Journées du 31 mai et du 2 juin 1793

Les journées du et du sont deux des journées insurrectionnelles de la Révolution française, survenant alors que la France, gouvernée par la Convention nationale depuis le 20 septembre 1792, est devenue une république le 21.

Journée du .
Estampe de Pierre-Gabriel Berthault représentant la Garde nationale devant la Convention
(musée Carnavalet).

Organisées par la Commune de Paris et la Garde nationale de Paris, elles ont pour objectif d'abattre les députés girondins, qui dominent la Convention, au profit des montagnards, proches des sans-culottes parisiens.

Les insurgés l'emportent finalement : sous la menace des canons de François Hanriot, les conventionnels votent le rappel et l'assignation à résidence des députés girondins. Quelques semaines plus tard, en raison de la fuite de certains d'entre eux, de la mort de Marat (13 juillet) et des insurrections fédéralistes dans certains départements, vingt-deux députés sont mis en accusation, jugés et condamnés à mort. Leur exécution a lieu le 30 octobre 1793.

Contexte modifier

Girondins et montagnards sous la Convention girondine modifier

  • la Convention : girondins, montagnards, Plaine
  • la Commune insurrectionnelle de Paris (Hébert, Santerre...)
  • 21 septembre : proclamation de la république
  • situation militaire : victoires de Valmy, Jemappes
  • le procès du roi (novembre 1792-janvier 1793) : le verdict de mort immédiate est une victoire des montagnards
  • retournement de la situation militaire (mars 1793) : première coalition, soulèvement vendéen

À partir de ce moment, les girondins sont en difficulté grave : affaire Marat (avril).

Radicalisation des sans-culottes au début de 1793 modifier

Au sein des sections parisiennes et provinciales, une lutte oppose depuis janvier les modérés, parfois proches des Girondins, et les radicaux, sensibles aux revendications des Enragés, qui, dans un contexte d'effondrement de l'assignat, d'inflation, de vie chère, de récession et de travail rare, réclament la taxation, la réquisition des denrées, des secours publics aux pauvres et aux familles de volontaires, le cours forcé de l'assignat et l'instauration d'une Terreur légale contre les accapareurs et les suspects.

Ce mouvement est incarné par Jacques Roux et Jean-François Varlet à Paris, par Taboureau[1] à Orléans, par Chalier et Leclerc à Lyon.

L'exacerbation des conflits après la trahison de Dumouriez (1er avril 1793) modifier

Le conflit s'exacerbe après l'annonce au début d'avril de la trahison de Dumouriez[2] (il fait arrêter les envoyés de la Convention le 2 avril et passe dans les lignes autrichiennes le 4).

Dès l'annonce de cette trahison, Varlet fonde à l'Évêché un comité révolutionnaire central, tandis que Jacques Roux provoque la formation d'une assemblée générale des comités de surveillance de Paris, qui obtient le soutien de la Commune et de son procureur, Chaumette. Tout en étant hostiles aux Girondins, ces deux organismes s'opposent également l'un à l'autre, le secrétaire du comité, Germain Truchon[3], étant un adversaire de Jacques Roux[4].

Le 3 avril, Robespierre demande à la Convention la mise en accusation des complices du général, déclaré traître à la patrie, « notamment Brissot » (non suivi, il renouvelle cette attaque le 10 avril).

Le 5 avril, le club des Jacobins, présidé par Marat, adresse aux sociétés affiliées une circulaire les invitant à demander la destitution des députés qui ont voté en faveur de l'appel au peuple lors du procès de Louis XVI[5]. En réaction, le 13 avril, sur proposition de Guadet, la Convention vote la mise en accusation de Marat par 226 voix contre 93 et 47 abstentions. Il est déféré devant le tribunal révolutionnaire, qui prononce l'acquittement (24 avril). C'est un échec pour les girondins.

Le 15 avril, 35 des 48 sections de Paris présentent à la Convention une pétition réclamant le retrait de vingt-deux députés girondins.

La réaction des girondins face aux menaces (24 avril-25 mai) modifier

Face à ces menaces, le , alors que Robespierre présente son projet de déclaration des droits (préambule de la constitution en cours d'élaboration) subordonnant le droit de propriété à l'utilité sociale, la Gironde porte le débat sur la question sociale, invoquant la menace des « anarchistes » et de la « loi agraire ».

