Utilisateur:Elfie/Charles de Montalembert

Charles de Montalembert en 1831

Charles Forbes René, comte de Montalembert, né le 15 avril 1810 à Londres, décédé le 13 mars 1870 à Paris, était un journaliste, historien et homme politique français. Pair de France en 1831, parlementaire des assemblées constituante et législative de la Deuxième République après la révolution de 1848, membre du Corps législatif du Second Empire, il était favorable à une monarchie constitutionnelle et libérale.

L'un des principaux théoriciens et défenseurs en France du catholicisme libéral, le comte de Montalembert défendit la liberté de la presse et la liberté d'association, soutint constamment les droits des nationalités opprimées et fut l'un des auteurs de la loi de 1850 sur la liberté de l'enseignement.

Biographie

modifier

Jeunesse et formation (1810-1830)

modifier

Un aristocrate doué

modifier

La famille de Montalembert, originaire de l'Angoumois, pouvait faire remonter sa généalogie jusqu'au XIIIe siècle ; des chartes permettaient d'aller encore deux siècles plus haut. La tradition familiale était celle de la carrière des armes, dans laquelle s'étaient illustrés la plupart des ancêtres de Charles de Montalembert, notamment, au XVIIIe siècle, le marquis de Montalembert, général et ingénieur français, son grand-oncle.

Pendant la Révolution, le père de Charles de Montalembert, Marc René de Montalembert, s'exile en 1792 sous la Terreur, et combat aux côtés des royalistes émigrés dans l'armée de Condé, puis dans la cavalerie britannique. En 1808, il épouse Elise Rosée Forbes, fille de James Forbes, explorateur en Inde et en Afrique, savant et artiste, issu d'une vieille famille protestante écossaise. Le 15 avril 1810, leur fils aîné, Charles, naît à Londres. Jusqu'en 1819, il est élevé en Angleterre, à Stanmore par son grand-père maternel.

Après la chute de l'Empire, en 1814, le comte de Montalembert rentre en France aux côtés du roi Louis XVIII. En 1816, il est nommé ministre plénipotentiaire à Stuttgart, puis, à partir de 1820, siège à la Chambre des pairs, à Paris. Son fils poursuit ses études à Paris, d'abord au lycée Bourbon, puis, à partir de 1826, à l'institution Sainte-Barbe, rue des Postes (collège Rollin). Étudiant zélé et d'une grande précocité intellectuelle, marqué par l'exemple du système politique britannique, Charles de Montalembert développe alors des idées politiques libérales. Parallèlement, la conversion de sa mère au catholicisme en 1822 renforce sa foi religieuse.

Ses études ne l'empêchent pas de développer un cercle important de relations intellectuelles et mondaines : le jeune homme fréquente alors le salon de Madame de Davidoff, celui de Delphine Gay, assiste aux cours du philosophe Victor Cousin, avec qui il se lie d’amitié, de même qu’avec François Rio, professeur d'histoire à Louis-le-Grand. Mais ses amis les plus proches sont alors Léon Cornudet, futur conseiller d'État, et Gustave Lemarcis, qu'il a rencontré en septembre 1827 au château de la Roche-Guyon, où il séjournait chez l'abbé-duc de Rohan.

Romantisme, libéralisme, catholicisme

modifier

Comme toute sa génération, Montalembert est influencé alors par les idées romantiques, rêve de sublime, de génie et de sacrifice. À l'âge de quinze ans, il prend la résolution solennelle de servir à la fois Dieu et la liberté de la France :

« En vivant pour notre patrie, nous aurons obéi à la voix de Dieu qui nous ordonne de nous aimer les uns les autres ; et comment pourrions-nous mieux aimer nos concitoyens qu’en leur dévouant notre vie entière ? Nous aurons ainsi vécu pour ce qu’il y a de plus beau et de plus grand dans le monde, la religion et la liberté. » [1]

Après avoir obtenu son baccalauréat le 2 août 1828, ainsi qu'un prix de rhétorique au concours général, il part le 26 août rejoindre ses parents en Suède, à Stockholm, où, en 1827, Marc René de Montalembert avait été nommé ministre plénipotentiaire. Le jeune vicomte de Montalembert admire alors Stockholm et les institutions politiques suédoises, mais méprise le roi Charles XIV, en raison de ses origines roturières et impériales. Rebuté alors par la lecture de Kant, dont il traduit pour Cousin la Critique de la raison pratique, il découvre avec enthousiasme les œuvres des penseurs idéalistes et mystiques allemands, Schelling, Zimmer, Baader, qui l'amènent à renier peu à peu l'éclectisme de Victor Cousin.

