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Arbres des Premiers ministres français

Les arbres des Premiers ministres sont, en France, des arbres que les Premiers ministres plantent dans le jardin de leur résidence officielle, l'hôtel de Matignon, après y avoir été en poste pendant plusieurs mois. Cette tradition de la vie politique française est apparue en .

Histoire modifier

La tradition est inaugurée par Raymond Barre en 1978. Malgré l'alternance portée par les élections législatives de 1981, son successeur Pierre Mauroy perpétue la tradition en plantant un chêne de Hongrie lors du deuxième anniversaire de son arrivée à Matignon[1].

La seule rupture dans la tradition est due à Jacques Chirac, qui n'en plante pas lorsqu'il devient Premier ministre de la première cohabitation[2] entre 1986 et 1988. Gilles Boyer interprète ce refus comme un manque de temps, ou alors, comme le signe de la volonté de Jacques Chirac de ne pas rester à Matignon mais d'être élu président de la République au plus vite[3]. Chirac laisse tout de même une trace de son passage dans le jardin de Matignon en y plantant des rosiers[4].

En , Lionel Jospin décide de planter un orme offert par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)[5]. À l'occasion de la couverture de l'évènement par le Le Figaro et Le Parisien, Le Monde écrit en 1998 que pour « tout premier ministre [...], pour peu qu'il fasse la preuve de sa longévité, six mois de Matignon sont exigés par un code non écrit » pour planter un arbre[6].

Plusieurs des arbres ont dû être abattus, comme le chêne de Hongrie de Pierre Mauroy, qui a tenu trois ans. Chaque arbre tombé a été replanté sur ordre du Premier ministre[7],[8]. En particulier, près de 30 ans après avoir planté en tant que Premier ministre un copalme qui n'a pas survécu, Michel Rocard en replante un lui-même à l'invitation de Manuel Valls, son ancien conseiller devenu à son tour Premier ministre[9],[10].

Le , François Hollande est le premier président de la République à faire de même dans le jardin de sa résidence officielle, le palais de l'Élysée : après avoir visité le Salon de l'agriculture, il plante un chêne offert par l'Office national des forêts (ONF) pour le 50e anniversaire de sa création[11],[12].

Liste des arbres modifier

No  Photo Premier ministre Arbre Date Temps écoulé depuis
le début du mandat
1
 
 Barre, Raymond Raymond Barre Érable à sucre 2 ans, 9 mois et 13 jours
depuis le
2
 
 Mauroy, Pierre Pierre Mauroy Chêne de Hongrie 2 ans et 2 jours
depuis le
3
 
 Fabius, Laurent Laurent Fabius Chêne des marais 1 an, 7 mois et 25 jours
depuis le
Chirac, Jacques Jacques Chirac — — —
4
 
 Rocard, Michel Michel Rocard Copalme d'Amérique ???
depuis le
5
 
 Cresson, Édith Édith Cresson Arbre aux quarante écus[13] 9 mois et 26 jours
depuis le
6
 
 Bérégovoy, Pierre Pierre Bérégovoy Tulipier de Virginie ???
depuis le
7
 
 Balladur, Édouard Édouard Balladur Érable argenté 11 mois et 10 jours
depuis le
8
 
 Juppé, Alain Alain Juppé Cercidiphyllum ???
depuis le
9
 
 Jospin, Lionel Lionel Jospin Ulmus « Wanoux » 8 mois et 10 jours
depuis le
10
 
 Raffarin, Jean-Pierre Jean-Pierre Raffarin Arbre de fer ???
depuis le
11
 
 Villepin, Dominique de Dominique de Villepin Chêne pédonculé[14] 5 mois et 25 jours
depuis le
12
 
 Fillon, François François Fillon Cornouiller des pagodes[15],[16] 6 mois et 20 jours
depuis le
13
 
 Ayrault, Jean-Marc Jean-Marc Ayrault Magnolia à grandes fleurs[17] 6 mois et 14 jours
depuis le
14
 
 Valls, Manuel Manuel Valls Chêne fastigié (Quercus robur f. fastigiata)[18] 8 mois et 15 jours
depuis le
15
 
 Cazeneuve, Bernard Bernard Cazeneuve Magnolia de Kobé[19],[20] 3 mois et 16 jours
depuis le
16
 
 Philippe, Édouard Édouard Philippe Pommier 6 mois et 13 jours[21]
depuis le
17
 
 Castex, Jean Jean Castex Frêne[22] 6 mois et 1 jour[23]
depuis le
18
 
 Borne, Élisabeth Élisabeth Borne Chêne vert[24] 6 mois et 12 jours[24]
depuis le

Symbolique modifier

Présence ministérielle et affirmation de l'existence politique modifier

Dans leur livre L'Heure de vérité, Édouard Philippe et Gilles Boyer font remarquer que, outre le portrait qui figure dans le grand livre du premier étage, l'arbre est « la seule trace visible qui restera de leur passage [à l'hôtel Matignon] »[25]. Le Monde ironise : « Raymond Barre fut le premier, en 1980, à marquer, ainsi, son territoire »[6].

