, elle ne se justifie donc que pour du gros gibier, qu'un chasseur ne peut guère consommer seul. Elle suppose donc l'existence d'une société collaborative, le chasseur rapportant sa proie au reste du groupe resté au campement.

Cependant, si cette technique de chasse est évidemment possible en Afrique du sud-Est et en période aride, elle se conçoit mal en période plus humide, et dans des latitudes plus élevées. S'il est clair que Erectus est d'une manière où d'une autre adapté à la course de fond, ce n'est en revanche pas ce type de chasse qui a pu faire de lui un chasseur non inféodé à un écosystème particulier.

Adaptation digestive et technicité de l'approvisionnement modifier

 
Déterrer un tubercule n'est pas à la portée d'un enfant.

Le changement climatique auquel Habilis a du s'adapter, contraint notamment par une saisonnalité plus marquée, a donc conduit Erectus à accéder à une nourriture plus pérenne, plus difficile à récolter, mais finalement plus digeste : typiquement petit gibier, coquillages, noix, ou racines souterraines[59]. De telles ressources sont généralement disponibles y compris pendant la saison sèche ; elles fournissent un apport calorique suffisant et sont suffisamment digestes pour assurer l'alimentation d'un individu et de ses enfants ; et sont suffisamment permanentes pour assurer une collecte journalière régulière[59]. Par rapport à son prédécesseur Habilis, Erectus mange plus de viande[62]. Il continue cependant à s'appuyer sur des végétaux. En particulier on peut remarquer que la limite nord de son expansion correspond à la limite de la zone où il est possible de subsister sur des tubercules et des rhizomes[59], ce qui suggère que son régime alimentaire s'appuyait sur ces ressources souterraines.

On voit chez Erectus des indices d'une réduction du tube digestif : alors que l'australopithèque a une cage thoracique conique et un bassin évasé, délinéant un abdomen assez protubérant, Erectus tend à avoir la cage thoracique plus droite et le bassin plus étroit de l'homme moderne[61]. C'est l'indice d'une alimentation plus digeste que celle de ses prédécesseurs. Par ailleurs, comparé à Habilis, Erectus avait des pratiques alimentaires nécessitant moins de mastication, et usant comparativement moins les incisives et les molaires[36].

En revanche, si ces sources alimentaires sont exploitables par des adultes, elles ne le sont généralement pas pour des juvéniles : creuser pour atteindre des tubercules demande des outils (bâton fouisseur) et de la force physique, lancer un bâton de jet demande l'outil et de l'entraînement, et dépecer du gibier demande toujours des galets tranchants. Le changement alimentaire demande une organisation sociale plus complexe pour assurer la survie de la progéniture. Le changement dans le régime alimentaire de Erectus s'est donc accompagné d'un changement comportemental allant vers une plus grande complexité dans la manière de rechercher sa nourriture et de soutenir les juvéniles. Ce changement économique s'est alors doublé d'un changement physiologique dans les arbitrages entre organes.

Dans l'anatomie humaine, cinq organes représentent 7% du poids du corps mais consomment plus de 75% du métabolisme[61],[84] : le cerveau, le tube digestif, le cœur, le foie, et les reins. Ces trois derniers sont directement liés à la taille du corps du fait de leur fonction physiologique. En revanche, le cerveau et le tube digestif peuvent varier en fonction de la niche écologique occupée. La taille et les proportions du système digestif sont très fortement dépendant du volume et de la composition du régime alimentaire. À une extrémité du spectre, les herbivores ont un régime formé d'une grande quantité de végétaux peu digestes, et ont en conséquence un système digestif important permettant la fermentation prolongée de leur bol alimentaire. À l'autre extrémité, les carnivores ont un régime formé par de faibles quantités de nourriture plus digestes, et sont caractérisés par un estomac plus petit, et un intestin grêle en proportion plus long pour favoriser l'absorption des nutriments[84]. De fait, par rapport aux grands singes, l'espèce humaine a le cœur, le foie et les reins de la taille attendue, mais le tube digestif est en proportion beaucoup plus petit, et cette réduction est justement celle qui compense la demande métabolique supplémentaire due à l'accroissement du tissu cérébral[61],[85].

La réduction du système digestif d’Erectus a rendu corrélativement possible un accroissement du volume cérébral, rendu par ailleurs nécessaire par cette nouvelle complexité[61]. À partir du moment où Erectus a pu s'adapter à ces nouvelles techniques de chasse et de cueillettes, en particulier pour ce qui est du soutien apporté aux juvéniles, ces techniques lui ouvrent l'accès à des ressources abondantes et variées. Il est devenu moins dépendant d'un écosystème particulier, et a pu se répandre en Eurasie.

Il est très peu probable que Erectus ait fait cuire ses aliments : dans la mesure où son alimentation était fortement carnée, une pratique régulière de la cuisson aurait laissé des traces d'os brûlés, ce qui n'est pas le cas[36].


Évolution comportementale et cognitive des proto-hommes modifier

Le biface modifier

 
Biface.

On voit apparaître de nouveaux outils, plus grands et plus élaborés, tels que les bifaces, les hachereaux ou les bolas, qui caractérisent l’Acheuléen. L’Acheuléen est contemporain de la fin de l’Oldowayen en Afrique de l’Est où il est documenté dès 1,76 million d’années avant le présent dans le site de Kokiselei 4 sur les rives du lac Turkana[86],[87],[88]. Il est présent dès 1,7 Ma avant le présent dans les sites d’Olduvai (Tanzanie)[89],[90]. Il est attesté ensuite dans tout le continent africain.

Erectus créé les premiers bifaces, en inaugurant la technique de façonnage qui permet de tailler les nucléus de manière plus élaborée et régulière. Innovante par rapport aux pratiques Habilis, la taille y est souvent réalisée avec un percuteur tendre comme le bois, ce qui permet une taille plus fine.

Il faut remarquer que bien que le biface soit une production caractéristique de Erectus, il n'apparaît pas en même temps que ses premiers fossiles (1.9Ma), lesquels continuent au départ à utiliser la technologie de l'Oldowan. La première dispersion en Eurasie (1.8Ma), par exemple, précède l'invention du biface, qui ne sera inventé que vers 1.6Ma. De fait, l'extension des bifaces n'atteint pas l'Extrême-Orient. Ceci montre qu'il y a eu une évolution de l'espèce et de ses capacités cérébrales, provoquée par une pression sélective autre que la fabrication d'outil, qui dans un deuxième temps a produit des effets sur la fabrication d'outils à travers un processus d'acculturation[28].

 
Extension des bifaces.

Le biface a une forme symétrique, latérale, et le plus souvent bifaciale. Sur le plan technique, il constitue donc une sculpture complexe du bloc d’origine, visant à atteindre une forme déterminée.

L’existence même d’une forme abstraite archétypale caractérisant le biface est révélatrice d’un changement de mentalité. Le biface est un outil à usage multiple (voire, pour certains, sans usage avéré), et les usages (à supposer qu'il en ait) n’imposent pas de contrainte forte sur sa forme. Sa forme est donc ici première par rapport à son utilité, la symétrie est recherchée pour elle-même, et non pour un hypothétique rôle fonctionnel. Le biface matérialise donc quelque chose de nouveau dans l’univers mental de l’homme : la norme abstraite préexiste à l'objet, c’est parce que cette forme symétrique est jugée « bonne en soi », que l’idée de cette forme est réalisée dans la pierre. Par le biface, l’homme montre qu’il est capable de concrétiser ce qui est au départ une abstraction idéale : c'est parce qu'il est capable de se représenter cette forme comme but, de manière détachée d'un stimulus réel, que Erectus est capable de la réaliser.[10],[91] Il est le premier à imposer ainsi la marque de son esprit sur la matière.

Contrairement à la simple production d'outils oldowayens, la production de bifaces acheuléen, qui suppose une activité mimétique et planifiée, mobilise l'aire de Broca et le système miroir, lesquels sont également actifs dans la production du langage[18],[92].

Capacité mimétique modifier

 
Jouer aux ricochets ne devient possible qu'à partir de Erectus.

Jeter une pierre avec précision est plus complexe qu'il n'y paraît, parce que le contrôle moteur du mouvement, dirigé à partir du cervelet, doit être capable d'ajuster le mouvement en cours par une boucle cybernétique ; mais le temps pour un influx moteur de partir du cervelet, atteindre le muscle, déclencher un début d'exécution et un influx nerveux sensitif en retour, qui retourne au cervelet, il s'écoule entre un quart et une demi-seconde, ce qui est bien trop long pour contrôler un geste aussi rapide. En pratique, le cervelet dispose d'une capacité de simulation, qui en fonction des influx moteurs envoyés, est capable d'en anticiper l'issue ; cette boucle courte est capable de corriger le mouvement en moins d'un dixième de seconde, et donc faire partir la correction avant même que l'ordre initial ait commencé à faire bouger le muscle. La simulation au départ est assez inefficace, mais l'entraînement permet un apprentissage de cette fonctionnalité qui améliore cette modélisation intérieure.[10] Cette modélisation interne du mouvement rapide est spécifique à l'Homme (et au singe capucin), et semble dériver du mécanisme de modélisation impliqué dans la conscience de la permanence de l'objet, avec laquelle elle présente des analogies[10].

Pour Merlin Donald, la « capacité mimétique » constitue la plus fondamentale des capacités humaine, et est la première des transition nécessaires sur la voie de l'acquisition du langage.[93] La capacité mimétique consiste essentiellement à pouvoir reproduire et affiner l'exécution d'un geste complexe.

Outre le changement de mentalité mentionné ci-dessus, la capacité à fabriquer un biface présuppose une évolution dans la psychomotricité de Erectus. Sculpter la pierre avec une bonne précision suppose d'une part que chaque geste du processus puisse être conceptualisé, décomposé et corrigé dans son détail, jusqu'à aboutir au résultat souhaité. Acquérir une habileté suffisante dans cette pratique suppose d'autre part que le geste lui-même peut être volontairement répété, et volontairement entraîné, jusqu'à devenir un automatisme acquis.[10] Ces compétences psychomotrices sont nouvelles par rapport à la pratique des grands singes. Pour prendre un exemple concrêt, on a pu apprendre à un grand singe à tailler des pierres de type Oldowayen,[94],[8] ce qui ne suppose que des gestes stéréotypés et n'implique pas d'entraînement ; mais un grand singe n'a pas une maîtrise suffisante de son corps et de son propre entraînement pour apprendre à jouer du piano.

Cependant, si la production de bifaces montre que Erectus dispose de cette compétence, cette production est tardive, ce qui implique que la compétence s'est développée antérieurement, et indépendamment de la taille de bifaces.

De son côté, la capacité à lancer des cailloux (en améliorant force et précision par rapport aux pratiques simiesques, lesquelles sont assez pathétiques), qui implique de mettre en œuvre les mêmes compétences, est difficile à attester par elle-même, mais c'est plus probablement sur elle qu'a pu porter une pression de sélection, qui a conduit à l'acquisition progressive de caractéristiques neurologiques importantes.

La « capacité mimétique » suppose en amont une représentation interne d'un tel mouvement,[51] à un niveau d'abstraction suffisamment élevé pour être « supramodale », c'est à dire susceptible de représenter simultanément des stimulus et coordonner des mouvements de n'importe quelle partie du corps. Cette capacité de représentation se manifeste déjà chez le singe, quand il parvient à imaginer un schéma d'action complexe pour résoudre un problème (typiquement, combiner des moyens pour récupérer la banane placée hors de portée par les expérimentateurs). C'est probablement elle qui est en œuvre dans l'activation des neurones miroirs. La principale différence que l'on peut invoquer est que les gestes de Erectus supposent une image du corps plus affinée. Ils supposent également de disposer d'une représentation détachée de la perception immédiate, condition nécessaire pour qu'une intentionnalité consciente puisse être avérée[10].

 
Vers cinq mois, le gazouillis est un tropisme mimétique préalable à l'acquisition du langage.

Cette capacité implique ensuite une capacité mémorielle pouvant enregistrer puis se représenter à volonté, sans stimulus extérieur, une action ou une séquence d'actions[93] : la cause efficiente immédiate du mouvement mimétique n'est plus une réponse à un stimulus (externe ou physiologique), mais l'activation d'un engramme et son exécution volontaire (laquelle peut être réelle ou imaginaire). Seuls les êtres humains sont ainsi capables de solliciter leur mémoire à volonté. Elle suppose encore la capacité de comparer une exécution donnée à un modèle idéal abstrait, représentant le résultat que l'acteur cherche à atteindre, ce qui dénote un processus de modélisation d'un niveau d'abstraction supplémentaire. L'entraînement mimétique suppose un tropisme à répéter et corriger l'exécution d'un geste jusqu'à le faire suffisamment coïncider avec l'abstraction idéalisée qui lui sert de modèle. C'est ce même tropisme d'imitation qui pousse de nos jours l'enfant humain au stade du gazouillis à mimer et reproduire le comportement (phonétique) de ses aînés, même quand il n'en comprend pas le sens.

Enfin, cette capacité suppose en aval que l'exécution du geste puisse s'améliorer avec la répétition et l'entraînement, au point de devenir comme une seconde nature, et pouvoir être rappelée et exécutée avec la même fluidité que celle des gestes stéréotypés qui gouvernent l'action animale. Une telle capacité d'apprentissage est courante dans le monde animal et n'appelle pas de commentaire.

Capacité cognitive modifier

Dans leur aspect physique et dans leur industrie lithique (avec le biface), Erectus prend un caractère spectaculairement humain. Mais le plus spectaculaire est probablement l'évolution des capacités neuronales dont ces réalisations constituent des indices subtils. Toutefois, cette impression recouvre encore une animalité encore très présente, que trahit un comportement encore très instinctif et stéréotypé.

Le biface marque un jalon cognitif - et un blocage cognitif (1Ma sans évolution pour un outil sans fonctionnalité...).

Comparativement, les hommes améliorent leurs compétences en vision tridimensionnelle, en précision du lancer, et en capacité de concentration.

L'existence même du biface montre que Erectus échappe au comportement stéréotypé qui caractérise les animaux, et les capacités mimétiques sont à la fois nécessaires et suffisantes pour permettre à Erectus de réaliser ce que l'archéologie lui attribue. L'acquisition de cette nécessaire coordination musculaire, qui nécessite un appareillage neuronal important, est probablement antérieure, et est à rapprocher du chignon occipital de Ergaster .

Le contrôle du geste permet une forme de communication intentionnelle, intermédiaire entre le signal animal (purement holistique) et la communication verbale (qui demande une théorie de l'esprit avancée). Une forme mimétique de communication peut se limiter à attirer l'attention de son interlocuteur sur un objet donné, lui laissant le soin d'en tirer ses conclusions propres. Le meilleur moyen de voir ce sur quoi porte l'attention est de suivre le regard : la direction du regard de l'émetteur doit être claire pour que son interlocuteur identifie rapidement l'objet, et la direction du regard de l'interlocuteur permet en retour à l'émetteur de vérifier s'il a réussi à capter l'attention. Parvenir à établir une attention partagée ne suppose ni de modéliser les intentions du destinataire, ni même de modéliser les siennes propres[10].

Dans la mesure où la capacité à une telle communication par attention partagée présente un avantage sélectif à la fois pour l'émetteur (qui renforce son autorité) et pour le récepteur (qui est mieux informé de son environnement), elle peut suffire à mettre une pression évolutive de part et d'autre pour que le la direction du regard devienne plus facile à évaluer. C'est donc probablement au stade de Ergaster et Erectus que l'œil humain acquiert sa pupille étroite, contrastant avec le blanc de l’œil, signal qui marque immédiatement la direction du regard. Le fait de pointer du doigt pour désigner un objet à l'attention de son interlocuteur est peut-être également un mode comportemental acquis à ce stade[10].