De retour à Paris en 1829, il commence en même temps que ses études de droit sa carrière de journaliste, en écrivant des articles sur la Suède pour la Revue française, dirigée par Guizot, Broglie et Barante, et en collaborant au Correspondant, feuille hebdomadaire fondée en mars 1829 par Carné, Cazalès et Augustin de Meaux.

En matière littéraire, Montalembert est favorable à la jeune école romantique contre les « vieux classiques encroûtés »[2]. La comtesse de Montalembert, sa mère, reçoit fréquemment Lamartine, Martignac, Delphine Gay. Charles de Montalembert admire Vigny, Sainte-Beuve, et, par-dessus tout, Victor Hugo, dont il soutient ardemment Hernani, qu'il voit comme une manifestation de la liberté dans le théâtre. Il fréquente alors assidûment le poète, qui lui fait découvrir l'architecture religieuse du Moyen Âge à travers la préparation de Notre-Dame de Paris.

L'engagement politique (1830-1837)

modifier

L'exemple irlandais

modifier

Le 25 juillet 1830, Charles de Montalembert part pour l'Angleterre. Il est à Londres pendant la révolution de Juillet. D'abord favorable à la chute de Charles X, coupable selon lui d'avoir violé la Charte, fondement des libertés garanties par la monarchie constitutionnelle, il réprouve ensuite les excès anti-religieux des libéraux.

Depuis l'Angleterre, il part pour l'Irlande. Il y rencontre Daniel O'Connell, le fondateur de l'Association catholique (Catholic Association), qui a obtenu en 1829 l'émancipation politique des catholiques d'Irlande et qui personnifie aux yeux de Montalembert la liberté et la foi triomphantes, ainsi qu'une victoire pacifique, fondée sur le droit et non sur la violence. Montalembert est alors séduit par l'Église catholique d'Irlande, « libre et pauvre comme à son berceau »[3], puisque le gouvernement n'y prend aucune part à la nomination des évêques, et qu'elle ne vit que des dons de ses fidèles.

En France, l'Église, dont la situation est réglée par le Concordat de 1801 et les articles organiques, est traditionnellement unie au gouvernement de la Restauration. Sous la monarchie de Juillet, elle est donc en butte à l'opposition libérale.

L'Avenir et les débuts du catholicisme libéral

modifier

Montalembert attend avec impatience depuis son adolescence de s'engager pour défendre la liberté civile et la liberté de l'Église catholique. Longtemps, il se sent isolé dans cette voie. En désaccord avec les idées réactionnaires de la plupart des aristocrates catholiques qu'il fréquente, il déclare ainsi en 1827 que :

« Au nom d'une religion qui a introduit la vraie liberté dans le monde, on me prêche l'arbitraire et l'ancien régime. [...] Mais aujourd'hui je ne désespère pas de trouver des hommes qui comme vous et moi prennent pour mobile de leur conduite Dieu et la liberté. » [4]

La révolution de 1830, et sa rencontre avec Félicité de Lamennais, lui fournissent enfin l'occasion de s'engager pour défendre ses idées, et de développer dans le journal l'Avenir les thèses qui formeront la base du catholicisme libéral, mêlant la doctrine contre-révolutionnaire traditionnelle telle que l'avait développée Joseph de Maistre et la pensée libérale héritée de la Révolution française.

 
Félicité de Lamennais

Lancé en octobre 1830 par Lamennais, dans un contexte très anticlérical, le nouveau journal marie donc ultramontanisme (défense de la souveraineté absolue du pape en matière religieuse) et libéralisme (défense de la liberté de conscience, de la liberté d'expression), aspirations démocratiques et catholicisme. Son rédacteur en chef est Lamennais, secondé par les abbés Gerbet et Lacordaire, qui devient rapidement l'un des amis les plus proches de Montalembert. Principalement destiné au clergé, l'Avenir séduit plus largement une partie de la jeune génération romantique.

