Le Juge et l'Assassin

film de Bertrand Tavernier, sorti en 1976
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Le Juge et l'Assassin

Réalisation Bertrand Tavernier
Scénario Jean Aurenche
Pierre Bost
Bertrand Tavernier
Acteurs principaux
Sociétés de production FR3
Société française de production
Lira Films
Pays de production Drapeau de la France France
Genre Drame, historique
Durée 128 minutes
Sortie 1976

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Le Juge et l'Assassin est un film de procès dramatique et historique français réalisé par Bertrand Tavernier, sorti au cinéma en 1976. L'histoire est inspirée de la vie du tueur en série Joseph Vacher à la fin du XIXe siècle.

Synopsis modifier

En 1893, Joseph Bouvier, ancien sergent d'infanterie réformé en raison de ses crises de violence, tire sur la fille qu'il poursuit, Louise, avant de retourner son arme contre lui. Elle survit et lui aussi, malgré les deux balles restées logées dans sa tête. Esprit simple et exalté, nourri de slogans anarchistes, il devient vagabond à la suite de sa libération de l'asile où son geste l'avait conduit. Dès lors, parcourant la France à pied, il égorge et viole sur son chemin de jeunes bergers ou bergères.

S'intéressant à cette affaire, un juge de province, Émile Rousseau, suit patiemment Bouvier à la trace. Une fois l'assassin arrivé dans sa région, il obtient son arrestation sur la base d'un signalement composé à partir de témoignages. Si Bouvier pense qu'on va le soigner, Émile Rousseau, par arrivisme, s'efforce de ne pas croire à sa folie. Voyant dans cette affaire l'occasion unique d'une promotion, il instaure une relation de confiance avec Bouvier, base d'une mécanique huilée pour obtenir des aveux complets et sa condamnation à mort.

Le film se déroule sur le fond d'une France déchirée, mentionnant aussi bien l'affaire Dreyfus (1894-1906) que les luttes ouvrières aboutissant à la création de la CGT (1895)[1].

Fiche technique modifier

Distribution modifier

Production modifier

Tournage modifier

Le film a été tourné entre le 30 septembre et le 29 novembre 1975[3].

Plusieurs scènes ont été filmées sur le chemin de fer du Vivarais entre Tournon et Lamastre, au château de Boulogne ainsi qu'à Thines, Chomérac, Largentière, Privas et aux alentours d'Aubenas en Ardèche. Les scènes de studio ont été tournées aux studios de la Victorine à Nice[4].

Bande originale modifier

Musique du film modifier

 
Accordéon diatonique qui a inspiré le thème musical de Bouvier l'éventreur

Pour sa seconde collaboration avec le cinéaste Bertrand Tavernier, le compositeur Philippe Sarde a choisi d'écrire la musique du film avant qu'il ne soit tourné, comme il l'avait fait deux ans plus tôt avec Le Train de Pierre Granier-Deferre[6]. Tavernier a fait lire au musicien le scénario, lui racontant chaque détail et allant même jusqu'à lui jouer certaines scènes. Du coup, Philippe Sarde a préféré composer toute la musique sans regarder une seule image afin d'« éviter le pléonasme »[7].

En collaboration étroite avec le réalisateur, Sarde a élaboré un « mélange de musique dissonante, ballade, accordéon, musique de 1890 » auquel s'ajoute un quatuor à cordes et quelques vents. Pour Philippe Sarde, les instruments choisis sont comme des acteurs, et dans ce film, l'accordéon symbolise l'aspect populaire de certains personnages comme celui du tueur dément interprété par Michel Galabru ; tandis que les cordes tourmentées se référent tout à la fois à l'apparence bourgeoise imposante et au jeu plus ambigu du juge joué par Philippe Noiret[8].

Les pistes pour cordes destinées à traduire en musique la folie de Bouvier sont très discordantes, avec une écriture située entre Béla Bartók et Arthur Honegger[9].

Concernant le Thème de Bouvier, que l'on retrouve sur la piste Pour le temps et pour l'éternité[15], le compositeur souhaitait le faire jouer par le célèbre accordéoniste Marcel Azzola (avec qui il a collaboré pas moins de 18 fois de 1971 à 1987)[16]. Pour plus d'authenticité, Philippe Sarde demande à l'interprète de lui trouver un instrument datant de la fin du XIXe siècle. Azzola parvient alors à dénicher un vieil accordéon diatonique de 1890 qu'il fait réparer et qui possède le son aigre[8] que le compositeur désire, afin de faire entendre cette mélodie plaintive et désespérée qui exprime bien l'état d'esprit de l'assassin.