Pression sélective en faveur d'une capacité mimétique modifier

Comme ce n'est pas le langage lui-même qui a pu constituer une pression sélective pour développer ces capacités mimétiques, ni la fabrication de bifaces elle-même, elles ont été nécessairement acquises à travers le perfectionnement d'un comportement plus primitif. Le comportement moderne où cette capacité mimétique se révèle le plus clairement est la propension des humains à répondre à un rythme : un rythme est spontanément repris et traduit par différentes parties du corps[52].

a lifestyle depending on social interactions among nonkin was present in Homo Habilis more than two million years ago. Language in particular would seem to be deeply woven into such interactions, in a manner that is not qualitatively different from that of our own "advanced" culture[95].

Un aspect important de la théorie supposant l'émergence du langage sur la capacité mimétique est que le type de « protolangage » initialement employé par nos ancêtres ne se cantonnait ni à la voie vocale, ni à la sphère gestuelle, mais aura été multimodal.[96] Il se caractérise par une combinaison d'expressions faciales, manuelles et vocales, le sens s'appuyant sur une forte iconicité (fonctionnant sur la reproduction de similarités) et une grande indexicalité (s'appuyant sur la contiguïté spatio-temporelle pour désigner ses objets). Le langage et les gestes des enfants vers deux ans peut être vu comme une réminiscence de ce stade de communication, mêlant gestes et vocalisations dans un comportement multimodal.[97] Bien que le canal de transmission du langage soit principalement verbal de nos jours, ce n'est qu'une question d'équilibre entre mains et bouche ; la communication s'appuie souvent sur des soulignements gestuels, et la langue des signes mobilise les mêmes capacités cognitives bien que dans un canal purement gestuel[97]. Même de nos jours pour l'homme moderne, l'acquisition du langage repose de manière critique sur toutes sortes de communications non verbales, et lorsque nous parlons, nous n'hésitons pas à utiliser la prosodie, la gestuelle ou la désignation pour appuyer et désambiguïser notre discours[98].

Transmission d'une culture mimétique modifier

 
Exemple de mème : le haka.

À partir du moment ou les gènes donnent la capacité d'imiter rapidement quelque chose de culturel, des mèmes (éléments culturels transmissibles proposés par Richard Dawkins) vont pouvoir proliférer et prendre les commandes dans la sphère comportementale. Tout ce qui est nécessaire au départ est que le système cognitif soit capable d'imitation et y aspire d'une manière ou d'une autre, et les mêmes satureront fatalement cette capacité.[12] Ceci étant, les mèmes sont eux-mêmes l'objet d'une sélection naturelle sévère dans l'environnement où ils doivent se reproduire : ne peuvent se propager que ceux qui sont adaptés aux conditions offertes par les capacités cognitives de leurs hôtes. Tant que ces capacités sont restreintes, les mèmes seront eux-mêmes simples.

La culture mimétique permet dans une certaine mesure de représenter et de transmettre des connaissances au sein d'un groupe, par des moyens non nécessairement verbaux — regards appuyés et attention partagée, gestes culturellement fixés, représentations d'actions marquantes, certaines activités collectives, et ainsi de suite. Par rapport aux connaissances qu'un animal peut acquérir mais non transmettre, ces connaissances partagées constituent une nouvelle classe de représentations non-verbales, qui peuvent s'accumuler et se modifier au fil du temps, d'une génération à l'autre, même si c'est d'une manière très lente. Ce prototype de culture humaine fonctionnant au ralenti a été une adaptation avantageuse, capable de se développer et d'évoluer par elle-même, et cela sans nécessiter l'appui d'un langage au sens strict, pendant plus d'un million d'années[28].

Une première étape de l'évolution vers le langage se devine dans le babillage du nourrisson, où l'enfant imite la sonorité du langage, sa forme, sans se rattacher à une intentionnalité par rapport au sens. De même, une forme primitive de culture mimétique a pu passer par une sorte de haka mêlant gestes et cris dans une séquence arbitraire mais déterminée culturellement, la capacité à participer à une telle séquence étant un marqueur identitaire permettant de distinguer un étranger des autres membres du groupe.


Langage mimétique modifier

Fondement psychomoteur du langage articulé modifier

 
La « capacité mimétique » permet de décomposer et répéter des gestes complexes, jusqu'à les accomplir à volonté, sans erreur et sans effort d'attention.

Le système de communication animal est initialement fondé sur des réactions holistiques, n'impliquant pas de téléologie ni de choix volontaire ; et l'animal est rivé au réel et au présent, sa communication ne prend son sens que en réaction à un stimulus. Les chimpanzés et bonobos utilisent des signes gestuels, et savent faire attention à ce que leur destinataire y prête attention ; mais ces signes sont pris dans un répertoire limité (une soixantaine de signes), instinctif et figé[99],[100].

L'acquisition d'une capacité mimétique a eu inévitablement des conséquences dans les schémas d'expression de ces hominines.[52] Par l'émergence d'un nouveau niveau de contrôle psychomoteur supramodal, susceptible d'intégrer n'importe quel mouvement auparavant stéréotypé, ces signaux peuvent à présent être mimés, travaillés, transformés et différenciés, et reproduits à volonté. Cette évolution vers une plus grande capacité de modélisation interne et de contrôle mimétique des mouvements volontaires permet aux hominines d'échapper aux comportements stéréotypés qui caractérisent l'animal, et de se composer des mouvements variés utilisant l'ensemble de leur répertoire moteur volontaire. Portant initialement sur le répertoire moteur des primate, il s'agit également d'une capacité qui sera ultérieurement nécessaire à l'acquisition du langage, avec le contrôle à venir de la langue et du souffle.[8] Ce sont bien ces caractéristiques neurologiques qui seront par la suite critiques pour maîtriser le langage oral articulé. Le caractère extrêmement lent de la capitalisation culturelle consécutive rend très peu probable qu'ils aient pu disposer à ce stade d'un véritable langage, ni même d'un protolangage[51],[61].

D'autre part, l'action mimétique devient indépendante du réel immédiatement présent, et acquiert une signification en soi. Plus le signal peut être manipulé et transformé, et moins le système de communication proto-humain qui l'utilise peut continuer à être holistique et stéréotypé. Certes, l'« immutabilité synchronique »[101] du signe s'impose à l'émetteur s'il veut se faire comprendre. Mais le rapport de l'émetteur au signal change, l'expression d'un signal ainsi contrôlé exprime à présent le désir qu'a l'émetteur d'obtenir un résultat particulier, non une situation holistique. Et enfin, ce signal est réalisé en reproduisant un comportement conforme à un modèle type reconnu au sein du groupe, et l'évolution de ce signal se découple du déterminisme génétique pour devenir le fruit de l'histoire sociale, innaugurant ainsi la progressive « mutabilité diachronique »[101] du signe.

Ces caractéristiques ressemblent à celles d'un signe linguistique dans un langage ou un proto-langage. Cependant, « il ne lui manque que la parole », rien ne permet de dire que le système de communication proto-humain soit à ce stade un système verbal. C'est une erreur courante que de penser que le langage est coextensif à la parole, et que retracer l'évolution du langage se réduit à suivre l'évolution des organes phonatoires et auditifs : ces organes sont effectivement des interfaces possibles pour le langage, mais ils ne sont qu'une possibilité, et le langage ne se réduit pas à cette interface.[21] L'évolution qui a permis ultérieurement l'apparition du langage a avant tout été une évolution cognitive: la capacité de produire volontairement des gestes, et de les utiliser comme référence symbolique grossière (contrairement aux signaux stéréotypés, liés au contexte). La communication à ce stade est probablement restreinte à des actions métaphoriques, des mimes, et des gestes élémentaires,[8] et que ce n'est que dans un second temps de l'évolution humaine que cette capacité s'est transférée et spécialisée au domaine oral.

Dans la mesure où une telle communication implique que la communication elle-même fasse l'objet d'une perception cognitive, il est probable que dès ce stade, le système de communication animal s'est détaché d'une émission purement holistique pour continuer à évoluer vers des signaux relativement conventionnels et contrôlés (ce qui est le cas, de manière embryonnaire, pour les grands singes).

La capacité mimétique peut servir de base à l'évolution de pratiques et de gestes culturellement déterminés. On en retrouve la trace de nos jours chez l'enfant, dont l'apprentissage du langage repose sur une reproduction mimétique des phonèmes adultes, et chez l'adulte, ou des activités de type mimétique jouent encore un rôle important comme la dance, la pantomime, ou la communication sur un mode « théâtral ». De telles activités sont largement indépendantes du langage, que ce soit dans leur mode de fonctionnement ou dans leur fonction sociale[8].

Compétence symbolique modifier

 
Icône : Je vois une branche cassée.
Indice : Je pense qu'un animal a dû brouter la tige.
Symbole : C'est le signal, je sais qu'on est sur la piste.

On peut distinguer trois modes de référence entre un signifiant et un signifié, non pas selon la nature du signifiant, mais selon le niveau d'interprétation qui l'associe à un signifié[102],[103].

  • Un signal peut être une « icône » s'il évoque un signifiant par sa ressemblance.
    Pour le système cognitif qui en fait la perception, un signifiant iconique informe simplement sur le monde tel qu'il est perçu, et participe à la construction d'une modélisation interne du monde extérieur immédiat.
    L'identification d'un signifiant iconique présuppose que des perceptions variées et individuelles d'occurrences soient associées et considérées comme équivalentes, en reconnaissant ce qui en fait la similarité, et en négligeant les circonstances jugées non pertinentes. La ressemblance peut être trompeuse, ou très artificielle comme dans le dessin d'enfant représentant « papa et maman » par des fils de fer.
  • Il peut être un « index » (ou « indice ») s'il évoque un signifiant par une relation objective de cause à effet. Un signifiant perçu comme un index informe sur ce qui est invisible mais attaché de manière immanente à la situation, et suppose l'existence d'une connaissance (au moins implicite et statistique, voire innée) de ses évolutions types et relations causales.
    Pour l'émetteur, un signal constituant un indice peut être produit involontairement (les traces laissées dans la nature), ou au contraire répondre à une fonctionnalité déterminée (cas de la signalisation animale). Pour le récepteur, un index permet d'enrichir la modélisation interne du monde par l'évocation d'un nuage plus ou moins flou de passés ou de devenirs possibles, et d'adapter son comportement en conséquence.
    L'identification d'un signifiant indexuel présuppose que les éléments ainsi mis en relations par une relation de causalité soient au départ identifiés sous forme d'icônes, afin qu'une régularité puisse être estimée. Le sens d'un index (quand il ne s'agit pas d'un signal instinctif) se déduit de l'étude des relations entre icônes, et l'interprétation d'un index consiste à ce que le stimulus nouveau évoque cette association d'icônes[102]. Les associations indexuelles peuvent alors se généraliser et s'enchaîner, l'observation de faits élémentaires iconiques permettant à Sherlock Holmes de reconstituer toute l'histoire du crime.
  • Un signal signifiant peut être un « symbole », s'il évoque un signifié à travers une relation ni de similarité, ni de causalité, mais simplement découlant de conventions. L'interprétation d'un langage symbolique ne se situe pas à un niveau comportemental, mais à un niveau symbolique. Il tend à modifier non pas la perception que le récepteur a du monde actuel, mais les connaissances dont ce récepteur dispose dans son univers conceptuel.
    Un signal ne peut prendre une signification symbolique que si son émetteur réalise ce signal avec une intentionnalité le reliant à la fois à ses propres connaissances et à l'information qu'il veut transmettre à son destinataire. Pour le destinataire, le symbole ne prend son sens que par rapport à l'univers conceptuel de celui qui l'interprète, et dans cet univers, son signifié est de tendre à modifier ce que l'interprète « sait ».
    Un « symbole » exprimé est un signifiant perceptible (donc iconique) qui met en lumière un point d'intérêt (donc index), mais le signifié se situe dans l'univers conceptuel et non dans l'environnement objectif du sujet. Dans sa construction, le niveau symbolique émerge de relations iconiques ou causales, mais il se conforte avant tout par les relations que les symboles tissent les uns avec les autres à travers des prédicats explicites.

Gestes iconiques et indiciels modifier

 
Le mime consiste à évoquer un objet et un scénario à partir de gestes et d'accessoires iconiques.

L'apprentissage animal se fait toujours d'une manière ou d'une autre par corrélation entre signal et signifié interprété comme icône ou indice : c'est la cooccurrence spatiale ou temporelle qui associe un signifiant à un signifié[102]. L'apprentissage peut résulter d'essais individuels, par succès ou erreurs, ou peut être intégré dans le phénotype au niveau de l'espèce, par élimination sur le long terme des erreurs des jugement instinctifs erronés, et conservation des individus à succès.

Se focaliser sur la seule correspondance signifiant / signifié réduit ce qui devrait être une relation multidimensionnelle à une simple cartographie[102]. L'association entre un signal et un objet (ou une action) est relativement facile à enseigner à un animal : un chien peut « comprendre » des mots comme « assis » (un ordre), « promener » (préparation à une activité), « rapporte » (une séquence d'actions) ou « gâteau » (un type d'objet) à travers l'association statistiquement constatée entre le signe arbitraire qu'il perçoit et différencie, et l'élément commun pertinent dans les circonstances où ce signe apparaît. La réaction du chien à un mot est alors un comportement associé, soit qu'il est spontané, ou obtenu par dressage. Et inversement, on peut supposer que la vue d'un gâteau puisse pré-activer pour lui le signal « gâteau ». S'il ne s'agissait que d'émettre des symboles simples et isolés, la compétence de l'homme ne serait pas tellement distinguable de celle de son chien. Associer par cooccurrence un signifiant à un objet ou à une action n'est donc pas un apprentissage très complexe, puisqu'un chien peut être dressé dans ce sens : le signifiant est alors un « indice » évoquant un signifié actuellement présent ou proche.

Dans une culture pré-verbale, le signifiant n'est pas un mot, mais est nécessairement un geste ou un objet accessoire ; tout au plus peut-il être appuyé par un grognement soulignant le signal. Dans un premier temps, faute de pouvoir établir un lien par convention, le signifiant fonctionne nécessairement comme « icône », auquel le signifié est associé par une ressemblance suffisante, donc essentiellement mimétique. Ainsi, faire le geste de porter quelque chose dans sa bouche évoque (iconiquement) l'idée de manger, et peut suggérer (indice) que l'acteur a faim ou confirme à son interlocuteur que ce qu'il tient en main est comestible.

Contrairement à ce que l'on pense habituellement, le singe n'imite pas le comportement de ses congénères : il cherche avant tout à identifier le but poursuivi. L'enfant humain s'intéresse non seulement au but, mais également à la méthode, et tend à reproduire le geste lui-même : il « singe » ce qu'il voit faire, alors qu'un singe ne sait pas le faire[104].

Apprentissage symbolique modifier

 
Un langage iconique ne peut évoquer que des concepts dont une expérience directe est possible. Il n'est pas possible d'évoquer un objet de nature non expérimentale.

La principale caractéristique du langage humain est dans sa seconde articulation, celle qui permet d'associer des symboles et de communiquer des prédicats. La réaction d'un homme à un prédicat n'est pas alors un comportement, mais l'intégration d'une connaissance complémentaire : un prédicat sur un symbole modifie d'une manière ou d'une autre ce que l'homme connaît de ce symbole, et modifiera potentiellement ce qui sera ultérieurement évoqué par ce même symbole.