Le 7 décembre 1830, les rédacteurs de l'Avenir résument leurs revendications : ils demandent la liberté de conscience, la séparation de l'Église et de l'État, la liberté d'enseignement, la liberté de la presse, la liberté d'association, la décentralisation administrative et l'extension du principe électif.

Les contributions de Montalembert dans l'Avenir concernent principalement la liberté d'enseignement, et la défense des droits des peuples opprimés. Il soutient en effet l'émancipation des nationalités européennes, au nom du droit des personnes et des communautés à disposer d'elles-mêmes. Séduit par l’exemple des luttes d'Irlande, de Belgique, de Pologne, où l’Église catholique joue un rôle prépondérant dans le combat pour la liberté des nations, Montalembert rêve alors, à la suite de Lamennais, d’établir une souveraineté spirituelle du pape sur les peuples chrétiens d'Europe unis et libres.

Il soutient donc avec éloquence l'Irlande catholique de Daniel O'Connell, ainsi que la Belgique, soulevée le 15 août 1830 contre les Hollandais qui la gouvernaient depuis le Congrès de Vienne de 1815. Mais ses accents les plus dramatiques sont consacrés à la Pologne : écartelée au XVIIIe siècle, elle se révolte en novembre 1830. Le 2 décembre 1830, les Russes sont chassés de Varsovie. Montalembert songe même alors à partir combattre auprès de la « fière et généreuse Pologne, tant calomniée, tant opprimée, tant chérie de tous les cœurs libres et catholiques. »[5] L'Avenir appelle alors, sans succès, le gouvernement français à soutenir les Polonais insurgés. Finalement, l'insurrection polonaise est écrasée le 12 septembre 1831, et Montalembert écrit alors dans l'Avenir : « Catholiques ! la Pologne est vaincue. Agenouillons-nous près du cercueil de ce peuple trahi ; il a été grand et malheureux. »

 
Henri Lacordaire

D'autre part, afin de défendre la liberté de l'enseignement, en-dehors du contrôle de l'Université, conformément à la Charte de 1830, les journalistes de l'Avenir fondent en décembre 1830 l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse, et ouvrent, le 9 mai 1831, une école libre, rue des Beaux-Arts, à Paris. Aux côtés de Lacordaire et de l'économiste Charles de Coux, Montalembert s'improvise alors maître d'école. Après un procès retentissant devant la Chambre des pairs, qui s'achève par la condamnation de cette initiative et la fermeture de l’école, l'Avenir est suspendu par ses fondateurs le 15 novembre 1831. En butte à l'opposition d'une majorité de l'épiscopat français, traditionnellement gallican et légitimiste, ils décident d'en appeler au jugement du pape Grégoire XVI.

L'échec de l'Avenir et la rupture avec Lamennais

modifier

Le 30 décembre 1831, Lacordaire, Lamennais et Montalembert, les « pèlerins de la liberté », se rendent donc à Rome. D’abord confiants, il déchantent vite face à l'accueil réservé qui leur est accordé. Le 15 août 1832, le pape, sans les nommer, condamne leurs idées libérales par l'encyclique Mirari Vos.

Montalembert se lie à la même époque avec l'abbé Félix Dupanloup, qu’il ne parvient cependant pas à convaincre de collaborer à l'Avenir, mais qui devient son confesseur. En janvier 1831, il commence également à fréquenter le salon de Madame Swetchine.

 
Sainte Élisabeth de Hongrie

En 1835, Montalembert écrit une Histoire de sainte Élisabeth, duchesse de Thuringe au XIIIe siècle. Dans ce livre, empreint de merveilleux et d’une vision romantique et idéalisée du Moyen Âge, il renouvelle le genre de l’hagiographie, en insistant sur les sentiments de la sainte, et notamment, sur l’amour qui unit Élisabeth à son époux, le landgrave Louis. Le livre est un important succès de librairie tout au long du XIXe siècle.