Mais pour Bertrand Tavernier, il ne s'agit pas d'une musique de film classiquement axée sur des thèmes ou leitmotivs liés aux personnages. Selon lui : « le propos musical se situe à un autre niveau, il fait d'abord passer la notion de voyage, de régions que l'on traverse, d'errance géographique et mentale »[17].

L'orchestration et la direction musicale ont été confiées au fidèle Hubert Rostaing, tandis que Carlo Savina a dirigé l'orchestre symphonique qui accompagne le quatuor et les solistes. L'enregistrement s'est effectué dans les studios CTS, Wembley à Londres sous la houlette de l'ingénieur du son William Flageollet[18].

Chansons originales modifier

 
Lithographie représentant la Commune de Paris qui a inspiré la troisième chanson du film.

Avec la collaboration de Jean-Roger Caussimon comme parolier, Philippe Sarde a écrit la musique des trois chansons originales[23].

La première, intitulée Sigismond le Strasbourgeois, est une chanson aux airs patriotiques qui retrace la vie d'un jeune Alsacien ayant opté pour la France en 1871 et qui choisit de s'engager dans l'armée pour partir dans les colonies. Cette première chanson est interprétée par un patriote « Âne Rouge » à la voix de baryton, dont le rôle est tenu par Robert Morel dit Bob, un ancien membre des services secrets français qui lutta contre les militants de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) en Algérie et qui fut garde du corps de Charles de Gaulle[24]. À noter que le pianiste qui accompagne Bob Morel est le compositeur Philippe Sarde lui-même dont c'est la première figuration à l'écran[25].

La deuxième chanson a été composée sur le mode de la complainte, un genre populaire propre aux chansonniers qui parcouraient les routes, inventaient des chansons s'inspirant de l'actualité, les interprétaient et les vendaient par feuillets. Elle s'appelle La Complainte de Bouvier l'éventreur et est interprétée dans le film par Jean-Roger Caussimon lui-même :

« Petit berger, jolie bergère, innocent joueur de pipeau, quand vos moutons se désaltèrent à l'onde claire d'un ruisseau. Dans les roseaux, dans les fougères, vous redoutez de voir le loup, ravir un agneau tout à coup et l'emporter dans sa tanière… »

La dernière chanson, qui conclut le film, est quant à elle inspirée des chants révolutionnaires de la Commune de Paris[26]. Elle s'intitule La Commune est en lutte[27] et sert à deux reprises d'illustration sonore au film : la première fois — interprétée par Michel Galabru — lorsque Joseph Bouvier attend les gendarmes, en étant encerclé par les bergers qui l'ont pris en flagrant délit, et la seconde fois lors de la scène finale qui retrace une grève ouvrière réprimée par la gendarmerie. Cette dernière chanson a fait l'objet de plusieurs interprétations : par Jean-Roger Caussimon en 1977[28], au concert de Jean-Roger Caussimon au Théâtre de la Ville en 1978[29], par Serge Utgé-Royo[30]et par Dominique Grange[31].

Liste des titres de l'album modifier

Publié une première fois en 33 tours chez Saravah en 1976[32], l'album du Juge et l'assassin a ensuite été réédité dans le 6e CD d'un coffret consacré à l'intégrale 1970-1980 de Jean-Roger Caussimon, paru en édition limitée sur le label Le Chant du monde en 2003[33].

No TitreInterprète(s) Durée
1. Le Juge Et L'Assassin 3:20
2. La Complainte De Bouvier L'EventreurJean-Roger Caussimon 3:25
3. Premiere Lettre A Louise 2:00
4. Bouvier Echappe Aux Gendarmes 1:45
5. « Pour Le Temps Et Pour L'Eternite » 1:15
6. La Commune Est En LutteIsabelle Huppert et les ouvrières… 1:50
7. La Commune Est En LutteJean-Roger Caussimon 3:15
8. L'Hospice 1:00
9. Sigismond Le StrasbourgeoisBob Morel 3:00
10. Bal De Nuit 2:00
11. Promenade (extrait)Isabelle Huppert, Philippe Noiret 1:15
12. Le Juge Et La Communiante 1:00
13. Bouvier L'Anarchiste De Dieu 1:15
26:20