C'est l'existence même de cet univers conceptuel et des connaissances abstraites supportées par des relations symboliques qui fait la différence entre la pensée humaine et la pensée animale : un animal peut parfois comprendre un stimuli comme une « icône » (s'il ne fait pas la différence entre le stimulus et ce qu'il est censé représenter, par exemple, pour un étalon reproducteur, le mannequin en salle de monte) ; dans la plupart des cas il réagit à un stimulus comme à un « index », en adoptant un comportement adapté aux conséquences qu'il en déduit ; mais il s'arrête à ce niveau et n'a pas (dans la nature) la capacité de faire en sorte qu'un signifiant soit émis et interprété par son destinataire de manière conventionnelle.

L'utilisation d'un niveau symbolique par un système cognitif soulève immédiatement un problème d'œuf et de poule : Un symbole n'est interprétable que par convention, et —sauf à être devinée— la convention suppose au préalable une mise en relation du symbole à d'autres symboles, dans ce même univers conceptuel. Une compréhension symbolique suppose donc au préalable que l'interprète se soit construit un univers symbolique, donc ait identifié des invariance abstraites à partir desquelles il pourra « comprendre » le monde (externe ou interne).

L'abstraction croissante du langage conduit à distinguer trois zones[105] :

  • une de coïncidence, la zone identitaire (concepts relevant de ici et maintenant) ;
  • une d’adjacence, la zone proximale (concepts dont une expérience directe est possible) ;
  • une d’étrangeté, la zone distale (concepts abstraits, par nature non expérimentale).

Le système de communication animal ne peut traiter que de la première zone - « out of sight, out of mind ». Le signal animal associe par corrélation un signifiant à quelque chose de présent et de local, ou à quelque chose qui est immédiatement proche dans l'espace et dans le temps. Un système de communication mimétique, en revanche, permet d'évoquer la « zone proximale » de manière symbolique, s'il ne permet pas encore de traiter de la « zone distale ».

Cependant, la simple évocation d'un objet (ou d'une activité, ou d'un caractère) ne se distingue pas fondamentalement de la signalisation animale : elle peut servir de signal d'avertissement différencié pour un signifié présent ou proche (temporellement ou spatialement), mais ne permet pas de fonctionner à un niveau symbolique. La pensée symbolique suppose au préalable l'émergence de symboles, et ces symboles originels ont nécessairement émergé de l'interaction, au sein d'un groupe, d'individus dont la pensée n'est au départ que analogique.[51]

Le passage d'une expression mimétique à un langage doublement articulé qui est le nôtre est supposé avoir suivi des étapes intermédiaires. C'est le linguiste américain Derek Bickerton qui a proposé la notion de protolangage comme intermédiaire, à partir de son étude des pidgins et des créoles. Pour lui, notre lignée disposait dans le passé d'une forme moins élaborée de langage, qui ressurgit à l'état de vestige dans notre répertoire comportemental quand des locuteurs de cultures différentes communiquent en pidgin, ainsi que dans l'apprentissage du langage par les enfants[17].

Protolangage modifier

 
Mettre un lion en fuite n'a rien d'évident.

Dans ce type de langage iconique, un objet isolé fonctionne comme un signal d'alerte (« lion! ») tandis qu'une action isolée fonctionne plutôt comme un ordre (« tue! »). C'est exactement le même mode de fonctionnement que la signalisation animale, qui traite du « ici et maintenant ». L'interprétation symbolique ne peut se développer qu'à travers l'association de plusieurs signifiants. Pour certaines théories linguistiques, le phénotype minimaliste qui caractérise le langage humain est la superposition de deux éléments en une unité syntaxique pour exprimer un énoncé élémentaire ; cette réunion, doublée de la capacité d'évocation de ces éléments, étant suffisante pour rendre compte d'une large partie de la syntaxe des langages humains (l'opérateur universel « merge » de Chomsky).[21] De fait, une communication sans grammaire peut être établie dans pratiquement n'importe quelle langue, si l'on accepte de parler « petit nègre », sans conjugaison ni accord, mais par simple superposition de mots invariables.

Un langage iconique est d'une grammaire relativement universelle, que l'on retrouve dans les différentes langues des signes : d'abord évoquer le contexte, puis le spécifier[106],[107]. L'évocation d'un objet suivi de l'évocation d'une action signifie généralement que l'objet accomplit l'action ; dans le sens inverse, la signification est plutôt que l'action est effectuée sur cet objet. Ainsi « lion tue » signifie que le lion tue (quelque objet), tandis que « tue lion » signifiera que le lion est (doit être?) tué ; les deux pouvant se combiner comme dans « lion tue gazelle ». Un objet peut être en position thématique en première position : « lion, moi tue » signifie que s'agissant du lion, c'est moi qui l'ai tué (alors que « lion tue moi ») signifie plutôt que le lion va probablement me tuer).

Pour une communication mimétique primitive, le passage du geste isolé à la superposition de deux icônes est un passage naturel, sans solution de continuité. L'ordre élémentaire « dégage! » pris isolément peut inquiéter tout le groupe, mais il s'adresse nécessairement à quelqu'un ; et pour un tiers, le geste signifiant n'est pas isolé, mais est toujours précédé d'un geste établissant de facto la communication et désignant son sujet : interaction préalable, désignation du doigt, voire simple regard. De ce fait, pour le tiers, le mimodrame de l'émetteur s'analysera en réalité en deux composantes sujet/verbe « toi : dégage! » ; et il lui suffit de constater que l'ordre ne s'adresse pas à lui pour que le « dégage! » n'ait pas alors une force performative, mais reste interprété à un niveau symbolique : le fait est que l'autre doit dégager. Et le jour où un individu racontera à qui veut prêter attention qu'un lion est venu (« lion! ») mais qu'il a été mis en fuite (« dégage! »), le mime chronologique sera en même temps interprété par des tiers suivant la même logique sujet/verbe « lion: dégage! » : le lion est parti, j'ai fait fuir le lion. Le point important est que dans ce cas, on sera passé d'une communication sur la « zone identitaire » à une communication sur une « zone proximale », puisque quand vient le temps de la narration, le lion n'est plus présent. Et dans un tel cas, n'étant plus seulement des indices de signifiés présents ici et maintenant, les gestes iconiques deviennent des symboles : leur signifié est de tendre à modifier ce que l'interprète « sait ».

De même que le langage, le symbole est lui-même le fruit de l'interaction sociale, y compris pour l'homme moderne. Comme l'observait il y a déjà longtemps Ferdinand de Saussure, le lieu d'émergence du langage se situe nécessairement « entre les cerveaux » : un langage (en tant que système global) ne traduit jamais l'accomplissement cognitif d'une pensée isolée, mais émerge à travers la pratique de communication d'un groupe d'individus en interactions[51].

Le basculement d'une pratique mimétique vers un protolangage, que l'on peut observer vers deux ans chez l'enfant, correspond à un basculement cognitif où la pensée passe d'une pratique analogique, associant idées et situations par homologie et métaphore, à une pratique analytique procédant par différentiation. Le passage d'une communication par les unités discontinues que sont les morphèmes impose à l'esprit d'étiqueter l'environnement perçu, de le catégoriser en lui imposant ces mêmes discontinuités, parce que ce sont les seuls objets pertinents qu'il pourra signaler dans une telle communication, et ce sont les seuls qui lui seront communiqués par les interactions avec le reste du groupe.[8]

Nous pouvons émettre l'hypothèse selon laquelle nos ancêtres utilisaient un langage sans syntaxe pour se signaler mutuellement les faits saillants. Les faits saillants sont ceux qui sortent de l'ordinaire, soit parce qu'ils sont inattendus.[108] Par essence, les situations saillantes possèdent un aspect inattendu. Il est impossible de signaler de telles situations si le lexique disponible est trop restreint. Il est plus vraisemblable que les premiers hominines, ne disposant pas de la capacité à combiner les mots et les représentations qui leur sont associées, se sont appuyés sur un lexique de taille non négligeable pour pouvoir évoquer des situations concrètes avec une précision suffisante[17].

Rires et pleurs modifier

 
Rires et sanglots font partie des rares signaux involontaires humains.

Rires et pleurs sont deux signaux innés (et à moindre titre d'autres signaux comme le sourire ou la grimace de dégoût) propres à l'espèce humaine, dont on ne trouve pas l'équivalent chez les autres grands singes. Ils fournissent une information sur l'état d'esprit de l'émetteur et sur son histoire récente, mais présentent de plus la particularité d'être facilement contagieux, en contraste flagrant avec les autres signaux utilisés dans la communication humaine[98].

Le rire des singes consiste en une série d'inspiration-expirations ; par contraste, le rire de l'Homme est formée d'une saccade d'expirations sans inspirations intercalées. Ce stress sur les muscles thoraciques déclenche l'activation d'endorphines. De plus, c'est une activité contagieuse, le rire se déclenche instinctivement quand tout un groupe éclate de rire, même si l'on n'en comprend pas la raison. Ces caractéristiques en font un facteur performant pour renforcer la cohérence sociale, plus performant que le toilettage pratiqué à cette fin par les primates[27].

Rires et pleurs sont les premiers signaux vocaux émis par les nouveau-nés[109]. Cette capacité de contagion est un facteur de cohésion du groupe où le signal est émis. Ces caractéristiques suggèrent qu'ils ont fait l'objet d'une très forte pression de sélection pour remplir la fonction sociale qu'ils accomplissent. De manière assez suggestive, ces deux signaux présentent un contraste maximal dans leur schéma respiratoire, le sanglot étant émis sur une inspiration spasmodique, le rire au contraire sur une expiration spasmodique, indiquant que ces deux formes de signaux ont été sélectionnées simultanément et en fonction l'une de l'autre[109].

Ces signaux sont de plus des incitations à rechercher ce qui a pu justifier leur déclenchement dans le contexte où ils apparaissent. Ils fournissent donc une représentation collective à la fois sur ce contexte, et sur la manière dont l'émetteur y a réagit.

Les rires et les pleurs humains sont similaires aux signaux vocaux des primates, dans le sens qu'ils tendent à se fonder sur une succession de présence et d'absence de vocalisation pilotées par un schéma respiratoire fixe et répétitif, mais n'impliquent pas de mouvement de la bouche, de la mâchoire ou de la langue[110] contrairement au langage parlé. En terme neurologique, les signaux vocaux primates sont sous le contrôle de programmes moteurs largement involontaires associés au mésencéphale et au tronc cérébral[109], non du cortex cérébral. Ils traduisent de plus une émotion intense et actuelle, non une représentation conventionnelle transmise par un discours.


Évolution sociale modifier

Différenciation du rôle des femelles modifier

 
Homo erectus taillant un biface au campement. Cette reconstitution donne probablement une pilosité trop importante, que réfute l'adaptation à la course.

L'adaptation du proto-homme à la course renvoie plus probablement à un comportement associé uniquement au mâle de l'espèce. En effet, les hanches des femelles restent plus larges que celles de l’Homo mâle, ce qui comparativement induit un désavantage à la course, et suggère que l'évolution de ces groupes a pu nécessiter une différenciation sexuelle des tâches. De plus, d'une manière générale, la taille croissante du volume cérébral implique que l'enfant met de plus en plus de temps à acquérir son autonomie, mobilisant de plus en plus longtemps sa mère dans des soins parentaux. Avec l’apparition du mode « chasseur-cueilleur » au sens strict, la chasse semble donc induire nécessairement une division des tâches entre mâles et femelles. Les femelles ne peuvent pas participer à la chasse, étant physiquement désavantagées par la grossesse et la charge des enfants en bas âge non sevrés. De ce fait, le mâle tend à être chasseur, et la femelle tend à être cueilleur.

De fait, avec Erectus apparaissent les premières traces de campements. Les premiers ensembles lithiques clairement identifiés en Europe comportent essentiellement des éclats et des galets ou blocs taillés, parfois associés à quelques bifaces et quelques éclats retouchés (transformés en outils plus spécialisés par de petits enlèvements sur les bords). On peut mentionner notamment les sites de Monte Poggiolo, Isernia La Pineta, Venosa-Notarchirico (Italie), Atapuerca, Orce (Espagne), Soleilhac, Abbeville et Saint-Acheul (France), qui s’échelonnent entre 1 Ma et 500 000 ans BP. Ces industries sont progressivement remplacées, peut-être lors d’une deuxième vague de peuplement, par des industries acheuléennes à bifaces et hachereaux nettement plus nombreux : on en trouve la trace, entre 500 et 300 000 ans BP, dans les sites de Torre in Pietra, Castel di Guido, Fontana Ranuccio, Venosa (Italie), de Pinedo, Aridos, Torralba, Ambrona, Atapuerca (Espagne), de Terra Amata, Tautavel, Orgnac 3, Cagny (France), de Swanscombe, Hoxne (Angleterre), de Kärlich, Schöningen, Bilzingsleben (Allemagne). Erectus est également associé à quelques traces de feu, ce qui suggère qu'il disposait peut-être du feu à l'occasion, mais la rareté de ces traces montre que ce n'était en tout cas pas sur une base régulière : le feu ne sera utilisé sur une base régulière qu'à partir de 500ka, avec l'avènement des hommes primitifs. Son alimentation courante reste donc crue.

Cependant, une telle division du travail suppose que la chasse ne se fasse pas au seul profit du chasseur, mais soit ensuite rapportée au campement et partagé dans le groupe ou la cellule familiale. Ce comportement de nature altruiste et collectif ne peut pas reposer sur une quelconque « réflexion morale naturelle », d'un niveau d'abstraction largement hors de portée des capacités cérébrales de ce stade. Il suppose des conditions très particulières pour pouvoir émerger dans un groupe animal. En revanche, une telle stratégie de collaboration a pu apparaître avec Erectus en tant que comportement inné et stéréotypé, parce qu'il avait maîtrisé le jet de pierre.

Invention de l'enfance modifier

 
L'enfant humain est encore immature après le sevrage.

La nécessité de pouvoir acquérir à la chasse un meilleur contrôle sensori-moteur, pour permettre un jet de précision, entraîne une pression de sélection vers un développement cortical plus important. L'accroissement du volume cérébral de l'adulte impose des conditions de croissance de plus en plus contraintes sur l'enfant[36]. La contrainte de devoir passer le canal génital lors de l'accouchement implique que le cerveau du nouveau-né reste fortement sous-développé par rapport à sa taille adulte : le poids d'un cerveau d'un nouveau-né sapiens représente 25% de celui de l'adulte, contre 50% pour un chimpanzé ; à quatre ans le cerveau du chimpanzé a sa taille adulte, contre 84% de sa taille pour sapiens[111],[63].

Du fait que le cerveau est un tissu très consommateur d'énergie, les besoins associés à sa croissance propre, outre les besoins liés à la croissance corporelle, représentent une charge énergétique importante pour la mère tant que le nourrisson n'est pas sevré. Pour Ergaster et Erectus, un développement cérébral aussi rapide que celui d'un chimpanzé aurait induit un coût énergétique prohibitif pour la mère[111]. Ce coût induit une pression sélective pour réduire la vitesse de croissance, prolongeant la période d'immaturité du jeune Homo. Ce mode de croissance montre que à l'époque où il a été mis en place, la mère nourrissant était effectivement soumise à une contrainte sur son budget énergétique et horaire, et donc ne bénéficiait pas d'un soutien assuré de la part d'un compagnon mâle ou d'une parentèle[111].

Cependant, cette croissance ralentie ne s'est pas traduite par un allongement de la lactation : là où des jeunes chimpanzés sont typiquement sevrés à quatre ou cinq ans, et peuvent ensuite s'alimenter de manière autonome, le jeune humain est typiquement sevré vers trois ans[36]. Mais le jeune Homo est alors sevré alors qu'il est immature, et en particulier incapable de s'alimenter de manière autonome. Jusqu'à l'âge de sept ans, sa dentition est incomplète, son tube digestif est insuffisamment développé, mais sa croissance entraîne néanmoins des besoins énergétiques importants. De ce fait, l'enfant a besoin d'une alimentation spécifique, énergétique et facile à digérer, comme de la graisse animale et des protéines[36] ; et reste dépendant des soins parentaux. C'est ce passage à une alimentation riche en protéines qui permettra le développement cérébral important de l'homme moderne.