Après la publication de l'Histoire de sainte Elisabeth, alors que, séduit par la vie monastique à l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes, encouragé en ce sens par Lacordaire et Guéranger, Montalembert hésite à choisir cette voie, il rencontre Marie-Anne de Mérode. Fille du comte Félix de Mérode, héros de l’indépendance de la Belgique en 1830 et conseiller du roi Léopold, et de Rosalie de Grammont, dont le père, le marquis de Grammont, était l’un des principaux actionnaires de l'Avenir, sœur de Werner et Xavier de Mérode, Anna de Mérode est âgée de 18 ans en 1836. Les deux époux sont unis le 16 août 1836 à Trélon, château de la famille de Mérode en Hainaut français, près d’Avesnes, lors d’une cérémonie présidée par l’abbé Gerbet. Suit un voyage de noces en Allemagne et en Italie. Reçus par Manzoni à Milan, les jeunes époux partent ensuite pour Rome. Montalembert, plusieurs fois reçu en audience par le pape Grégoire XVI, proteste alors devant lui de sa fidélité à son égard, achève de renier Lamennais et ses Affaires de Rome, critique l'archevêque de Paris, Monseigneur de Quélen et les gallicans français, et plaide les causes de Gerbet et de Lacordaire.

Carrière parlementaire (1837-1850)

modifier
 
Félix de Mérode

En 1837, Montalembert commence véritablement sa carrière parlementaire. Même s'il n'apprécie pas la Monarchie de Juillet, qu'il considère comme un régime bourgeois, dominé par la domination individualiste des intérêts matériels, au détriment de la cohésion sociale et de l’union nationale, il décide de la soutenir, à travers le travail législatif mené à la Chambre des pairs. Souvent isolé, il y prend à de nombreuses reprises la parole, à propos de thèmes variés. Il y défend inlassablement deux thèmes principaux : la défense du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et celle des libertés religieuses, à travers le rétablissement officiel des congrégations religieuses et la liberté d'enseignement.

Ainsi, il soutient en Espagne les partisans de la reine Isabelle, favorables à une monarchie constitutionnelle, et défend avec constance la cause de la Pologne. Il lutte surtout pour la liberté de la Belgique, dont il avait salué l’affranchissement en 1830 : en 1838, lors de la crise diplomatique du Luxembourg et du Limbourg, il tente aux côtés de son beau-père, Félix de Mérode, mais sans succès, de convaincre le roi Louis-Philippe et son ministre, Mathieu Molé, de défendre les prétentions territoriales belges du roi Léopold contre le roi de Hollande.

La constitution du « Parti catholique »

modifier

L'essentiel de l'action de Montalembert pendant les années 1837-1850 vise à la constitution d’un « parti catholique » unifié, fédérant l’action des catholiques français autour de la défense des intérêts de l'Église et la liberté d'enseignement, en s’assurant de l’appui des évêques, qui avait cruellement manqué aux hommes de l'Avenir.

L’action à mener est immense, à la mesure de la division des catholiques français : les uns sont fidèles au régime déchu en 1830, au gallicanisme, et considèrent le roi Louis-Philippe comme un usurpateur. À leur tête se trouve Monseigneur de Quélen, l'archevêque de Paris, soutenu par l'abbé Dupanloup. L'autre fraction, soutenue par le pape Grégoire XVI, rassemble une partie de la jeune génération catholique, sous la direction de Lacordaire, Ozanam, et Montalembert. Ultramontains et libéraux, ils entreprennent alors, chacun à leur manière, de réconcilier la religion catholique et la société française post-révolutionnaire, en détachant le catholicisme français des traditions légitimistes et gallicanes : tandis que Frédéric Ozanam se tourne vers l’action charitable, rapprochant les classes populaires de l’Église catholique, que Lacordaire prêche la liberté à Notre-Dame de Paris, Montalembert défend les libertés religieuses à travers son action politique.

À cette fin, il rachète en 1836 le journal l'Univers, fondé par l'abbé Migne, pour en faire un organe de combat au service des libertés de l'Église.

Il cherche ensuite à faire remplacer l’ancienne génération d’évêques légitimistes par des hommes indépendants du pouvoir royal et favorables aux idées libérales, et appuie auprès du roi plusieurs nominations importantes : celles de Bonald à Lyon, de Sibour à Digne, de Denys Affre à Paris, de Thomas Gousset à Reims, et de Doney à Montauban.

