Le Corbeau (film, 1943)

film français d'Henri-Georges Clouzot sorti en 1943

Le Corbeau est un film français réalisé par Henri-Georges Clouzot, sorti en .

Le Corbeau
Description de cette image, également commentée ci-après
Micheline Francey et Pierre Fresnay
Réalisation Henri-Georges Clouzot
Scénario Louis Chavance
Musique Tony Aubin
Acteurs principaux
Sociétés de production Continental Films
Pays de production France
Genre Film dramatique
Film policier
Durée 92 minutes (h 32)
Sortie 1943

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Le film raconte une histoire se situant dans une petite ville de province, où un certain nombre de citoyens reçoivent des lettres anonymes qui contiennent des informations diffamatoires, en particulier en ce qui concerne un des médecins de la ville, le docteur Germain, soupçonné par l'auteur des lettres — qui les signe d'un mystérieux « Le Corbeau » — de pratiquer des avortements clandestins. Le mystère entourant l'auteur des lettres finit par se transformer en violence.

Outre sa qualité intrinsèque, ce film est notable pour avoir causé de sérieux problèmes à Clouzot à la Libération. En effet le film est produit par la Continental Films, une société de production française à capitaux allemands, créée le par Alfred Greven à la demande de Joseph Goebbels. De plus, le film fait référence aux lettres anonymes, qui sont courantes sous l'Occupation. Par conséquent, celui-ci est perçu par la Résistance et la presse communiste de l'époque comme une tentative pour dénigrer le peuple français.

Pour ces raisons, Clouzot est d'abord banni à vie du métier de réalisateur en France et le film interdit, mais ces deux interdictions sont finalement levées en 1947 à l'initiative de Pierre Bourdan, ministre de la Jeunesse, des Arts et des Lettres[1].

Le film a fait l’objet d'une reprise avec La Treizième Lettre (The 13th Letter) d'Otto Preminger (1951).

Le terme même de « corbeau » a été abondamment repris et popularisé à partir de l'affaire Grégory en 1984.

Synopsis

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« À cause du même homme ces trois femmes se haïssent. »

Les notables de Saint-Robin, une petite ville française de province, commencent à recevoir des lettres anonymes signées « Le Corbeau », dont le contenu est calomnieux. Ces calomnies se portent régulièrement sur le docteur Rémi Germain, accusé de pratiques abortives et d'entretenir une liaison adultère avec Laura Vorzet (l'épouse du docteur Michel Vorzet, un psychiatre expert en anonymographie), ainsi que sur d'autres personnes de la ville.

Les choses se gâtent lorsque François, l'un des patients cancéreux du docteur Germain, se suicide d'un coup de rasoir sur son lit d'hôpital, une lettre lui ayant révélé que son cancer était en phase terminale.

Le docteur Germain enquête pour découvrir l'identité du mystérieux « corbeau ». Tour à tour, plusieurs personnes sont soupçonnées. À la fin du film, le docteur Germain découvre l'identité du mystérieux Corbeau[2], juste après que celui-ci a été assassiné par la mère de l'une de ses victimes.

Fiche technique

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Pierre Fresnay et Ginette Leclerc.

Distribution

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Et, parmi les acteurs non crédités :

Production

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Inspiration du scénario : l'affaire de Tulle

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De 1917 à 1922, une épidémie de 110 lettres anonymes s'abat sur le centre-ville de Tulle qui compte à l'époque 13 000 habitants. Glissés dans les paniers des ménagères, abandonnés sur les trottoirs, les rebords des fenêtres et jusque sur les bancs des églises ou dans un confessionnal, ces dizaines de courriers qui dénoncent l'infidélité des uns, la mauvaise conduite des autres alimentent toutes les conversations et inquiètent les habitants.

En , une employée de la préfecture, Angèle Laval, reçoit la première lettre anonyme sur son bureau, qui calomnie son supérieur, le Chef de bureau Jean-Baptiste Moury. Moury, célibataire, entretient une maîtresse dont il a eu un enfant naturel, mais qu'il compte quitter pour épouser Marie Antoinette Fioux, une sténodactylo qu'il vient d'engager. Peu à peu, une atmosphère de suspicion recouvre la ville : quel est donc ce mystérieux délateur anonyme, et que recherche-t-il ?