Le 30 avril, Pétion lance une Lettre aux partisans par laquelle il tente de mobiliser les notables en insistant sur la menace de la loi agraire. Le 3 mai, à la suite d'une manifestation de 10 000 sans-culottes, il appelle les modérés à reprendre le contrôle des assemblées générales de section[6].

Le 9 mai, les sections de Bordeaux dominées par la bourgeoisie marchande envoient à la Convention une adresse menaçante contre les « anarchistes », comme à Nantes[pas clair]. À Marseille, les représentants en mission sont expulsés le 29 avril et un comité général des sections est formé, qui se met à poursuivre les sans-culottes et les jacobins. À Lyon, les modérés alliés à des royalistes renversent la municipalité montagnarde le 29 mai. Chalier est emprisonné, puis guillotiné (17 juillet)[6].

Le 18 mai, à la Convention, Guadet attaque la Commune et ses comités annexes, parlant d'« autorités anarchiques, avides à la fois d'argent et de domination » et propose leur dissolution immédiate.

Une commission spéciale est instituée, la Commission extraordinaire des Douze, qui ne comprend que des Girondins. Le 24 mai, elle ordonne l'arrestation d'Hébert, de Varlet et de Dobsen. Une lutte violente s'engage alors pour le contrôle des assemblées générales et des comités de section[7].

Vers l'insurrection (25-30 mai) : le comité de l'Évêché modifier

Les événements se précipitent alors. Le 25 mai, une délégation de la Commune réclame à la Convention la libération d'Hébert, son substitut. Le girondin Maximin Isnard, qui préside alors l'assemblée, répond par une célèbre déclaration menaçant Paris d'anéantissement au cas où d'autres insurrections auraient lieu.

Le 26, au Club des jacobins, Robespierre appelle à l'insurrection[réf. nécessaire].

Le 28, la section de la Cité convoque les autres sections le lendemain à l'Évêché.

Le 29 mai, un comité insurrectionnel de neuf membres, connu sous le nom de « comité de l'Évêché », est formé par les délégués de trente-trois sections. Libérés la veille par la Convention, après le départ des Girondins de la salle des séances[pas clair], Varlet et Dobsen en font partie.

Le 30 mai, le directoire du département de la Seine se joint à l'insurrection.

Le 31 mai, le comité de l'Évêché est élargi par adjonction aux neuf membres initiaux de quatre représentants de la Commune de Paris et de onze représentants du département[7]. .

Les journées insurrectionnelles modifier

L'insurrection du 31 mai modifier

 
Le , estampe gravée par Jean-Joseph-François Tassaert d'après une esquisse de Fulchran-Jean Harriet, Paris, musée Carnavalet.

Sous la direction du comité de l'Évêché, l'insurrection du se déroula sur le modèle de la journée du 10 août 1792. Après qu'on eut fait sonner le tocsin, les pétitionnaires des sections et de la Commune se présentèrent vers 17 heures à la barre de l'Assemblée, cependant que la foule occupait les abords du bâtiment. Cette pétition réclamait l'exclusion des chefs de la Gironde, la suppression de la commission des Douze, l'arrestation des suspects, l'épuration des administrations, la création d'une armée révolutionnaire, l'attribution du droit de vote aux seuls sans-culottes, la fixation du prix du pain à 3 sous grâce à une taxe sur les riches, la distribution de secours publics aux vieillards, aux infirmes et aux parents de volontaires aux armées. Sur le rapport de Barère au nom du Comité de salut public, et malgré l'intervention de Robespierre, la Convention se borna à casser la commission des Douze.

L'insurrection du 2 juin modifier

 
Journées des , 1er et , estampe gravée d'après Swebach-Desfontaines, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, vers 1800.

Le dimanche , une nouvelle insurrection éclata. Sur l'ordre du comité insurrectionnel, 80 000 citoyens et hommes de la garde nationale emmenés par Hanriot cernèrent la Convention, tandis qu'une députation allait demander à l'Assemblée l'arrestation immédiate des chefs girondins.