Montalembert soutient aussi la restauration des ordres religieux, supprimés en France par la Révolution française, qu’il s’agisse des bénédictins, reconstitués par Prosper Guéranger, ou des dominicains, restaurés par son ami Henri Lacordaire: Montalembert diffuse en France le Mémoire sur le rétablissement des Frères Prêcheurs, et cherche des fonds et des établissements pour les dominicains français.

La liberté d'enseignement

modifier

L'essentiel des combats menés par Montalembert et le parti catholique ont un objectif principal : obtenir la liberté d'enseignement, à savoir, la possibilité de créer des établissements d'enseignement secondaire en-dehors du monopole de l'enseignement public d'État de l'Université de France. Cette liberté concernerait avant tout les congrégations religieuses enseignantes, notamment les jésuites.

Plusieurs projets de loi à ce sujet sont proposés par les ministres de l'Instruction publique successifs : Victor Cousin en 1840, Villemain en 1841, puis le 2 février 1844. Ces projets se heurtent à l'opposition des hommes politiques attachés au monopole de l'Université, mais aussi à celle d'une grande partie du clergé français, qui les juge trop sévères pour l'enseignement congréganiste ; ainsi, le projet de 1844 interdit l'enseignement aux membres de congrégations.

Une campagne de presse et d'opinion sans précédent est déclenchée par les catholiques, à l'instigation de Montalembert, afin d'obtenir une loi plus favorable. L'Univers est l'âme de ce mouvement. De nombreuses brochures sont publiées. Plusieurs évêques s'expriment publiquement, ainsi que les abbés Henri Maret et Théodore Combalot. Montalembert lui-même publie une brochure intitulée Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d'enseignement. Il y appelle les catholiques français à s'organiser pour la conquête de la liberté d'enseignement.

En 1845, Montalembert organise sa campagne, créant un comité directeur, ainsi que des comités départementaux, chargés de mobiliser l'opinion publique en faveur de la liberté d'enseignement, par le biais de nombreuses pétitions.

Le 16 avril 1844, Montalembert intervient à la Chambre des Pairs pour défendre les droits des évêques. Il conclut ainsi son discours : Nous sommes les fils des croisés, nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire !



La France et Pie IX

modifier

Montalembert et le Second Empire (1850-1870)

modifier

L'échec du ralliement

modifier

Le 10 mars 1850, des élections législatives partielles donnent une majorité aux socialistes à Paris. Les chefs de la droite, ou « Burgraves », Adolphe Thiers, Mathieu Molé, Pierre-Antoine Berryer, Changarnier, Montalembert, par crainte d'une victoire des socialistes aux élections de 1852, entreprennent, avec l'aval du président, une réforme de la loi électorale de la Constitution de 1848, imposant à tout électeur un domicile continu depuis trois ans, afin d'éliminer l'électorat ouvrier. Montalembert défend la loi, votée le 31 mai 1850, à l'Assemblée : « Nous voulons la guerre légale au socialisme, afin d'éviter la guerre civile. »

En 1851, l'Église est majoritairement favorable au prétendant légitimiste, le comte de Chambord. Il est soutenu par Monseigneur de Salinis, Pie, Dupanloup, Parisis. Louis Veuillot, après avoir été républicain, passe aussi au légitimisme. Montalembert, hostile à une restauration prématurée et impopulaire, soutient fermement le président, et cherche à obtenir une révision constitutionnelle pour éviter le coup d'État.

Après le coup d'État du 2 décembre 1851, Montalembert décide de cautionner le fait accompli, par crainte de la révolution, et dans l'espoir d'obtenir de Louis-Napoléon des lois favorables aux catholiques (liberté d'association, abrogation des articles organiques de 1802). Aux côtés de Louis Veuillot, il appelle donc dans l'Univers à voter pour le coup d'État : « Je suis pour l'autorité contre la révolte, pour la conservation contre la destruction, pour la société contre le socialisme... » [6]

Échec et divisions du « Parti catholique »

modifier

Mais, vite déçu par l'absolutisme du nouveau régime, Montalembert officialise sa rupture avec le Second Empire le 20 octobre 1852 par la publication d'un ouvrage, Les Intérêts catholiques au XIXe siècle, dans lequel il fait l'éloge du gouvernement représentatif. Consterné par le ralliement de nombreux évêques auparavant légitimistes, comme Donnet, Salinis ou Parisis, au régime autoritaire de Napoléon III, Montalembert y demande aux catholiques de ne pas associer la cause de l'Église et celle de l'absolutisme monarchique. L'ouvrage le réconcilie avec les libéraux, comme Lacordaire et Foisset, mais le brouille définitivement avec le nouveau parti clérical, ultramontain et absolutiste, dont les idéologues sont Guéranger et Louis Veuillot, qui traite le livre de « Marseillaise parlementaire ».