Le sevrage se fait au risque d'une protection immunitaire moindre qu'avec le lait maternel[63] ; mais ceci permet à la mère de commencer un nouveau cycle reproductif, augmentant son propre potentiel reproductif. Du moment que le taux de mortalité dans cette petite enfance n'est pas plus que doublé par un sevrage avant sept ans, ce risque supplémentaire est plus que compensé par la réduction du délai entre naissances.

Au-delà de sept ans, il devient un juvénile, capable de s'alimenter seul et de digérer les mêmes nourritures que l'adulte, même s'il n'a pas encore atteint sa maturité sexuelle.

Nouvelle pression vers une ménopause modifier

L'avantage d'une ménopause ne profite pas uniquement aux enfants, comme indiqué pour Habilis, mais potentiellement, également aux petits-enfants de la ligne maternelle.

L'enfant humain doit faire l'objet de soins actifs pendant une longue durée, bien au-delà de l'âge où il est sevré. Mais d'une manière générale, quand elles deviennent vieilles, les femmes tendent à devenir moins efficaces pour élever leurs enfants, parce qu'elles sont plus faibles, moins performantes, et que leur espérance de survie s'amoindrit. Par rapport à l'espérance de vie qu'aurait l'enfant d'une jeune femme, l'espérance de vie d'un enfant diminue d'autant plus que sa mère est âgée, parce qu'elle ne pourra pas apporter le même soutien : si une vieille femme voit le même jour naître un enfant et un petit-enfant, des deux c'est objectivement le petit-enfant qui a la meilleure espérance de vie.

Avec l'augmentation de l'espérance de vie des femmes, les femmes peuvent finir par atteindre un état de vieillissement tel qu'un nouvel enfant n'a même plus la moitié des chances de survie d'un de ses petits-enfants. À partir d'un tel âge, ce sont les petits-enfants qui assurent le mieux l'avenir de son patrimoine génétique : certes, ce patrimoine se retrouve à 50% chez les enfants contre 25% chez les petits enfants, mais la plus grande espérance de vie de ces derniers fait que le capital génétique de la grand-mère sera à présent mieux préservé par des petits-enfants que par des enfants.

De ce fait, tout gène favorisant à partir de cet âge l'investissement sur les petits enfants tendra à prospérer. Comme une femme ne peut pas s'investir sur ses petits-enfants tant qu'elle a elle-même des enfants, l'expression de ce gène est d'interrompre la fertilité : la femme d'un certain âge devient ménopausée, parce que la sélection naturelle devient alors en faveur de l'altruisme grand-maternel[12].

Soins grand-maternels modifier

 
L'espèce humaine est unique en ce que la vie des femmes se prolonge longtemps après la fin de la période reproductive.

Le sevrage précoce de l'enfant permet à une mère de diminuer l'intervalle entre naissances, mais une mère en âge de procréer est alors typiquement en charge d'un nourrisson (qu'elle allaite) et d'un enfant (qui ne sait pas s'alimenter seul). Sa charge de travail est donc potentiellement importante, et une stratégie comportementale qui puisse l'alléger présenterait un évident avantage sélectif.

Le candidat le plus évident pour apporter un soutien est alors la grand-mère maternelle, à condition que celle-ci ait déjà atteint l'âge de la ménopause et n'ait donc pas elle-même d'enfant à charge. Si un mâle ne peut jamais être totalement sûr de sa paternité, les liens individualisés dans le groupe font qu'une grand-mère sait exactement quels sont les petits-enfants qu'elle a eu de ses filles. Pour une grand-mère, prendre soin du petit de sa fille procure un avantage de survie, en moyenne, à un quart de son patrimoine génétique. De plus, cette aide permet à sa fille de diminuer l'intervalle entre naissances par un sevrage précoce, ce qui donne un avantage sélectif à la moitié de son patrimoine génétique[36]. C'est donc un comportement bénéficiant d'une pression sélective favorable, sous condition qu'il ne défavorise pas son propre score reproductif.

En retour, à partir du moment où les grand-mères maternelles prennent soin de leurs petits-enfants, ce comportement contribue à leur succès reproductif, et met une pression de sélection pour reculer l'âge où la manifestation de la sénescence rendra un tel soutien impossible. Cette pression de sélection opère tant que ses filles ne sont pas elles-mêmes ménopausées. Et inversement, si l'aide d'une grand-mère ménopausée est un avantage sélectif pour les mères, elles subissent une pression de sélection pour ne pas démarrer leur fécondité trop tôt, une puberté trop précoce conduisant à un risque beaucoup plus important de mort en bas âge. Si l'âge de la ménopause est de l'ordre de quarante ans, ces pressions de sélection conduiront naturellement à une puberté réalisée avant une quinzaine d'années, une période reproductive d'une vingtaine d'années, et donc une durée de vie active s'étendant au-delà d'une trentaine d'années après la ménopause.

La théorie des histoires de vie prédit alors que ralentir la sénescence allonger la durée de vie implique de retarder le développement juvénile et la maturité, et d'augmenter la taille[36]. De fait, Erectus augmente nettement sa taille par rapport à Habilis, et le dimorphisme sexuel diminue, non pas tellement parce que les mâles se sont rapprochés des femelles, mais parce que les femelles ont grandi proportionnellement beaucoup plus que les mâles. Le retard du développement juvénile permet un plus long temps d'apprentissage, favorisant le développement culturel[36].

Philopatrie féminine modifier

L'investissement grand-maternel n'est possible que si la fille reste attachée au groupe de sa mère, y compris lorsqu'elle devient féconde, ce qui est contraire à la pratique des grands singes permettant de diminuer le risque de consanguinité. Chez le chimpanzé, la réponse femelle à la ménarche est généralement de quitter le groupe natal, pour ne pas avoir à subir d'accouplements incestueux avec ses frères, père et oncles : un accouplement doit se faire avec de nouvelles têtes, non avec un individu qu'elle a connu juvénile (ou qui a été connu juvénile) ; l'évitement de l'inceste prend la forme d'une inhibition sexuelle due à la familiarité[112],[113]. Or, s'il y a une pression de sélection sur les femelles pour éviter la consanguinité, le mâle au naturel y est généralement indifférent à cause de son faible investissement parental : un descendant supplémentaire, même handicapé par la consanguinité, est toujours bon à prendre si l'occasion se présente, et aucune raison ne le pousse à quitter son groupe natal pour diminuer ce risque[114].

Pour permettre à une femelle de rester dans son groupe natal (comportement de philopatrie), condition nécessaire pour l'investissement grand-maternel, il faut une action positive des femelles pour chasser du groupe un jeune mâle devenant sexuellement actif et s'intéressant à ses sœurs et cousines, en lui interdisant en pratique de tels accouplements.

Le mécanisme d'exclusion doit reposer sur une coalition féminine, stratégie de collaboration rendue possible par la consanguinité des femelles dans le groupe. Cette solidarité interdit au mâle une sexualité de proximité, en défendant activement les femelles qui en seraient victimes contre les mâles cherchant une copulation non acceptée. Cette défense active impose au mâle d'avoir un comportement de parade nuptiale pour se faire accepter, ce qui augmente son investissement parental. Mais si la tendance à n'accepter un accouplement qu'avec de nouvelles têtes est maintenue, le jeune mâle ne peut pas trouver de partenaire consentant dans son propre groupe natal.

Stratégie de collaboration modifier

 
Scène de lapidation.

Avec l'adaptation au jet de pierre, Erectus est probablement devenu le premier hominine à pouvoir tuer ses congénères à distance. Pour P. Bingham, cette capacité est à l'origine d'une révolution sociale sans précédent : la coopération à grande échelle au sein du groupe, indépendamment des liens de parenté[115].

Le problème adaptatif que rencontre généralement une stratégie de collaboration est celui des tricheurs : des individus déviants cherchent à profiter du bénéfice de la stratégie collective, mais en évitant de participer à son coût. Une telle stratégie est immédiatement profitable au tricheur, puisque non seulement il bénéficie de l'avantage compétitif de la collaboration, mais il en prive en même temps ses compétiteurs. De ce fait, chaque membre de la collaboration a un intérêt objectif le poussant à tricher : la collaboration n'est pas une stratégie évolutivement stable.

Le rapport coût/bénéfice du tricheur peut en théorie être inversé, si tricher expose à une punition sociale suffisante. Le problème est que dans les sociétés animales, personne, dans le reste du groupe, n'a intérêt à se charger d'une telle punition : punir consiste à déclencher une lutte à armes égales, à très courte portée, et donc le plus souvent à un contre un. Pour que le tricheur ait toutes les chances d'être suffisamment rossé, au point que le coût de la triche devienne important, le justicier risque donc d'en souffrir tout autant. Entre le risque important d'être rossé et le bénéfice marginal qu'il tirera de faire respecter la collaboration, aucun individu ne prendra finalement le risque de jouer le justicier. De ce fait, la stratégie de punition n'est pas non plus une stratégie évolutivement stable.

La situation est en revanche très différente si les membres du groupe sont capable d'agresser un individu à distance, par exemple par jet de pierre. Dans ce cas, si N membres s'attaquent à un individu unique, la sanction tombe N fois plus vite, et chaque membre punitif ne s'expose qu'à 1/N des ripostes : l'un dans l'autre, le coût de la punition se réduit dans une proportion de 1/N² (Lanchester’s Square Law).

Dans ce cas, une stratégie collaborative peut se mettre en place, dans la mesure où une stratégie collaborative devient possible pour punir les tricheurs. De plus, les membres du groupe ont tout intérêt à participer à la punition, parce que cette stratégie est elle-même collaborative : y participer aurait un coût en 1/N², mais s'y soustraire exposerait à de nouvelles représailles et aurait un coût proche de l'unité : même si le membre n'est pas très motivé, son intérêt objectif est de se conformer à la collaboration et participer à la punition.

Besoins d'appartenance et d'amour
(affection des autres)

Besoins de sécurité
(environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise)

Besoins physiologiques
(faim, soif, sexualité, respiration, sommeil, élimination)

Pyramide des besoins : Besoin d'appartenance

Cette logique permet l'évolution de comportements collaboratifs, parce qu'ils peuvent former une stratégie évolutivement stable à partir du moment où le tricheur s'expose à une punition collective sévère dont le coût est faible pour les justiciers. Dans de telles conditions, chaque comportement individuel tend à respecter la « règle du jeu » de la collaboration collective. L'intériorisation comportementale de cette règle collaborative se traduit par un sentiment de culpabilité de celui qui envisage de l'enfreindre, et un sentiment d'ostracisme collectif de la part de ceux qui en constatent l'infraction. L'émergence d'un besoin sociologique en comportement collaboratif se traduit par l'émergence sur le plan psychologique d'un troisième niveau sur la pyramide des besoins, celui des « Besoins d'appartenance et d'amour ».

Ainsi, « le commencement de la sagesse c'est la crainte  » : c'est sa capacité à tuer ou bannir collectivement ses congénères tricheurs qui a probablement permis aux hominines d'intérioriser les racines de la morale et de l'éthique de réciprocité : « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent. » C'est probablement au niveau de Erectus qu'apparaît les racines du mécanisme psychologique du surmoi. Et avec la capacité à développer des stratégies de collaboration, le groupe peut se structurer et devenir une société.

Le modèle de l'investissement social suppose que des individus non égoïstes vivent dans un groupe social où l'on peut s'attendre à interagir avec les mêmes individus sur une très grande durée, de manière à pouvoir établir la coopération mutuellement bénéficiaire à laquelle mène la confiance mutuelle. Pendant la plus grande partie de son histoire, le genre humain a vécu en petits groupes ou en villages, où tout le monde se connaît, et où la réputation d'un égoïste peut se répandre immédiatement. Dans une telle société, les individus sont d'autant plus incités à être altruistes[10].

La séduction chez Erectus modifier

Collaboration inter-sexe modifier

Les travaux de Catherine Key sur le dilemme du prisonnier dans le cas de protagonistes sexués[116] montrent que dans certaines conditions, les mâles peuvent être conduits à collaborer même quand la réciproque est incertaine voire absente. Pour que ce soit le cas, le coût énergétique de reproduction de la femelle doit être beaucoup plus élevé que celui du mâle ; et les femelles doivent être capables d'exclure les mâles tricheur de leur stratégie de coopération. Les femelles s'appuient alors sur le désir d'accouplement des mâles, offrant la possibilité d'accouplements, mais sans nécessairement devoir garantir une paternité certaine. Le modèle prédit alors que les mâles sont alors conduits à s'investir sur un partenaire déterminé (ou plusieurs), à condition que cela ne les prive pas de la possibilité de s'accoupler par ailleurs avec au moins une autre femelle, si l'occasion s'en présente.

Ces travaux montrent que face à la difficulté croissante d'élever les juvéniles, les femelles ont pu faire évoluer leur comportement vers une stratégie de coopération, ne laissant accès à la ressource sexuelle qu'aux seuls mâles acceptant de chasser au loin et rapporter leur proie au campement. Cette stratégie ressemble à celle du gorille, où les femelles cherchent à s'attirer le service d'un protecteur ; mais le « service » est ici la fourniture d'une nourriture régulière et non une protection physique contre les agressions des autres mâles.

Pour qu'une telle stratégie puisse être stable, les femelles devaient pouvoir former des alliances suffisamment fortes pour imposer un boycott aux mâles qui auraient été tentés d'obtenir leurs faveurs notamment par la menace ou la force. De cette manière, le coût imposé aux mâles dominants (pour une copulation imposée et sans engagement) peut devenir suffisant pour qu'il lui soit préférable d'en passer par les exigences féminines. Inversement, les femelles tentée de ne pas respecter la coalition (donc d'accepter sans contrepartie la dominance physique du mâle) risquent d'être ensuite abandonnées par leur partenaire sexuel et d'avoir à élever seules leur progéniture.[116] Les femelles Erectus ont pu bénéficier de cette capacité à exclure les mâles tricheurs à travers un dimorphisme sexuel moins prononcé, une locomotion plus rapide, et en s'assurant le soutien des autres femelles du groupe, de leur parenté ou ayant dépassé l'âge de se reproduire[117]

Face à cette stratégie, les mâles qui acceptent les exigences des femelles et redéployent leur force musculaire et leur habileté pour les consacrer à la chasse, au lieu de lutter entre eux, bénéficient également d'un avantage sélectif ; ils continuent d'être en compétition pour accéder au potentiel reproductif des femelles, mais ce n'est plus la dominance brutale dans le groupe qui se traduit par un succès reproductif - ils n'ont pas d'autre choix que de rentrer en compétition pour paraître aux yeux des femelles les chasseurs les plus productifs et les plus généreux possibles[118].

De fait, chez Erectus le dimorphisme sexuel devient réduit. En revanche, l'espèce ne devient pas monogame mais reste le lieu d'une compétition sexuelle, comme le montre le rapport index/annulaire.

Sur le plan chronologique, la capacité à blesser et capturer des oiseaux et petits gibiers a pu se développer sans différentiation sexuelle, conduisant à la possibilité de mettre en place des stratégies collaboratives. Des périodes de sécheresse ultérieures ont alors pu conduire à une stratégie de chasse plus orientée sur du gros gibier, de type « chasse à l'épuisement », à laquelle les femelles ne pouvaient guère participer.