Autour du film modifier

  • Le film est inspiré de faits réels : le parcours sanguinaire de Joseph Vacher[34], suspecté d'avoir tué au moins vingt personnes à la fin du XIXe siècle. Vacher est un personnage historique bien connu des criminologues, qui peut être considéré pour la France comme le pendant de Jack l'Éventreur pour l'Angleterre. Dans le film, le personnage de Bouvier a même accroché dans sa cellule une affiche représentant Vacher agressant une bergère, tirée d'un numéro du Petit Journal paru en 1898 et montrant un homme agressant une jeune femme, avec pour légende : « Un nouveau Vacher »[35].
  • D'autres personnages historiques sont le juge Émile Fourquet (1862-1936) cherchant une gloire personnelle d'ordre social, et le professeur de médecine légale et militaire Alexandre Lacassagne (1843-1924) qui partageait les opinions de Fourquet[36], respectivement représentés dans le film par le juge Rousseau et le professeur Degueldre.
  • La collaboration entre Bertrand Tavernier et Jean Aurenche pour l'écriture de ce film est évoquée dans le documentaire Jean Aurenche, écrivain de cinéma d'Alexandre Hilaire et Yacine Badday.
  • Le film se situe exactement à l'époque où les neuropsychiatres français qualifiaient les vagabonds d'« aliénés migrateurs » atteints de « dromomanie »[36].

Distinctions modifier

Récompenses modifier

Nominations modifier

Bibliographie modifier

  • René Tavernier, Henri Garet, Le Juge et l'Assassin, Paris, Presses de la Cité, 1976, 312 p.
  • L'Avant-scène. Cinéma, no 170, juin 1976 : Le Juge et l'Assassin (découpage et texte in extenso).
  • Jean-Pierre Zarader, « Le mal et son pardon dans l'œuvre cinématographique de Bertrand Tavernier », Revue de Métaphysique et de Morale, vol. 90, no 2,‎ , p. 247–265 (ISSN 0035-1571, lire en ligne, consulté le ).