Auguste Gibert, un greffier du Conseil de la Préfecture, reçoit deux lettres anonymes signées « Madame Gibert » (sa femme) le . Terrassé, il perd la raison, est interné et meurt au cours d'une crise de démence le après s'être accusé d'être l'auteur des lettres pour ne pas voir sa femme incriminée à tort. Dès lors, l'enquête policière s'accélère et la presse nationale se précipite à Tulle à la recherche d'un fait divers qui puisse passionner autant les Français que le procès de Landru, qui vient de s'achever.

Le premier juge d’instruction, François Richard, dépité d'avoir un dossier vide, va jusqu'à faire participer les témoins dans son bureau à des séances d'hypnose. Avec l'accord du Procureur général, une souscription organisée auprès des habitants de Tulle permet d'engager à titre onéreux le meilleur expert à l'époque : Edmond Locard. Une dictée collective, réalisée le par Edmond Locard, permet d'identifier la coupable, qui met très longtemps à rédiger sa dictée. À force de lui faire réécrire plusieurs pages, elle ne peut plus maquiller son écriture : il s'agit d'Angèle Laval qui, à 34 ans, désespère de se marier. Vierge, pieuse et vivant seule avec sa mère, elle est amoureuse de Jean-Baptiste Moury, mais, lorsque ce dernier l’invite à un vin d’honneur pour célébrer son mariage avec Marie Antoinette Fioux, elle accélère sa campagne de lettres ordurières et diffamatoires. Selon le rapport de Locard, quelques-unes de ces lettres sont peut-être également écrites par sa mère.

Placée jusqu'à son procès dans des asiles d'aliénés pour y être expertisée, les psychiatres la déclarent responsable pénalement, mais réclament les circonstances atténuantes pour cette femme manipulatrice, qui subit l'opprobre de toute la ville.

Le procès en correctionnelle a lieu à Tulle, et la condamne, le , à un mois de prison avec sursis et 200 francs d’amende, pour diffamation et injures publiques. Refusant d'avouer et devant indemniser les parties civiles, elle fait appel, mais le premier jugement est confirmé. Celle que la presse a désormais baptisée « le corbeau » retourne vivre dans son immeuble, vivant cloîtrée et aidée financièrement par son frère, jusqu'à son décès à l'âge de 81 ans[3].

L'auteur des lettres anonymes signait « L'œil de Tigre », et pas par un dessin de corbeau, comme dans le film de Clouzot. Un journaliste du Matin, dans son édition du [4], décrit l'accusée sur les bancs du tribunal en ces termes : « elle est là, petite, un peu boulotte, un peu tassée, semblable sous ses vêtements de deuil[5], comme elle le dit elle-même, à un pauvre oiseau qui a replié ses ailes. »[6]. Si le journaliste n'emploie pas le mot « corbeau », la description y fait penser. Chavance et Clouzot choisissent donc le corbeau, oiseau de mauvais augure, comme signature des lettres anonymes, ainsi que pour le titre du film, mais ils s'inspirent aussi peut-être de la réputation de dénonciateur de ce corvidé (pendant la chasse au renard à la période médiévale, il avertissait les chasseurs de la présence du goupil par ses cris[7]) ; l'expression s'est répandue depuis.

En plus du film de Clouzot, cette affaire a aussi inspiré Jean Cocteau pour sa pièce de théâtre, La Machine à écrire, en 1941[8].

Pré-production

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Alfred Greven, directeur de la Continental Films et patron du cinéma français sous l'Occupation, a pour mission de produire des films de divertissement de qualité, dans un « esprit français », et desquels toute allusion politique est proscrite. Mais il souhaite lancer des films capables de concurrencer ceux d'Hollywood et pousse la liberté à exploiter des scénarios livrant une vision particulièrement sombre de la société française[9].

C'est dans cette optique qu'il se tourne vers de nouveaux talents puisqu'une partie de la profession s'est exilée. Il repère ainsi un jeune scénariste, Clouzot qui est nommé en 1941 directeur du département scénario de la Continental. Ce dernier s'associe avec Louis Chavance qui a écrit en 1932 un scénario intitulé L'Œil de serpent s'inspirant d'un fait divers réel survenu au début des années 1920, l'affaire du corbeau de Tulle. Mais le projet était resté en sommeil car il faisait peur aux producteurs, et c'est finalement la Continental qui l'achète, grâce à Clouzot, spécialiste des films policiers, qui voit dans ce manuscrit un thriller bien agencé. Il réécrit en grande partie le scénario (signant seul les dialogues), convainc Greven de produire le film et d'en être le réalisateur après avoir mis en scène L'assassin habite au 21 en 1941.