Dévalorisation de la stratégie d'opportunité modifier

 
La fécondité n'est possible qu'en présence de réserves alimentaires. Une disette saisonnière entraine une forte mortalité infantile et une synchronisation des créneaux de fertilité.

Dès que les femelles sont en âge de procréer, elles ont rapidement un premier enfant, et le gardent relativement longtemps à l'allaitement (de l'ordre de trois ans), ce qui retarde d'autant le retour de couches. Si néanmoins elle a des rapports sexuels fréquent, y compris pendant la période d'allaitement, une nouvelle grossesse peut généralement commencer dès que la période d'infertilité due à l'allaitement est achevée. Une femelle peut ainsi passer sa vie entière sans jamais avoir de menstruation.

Pour le mâle, l'œstrus caché rompt le lien entre copulation et reproduction[119]. Dans la mesure où l'œstrus de la femelle n'est plus apparent, le mâle n'a plus de signal lui indiquant un créneau de fécondité particulier. Pour le plus clair du temps, les femelles de son espèce qu'il voit passer sont soit gravides soit allaitant, et n'offrent alors un « créneau de fertilité » de l'ordre d'une semaine que tous les trois ou quatre ans — soit moins de un pourcent du temps. La stratégie consistant à harceler une femelle en œstrus n'est donc plus possible, et celle consistant à harceler une femelle en espérant tomber sur un créneau de fécondité n'est pas payante — et d'autant moins payante que se mettre à dos une femelle risque d'entraîner son rejet par l'ensemble du groupe, parce que les femelles auront acquis une stratégie de solidarité, ayant avec la lapidation collective le moyen de la faire respecter.

Les femelles peuvent conserver ponctuellement une stratégie d'appel à la copulation d'un partenaire pour une relation ponctuelle, et les mâles peuvent toujours tenter leur chance sur une passe sans lendemain, dans la mesure où une telle copulation n'implique pas d'investissement et est donc relativement gratuite pour eux. Elle n'est cependant « gratuite » que si elle ne met pas en danger une relation à long terme, soit parce qu'elle reste une liaison discrète, soit parce qu'il n'y a pas de telle relation en cours. Mais avec la perte d'autonomie croissante des nouveau-nés, et la dépendance à la chasse pour l'alimentation, la stratégie efficace pour la femelle devient de s'assurer une relation à long terme dans laquelle un partage des tâches sera possible.

Une stratégie mâle de « butinage sexuel » sera d'autant moins payante que le créneau de fertilité des femelles tendra à être synchrone et que la mortalité infantile sera importante ; or la fécondité est liée à une alimentation suffisante, et dans un contexte de saisonnalité marquée, le bilan énergétique des femelles est exposé à un stress saisonnier, qui tend à synchroniser les périodes de reproduction[36], stress d'autant plus violent que la nouvelle organisation sociale d’Erectus qui permettra de le contourner n'est pas encore stabilisée.

Relations de couple sur le long terme modifier

 
La stratégie reproductive en réponse à un œstrus caché consiste à inscrire une sexualité permanente dans une relations à long terme.

Dans ce contexte, pour un mâle, sa progéniture ne sera pas statistiquement consécutive à des copulations de rencontre, mais à un investissement dans une relation raisonnablement stable avec une femelle donnée, avec laquelle les copulations sont suffisamment fréquentes pour qu'il puisse profiter du « créneau de fertilité » avec une confiance suffisante. La stratégie reproductive mâle se modifie en conséquence vers un investissement à long terme, ce qui implique alors d'être beaucoup plus exigeant sur la sélection sexuelle qu'il fait de sa partenaire.

Le maintien du mâle dans la paire pendant la fin de la grossesse et le début de l'allaitement ne correspond évidemment pas directement à une stratégie reproductive. Le mâle peut cependant y être poussé dans la mesure d'une part où le soutien apporté à la mère favorise ce qui est probablement sa propre progéniture, et il est moins coûteux pour lui d'attendre la prochaine période de fécondité d'un couple établi que de passer par le coût supplémentaire d'une nouvelle parade nuptiale.

Ces contraintes sont à la base de ce que l'on observe à présent dans les stratégies sexuelles humaines. Les femmes savent qu'il est relativement facile d'amener un homme de leur choix à coucher, mais beaucoup plus difficile de l'amener à s'impliquer dans une relation de long terme[119]. Dans une relation sans lendemain, la différence de stratégie habituellement rencontrée en sélection sexuelle reste apparente, la femme étant plus regardante que l'homme dans le choix de son partenaire ; en revanche, l'homme devient beaucoup plus regardant dans son choix dès qu'il s'agit de s'impliquer sur le long terme.

Transformation des signaux sexuels féminins modifier

 
Signal initial de fécondité : Femelle Macaca nigra en œstrus.

C'est au plus tard à ce stade que l’œstrus n’entraîne plus de signal physique spécifique chez la femelle. Cette absence de signal correspond à une stratégie adaptative des femelles, d'après le modèle de la « coalition femelle / grève du sexe » : ce modèle lie cette inversion de la dominance au coût de plus en plus élevé que représente la grossesse et l'allaitement de rejetons dont la maturité est de plus en plus tardive. Les mâles qui cherchent un accouplement opportuniste ont en effet besoin d'une information sur la fertilité potentielle de leur cible, afin de maximiser leur potentiel reproductif, tout en minimisant le risque d'exposition aux représailles du mâle dominant. Mais inversement, avec une différenciation croissante des rôles entre mâles et femelles, ces dernières ont intérêt à refuser ce modèle pour au contraire rechercher l'attachement permanent d'un mâle protecteur, afin de ne pas s'exposer à la charge de devoir gérer sa progéniture sans aide extérieure. De ce fait, favoriser un comportement sexuel opportuniste devient pour elles un désavantage sélectif.[120],[121]

 
Les glandes mammaires chez l'Homme se transforment en signal sexuel positif, corrélatif à une stratégie de disponibilité sexuelle permanente.

Initialement, la glande mammaire des femelles hominidés n'est gonflée par la lactation que pendant la grossesse et l'allaitement, et est peu manifeste le reste du temps. De ce fait, une « poitrine avantageuse » pour un grand singe démontre une situation d'infertilité, et pour ce qui est de l'attrait sexuel, fonctionne comme un signal négatif sur le mâle (au contraire donc du signal positif qu'est l'œstrus apparent). Or la grossesse et l'allaitement peuvent se prolonger très longtemps, d'autant plus qu'avec un rythme de maturation plus lent, le sevrage définitif peut n'intervenir que vers trois ans, ce qui est un facteur naturel d'espacement des grossesse. La pression écologique étant pour les femelles de favoriser une disponibilité sexuelle quasi-permanente, afin de maintenir le lien d'interdépendance avec le mâle, une pression de sélection favorise alors les femelles dont la poitrine est de taille sensiblement constante, plutôt que de varier visiblement en fonction de la fertilité. Symétriquement, et dans la mesure où la poitrine ne devient apparente qu'avec la puberté, la même pression de sélection va favoriser les mâles pour lesquels la poitrine féminine volumineuse devient un signal positif, parce que l'attrait spécifique d'une poitrine plate, qui dirigerait le désir sexuel vers des copulations infertiles, ne constitue alors plus un avantage sélectif.[122]

Une forte poitrine devient ainsi l'objet d'une sélection sexuelle (mais le signal négatif d'une telle poitrine peut continuer à se manifester comme atavisme). Cette poitrine importante n'est pas corrélée à une meilleure capacité de lactation, puisqu'elle est due à une accumulation de tissus adipeux au niveau du sein[1]. Elle présente tous les signes d'une sélection sexuelle effective (effectuée de manière atypique par le mâle, puisqu'il se développe chez la femelle) : le trait d'accumuler des tissus adipeux au niveau de la glande mammaire, contrairement aux autres grands singes, est plutôt contre-performant pour ce qui est de la sélection de survie, puisqu'il déséquilibre la course et la rend énergétiquement plus coûteuses par les masses oscillantes qu'il induit. En revanche, il constitue un bon indicateur de la valeur sélective, le volume des seins variant rapidement en fonction de l'état général de l'individu[1]. Il peut jouer un rôle important lors de la parade sexuelle au sens large : les seins n'apparaissent qu'à la puberté, ils sont généralement considérés comme plaisants à regarder, et attirent d'autant plus le regard qu'ils oscillent pendant la marche — ce que ne fait ni une poitrine naissante pré-pubère, ni une poitrine plus tombante post-ménopause[1].

Représentation mimée des menstruations modifier

 
Hutte de niddah permettant à la femme de s'isoler pendant sa période d'impureté rituelle.

D'une manière générale, les mâles cherchant à s'investir dans des accouplements d'opportunité ont intérêt à choisir leur « cible » de manière à maximiser le succès reproductif d'un accouplement. Dans le cas d'espèces à œstrus apparent, c'est un tel signal qui provoque le passage à l'acte. En l'absence d'un tel signal, le choix de la « cible » se fonde sur des indices de jeunesse et de valeur reproductive[36]. Mais dans un contexte où les femelles sont elles-mêmes gravides ou allaitantes, elles ne sont généralement pas fertiles, et le coût d'une stratégie d'opportunité (si elle risque d'être sanctionnée par une lapidation) peut être beaucoup plus lourd que l'intérêt reproductif d'une simple passe.

Plus grande est l'incertitude sur la période pendant laquelle un œstrus est possible, moins il est intéressant pour un mâle de quitter une partenaire infertile pour une autre potentiellement fertile[36]. Dans ce contexte, le signal qu'est la menstruation acquiert de l'importance pour le mâle, puisqu'elle est l'indice d'une période de fécondité future. Dès lors qu'une femelle se signale ainsi, elle se signale à l'attention des mâles en quête d'aventure, déclenchant potentiellement un scénario de harcèlement de la femelle et de compétition entre mâles, et détournant ces mâles aventureux de ce qui devrait être leur partenaire régulier[36].

Si cette stratégie est naturellement payante pour les mâles, elle l'est au détriment des femelles qui sont négligées. Pour les femelles, le signal d'une menstruation peut donc être le facteur déclenchant un signal collectif amplifié, le groupe entourant la femelle ainsi indisposée de cris et d'agitation, mimant des menstruations par des cosmétiques, et éloignant le plus possible les mâles, rendant ainsi indistinct le signal initial[36]. Il y aura une pression de sélection forte pour un tel comportement, parce qu'il permet aux femelles de préserver leur propre stratégie reproductive basée sur des appariements à long terme. La participation de la femelle en menstruation à cette stratégie peut être vue comme une stratégie d'altruisme réciproque (j'accepte de collaborer, parce qu'à leur tour les autres participants accepteront de collaborer). Elle peut également être vue comme le fruit d'une menace collective (j'accepte de collaborer pour ne pas me faire exclure et massacrer).

La ritualisation progressive de ce comportement transforme la menstruation en un tabou que le mâle ne doit pas voir, et qui provoque une frénésie collective de chants et de danses à symbolisme de génitalité sanglante ; le pigment rouge fonctionne comme un leurre et un symbole d'un sang réellement présent mais qui doit rester caché[36].

De plus, si cette représentation ritualisée de danses et de cosmétiques est un bon indicateur de la capacité d'organisation de la coalition et de sa cohérence interne, donc de sa capacité à assurer la survie de ses rejetons, les mâles auront tendance à sélectionner et rechercher comme partenaire les femelles qui démontrent leur aptitude à susciter, conduire et animer le rituel, mettant ainsi une pression de sélection sexuelle sur cette capacité même[36].

Préférence pour un conjoint non psychopathe modifier

 
L'attitude entre animaux est par défaut l'indifférence.

La psychopathie est fondamentalement une absence de sympathie. Les psychopathes ne sont pas tous violents ; ils utilisent la manipulation pour obtenir ce qu'ils souhaitent. En général, ce sont des individus qui se soucient peu de ce que les autres pensent d'eux et les utilisent pour atteindre leur but. Dans l'espèce humaine, la psychopathie est peu représentée chez les femmes, probablement parce qu'un manque de sympathie féminin tend à être nuisible à la survie de leurs nouveaux-nés. Mais l'absence de sympathie masculin n'entraîne pas nécessairement un désavantage reproductif. Au contraire, un mâle psychopathe hésitera d'autant moins à séduire une femme et à l'abandonner à sa grossesse[123]. C'est une situation que les femmes tendent à éviter, et de ce fait, les psychopathes savent qu'ils doivent feindre la sympathie dans leurs manœuvres de séduction.

Pour un animal, en général, l'attitude normale vis-à-vis d'un autre (qu'il soit ou non un congénère) est l'indifférence[123]. En effet, l'apathie est l'attitude à moindre coût ; et la sélection naturelle ne pousse pas à des comportements coûteux sans bénéfice. Ce qui demande une explication, ce sont les comportements altruistes coûteux, ou les comportements agressifs coûteux[123].

Sélection sexuelle ? modifier

 
Coment frapper avec un biface sans se blesser soi-même?

L'utilité réelle du biface (et à moindre titre du hachereau) est une énigme, parce qu'aucune raison ne justifie qu'il soit soigneusement taillé de manière à être tranchant sur toute sa périphérie. Au-delà de la « perfection » de sa forme, la pierre taillée peut continuer à être utilisée au quotidien : dans la continuité des galets aménagés, les bifaces peuvent toujours être utilisés comme arme de poing ou servir à dépecer, ou encore à travailler le bois. D'autres emplois moins vraisemblables ont été suggérés : arme de jet, pointe de lance ou de javelot, hache à emmancher, matière première pour fabriquer des éclats... Cependant, si des traces d'usage sont effectivement relevées sur certains bifaces, la majorité semblent ne pas avoir été utilisée. De fait, il est difficile d'imaginer un usage qui ne soit pas plus pratique en utilisant un galet aménagé ou un simple éclat, et ces éléments étaient par ailleurs disponibles, puisqu'ils se retrouvent avec les bifaces dans l'industrie lithique de l’Acheuléen.

Indépendamment l'un de l'autre, Marek Kohn et Steven Mithen ont proposé que les bifaces aient pu être le résultat d'une sélection sexuelle fondée sur la valeur sélective du partenaire.[124] Kohn souligne que le biface est en effet « un indicateur manifeste de compétence manuelle, susceptible de constituer un critère pour sélectionner son partenaire sexuel ».[125] Les bifaces révèlent une symétrie et un savoir-faire technique bien au-delà de ce qui est purement nécessaire sur le plan pratique, et sont souvent trop petits ou trop grands pour être pratiquement utilisés ; en revanche ils témoignent d'une attention particulière prêtée à la forme et à la finition. De plus, ils ne montrent souvent pas de trace d'utilisation au microscope électronique.

Le psychologue évolutionniste Geoffrey Miller a approfondi cette analyse, soulignant que les bifaces ont en effet toutes les caractéristiques qu'auraient un objet de parade sexuelle : pendant un million d'années, ils ont été fabriqués en très grand nombre en Afrique, en Europe et en Asie, sans pouvoir être rattaché à une quelconque utilité pratique. Pour lui, la stabilité de cette forme dans le temps et dans l'espace ne peut pas s'expliquer par la simple imitation culturelle, et rappelle par exemple la fonction de la tonnelle du Ptilonorhynchidae ; le biface paraît refléter une « propension génétiquement conditionnée à fabriquer un certain type d'objet ». De plus, ils entrent bien dans le cadre de la théorie du handicap de Amotz Zahavi : pour l'artisan ils reflètent un coût d'apprentissage élevé ; leur fabrication demande de la force et de la précision dans des gestes complexe, de la planification et de la patience ; et le coût d'un risque important de blessure montre également que l'opérateur résiste à la douleur et à l'infection[126].