Après un débat confus, l'ensemble de la Convention sort à la suite de son président, Hérault de Séchelles, pour tenter de forcer le passage. En réponse, Hanriot lance un ordre : « Canonniers à vos pièces ! »

Vaincus, les députés regagnent la salle des séances.

Le décret d'arrestation des députés girondins modifier

Sur la proposition de Georges Couthon, une grande majorité des députés de la Convention décrètent l'arrestation à leur domicile des 22 représentants réclamés par les pétitionnaires, ainsi que des membres de la commission des Douze et des ministres Clavière et Lebrun-Tondu. Boyer-Fonfrède et Saint-Martin-Valogne ayant été exclus de la mesure à la demande de Legendre, puis Ducos, Dussaulx et Lanthenas à la demande, entre autres, de Couthon et de Marat, c'est finalement 22 députés girondins qui firent l'objet d'un décret d'arrestation à leur domicile, avec les ministres Clavière et Lebrun-Tondu : Barbaroux, Birotteau, Brissot, Buzot, Chambon, Gensonné, Gorsas, Grangeneuve, Guadet, Lanjuinais, Lasource, Lehardy, Lesage, Lidon, Louvet, Pétion, Salle, Valazé, Vergniaud et dix membres de la commission des Douze (Bergoeing, Boilleau, Gardien, Gomaire, Kervélégan, La Hosdinière, Henry-Larivière, Mollevaut, Rabaut, Viger)[8].

 
Une figure allégorique foudroie diverses créatures (serpents, grenouilles, escargots...) en brandissant un drapeau sur lequel figure l'inscription « Rév.[olution] du  » célébrant la chute des Girondins.
Estampe, BnF, département des estampes.

Suites modifier

Le destin des députés girondins modifier

Placés en résidence surveillée à leur domicile, mais en réalité mal gardés[9], plusieurs députés girondins s'enfuirent et favorisèrent les insurrections fédéralistes en Normandie, en Bretagne, dans le Sud-Ouest et dans le Midi. De même, 75 députés[Note 1] signèrent entre le 6 et le 19 juin des protestations[Note 2] contre la journée du [10]. Pour rassurer les départements, inquiets devant la menace d'une dictature des sans-culottes parisiens, le rapport de Saint-Just sur les députés détenus ou fugitifs, présenté le 8 juillet, était des plus modérés.

  • procès et exécution de vingt-deux députés (30 octobre), condamnés à mort et exécutés le lendemain (Vergniaud, etc.)
  • morts individuelles de : Brissot (suicide) ; Condorcet (dans sa cellule), etc.

Mesures prises par la Convention montagnarde (juin 1793) modifier

Sur le plan social, la loi du sur le mode de vente des biens des émigrés précisait qu'ils seraient divisés en petites parcelles pour favoriser les paysans pauvres, qui pourraient bénéficier d'un délai de dix ans pour payer. La loi du 10 juin sur le partage des biens communaux, autorisé à titre facultatif, indiquait qu'il se ferait à parts égales, pour tous les habitants domiciliés, et non les seuls propriétaires, et que chaque lot serait tiré au sort. Enfin, la loi du 17 juillet sur le régime féodal supprima définitivement l'ensemble des droits féodaux sans indemnité (au contraire de la nuit du 4 août), les titres devant être déposés au greffe des municipalités pour être brûlés. Entretemps le 23 juin, sur demande de Billaud-Varennes, la loi martiale fut abrogée par la Convention.

Sur le plan politique, la Constitution de l'an I est votée le 24 juin sur le rapport d'Hérault de Séchelles, après une discussion rapide. Quant à la déclaration des droits, si elle rejetait la modification de définition de la propriété, elle reconnaissait le droit à l'insurrection. Soumise à la ratification populaire, la constitution fut adoptée par plus de 1 800 000 oui contre environ 17 000 non, plus de 100 000 votants ne l'approuvant qu'avec des amendements modérant le texte, résultats proclamés le . Cette constitution ne fut cependant jamais appliquée.