Pour répliquer aux attaques de l'Univers, les catholiques opposés à la dictature impériale relancent alors une revue, le Correspondant, fondée en 1828. Au côtés de Montalembert y contribuent des orléanistes (le duc de Broglie, Dupanloup), des légitimistes (Falloux, Théophile Foisset), et des catholiques libéraux (Cochin, Lacordaire). Craignant un réveil d'anticléricalisme à la suite du ralliement de l'Eglise catholique à l'absolutisme napoléonien, de sa posture permanente d'adversaire de la raison, de la société moderne, de la liberté de conscience, des libertés politiques, la revue entreprend de montrer que principes constitutifs de la société moderne sont conformes à la religion catholique.

Le 9 janvier 1851, Charles de Montalembert est élu à l'Académie française. Il est reçu par Guizot le 5 février 1852. Avec les opposants au Second Empire, il soutient par la suite les candidatures de Dupanloup en 1854, de Berryer en 1855, de Falloux en 1856, de Lacordaire en 1860.

Sans enthousiasme, il siège au Corps législatif, tentant sans succès de faire exister une opposition parlementaire à l’Empire. Il s’oppose ainsi rétablissement de la peine de mort en matière politique, à la mise en place de limites d'âge pour le départ à la retraite de fonctionnaires.

« L'histoire dira quelle fut l'infatigable complaisance et l'incommensurable abaissement de cette première assemblée du second Empire […], cette cave sans air et sans jour, où j’ai passé six ans à lutter contre des reptiles. »[7]

Candidat de nouveau aux élections législatives de 1857 à Besançon, Montalembert bénéficie de l'appui réticent de l'Univers de Louis Veuillot. Mais l'opposition de l'administration impériale contribue à un échec écrasant. En réaction, l'Académie française en fait son directeur. Le Correspondant devient alors son principal terrain d'action.

Ainsi, en 1858, Montalembert effectue un voyage à Londres, où il fréquente les princes d'Orléans exilés. Il assiste aux séances du parlement britannique, dont il admire la vivacité des débats. De retour en France, il écrit un article intitulé « Un débat sur l'Inde au Parlement anglais », dans lequel, tout en exaltant la liberté des parlementaires britanniques, il critique la vie politique française. Les rédacteurs du Correspondant jugent l'article imprudent, mais l'enthousiasme de Lacordaire (« L'heure est venue de dire ce qu'on estime la vérité, quoiqu'il puisse en advenir... »[8]) décide finalement Montalembert à le publier ; l'article paraît le 25 octobre 1858. Des poursuites sont engagées immédiatement contre Montalembert, accusé par le ministère public d'avoir « excité à la haine et au mépris du gouvernement », « violé le respect dû aux lois », « attaqué les droits et l'autorité que l'Empereur tient de la constitution et du suffrage universel ». Les adversaires du régime impérial font de ce procès une tribune politique. Défendu par les avocats Berryer et Dufaure, soutenu au tribunal par le duc de Broglie, Odilon Barrot, Villemain, et de nombreux autres opposants, Montalembert comparaît le 24 novembre 1858. Il est condamné à six mois de prison, 3000 francs d'amende, et fait appel. Le 2 décembre, l'empereur accorde sa grâce à Montalembert, qui la refuse. Il est donc jugé une deuxième fois, le 21 décembre 1858, et obtient une réduction de sa peine de prison de 6 à 3 mois, avant d'être de nouveau grâcié par l'empereur.