Même dans un emballement fisherien entre un mâle faisant sa cour et une femelle évaluant le résultat pour déterminer son choix, dans la mesure où la « performance » consiste à manifester une activité à la fois créative et plaisante, les capacités cognitives du mâle devront internaliser les préférences des femelles et en tenir compte dans leur propre manière de faire la cour, de manière à améliorer cette performance. Et les capacités cognitives des femelles tendront à internaliser les capacités mimétiques du mâle dans leur propre mécanisme de sélection, de manière à mieux juger de ce que représente réellement la performance du mâle en terme d'originalité[119]. Cette description est cependant incomplète, parce qu'elle ne tien pas compte du fait que dans l'espèce humaine la situation est beaucoup plus symétrique qu'une sélection sexuelle classique, dans la mesure où le mâle fait également un choix parmi les femelles candidates, et les femelles sont en concurrence pour être choisies[119].

Pensée articulée et langage modifier

Hommes primitifs - Heidelberg et Neanderthal modifier

La famille des hommes primitifs modifier

De même que pour Habilis, la longue durée de vie du clade des proto-hommes avec Ergaster/Erectus (un million d'années sans guère de changement anatomique ou comportemental) montre que en l'absence de changement climatique fournissant une pression sélective induisant au changement - il n'y a pas de changement[27].

Depuis un million d'années jusqu'à nos jours, le climat a été beaucoup plus instable qu'il ne l'avait été précédemment. Huit cycles glaciaires se sont succédé dans les derniers 750ka, au Pléistocène moyen (781 - 126 ka). Les fluctuations de températures moyennes ont été très importantes, atteignant 3°C en zone tropicales et jusqu'à 16°C en Europe.

D'une manière ou d'une autre, ce changement climatique semble avoir conduit au moins localement à la disparition du profil de chasse classique de Erectus, et a été à l'origine d'une pression sélective imposant la chasse au grand herbivore. Faute d'outil sophistiqué, cette chasse est largement pratiquée au contact, imposant au chasseur une constitution particulièrement robuste s'il doit y survivre.

Vers 600ka, une nouvelle espèce apparaît en Afrique : l'Homme primitif, sous les traits de Homo heidelbergensis (600-200ka). Avec lui, il y a « un nouveau sherif en ville » : l'homme primtif allait coloniser très rapidement l'Europe et l'Asie de l'ouest, balayant et remplaçant le proto-homme Ergaster/Erectus qui disparaît sur son passage.

Heidelberg est une espèce européenne et africaine, présente dans un certain nombre de sites. En Asie il donne naissance à une autre espèce, les hominidé de Denisova (1Ma? 40ka?). On le retrouve sous le nom de Homo rhodesiensis (300-125ka) en Afrique, comme Homme de Denisova (1Ma-40ka?) en Asie. Citons encore l'Homme de Petralona (700ka?), et l'Homme de Florès (95-50ka).

La vague européenne donnera naissance à l'homme de Néanderthal (300ka-30ka), dont le statut d'espèce à part reste disputé. Son corps est adapté aux latitudes élevées. Pendant près de 250ka, Neanderthal a occupé l'Europe, s'adaptant aux conditions de l'âge glaciaire, et devenant l'un des meilleurs chasseurs de gros gibier jamais rencontré.

Anatomie modifier

 
Revêtu d'une fourrure ? ou couvert de fourrure ?

Les hommes primitifs ont une constitution robuste. Leur capacité crânienne augmente, passant d'un ~ 930cm3 pour Erectus à ~1170 cm3 pour Heidelberg et jusqu'à 1320 cm3 pour Neandertal.

Une difficulté sur l'homme primitif est que l'on est plus familiarisé avec son type tardif européen (homme de Neandertal) qu'avec le type général, notamment dans sa version africaine. C'est cependant le type africain de Heidelberg qui donnera plus tard naissance à l'homme anatomiquement moderne, dont Neandertal n'est donc qu'un cousin, et non un ancêtre.

Neandertal est l'adaptation au climat glaciaire de l'Homme primitif. Quand on voit à quel point ce climat peut transformer rapidement un éléphant en mammouth par adaptation au froid (diminution de la taille des extrémités, apparition d'une couche de graisse protectrice, développement d'une pilosité importante et laineuse), on reste rêveur devant les reconstitutions modernes de Neanderthal, qui supposent un aspect résolument « presque moderne ». On sait qu'il avait effectivement des membres raccourcis par adaptation au froid, on sait qu'il ne maîtrisait pas les vêtements clos comme Sapiens - comment son adaptation a-t-elle influé son aspect extérieur, à fleur de peau? Que ne le représente-t-on pas empâté dans une couche de graisse et couvert d'une toison épaisse? Si cette adaptation était prise au sérieux, son aspect général serait probablement plus celui attribué à un Yéti, un Almasty ou un Bigfoot (dont au contraire on accentue volontiers l'aspect simiesque, comme pour mieux en affirmer le côté non-humain).

Bien que les hommes primitifs soient des bipèdes à grand cerveau, il y a beaucoup de différences avec les hommes modernes, tant au niveau du crâne que du squelette appendiculaire. Les principales différences entre un Néandertalien, petit, trapu et un homme moderne robuste, sont marquées chez le premier par une face moyenne très prognathe, un crâne aplati et allongé vers l’arrière ; des yeux situés plus hauts que les nôtres. Les principaux caractères de Neandertal : capsule cérébrale platycéphale, capacité crânienne de 1300-1750 cc, torus sus orbitaire fort et continu, chignon occipital proéminent, basicrâne relativement plat, plus grande largeur du crâne à mi-hauteur, face moyenne très prognathe, triangle mentonnier variable, incisives relativement grandes, taurodontisme (molaires et prémolaires à grandes cavités pulpaires et racines soudées), os moins épais que chez Erectus, cavités cotyloïdes plus postérieures, sillon dorsal sur le bord externe de la scapula (dans 60 % des spécimens), os longs plus courbes avec de grandes insertions musculaires, muscles fléchisseurs des doigts plus puissants[127].

Les attaches des muscles sur les os suggèrent des bras puissants : la crête scapulaire est à mettre en relation avec un plus fort développement d’un des muscles du bras, et aurait pour effet d’assurer un meilleur contrôle de certains mouvements, particulièrement dans le geste du lancer. Les os de l’avant-bras sont très courbés, ce qui détermine un vaste espace interosseux, probablement en liaison avec de puissants muscles. Et la tubérosité du radius est un peu plus éloignée de la tête de cet os que chez l’homme actuel donnant ainsi plus de force au biceps[128].

Bien que les Néanderthal aient eu une capacité crânienne importante (plus importante que celle de l'homme moderne), cette capacité crânienne n'était pas due au développement du cortex frontal, mais à un très fort développement de sa capacité visuelle. Par rapport à l'homme moderne, ses globes oculaires étaient 20% plus gros, et le lobe occipital qui assure le premier traitement des images était en conséquence plus développé[27]. Cette particularité reflète une adaptation à la chasse sous des latitudes élevées, où les conditions d'éclairage sont nettement plus mauvaises que dans les zones équatoriales.

De plus, la taille du cerveau a crû indépendamment chez Neanderthal et chez Sapiens, suggérant que la fonction développée sélectivement n'était pas nécessairement la même[129].

Outillage modifier

Heidelberg est apparu au Paléolithique inférieur, et initialement sa culture matérielle correspond à celle de l'Acheuléen. Il commence à utiliser des os comme outil pour la fabrication d'outils en silex.[130] Vers 300 ka on observe un changement technique : il invente une technique de coupe dite méthode Levallois, qui réclame de certaines capacités cognitives et marque l'entrée de la culture du Moustérien, qui correspond au Paléolithique moyen (300-30 ka).

Le Moustérien est la principale manifestation culturelle du Paléolithique moyen en Eurasie (environ 300-30ka). Il est principalement l’œuvre de l’Homme de Neandertal. Neandertal, qui vit toujours dans un mode de chasseur-cueilleur, est alors l'auteur d'un outillage complexe et élaboré. Très progressivement apparaissent des outils de plus en plus travaillés. La taille de la pierre évolue avec la technique du débitage, qui maîtrise les éclats extraits du nucléus. L'homme conçoit son outil avant de la réaliser, et détache du nucléus des lames et des éclats dont la forme est non plus conforme à un idéal abstrait, comme pour le biface, mais adaptée à l’usage qui en sera fait dans des outils composites. L’utilisation des outils retouchés se généralise, on voit apparaître des gammes très diversifiées d’outils sur éclats, dominées par différentes formes de racloirs (racloirs simples, doubles, convergents, déjetés…), des pointes, des grattoirs, des denticulés, des encoches. Les grattoirs sont utilisés pour découper la viande, mais aussi racler le cuir, et travailler le bois. L'emploi des matières dures animales (os, dents, ivoire) reste cependant limité à quelques cas particuliers tels que les retouchoirs.

Il fabriquait avec soin des épieux qui atteignaient jusqu'à 2,50 m de long ainsi que des outils en silex.[130] En outre, il serait le premier hominine à avoir utilisé des lances à pointes en pierre taillée. Il fait usage de lances robustes, terminées par les pointes triangulaires débitées suivant la méthode Levallois. Ces lances ne sont pas conçues pour être projetées comme des javelots, mais pour être utilisées comme arme d'hast.

Il dispose de racloirs et donc de peau de bêtes, mais ne sait pas les coudre, faute d’aiguilles, et ne peut que les nouer ou les attacher grossièrement.

L'outillage des hommes primitifs semble avoir lentement évolué tant en complexité qu'en qualité esthétique, surtout vers la fin de leur règne, mais cette capacité d'évolution n'est pas clairement établie. Pour certains, Neandertal a été incapable de s’adapter à une industrie plus sophistiquée, ce qui serait une des causes possibles de son extinction lors de sa cohabitation avec Sapiens, les hommes modernes[127].

Chasse collective au gros gibier modifier

Son régime est presque exclusivement carné, comme le montre le rapport isotopique de l'azote similaire à celui des carnivores contemporains [27]. Le poisson s’ajoute au régime alimentaire, peut-être capturé dans des nasses.

Les accumulations d'ossements d'herbivores (cerfs, bisons) à proximité des restes de Néandertaliens sont interprétées comme le résultat de leur chasse.[130] Les marques de découpe visibles sur les ossements d'animaux découverts dans les sites qu'il a occupés indiquent qu'il les raclait pour en retirer la viande.

Il est probable que Heildenberg se nourrissait entre autres de viande acquise par la chasse. Il était capable de venir à bout du gros gibier, par exemple les chevaux (Schöningen) et le rhinocéros (Boxgrove). Contrairement par exemple aux pratiques des chimpanzés, la chasse au gros gibier suppose une collaboration active, où les différents intervenants coordonnent leur action[131].

Maîtrise du feu modifier

La maîtrise du feu est acquise, son usage se généralise, et les hommes commencent à cuire leur nourriture.

Des traces régulières d'utilisation du feu apparaissent vers 500-400ka sur les trois continents de l'ancien monde. De rares qu'elles étaient, les traces de feu et de foyers deviennent abondantes : c'est à cette époque que l'on peut dire que le feu a été maîtrisé, dans le sens où il pouvait être allumé et entretenu à volonté[27].

Pour un groupe, il n'est possible d'entretenir des feux dans la durée que si plusieurs personnes coordonnent leurs activité ; une telle capacité demande un minimum de capacité pour échanger des informations - a minima un protolangage - et la capacité cognitive suffisante pour reconnaître l'intérêt d'une coopération et la nécessité de se partager les tâches[27].

Le fait de faire cuire intégralement ses repas de viande et de tubercules permet de mieux les digérer et augmente de près de 50% leur pouvoir nourrissant. La cuisson représente fonctionnellement une externalisation partielle du processus de digestion, ce qui permet de réduire encore la part de tissus allouée au système digestif, autorisant une augmentation de la capacité cérébrale à besoin métabolique identique[84]. Le fait de maîtriser le feu semble associé à un net accroissement de la capacité crânienne des Heidelberg, qui passe de 1200 à 1300 cm3 vers 400-300ka, ce qui semble indiquer que le feu a réglé un problème de malnutrition chronique. De plus, après cette date on n'observe plus le léger sous-développement cérébral associé aux hautes latitudes. De fait, le feu améliore non seulement la capacité nutritionnelle des aliments, mais fournit également de la chaleur et par sa lumière prolonge la durée possible des activités autour du foyer[27].

Sur le plan cognitif, la maîtrise du feu implique la maîtrise d'un certain nombre de planification et d'anticipation : sur le plan causal, il faut comprendre que d'une manière générale le feu consomme du bois, et qu'il faut ajouter du bois pour le maintenir allumé, sinon il s'éteint ; la capacité imaginative à prévoir l'avenir doit être suffisante pour prévoir que si le feu s'éteint la conséquence est indésirable (pour lutter contre le froid ou éloigner des prédateurs), et comprendre que pour répondre à ce besoin futur il faut faire quelque chose en anticipation ; et décider d'aller chercher du bois avant qu'il ne soit trop tard[10].

Capacité cognitive modifier

Besoins d'estime (confiance et respect de soi, reconnaissance et appréciation des autres)

Besoins d'appartenance et d'amour
(affection des autres)

Besoins de sécurité
(environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise)

Besoins physiologiques
(faim, soif, sexualité, respiration, sommeil, élimination)

Pyramide des besoins - Compulsion au dialogue

Neandertal exploite des proies variées dans des lieux variés, et par des méthodes variées, ce qui montre qu'il sait adapter aux circonstances sa stratégie de chasse collective. Il chasse collectivement, ce qui montre qu'il est capable de partager et mettre à exécution une idée de manœuvre correspondant à une stratégie adaptée. Un tel partage suppose à la fois que sa capacité d'abstraction lui permet de concevoir et critiquer une idée de manœuvre, mais également que son langage est suffisamment développé pour pouvoir l'exprimer à d'autres, et le comprendre quand il lui est exposé. Il est exact que la chasse en groupe n'implique par elle-même pas le langage (puisque les loups ou les chimpanzés peuvent chasser en groupe), mais de telles chasses animales s'appuient sur des stratégies invariables et des comportements stéréotypés. Au contraire, la chasse de Neandertal est guidée par une norme abstraite, elle-même élaborée explicitement et partagée.

La capacité d'abstraction est cruciale pour qu'un système de communication puisse être utilisé volontairement pour établir une information partagée, parce que tant l'émetteur que l'auditeur doivent pouvoir disposer d'une théorie de l'esprit d'un niveau suffisant pour pouvoir se comprendre. L'auditeur qui cherche à comprendre ce que dit le locuteur peut s'en sortir au deuxième niveau, mais le locuteur a besoin d'un troisième niveau, parce qu'il doit s'assurer que son interlocuteur comprend bien ce que lui-même a en tête. Et cela avant même de commencer à parler de l'état d'esprit de quelqu'un d'autre.[27] Selon le philosophe du langage Paul Grice, quand une personne A demande quelque chose C à un interlocuteur B, cela implique que A suppose que B est capable de comprendre que A veut obtenir C ; ce qui implique un troisième niveau d'intentionnalité.[10] Ceci étant, coordonner une coopération simple ne demande probablement pas beaucoup plus qu'un troisième niveau d'abstraction[27] (je veux que : tu comprennes que / je veux que / tu chasses le gibier de l'autre côté).

La deuxième préadaptation nécessaire à l'émergence du langage moderne a été la capacité à modéliser et exprimer la réalité d'une manière plus abstraite, symbolique et discrète, ne reposant pas sur la seule capacité mimétique analogique pour transmettre un sens conventionnel. Cette capacité, unique à l'être humain, définit et qualifie la réalité à travers le filtre d'étiquettes phono-mimétiques arbitraires, qui servent d'éléments explicites de mémorisation et de rappel — et on peut remarquer que dans cette construction, la capacité symbolique repose sur une capacité mimétique préalable[8].