Analyse de cet épisode de la Révolution modifier

Pour Raymonde Monnier, dans cette insurrection, les Jacobins conservèrent de bout en bout l'initiative ainsi que la direction politique de l'événement. Les Enragés, partisans de mesures sociales radicales et de la démocratie directe, qui avaient contribué à sa préparation, ne parvinrent jamais à faire triompher leurs vues[11].

Notes et références modifier

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Références modifier

  1. Sur François Pierre Alexandre Taboureau de Montigny, avocat né à Orléans le 2 juillet 1746 mort dans la même ville en 1803, voir Albert Mathiez, « Un enragé inconnu : Taboureau de Montigny », Annales historiques de la Révolution française, tome VII, mai et juillet 1930, pp. 209-230 et 305-322, et Georges Lefebvre, « Quelques notes sur Taboureau, "L'Enragé" d'Orléans », AHRF, tome VIII, mars 1931, pp. 140-148.
  2. Dumouriez est toujours resté partisan de la monarchie constitutionnelle. Il n'a pas du tout accepté le procès et la condamnation de Louis XVI.
  3. Germain Truchon : avocat au Parlement de Paris, né le 2 avril 1741 à Vincelles (près d'Auxerre), rayé du tableau des avocats pour bigamie, élu de la section des Gravilliers, substitut du procureur de la Commune de Paris, arrêté le 27 mai 1794 et interné à la prison du Luxembourg, libéré le 4 novembre 1795 à la suite de l'amnistie. Voir : Une Grande figure de la Révolution Germain Truchon dit « Longue barbe », d'Henri Tribout de Morembert, Paris, Imprimerie nationale, 1955.
  4. Jean-Paul Bertaud, La Révolution française, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 82), , 370 p. (ISBN 2-262-02305-0), p. 195.
  5. Aulard 1895, p. 125 et suiv., compte rendu de la séance du 5 avril 1793 du club des Jacobins, sous la présidence de Marat, [lire en ligne].
  6. a et b Jean-Paul Bertaud, La Révolution française, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 82), , 370 p. (ISBN 2-262-02305-0), p. 198.
  7. a et b Monnier 1989, p. 699.
  8. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Paris, P. Dupont, 1897-1913, t. 65, p. 708.
  9. Jean-Clément MARTIN, Nouvelle Histoire de la Révolution française, Saint-Amand, Perrin, , p. 363.
  10. « Protestations contre le 2 juin émanant de membres de la Convention », Louis Mortimer Ternaux, Histoire de la terreur, 1792-1794, Paris, Michel Lévy frères, 1869, tome 7, p. 541-545.
  11. Monnier 1989, p. 700.

Filmographie modifier

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Voir aussi modifier

Sources primaires (imprimées) modifier

  • François-Alphonse Aulardéd.), La Société des Jacobins : recueil de documents pour l'histoire du club des Jacobins de Paris, t. V : janvier 1793 à mars 1794, Paris, Librairie Léopold Cerf / Librairie Noblet / Maison Quantin, , I-711 p. (lire en ligne).
  • L. Latasteéd.), Louis Claveauéd.), Constant Pionnieréd.) et André Ducoméd.), Archives parlementaires de 1787 a 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, t. LXV : du 17 mai 1793 au 2 juin 1793, Paris, Paul Dupont, éditeur, , 791 p. (lire en ligne).

Bibliographie modifier

Ouvrages anciens modifier

  • Louis Blanc, Histoire de la révolution française, Paris, Pagnerre, Furne et Cie, 1866, tome VIII, chapitres X et XI : « Les Douze renversés » et « Chute des Girondins », p. 389-454.
  • Adolphe Thiers, Histoire de la révolution française, Paris, Furne et Cie, 1854, tome IV, livre XIV : « trente un mai », p. 92-184.
  • Henri Wallon, La Révolution du 31 mai et le fédéralisme en 1793, ou la France vaincue par la Commune de Paris, vol. 1, Paris, Librairie Hachette et Cie, , VII-547 p. (lire en ligne).
  • Henri Wallon, La Révolution du 31 mai et le fédéralisme en 1793, ou la France vaincue par la Commune de Paris, vol. 2, Paris, Librairie Hachette et Cie, , 542 p. (lire en ligne).

Études contemporaines modifier