Puis Montalembert s'oppose au soutien de la France de Napoléon III à l'unification italienne menée par le royaume de Piémont-Sardaigne sous l'égide de Cavour, menaçant le pouvoir temporel du pape Pie IX. En effet, en 1859, la France entre en guerre contre l'Autriche aux côtés du Piémont. En juillet 1859, l'armistice de Villafranca termine la guerre. L'Autriche abandonne la Lombardie au Piémont. Mais la Toscane chasse ses princes, et demande son rattachement au royaume de Piémont-Sardaigne, de même que les villes de Parme et Modène. Puis les légations pontificales de Bologne, Ferrare et Ravenne votent à leur tout leur annexion au Piémont, menaçant l'existence-même des États pontificaux. Napoléon III demande enfin en janvier 1860 au pape de faire le sacrifice de ses provinces révoltées, déclenchant de vives réactions chez les catholiques français. L'Univers, qui soutient le pouvoir temporel du pape, est interdit.

Le beau-frère de Montalembert, Xavier de Mérode, prend la tête des armées du Saint-Siège.

Contre l'absolutisme pontifical

modifier

En 1863, les prélats et hommes politiques catholiques de Belgique organisent un congrès international à Malines, rassemblant plus de trois mille participants. Le 20 août 1863 Montalembert y prononce un discours sur le rôle de l'Église dans les nouvelles sociétés démocratiques. Désespéré depuis des années par le discours réactionnaire de la plupart des organes les plus écoutés du Saint-Siège (notamment l'Univers et la Civiltà Cattolica), soutenant selon lui « les thèses les plus exagérées, les plus insolentes, les plus dangereuses, les plus répugnantes à la société moderne. », révolté par l'attitude et les arguments de Veuillot et de Guéranger lors de l'Affaire Mortara, mais profondément fidèle à l'Église de Rome, Montalembert fait de son discours un manifeste en faveur du libéralisme catholique. Il réaffirme avec éloquence les principes fondamentaux du catholicisme libéral, tels qu'ils avaient été ébauchés dès l'époque de l'Avenir : défense de la liberté de conscience, indépendance de l'Église vis-à-vis du pouvoir politique. Il exalte l'ensemble des libertés publiques (liberté de la presse, liberté d'enseignement...), à terme bénéfiques selon lui à l'Église. Poursuivant son discours le 21 août, il développe plus particulièrement le thème de la liberté de conscience, tout en se défendant d'un quelconque relativisme religieux. Il affirme alors notamment :

« J'éprouve une invincible horreur pour tous les supplices et toutes les violences faites à l'humanité sous prétexte de servir ou de défendre la religion... L'inquisiteur espagnol disant à l'hérétique : la vérité ou la mort ! m’est aussi odieux que le terroriste français disant à mon grand-père : la liberté, la fraternité ou la mort ! La conscience humaine a le droit d'exiger qu'on ne lui pose plus jamais ces hideuses alternatives. »

Il défend l'idée d'une Église qui, « dégagée de toute solidarité compromettante, de tout engagement de parti ou de dynastie, apparaîtra au milieu des flots vacillants et agités de la démocratie, seule immobile, seule inébranlable, seule sûre d'elle-même et de Dieu, ouvrant ses bras maternels à tout ce qu’il y a de légitime, de souffrant, d'innocent, de repentant, dans tous les camps, dans tous les pays. »[9]

Ce discours de Malines suscite de vives réactions. Salué par les catholiques libéraux de Belgique et de France, Montalembert se heurte rapidement à l'opposition frontale de Veuillot et du parti clérical, ainsi qu'aux fortes réticences du Saint-Siège, représenté par le cardinal Wiseman, le nonce Ledochowski, et les jésuites de la Civiltà Cattolica.

En réponse au discours de Malines, et malgré le soutien de Xavier de Mérode, en mars 1864, le cardinal Antonelli écrit, au nom de Pie IX, une lettre de blâme à Montalembert, qui se soumet en silence, optant pour « la résignation et la patience »[10]. La réponse publique du pape au discours de Malines est, le 8 décembre 1864, l'encyclique Quanta Cura, à laquelle est annexée le Syllabus. Celui-ci est une liste de propositions condamnées, visant notamment les idées libérales, la liberté de conscience, la liberté de la presse. Consternés, les catholiques libéraux répliquent, sous la plume de Dupanloup, qui défend fermement le Syllabus, tout en minimisant sa portée.