Notes et références modifier

  1. Sandy Gillet, « Le Juge et l'assassin : La mort et rien d'autre - Tests Blu-ray / DVD », sur DigitalCiné, (consulté le )
  2. JP, « Le Juge et l'Assassin (1976)- JPBox-Office », sur www.jpbox-office.com (consulté le )
  3. « Fiche du film Le Juge et l'assassin, onglet Tournage », sur Ciné-Ressources (consulté le ).
  4. Fabrice Levasseur, « Lieux de tournage cinématographique », sur L2TC.com (consulté le ).
  5. La Complainte de Bouvier l'éventreur, sur Youtube. Minutage 1:49.
  6. Daniel Bastié, Philippe Sarde, des notes pour l'écran, Mariembourg, Grand Angle, (ISBN 978-2-87334-029-2), p. 38-39.
  7. a b et c Hubert Niogret et Jean-Dominique Nuttens, « Dossier Tavernier : Entretien avec Philippe Sarde, compositeur », Positif, nos 725-726,‎ , p. 28 (ISSN 0048-4911).
  8. a b et c Jean-Pierre Pecqueriaux, « Un entretien avec Philippe Sarde - 1re partie », Soundtrack!, vol. 4, no 14,‎ , p. F6.
  9. Concernant le compositeur suisse, Philippe Sarde l'a souvent évoqué parmi ses influences : « J'aime beaucoup Arthur Honegger. Je ne l'ai pas écouté avant de faire la partition […] mais j'ai écouté Honegger quand j'avais cinq ou six ans et tout ça est dans ma tête »[8].
  10. Interview d'André Téchiné par Stéphane Lerouge extraite du livret du CD Le Cinéma D'André Téchiné, Universal Music Jazz France, 2004, p. 6.
  11. Propos tirés du documentaire Philippe Sarde: Un voyage musical dans l'histoire du cinéma de Frédéric Chaudier et Frédéric Zamochnikoff (2013) et rapportés par Anne Dessuant, « Fort en thèmes », Télérama,‎ 25 au 31 octobre 2014, p. 76.
  12. Concernant les recyclages de thèmes par Philippe Sarde, il faut souligner que le réalisateur Bertrand Tavernier, grand cinéphile et mélomane, s'est assez vite rendu compte que son collaborateur en faisait une réutilisation assez régulière, et il l'a d'ailleurs confié sans ambages à Vincent Perrot dans la 4e partie du DVD Compositeurs/Réalisateurs, dialogue impossible ? vendu avec l'ouvrage B.O.F., Musiques et compositeurs du cinéma français de V. Perrot, 2002. C'est également le cas des réalisateurs André Téchiné[10] et Jacques Doillon[11] qui n'hésitent pas à qualifier Sarde de « voyou » de charme.
  13. Alain Lacombe, Des compositeurs pour l'image, Paris, Musique et promotion, p. 407.
  14. La Confession d'un enfant du siècle : Le Bruit de la vie sur la 1er chaine de l'ORTF (, 110 minutes) La scène se produit à 3 min. et 5 sec.
  15. On peut entendre les premières mesures de ce thème dans le lien suivant : [vidéo] Pour le temps et pour l'éternité - BOF Le Juge et l'Assassin (à 23 s) sur YouTube. Il est important de noter que ce thème provient, comme souvent chez le compositeur[12], d'une mélodie à peine plus ancienne puisqu'écrite l'année précédente pour La Confession d'un enfant du siècle de Claude Santelli[13]. Plus précisément, le thème de Bouvier est tiré d'une mélodie secondaire que l'on entend une première fois en tant que contre-chant du thème principal dans le générique début du téléfilm de Santelli (et on peut d'ailleurs voir jouer cette musique à l'écran par un petit orchestre de bal comprenant entre autres un cornet à pistons, un tuba, une mandoline, un percussionniste et quelques cordes)[14].
  16. « Participations musicales de Marcel Azzola pour le cinéma », sur Marcel Azzola (consulté le ).
  17. Propos de Bertrand Tavernier recueillis par Stéphane Lerouge, extraits du livret du CD Le cinéma de Bertrand Tavernier, Universal Music Jazz France, 2002, p. 9.
  18. Livret du CD Le cinéma de Bertrand Tavernier, Universal Music Jazz France, 2002, p. 1.
  19. Luc Larriba, « Entretien avec Philippe Sarde : Composer pour des films et non coller de la musique sur des images », Revus & Corrigés, no 9,‎ , p. 16 (ISSN 2609-9942).
  20. « Thierry Frémaux,Si nous avions su que nous l'aimions tant, nous l'aurions aimé davantage, Grasset, 2022 », sur Google Livres.
  21. Vincent Perrot, B.O.F. : Musiques et compositeurs du cinéma français, Paris, Dreamland, (ISBN 2-910027-93-7), p. 115.
  22. Propos de Bertrand Tavernier recueillis par Stéphane Lerouge, extraits du livret du CD Le cinéma de Bertrand Tavernier, Universal Music Jazz France, 2002, p. 5.
  23. Comme la partie musicale instrumentale, les chansons ont été écrites avant le tournage du film[19]. Cependant, Tavernier avait besoin de l'enregistrement sur bande de certaines chansons sur place, notamment pour pouvoir filmer la complainte chantée en playback par Jean-Roger Caussimon, et il a fallu que Philippe Sarde puisse la lui apporter en personne. Le directeur de production René Brun explique alors à Sarde comment se rendre sur le lieu du tournage situé à Aubenas, au cœur de l'Ardèche (en lui mentionnant tous les détails des trajets en train et avion). Ensuite, le compositeur hèle un taxi pour l'amener à la Gare de Lyon ; mais parvenu devant l'édifice, il hésite et préfère demander au chauffeur de le conduire directement en taxi jusqu'au Grand Hôtel des Bains à Aubenas[7],[20],[21],[22]. René Brun a ensuite rapporté à Tavernier que cette escapade en taxi avait coûté un jour de tournage à la production[7].
  24. Bertrand Tavernier et Philippe Noiret, Entretien vidéo par Michel Boujut, DVD Le Juge et l'assassin (à partir de 0:32:33), Suppléments, Studio Canal, .
  25. Daniel Bastié, Philippe Sarde, des notes pour l'écran, Mariembourg, Grand Angle, (ISBN 978-2-87334-029-2), p. 90.
  26. Bertrand Tavernier et Philippe Noiret, Entretien vidéo par Michel Boujut, DVD Le Juge et l'assassin (à partir de 0:30:21), Suppléments, Studio Canal, .
  27. (it) « Canzoni contro la guerra: Jean-Roger Caussimon - La Commune est en lutte », sur antiwarsongs.org (consulté le ).
  28. [vidéo] Jean-Roger Caussimon - La commune est en lutte (version studio 1977) sur YouTube.
  29. [vidéo] Jean-Roger Caussimon - La commune est en lutte (au Théâtre de la Ville) (à 44 min 24 s) sur YouTube.
  30. [vidéo] Serge Utgé-Royo - La commune est en lutte sur YouTube.
  31. [vidéo] Dominique Grange - La commune est en lutte sur YouTube.
  32. (en) « Philippe Sarde – Le Juge Et L'Assassin (Bande Originale Du Film De Bertrand Tavernier) », sur Discogs (consulté le ).
  33. (en) « Jean-Roger Caussimon – L'Intégrale 1970-1980 », sur Discogs (consulté le ).
  34. Vacher : « qui garde des vaches » ; Bouvier : « qui garde des bœufs ».
  35. « Illustration du Petit Journal », sur psychiatrie.histoire.free.fr (consulté le ).
  36. a et b J.C. Beaune, Le Vagabond et la Machine. Essai sur l'automatisme ambulatoire. Médecine, technique et société. 1880-1910, Seysell (Ain), Champ Vallon, coll. « milieux », (ISBN 2-903528-23-3), p. 143-144 et 184-185..

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