Le protolangage émergeant dans la communication d'un groupe social est partagé en priorité par ceux ayant les capacités cognitives permettant de l'apprendre et le mettre en œuvre. Étant capables de s'exprimer plus facilement, de comprendre plus vite, et de proposer plus aisément des plans alternatifs, ceux-ci gagnent alors une position de dominance sociale qui leur procure un avantage sélectif dans un environnement encore largement polygame. Cette situation compétitive met une pression évolutive sur les capacités cognitives et physiologiques nécessaires à ce changement dans la communication[51] : attention et mémorisation, identification de signifiants conventionnels, mais également facilité articulatoire.

La capacité, à travers un protolangage, d'associer un signifiant phono-mimétique à un signifié dont le sens émerge à travers la communication, transforme le comportement social du groupe et le paysage culturel de l'humanité. Cet « étiquetage conceptuel » conduit à un système de représentation collective radicalement nouveau.[8] De plus, l'association entre un morphème et un sens défini constitue un moyen de rappel mémoriel bien plus efficace que le rappel de souvenirs analogiques qui peuvent être évoqués par une représentation mimétique ; la mémorisation verbale est de loin la forme la plus remarquable de rappel volontaire. Sous bien des aspects, la caractéristique essentielle du langage est sa capacité à classifier et désigner des connaissances, et les rendre accessibles sous forme symbolique comme objets d'autres réflexions[28].

Les autres espèces animales partent du même niveau à chaque génération, mais ce n'est pas le cas pour les humains. Le contenu sémantique —et même les approches culturelles qui induisent certains types de pensée— peuvent s'accumuler, et l'environnement symbolique peut en retour affecter la manière dont chaque cerveau individuel déploie ses propres ressources. Ce processus d'acculturation a dû commencer lentement, probablement avec de faibles écarts par rapport aux connaissances dont peuvent disposer les primates, mais de toute évidence il s'est accéléré de manière exponentielle dans la période moderne. Plus le changement est rapide au niveau culturel, plus est cruciale la capacité de chaque individu à intégrer l'état contemporain de la culture conceptuelle, et de participer à son enrichissement[28].

Communication orale modifier

Évolution Oto-rhino-laryngologique modifier

 
Contrôle moteur de la langue et la gorge chez l'homme moderne.

Il semble que les capacités pour la maîtrise d'une communication orale aient émergé vers 500ka.

  • Bien que les données archéologiques ne soient pas très nettes, il semble que c'est vers cette époque, à partir de l'homme primitif, que l'on voit augmenter la taille de la moelle épinière dans la région thoracique (au niveau qui contrôle le mouvement du diaphragme et des muscles de la cage thoracique), et augmenter à la base du cerveau la taille de l'ouverture à travers de laquelle passe le nerf hypoglosse, les nerfs craniaux XII qui innervent la bouche et la langue[132].
  • C'est également avec l'homme primitif que l'on voit se déplacer l'os hyoïde vers le bas de la gorge, qui établit un lien entre le haut du larynx et la base de la langue. On assiste également à un développement du processus styloïde de l'os temporal, qui sert de point d'attache à de nombreux muscles du larynx et de la langue.
  • En parallèle, le canal auriculaire se transforme et prend sa forme moderne, qui permet d'améliorer la détection de certains sons du langage moderne[27].

La position basse du larynx humain est la conséquence du changement de forme de la langue et de son extension dans le pharynx : la descente de la langue entraîne celle du larynx[133].

Sur le plan de la phonologie, le développement de l'articulation et de l'agilité de la langue semble plus lié à la production des consonnes qu'à celle des voyelles. La disposition basse du larynx est de nos jours cruciale pour produire certaines voyelles des langages modernes. Cependant la position du larynx, toute intéressante qu'elle soit, n'est déterminante que pour la prononciation correcte des langues modernes ; elle n'est ni nécessaire ni suffisante pour conclure à l'existence d'un langage au sens moderne du terme. Une capacité limitée sur les voyelles n'est pas en soi un obstacle à un langage parlé ; et la descente du larynx a certainement eu d'autre cause qu'une hypothétique pression sélective en faveur d'une élocution soignée.

Maîtrise physiologique de l'oral modifier

Passer à un système de communication verbal libère les mains pour d'autres usages, en particulier la fabrication et l'utilisation d'outils. D'autre part, bien que le langage gestuel et le langage oral puissent être considérés comme linguistiquement équivalents, la vocalisation présente de nombreux avantages. Par opposition au geste, l'émission orale entraîne un coût physiologique si bas qu'il n'est pratiquement pas mesurable. L'oral demande moins d'attention que le gestuel, et peut être suivi tout en regardant autre chose. Enfin, cette communication reste utilisable à grande distance, ou de nuit, ou quand l'orateur n'est pas visible pour l'auditeur[134].

Il ne faut cependant pas confondre la capacité à contrôler un système de communication oral et l'invention du langage. La capacité anatomique à produire tel ou tel son peut être nécessaire à l'expression d'un langage moderne, mais l'acquisition de cette capacité n'est pas en soi la preuve que le langage était employé ; et inversement, l'émission sonore n'est qu'une des voies possibles de l'expression du langage[21].

L'apparition du langage a un côté embarrassant pour la théorie de l'évolution, parce que le langage est beaucoup trop versatile et puissant pour n'être expliqué que par une question de sélection naturelle et d'élimination des moins aptes. Un langage disposant d'une sémantique simple, dont on a l'impression qu'il pourrait presque être produit par un chimpanzé, semble largement suffisant pour discuter le tout ce qu'il faut pour la chasse au mastodonte ou aux bêtes de ce genre : pour ce type de discussion, la capacité de mettre en œuvre des classes syntactiques, des règles d'accord, de la récursivité, ou des règles grammaticales de ce niveau, semble largement sur-dimentionné par rapport au besoin réel, et ceci à un point frisant le ridicule[95].

Comme souvent cité, il y a un avantage adaptatif évident à la capacité d'apprendre d'une manière qui ne soit pas liée à la présence préalable d'un stimulus[135] : les enfants peuvent apprendre de leurs parents qu'une nourriture ou un animal est dangereus, sans avoir à le constater expérimentalement par eux-même.

Par rapport à une capacité mimétique mêlant primitivement gestes et oral, le basculement de la communication vers le canal verbal vient de ce que si le geste se prête bien mieux que l'oral à une communication par iconicité, sa combinatoire plus restreinte ne se prête pas à l'utilisation d'un vocabulaire étendu,[97] qui devient pourtant d'autant plus nécessaire que l'indexicalité n'est plus possible quand la situation de référence s'étend à la zone proximale (concepts dont une expérience directe est possible, mais sans contiguïté spatio-temporelle). Le langage subit à ce stade la même transition que celle observable à l'écrit dans le système des caractères chinois : initialement fondé sur une représentation analogique évocatrice d'une scène réelle, mais dont la réalisation peut être variable parce qu'elle est analogique, le signe doit devenir fixé par des conventions sociales partagées lorsque la prolifération des signes en impose une caractérisation plus fine ; mais à partir du moment où le critère discriminant pour la compréhension du signe repose avant tout sur une convention culturelle et non plus sur une analogie d'avec le réel, il peut devenir entièrement conventionnel et dériver vers l'arbitraire sans perdre sa fonctionnalité.

Langage et fonction narrative modifier

La fonction narrative permet d’expliquer l’essentiel des caractéristiques du langage humain, et son émergence pourrait avoir constitué le facteur expliquant la différence entre nos ancêtres directs et les Néandertaliens[136].

Pour des théoriciens de la grammaire générative comme Noam Chomsky, la principale caractéristique du langage humain est sa capacité combinatoire, et cette combinatoire se traduit par des règles syntaxiques impliquant en particulier hiérarchisation et récursivité, qui à leur tour supposent une avancée cognitive qualitative.[21] Cependant, la question de l'émergence d'une "capacité grammaticale" semble être un faux problème : rien ne dit que la grammaire soit d'une nature très différente de ce que suppose un protolangage[95],[137].

Avec la complexification de la pensée, le nombre de mots dans un énoncé élémentaire augmente, et se pose de plus en plus la question d'identifier ce à quoi se rattache un nouveau mot. Il devient nécessaire de préciser le « Quis, Quid, Ubi, Quibus auxiliis, Cur, Quomodo, Quando » de l'action qui fait l'objet de la narration. C'est en particulier nécessaire dès que le discours porte sur un récit, un procès ou un argumentaire, où l'équivalent des marqueurs de temporalité et des auxiliaires modaux deviennent nécessaires. Un mécanisme de grammaticalisation de certains mots émerge probablement à ce stade. La fonction de la grammaire, de ce point de vue, est d'améliorer la performance d'un langage devenu complexe, mais la grammaire n'est pas par elle-même ce qui marque l'origine du langage (contrairement donc au postulat a priori de Chomsky, qui transpose aux origines du langage ses travaux sur la grammaire générative et transformationnelle)[138],[139],[140].

Dans un premier temps les mots pleins d'un énoncé, opérateurs dans l'univers sémantique, sont par exemple doublés par des déterminatif, qui en typifient et clarifient la fonction. Dans un deuxième temps les pratiques se figent, ces déterminatifs s'uniformisent et se séparent en un vocabulaire spécialisé (comme en chinois classique), l'ordre d'assemblage peut aussi se figer. Puis ces compléments et habitudes se figent formellement et se vident de sens propre, se transformant en un squelettes formels où les mots pleins sont enchâssés suivant leur fonction.

without recursion you can't say the man's hat or I think he left. All ou need for recursion is an ability to embed a phrase containing a noun phrase within another noun phrase or a clause within another clause. Once again, recursion is far from being an "overly powerful device." The capacity to embed propositions within other propositions, as in [ He thinks that S] or [ She said that [he thinks that S]], is essential to the expression of beliefs about the intentional states of others. After all, it doesn't take all that much brain power to master the ins and outs of a rock or to get the better of a berry. But interacting with an organism of approximately equal mental abilities whose motives are at times outright malevolent makes formidable and ever-escalating demands on cognition. competitive feedback loops, This competition is not reserved for obvious adversaries. Partial conflicts of reproductive interest between male and female, sibling and sibling, and parent and offspring are inherent to the human condition (Symons, 1979; Tooby and DeVore, 1987; Trivers, 1974).

Une grammaire peut alors prendre son autonomie, et suivre son développement propre, guidé par la « sélection naturelle » des structure les plus à même de traduire une pensée complexe et relationnelle en une émission vocale unidimensionnelle, avec un minimum d'ambiguïté, par des interlocuteurs ne disposant que d'une capacité limitée en mémoire à court terme.[95] Dans cette sélection, le locuteur et l'auditeur ont des intérêts divergents : le locuteur veut minimiser son effort et tend à réduire l'articulation, l'auditeur veut minimiser son effort de compréhension et demande clarté et explicitation. Les deux sont en conflit d'intérêt avec l'apprenant, qui comprend rapidement les structures simples mais peu compactes.

Dans cette évolution, donc, la seule capacité spécifiquement requise pour pouvoir gérer des grammaires complexes est qu'un mot, au lieu d'évoquer une signification comme le fait un mot plein, puisse établir une relation entre ces évocations. La force qui assure à terme une grammaire correcte est la tendance à l'imitation et à la conformité comportementale : les erreurs de grammaire marquent le locuteur comme non-membre du groupe, se faire accepter suppose que l'on a adopté le langage du groupe, quel qu'il soit. Ce que l'on veut dire dépend des mots pleins, la manière de le dire dépend de la pratique collective.

La pratique collective donne des instances de phrases présumées correctes, non des règles de grammaire. Du moment que la capacité cognitive est capable de faire le lien entre une phrase et son sens, et d'identifier le lien entre des occurrences et un concept évoqué, la capacité à « se rejouer des scénarios » peut reprendre les mêmes instances en en faisant varier les concepts, pour aboutir à un décodage identique appliqué à des situations nouvelles[95].

La communication devenant un enjeu, les traits améliorant la maîtrise de la voix subissent une pression sélective. Si l'on se réfère au faible développement des nerfs qui les commandent, la forme du larynx et le contrôle de la langue ne sont pas développés au point de permettre un langage, mais cette évolution permet le contrôle de l'intonation. L'Homme a pu fredonner avant de savoir parler, ce qui rejoint l'hypothèse de Darwin qui voyait dans l'origine du langage l'émission de signaux musicaux complexes à des fins de parade nuptiale ou de défense du territoire.[20],[141] Le contrôle amélioré du larynx est probablement concomitant de la perte des sacs vocaux, permettant ainsi de moduler hauteur et intensité de manière indépendante. Par rapport aux grands singes, l'émission sonore permet le contrôle de la fréquence fondamentale indépendamment de l'intensité. Cette spécialisation implique une co-évolution de l’anatomie du conduit vocal, du larynx et du système qui contrôle les vocalisations (qui se passe en grande partie dans les noyaux corticaux chez les primates)[6].

Apprentissage de l'oral modifier

Si la complexité du langage oral est un développement secondaire par rapport à l'adaptation première et essentielle qu'est la représentation symbolique, il n'était besoin au départ ni d'une grande capacité intellectuelle, ni de facilité d'élocution, ni de prédisposition de l'enfant à absorber des vocabulaires et maîtriser instinctivement des grammaires complexes : ces traits qui permettent aujourd'hui à l'homme de maîtriser un langage complexe ont pu évoluer en raison d'une pression évolutive sur la complexité du langage lui-même[7]. « Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. » La compréhension d'un symbole est un processus interactif centré sur le langage — la forme phono-mimétique a un certain sens, et ce sens émerge lui-même de la communication, dans une tension réciproque.[8]

La pratique même de communication fait l'objet d'une sélection naturelle à l'intérieur du groupe, seules étant retenues et reproduites les formes d'expression qui permettent de mieux se faire comprendre. Dans un premier temps, des émissions vocales d'un ou deux morphèmes, sans grammaire ni règle flexionnelle, émergent et se fixent dans la pratique culturelle d'un groupe social, pour venir préciser le sens de gesticulations mimétiques intrinsèquement ambigües et imprécises. L'évolution naturelle de la communication dans le groupe conduit alors à partager une correspondance conventionnelle, entre un ensemble de signifiants phono-mimétique, et un découpage de la réalité suivant les catégories nécessaires à la communication.[51] Ce mécanisme définit et fixe la sémantique du lemme, l'entrée lexicale élémentaire, et ouvre la voie à un niveau de communication réellement linguistique[8].

Communication et enseignement modifier

Bien que les grands singes puisse apprendre par observation de l'exemple de leurs aînés, il semble que l'espèce humaine soit unique dans la tendance qu'ont les aînés à démontrer et corriger un comportement complexe[142].

Homme anatomiquement moderne modifier

 
 
Lascaux.

Contexte climatique modifier

Pléistocène supérieur (126-11 ka). Holocène (10ka-...)

L'analyse géologique de la région du Rift africain montre qu'il y a eu plusieurs périodes très arides entre 135 et 75ka, et plus particulièrement entre 135 et 127 ka d'une part, et 100 et 85ka d'autre part. Le niveau des lacs a monté de manière spectaculaire avec le retour des conditions humides vers 70ka, pour atteindre le niveau actuel vers 60ka, à peu près à l'époque de la sortie d'Afrique et de l'expansion de Sapiens en Eurasie et au-delà. Ces traces géologiques d'une période de sécheresse intense au pliocène tardif explique peut-être pourquoi il s'écoule un tel délai entre l'apparition de l'homme anatomiquement moderne en Afrique et son expansion hors du continent[143].