Profondément déçu par le Syllabus, mais demeurant fidèle au pape, gravement malade à partir de 1867, Montalembert se consacre désormais au Correspondant, dont il confie la direction à Léon Lavedan, ainsi qu'à son travail historique sur les Moines d'Occident.

La préparation du concile du Vatican, la future proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale lui font craindre la victoire du parti favorable à l'absolutisme monarchique, et au pouvoir personnel du pape, aboutissant selon lui à une rupture complète entre l'Église et la société moderne. Il soutient donc les catholiques allemands opposés au dogme, et supplie, sans succès, Newman et Döllinger de prendre part au concile. Satisfait par les débuts de l'Empire libéral, il meurt avant la fin du concile et la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale.


 
Château de Montalembert

Descendance

modifier

De l'union de Montalembert avec Anna de Mérode sont issues quatre filles, dont descendance :

  • Élisabeth (1837-1913), épouse du vicomte Camille de Meaux (1830-1907), homme politique français, ministre de l'agriculture puis du commerce en 1876-1877 ;
  • Catherine (1841-1926), religieuse du Sacré-Cœur ;
  • Madeleine (1849-1920), épouse du comte François de Hemricourt de Grunne (1850-1926), général belge ;
  • Thérèse Généreuse (1855-1924).

Le comte de Montalembert possédait un château dans la commune d'Annappes, qui aujourd'hui est un quartier de Villeneuve d'Ascq.

  1. Lettres, p. 91, cité par Lecanuet, op. cit., t. I, p. 35.
  2. lettre de Charles de Montalembert à Gustave Lemarcis, 26-27 février 1830, citée par Lecanuet, op. cit., p. 88.
  3. L'Avenir, janvier 1831.
  4. Lettre de Charles de Montalembert à Rio, 7 septembre 1827, citée par Lecanuet, op. cit., t.I, p. 38
  5. L'Avenir, 12 décembre 1830.
  6. L'Univers, 12 décembre 1851.
  7. Lettre à M. Daru, in Lecanuet, op. cit., t. III, p. 159.
  8. Lettre de Lacordaire à Montalembert, 14 octobre 1858.
  9. Charles de Montalembert, Discours de Malines, 20-21 août 1863, cité par Lecanuet, op. cit., p.
  10. Lettre à M. de Malleville, 25 janvier 1865, citée par Lecanuet, op. cit., t. III, p. 394

Citations

modifier
  • « Les longs souvenirs font les grands peuples. La mémoire du passé ne devient importune que lorsque la conscience du présent est honteuse. »
  • « Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s'occupe de vous tout de même. »
  • « Les longs souvenirs font les grands peuples. »
  • « On n'est jamais aussi vainqueur ni aussi vaincu qu'on se l'imagine. »

Œuvres

modifier
  • Défense de l'école libre devant la Chambre des Pairs, 1831
  • Histoire de sainte Élisabeth, reine de Hongrie, 1836
  • Monuments de l'histoire de sainte Élisabeth, 1838
  • Du vandalisme et du catholicisme dans l'art, 1839
  • Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d'enseignement, 1843
  • Trois discours sur la liberté de l'Église. Saint Anselme, 1844
  • Quelques conseils aux catholiques, 1849
  • Des intérêts catholiques au XIXe siècle, 1852
  • De l'avenir politique de l'Angleterre, 1855
  • Un débat sur l'Inde au Parlement anglais, 1858
  • Pie IX et lord Palmeston, 1859
  • Discours, 3 vol., 1860
  • Les moines d'Occident, depuis saint Benoît jusqu'à saint Bernard, 7 vol., 1860
  • Pie IX et la France, 1860
  • Lettre à M. le comte de Cavour, 1860
  • Une nation en deuil, la Pologne en 1861, 1861
  • Le père Lacordaire, 1862
  • L'Église libre dans l'État libre. L'insurrection polonaise, 1863
  • Le Pape et la Pologne, 1864
  • Le général Lamoricière. La victoire du Nord aux États-Unis, 1865
  • L'Espagne et la Liberté, 1870
  • Lettres à un ami de collège, publiées par M. Cornudet, 1872

Textes en ligne

modifier

Voir aussi

modifier

Articles connexes

modifier

Liens externes

modifier