Marque d'un programme politique modifier

Roland Dumas et François Dessy remarquent la symbolique de l'arbre dans la mythologie politique française, remontant au chêne de Saint-Louis[26] au bois de Vincennes. Le chêne est l'arbre qui a été le plus choisi, avec cinq arbres (Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Dominique de Villepin, Manuel Valls et Élisabeth Borne), du fait de sa symbolique de longévité[27].

Dans un article de titré « Du chêne à l'orme », le journal Le Monde écrit que Michel Rocard penche d'abord pour un orme : « il s'agit de montrer [...] que, face à la “maladie des ormes” qui décime ces arbres, on ne baisse pas les bras. C'est, en somme, à l'échelon végétal, l'affirmation du combat de la vie »[28],[29]. Quelques mois plus tard, il opte finalement pour un copalme. Jean Amadou rapporte que le choix de cet arbre peu connu avait pour but d'étonner ses visiteurs et de marquer sa culture. Il aurait déclaré que « Mitterrand, qui prétend s'y connaître en arbre, ne sait rien sur le copalme. Ça vous situe le personnage ! »[30].

Le Monde, couvrant la plante du ginkgo biloba d'Édith Cresson en , remarque que la Première ministre avait insisté, en le plantant, sur le fait que les seuls arbres qui avaient résisté aux bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki au Japon étaient des ginkgo biloba, afin de témoigner de sa propre résistance face aux heurts du poste de Premier ministre[31], qu'elle quitte cependant moins d'un mois plus tard.

Le journal souligne aussi que le choix de Lionel Jospin pour un orme en est dû à ce que l'arbre « était en voie de disparition en France avant que les chercheurs de l'INRA ne le sauvent »[6]. Il explique ainsi son choix : « J'avais envie que ce soit un arbre qui avait pu disparaître et qui revit ». Libération y voit un symbole de sa destinée, lui qui pensait arrêter la politique en 1993 pour devenir diplomate, avant de finalement être nommé Premier ministre après les élections législatives de 1997, et de sa volonté de voir la gauche continuer sur cette voie aux élections régionales de 1998 qui ont lieu un mois plus tard[32].

En , Édouard Philippe choisit un pommier en hommage à l'un des slogans de campagne de Jacques Chirac à l'élection présidentielle de 1995[27].

Le frêne de Jean Castex en est présenté par le ministre comme « un bois qui tient bien au feu, qui est très résistant, solide, qui s'abîme peu », en écho à la difficile situation sanitaire relative à la pandémie de Covid-19[23].

Autres modifier

L'origine géographique de l'arbre peut également faire allusion au fief politique du Premier ministre.

Ainsi, en , Jean-Marc Ayrault choisit le magnolia grandiflora car cette espèce, venue d'Amérique, a été transportée pour la première fois par le port de Nantes, dont il a été maire.

De même, le pommier planté par Édouard Philippe en vient de Normandie, où il a été maire du Havre[27].

Postérité modifier

La plantation de chaque arbre est couverte par les médias depuis les années 1980[1],[28].

Les arbres plantés par les Premiers ministres sont devenus des symboles de la passation de pouvoir entre Premiers ministres. Ils apparaissent dans diverses œuvres de fiction, comme Le Maître d'hôtel de Matignon de Gilles Boyer en 2019[3], Les Derniers Jours de la Cinquième République de Christian Salmon en 2014[33], Article 36 d'Henri Vernet en 2019[34], ou encore La Mort nomade d'Ian Manook en 2016[35].