Anatomie modifier

L'homme anatomiquement moderne émerge en Afrique vers 200ka ; ses premières traces se trouvent en Ethiopie. Il n'est pas descendant de Néanderthal, et les populations de Heidelberg dont il est issu sont probablement celles du sud-ouest de l'Afrique.

Il est caractérisé par un squelette nettement plus gracile, et (plus tardivement) une augmentation cérébrale. Contrairement à Neanderthal, cette capacité cérébrale ne concerne pas le lobe ocipital (traitement de la vision) mais le lobe frontal, siège de la pensée abstraite.

La capacité crânienne est de l’ordre de 1250 cm3 (950–1,800). Le crâne n’a plus de crête occipitale. Le front est pratiquement droit, et le cerveau tend à s’agrandir au-dessus de l’espace des yeux. Expansion des cortex préfrontal et pariétal, important chez l’homme dans le contrôle des comportements sociaux complexes. Or ces cortex se sont développés rapidement durant les dernières dizaines de milliers d’années de l’évolution humaine, marqués par l’explosion des pratiques ouvrières.

Avec le retour d’un régime semi-végétarien, la capacité des peaux décolorées à synthétiser la vitamine D devient un avantage sélectif : les peaux s’éclaircissent d’autant plus que les populations sont nordiques. La protection contre le rayonnement solaire en été restant nécessaire, ces peaux sont capables de bronzer en réaction à une exposition régulière au soleil. Le besoin en vitamine D étant plus élevé pendant la grossesse et l’allaitement, les femmes sont généralement plus décolorées que les hommes au sein d’une même population. Avec le néolithique et la domestication animale, l’homme s’adapte à une alimentation lactée, acquérant progressivement la capacité à digérer le lait y compris à l’âge adulte.

Les hommes anatomiquement modernes sont les seuls a avoir un menton [144] mais personne ne sait trop pourquoi.

Les enfants modernes se développement lentement. Ils sont totalement dépendants de leur environnement durant les premières années de leur vie, pendant lesquelles ils font l'apprentissage du langage et de la culture de leur groupe social[132].

Mode de vie modifier

 
Hypothèse du singe aquatique : adaptations anatomiques attribuables à une activité aquatique.

L’augmentation de l’espérance de vie se traduit par l’augmentation du nombre de grands-parents ; les grands-parents prennent soin des petits enfants et les éduquent. Ceci permet aux adultes de s’impliquer plus dans d’autres activités (nourriture, etc.). On assiste à la transmission cumulative des connaissances à partir des grands-parents[127].

L'homme moderne porte des vêtements depuis 170 ka[145].

La domestication du chien, attestée dès 33ka[146], modifie les techniques de chasse[147],[148].

L’emploi des matières animales se généralise. Evolution de la lance, les plus anciennes têtes de harpons connues, réalisées en os ou en bois de cervidé et comportent un ou deux rangs de barbelures, datent de la fin du Paléolithique supérieur ; les premiers hameçons en os peuvent apparaître ; les hommes modernes inventent le propulseur (outil permettant d’augmenter la force du jet lors d’un lancer de javelot). De petites pointes de silex compatibles avec des armatures de flèches (19 ka) trahissent l’invention de l’arc. L'homme chasse ces animaux avec des sagaies ou en les piégeant. Des aiguilles d’os permettent de coudre des peaux et élaborer des vêtements.

Pour quelques auteurs, c'est la démographie qui est à l'origine d'un « comportement moderne ». [149] [150] [151] [152] Ce changement démographique est parfois attribué à des facteurs climatiques, mais l'idée principale est qu'avec la croissance de la population, les ressources se firent plus rares, et que la réponse humaine adaptative a été de développer les technologies et comportements modernes. La croissance de la population et l'augmentation des contacts inter-groupes fait que ces réponses sont plus fréquentes, plus stables, et se diffusent plus facilement, accélérant par là-même le rythme du changement culturel[153].

L'évolution comportementale est particulièrement difficile à appréhender, parce qu'elle superpose à la fois des héritages génétiques et culturels qui interagissent l'un sur l'autre.[154] Le rapport entre la démographie humaine et l'émergence des comportements modernes reflète cette complexité : l'augmentation de l'espérance de vie vers un âge adulte vers la fin du pléistocène a eu des conséquences importantes ; elle n'a pas une base phylogénétique, mais prend place dans un contexte où d'autres changements évolutifs apparaissent, et a un impact sur la taille de la population qui à son tour influe sur l'évolution génétique.[155] Initialement le résultat d'adaptations culturelles, la longévité devint le facteur permettant l'acquisition de comportements originaux et complexes, qui à leur tour augment à la fois l'importance et la survie des anciens dans le groupe.

Une telle interaction suppose une transmission orale. L'importance de la transmission intergénérationnelle est connue. De fait, dans les sociétés présentes de chasseurs-cueilleurs, l'importance du savoir-faire technique est tel que le pic de productivité des adultes n'est atteint qu'après la trentaine. Le comportement moderne reflète une organisation sociale où une proportion significative des adultes a la possibilité d'atteindre le stade de grand-parent.

Comportement moderne modifier

La littérature scientifique relie un certain nombre de traits à un comportement moderne :[156]

Écologie
Les aspects écologiques reflètent la capacité des humains à coloniser de nouveaux environnements, ce qui demande à la fois une capacité d'innovation et une planification approfondie.
  • Élargissement géographique de l'habitat à des régions précédemment inoccupées (forêts tropicales, îles, grand nord d’Eurasie).
  • Diversification alimentaire.
Technologie
Les progrès technologiques reflètent des capacités d'inventivité et de pensée rationnelle.
  • Innovations dans les techniques lithiques : technologie de débitage par lames, microlithes.
  • Meilleure maîtrise du feu et de la cuisson.
  • Formalisation des catégories d'outils, standardisation des types d'artefacts, formes géométriques.
  • Outils avec manche, outils composites.
  • Travail de l'os, des bois de cervidés, et de divers matériaux biologiques.
  • Armes de jet spécialisées.
  • Diversification croissante des catégories d'artefacts, variations temporelles et géographiques des styles.
Économie et organisation sociale
Ces aspects montrent la capacité humaine à abstraire des conclusions à partir des expériences individuelles et collectives, à arrêter et appliquer de manière suivie des planifications, à conceptualiser et prévoir le futur, et à gérer des relations entre individus et entre groupes.
  • Réseaux d'échanges étendus à longue distance, échanges de matériaux sur de grandes distances.
  • Collection et conservation d'objets exotiques.
  • Chasse collective de gros animaux dangereux.
  • Planification et variation saisonnière dans l'exploitation des ressources.
  • Réutilisation de sites de campement ; usage structuré de l'espace domestique.
  • Intensification de l'exploitation de ressources aquatiques et végétales.
  • Identité du groupe portée par le style des artefacts.
Comportement symbolique
Le comportement symbolique révèle la capacité à donner un sens aux événements, à communiquer des concepts abstraits, et à vivre des symboles au quotidien.
  • Style régionaux des artefacts.
  • Parure personnelle, par exemple de perles et d'ornements divers.
  • Usage de pigments.
  • Objets entaillés et incisés (os, coquillages, pierres).
  • Images et représentations.
  • Tombes avec offrandes, ocre, objets rituels.

Les premières traces d'utilisation de l'ocre apparaissent vers 100ka[10].

Le comportement moderne présuppose des capacités cognitives :[156]

  • La pensée abstraite, la capacité d'agir par référence à des concepts abstraits non limités dans le temps ou l'espace.
  • La capacité à planifier, à formuler des stratégies sur la base d'expériences passées et de les suivre collectivement.
  • La capacité d'innovation sur le plan technologique, économique, et comportemental.
  • Le comportement symbolique, la capacité de représenter des objets, des personnes ou des concepts abstraits au moyen de symboles arbitraires (vocaux ou visuels) et d'instancier de tels symboles par des pratiques culturelles.

Troisième sortie d'Afrique modifier

 
L'homme moderne balaye le monde.

L'homme s'habille depuis quelques 100 ka, âge de la divergence entre pou de la tête et pou du vêtement[157]

Vers 100ka, la population archaïque a disparu en Afrique, remplacée par Sapiens.

L'ADN mytochondrial conduit à estimer une population de 5000 femelles reproductrices vivant à 200ka. Des hypothèses de « population bottleneck » ont été proposées pour dater cette émergence, mais ces hypothèses reposent sur des modèles d'évolution non confirmés. Une succession d'expansion et d'isolations induites par des changements climatiques et des adaptations aux conditions locales pourraient mieux expliquer la complexité des fossiles successifs et de la composition génétique de la population présente[156].

Même si certaines parties d'Afrique (Sahara, privince du Cap) ne témoignent que d'une occupation intermittente pendant le maximum glaciaire, les reconstitutions climatiques suggèrent que l'évolution des biomes de steppes, de savanes et de forêts susceptibles d'être occupés par Sapiens (en particulier dans les régions tropicale) ont toujours été significativement plus importantes que les régions comparables d'Europe. De ce fait, la population africaine semble avoir toujours été numériquement plus importante, bien que géographiquement très clairsemée[156].

Vers 70ka il atteint le Proche-Orient. Cette troisième sortie d'Afrique a été rapprochée de l'explosion du volcan Toba[158].

Sorti d'Afrique, Sapiens se heurte probablement à Neanderthal dans le Caucase, et colonise l'Asie dans un premier temps. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il se répand dans l'Europe occupée par Neanderthal, arrivant par les grandes plaines de l'est.

Histoire compliquée modifier

Caractérisé par des variations culturelles incrémentales : horticulture et agriculture, néolithique, âge du bronze, âge du fer.

Son évolution paraît avoir été réalisée en deux étapes : Sapiens commence vers 200ka avec un squelette gracile mais une capacité crânienne du même niveau que celle de Heidelberg, mais sa capacité augmente en Afrique vers 100ka. (ou l'inverse???)

L'explosion du paléolithique supérieur ne commence ensuite que à 500ka en Europe.

Le Paléolithique supérieur est la période de la Préhistoire qui est caractérisée par l’arrivée de l’Homme anatomiquement moderne en Europe, le développement de certaines techniques (lames, outils et armes en matières dures animales, propulseur, etc.) et l'explosion de l'art préhistorique. Il se situe entre 45 000 et 10 000 ans avant le présent et correspond à la fin de la Dernière période glaciaire.

La révolution constatée en Europe n'est pas une évolution biologique : l'Homme atteint l'Australie dès 50ka. Elle est probablement un point de vue des premiers préhistoriens, focalisés sur l'Europe.[156] The twenty-first century brought certainty to the understanding that modern humans are people alive today and their immediate ancestors. They may be described in terms of their anatomical, behavioral, and genetic modernity. Modern humans are not uniquely the descendants of a new African species that recently dispersed to replace earlier populations that lived outside of Africa. Modernity does not have this kind of phylogenetic basis; if it did, we could expect the anatomy, behavior, and genetics of modernity to appear at the same time. Instead, anatomical, behavioral, and genetic modernity have different meanings that can be understood by viewing them as different processes. Yet paleogenetics and a better understanding of the origin of modern genetic diversity demonstrate that the concepts of genetic, anatomical, and behavioral modernity are intricately related; they address three different aspects of humanity related through demography and united in the precept that all recent and living humans are modern.

L'Homme un animal social modifier

La gestion au quotidien des conflits d’intérêts s'appuie sur une structure fractale de groupes de tailles successive bande (~ 50), communauté (~150), méga-bande (~ 500), tribu (~ 1500) : à chaque rang le nombre de personnes concernées est multiplié par 3 (ou 4)[27].

La superposition du langage et du feu permet la naissance du mythe et de la fête. Il permet d'évoquer des mythes communs fondateurs de l'organisation sociale à plus grande échelle, et des mythes symboliques communs sur le « monde de l'invisible ».

Le fait de manger déclenche la production d'endorphines. C'est probablement pour ça que l'on est détendu et satisfait après un repas particulièrement copieux. Les festins collectifs représentent de ce fait un facteur de cohésion pour le groupe : déjeuner ensemble contribue à rendre les gens sympathique, et est universellement considéré comme un bon moyen de faire connaissance avec des étrangers. Chants et danses collectifs produisent de l'endorphine, à la fois par la répétition du rythme et par l'altération du rythme respiratoire que le chant impose[27].

L'organisation de telles manifestations collectives suppose un usage minimal du langage, au minimum pour que la communauté puisse se coordonner pour son organisation.

Le développement universel du langage sous sa forme complète conduit à une transition du domaine culturel, qui évolue vers une « culture mythique » pleinement développée. « Mythique », parce que sa manifestation prédominante consiste en une narration orale publiquement partagée, une expression conventionnellement conditionnée d'archétypes mythiques et d'allégories, qui a une influence directe sur les pensées et conventions du groupe. Cette adaptation du domaine culturel complète la culture mimétique précédente sans la remplacer[28].

Capacités cognitives modifier

Besoin d'accomplissement de soi

Besoins d'estime (confiance et respect de soi, reconnaissance et appréciation des autres)

Besoins d'appartenance et d'amour
(affection des autres)

Besoins de sécurité
(environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise)

Besoins physiologiques
(faim, soif, sexualité, respiration, sommeil, élimination)

Pyramide des besoins

It is possible that yet another unique quality of man is a capacity for genuine, disinterested, true altruism. We have at least the mental equipment to foster our long-term selfish interests rather than merely our short-term selfish interests. We can see the long-term benefits of participating in a ‘conspiracy of doves’, and we can sit down together to discuss ways of making the conspiracy work. We have the power to defy the selfish genes of our birth and, if necessary, the selfish memes of our indoctrination. We can even discuss ways of deliberately cultivating and nurturing pure, disinterested altruism— something that has no place in nature, something that has never existed before in the whole history of the world. We are built as gene machines and cultured as meme machines, but we, alone on earth, can rebel against the tyranny of the selfish replicators[12].

the Machiavellian intelligence has arisen through an arms race in the capacity to deceive. The more your inner world can handle of the series 'I know', 'I know that you know􀄁 'I know that you know that I know􀄁 etc., the more skilful you become in deceiving (and in co-operating, as we shall see). The mental weapons of deception become like the anti-anti-missiles that are fired against the anti-missiles that are sent up to shoot down the missiles[10].

L'enfant demande sans cesse « pourquoi ? ». Nous sommes la seule espèce animale qui cherche à comprendre pourquoi on fait telle ou telle chose, pourquoi on a fait quelque chose, ou pourquoi les autres font ce qu'ils font.[159],[160]

L'origine du langage est possible dès qu'il existe un problème au sein d'une communication par signaux : le sens n'est plus transparent, et l'on doit désormais rechercher une logique qui permette de répondre au problème de la signification. Cette absence de transparence du sens est le résultat d'une mutation mentale, et qui a son origine dans une curiosité pour une logique. L'aspect théorique des énoncés qui portent sur les objets (ceci est une table, une orange, un arbre) ne peuvent motiver l'émergence du langage, car il n'y a aucune raison de considérer des objets qui ne font pas problème pour l'homme. L'aspect pragmatique des énoncés du proto-langage fonctionnent tellement bien qu'il n'y a aucune raison d'en sortir. S'il existe une curiosité, c'est qu'il existe un sens qui n'est plus aisément donné. Et l'homme alors, a dû chercher du sens qui désormais, a fait problème pour lui, et face auquel il a dû répondre. Du coup, il a fallu qu'il développe des raisons qui ne lui étaient plus naturellement données[161].

Liens modifier

Notes modifier

  1. a b c d e f g et h « Bodies of Evidence », in The mating mind, Geoffrey Miller (chap. 7).
  2. Genèse 3:16
  3. a b c et d How And Why Did Women Evolve Periods?, Quora, May 6, 2016.
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Références modifier

Articles connexes modifier