Références modifier

  1. ↑ a et b A. R., « Les Bucoliques de M. Mauroy », Le Monde, no 12184,‎ , p. 8 (lire en ligne  ) [lire en ligne].
  2. ↑ « Qu'est-ce que Matignon, lieu symbolique de la politique française? », Le Journal du dimanche, (consulté le ).
  3. ↑ a et b Gilles Boyer, Le Maître d'hôtel de Matignon, Paris, J.-C. Lattès, , 205 p. (ISBN 978-2-7096-5669-6 et 978-2-7096-5653-5, lire en ligne).
  4. ↑ « La petite histoire de l’arbre de Matignon », sur gouvernement.fr, .
  5. ↑ Barbara Victor (d) (trad. de l'anglais par Carole Zalberg-Reyes et Ginou Richard), Le Matignon de Jospin, Paris, Flammarion, , 479 p. (ISBN 978-2-08-067475-3), p. 87–88 [lire en ligne (page consultée le 2020-11-17)].
  6. ↑ a b et c Pierre Georges, « L'orme pluriel »  , Le Monde, (consulté le ).
  7. ↑ Bruno Jeudy, « Auprès de son arbre, Fillon vit heureux à Matignon », Le Figaro, (consulté le ).
  8. ↑ Baptiste Giroudon, « Huit jours avec Manuel Valls », Paris Match,‎ 16 au 22 juin 2016, p. 60–67.
  9. ↑ « Valls : "Michel Rocard m’a appris le goût de la vérité" », Europe 1, .
  10. ↑ « Valls : "Rocard savait rêver le monde" », Le Journal du dimanche, .
  11. ↑ Adrienne Sigel, « Hollande plante un chêne dans les jardins de l'Élysée », BFM TV, .
  12. ↑ Sophie Dubois-Collet, 1 001 secrets très bien gardés de l'Élysée, Paris, les Éditions de l'Opportun, , 311 p. (ISBN 978-2-38015-347-7 et 978-2-38015-348-4, lire en ligne).
  13. ↑ « L'arbre aux mille écus »  , Le Monde, .
  14. ↑ « Un chêne français dans les jardins de Matignon », Libération, .
  15. ↑ AP, « François Fillon aura son cornouiller des pagodes à Matignon », Le Nouvel Observateur, (version du sur Internet Archive).
  16. ↑ « François Fillon a planté son arbre à Matignon », sur politique.net, (version du sur Internet Archive).
  17. ↑ Marie-Christine Morosi, « Coups de pelle à Matignon, Jean-Marc Ayrault plante un magnolia », Le Point, .
  18. ↑ Alexandre Boudet, « Manuel Valls plante un arbre à Matignon: quand les premiers ministres jouent au jardinier », sur HuffPost, .
  19. ↑ Freddy Mulongo, « Bernard Cazeneuve a planté un "Magnolia kobus" à Matignon ! », sur blogs.mediapart.fr, Mediapart, .
  20. ↑ « Plantation de l'arbre de M. Bernard Cazeneuve », sur gouvernement.fr, (consulté le ).
  21. ↑ « Pour son arbre à Matignon, Edouard Philippe choisit un pommier normand », France 3 Normandie, (consulté le ).
  22. ↑ « Six mois après sa nomination, Jean Castex a planté un arbre à Matignon », Le Figaro, (consulté le ).
  23. ↑ a et b « Perpétuant la tradition, Jean Castex a planté un arbre à Matignon », BFM TV, (consulté le ).
  24. ↑ a et b « "Anticipant le dérèglement climatique", Elisabeth Borne plante un chêne vert au feuillage "persistant" à Matignon », sur francetvinfo.fr, (consulté le ).
  25. ↑ Édouard Philippe et Gilles Boyer, L'Heure de vérité, Paris, Flammarion, , 443 p. (ISBN 978-2-08-120231-3 et 978-2-08-123772-8, lire en ligne).
  26. ↑ François Dessy (intervieweur) et Roland Dumas (interviewé), Roland Dumas, le virtuose diplomate, La Tour-d'Aigues, L'Aube, coll. « Les grands entretiens / Conversations entre confrères », , 269 p. (ISBN 978-2-8159-1062-0, lire en ligne).
  27. ↑ a b et c Paul Guyonnet et Matthieu Balu, « Édouard Philippe a planté son arbre à Matignon et il a innové », sur HuffPost, (consulté le ).
  28. ↑ a et b « Du chêne à l'orme »  , Le Monde, (consulté le ).
  29. ↑ Jean-Louis Andreani, Le Mystère Rocard, Paris, Robert Laffont, , 732 p. (ISBN 2-221-07037-2 et 978-2-221-18351-9, lire en ligne).
  30. ↑ Jean Amadou, Et puis encore... que sais-je ?, Paris, Robert Laffont, , 253 p. (ISBN 2-221-10078-6 et 978-2-221-11767-5, lire en ligne).
  31. ↑ « L'arbre aux mille écus »  , Le Monde, (consulté le ).
  32. ↑ Jean-Michel Thénard, « Jospin joue son bilan aux régionales. Le résultat des élections influencera son rapport de force avec Chirac », Libération, .
  33. ↑ Christian Salmon, Les Derniers Jours de la Cinquième République, Paris, Fayard, , 240 p. (ISBN 978-2-213-68563-2 et 978-2-213-68542-7, lire en ligne).
  34. ↑ Henri Vernet, Article 36, Paris, J.-C. Lattès, , 414 p. (ISBN 978-2-7096-6317-5 et 978-2-7096-6281-9, lire en ligne).
  35. ↑ Ian Manook (pseudonyme de Patrick Manoukian), La Mort nomade, Paris, Albin Michel, , 428 p. (ISBN 978-2-226-32584-6 et 978-2-226-42148-7, lire en ligne).
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