Tournage

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Clouzot entreprend le début du tournage le dans le village de Montfort-l’Amaury mais le contexte politique et moral a fondamentalement changé avec l'Occupation. Le fait divers original prend la dimension, avec la guerre, d'une « réussite de circonstance » selon le critique Roger Régent, si bien que le film ne plaît pas du tout à Greven.

Deux jours avant la sortie triomphale du Corbeau à Paris le , Clouzot quitte la Continental en claquant la porte[10].

Interdiction et critiques

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Le film est interdit à la Libération. La thématique de la lettre anonyme est en effet vue comme une évocation de la délation, très pratiquée dans les années 1940. En outre, le film est produit par le studio Continental Films, une compagnie de production financée par des capitaux allemands durant l'Occupation.

Pour les détracteurs de Clouzot, le film est donc un acte de collaboration, tant l'image qu'il donne des Français est sombre. Cette noirceur du film et le portrait sans concession des villageois, parfois emportés par une hystérie collective, frappent les spectateurs. À ce titre, le film est salué comme un chef-d'œuvre à sa sortie en 1943, mais très vite il est violemment attaqué pour son immoralité et pour cette peinture noire de la France, qui peut servir ainsi la propagande nazie. Georges Sadoul, célèbre critique de cinéma de sensibilité communiste, écrit qu'on y voit l'influence de Mein Kampf[11].

En , dans la publication clandestine Les Lettres françaises, Georges Adam et Pierre Blanchar écrivent un article anonyme intitulé « Le corbeau est déplumé », duquel naît une rumeur : le film aurait été distribué en Allemagne sous le titre Une petite ville française, alors que la Tobis l'a refusé à cause de cette même noirceur que lui reprochent les résistants et que le visa d’exportation n'a en fait jamais été signé. Si Goebbels encourage la distribution du film à l'étranger, les firmes de cinéma allemand font pression sur les films français devenus trop concurrentiels sur les marchés étrangers, et Le Corbeau ne sort qu'en Belgique et en Suisse[12].

Clouzot est défendu vigoureusement par Jacques Becker, Pierre Bost, le coscénariste de Douce, et Henri Jeanson, qui écrit un texte virulent intitulé Cocos contre Corbeau, où il compare le film à Zola et à Mirbeau. En fait, la lucidité sceptique de Clouzot, qui, avec son coscénariste Louis Chavance, prend parti pour Fresnay contre la délation, déclenche la haine aussi bien des conservateurs religieux de droite (thème central de l’avortement, que le personnage interprété par Pierre Fresnay est accusé de pratiquer) que d'une partie de la gauche (qui réclame des héros positifs et prône le réalisme socialiste)[13].

À la Libération, contrairement à la plupart des autres salariés de la Continental Films, Clouzot échappe à la prison mais se voit frappé d'une suspension professionnelle à vie. Henri Jeanson écrit à Armand Salacrou, détracteur de Clouzot : « Mon cher, tu sais bien que Clouzot n'a pas plus été collabo que toi tu n'as été résistant »[14]. Jean-Paul Le Chanois indique également avoir été protégé et employé par Clouzot sous un prête-nom à la Continental alors que, juif et communiste (son vrai nom est Jean-Paul Dreyfuss), il était activement recherché par l'Abwehr[13].

La détermination de ses défenseurs permet finalement à Clouzot de revenir à la réalisation en 1947 avec un film unanimement salué par le public comme la critique : Quai des Orfèvres.

Postérité

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Reprise

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En 1951, Otto Preminger a réalisé une reprise du Corbeau intitulée La Treizième Lettre (The Thirteenth Letter). Charles Boyer en est la vedette aux côtés de Linda Darnell, Michael Rennie et Constance Smith. L'action y est transposée dans un village de la Montérégie au Québec. Ce film n'a semble-t-il jamais été distribué en France, où il n'aurait été présenté qu'à la Cinémathèque.

Dans la culture populaire

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Le film est une source d'inspiration pour le groupe de rap français Svinkels ; dans leur chanson Le Corbeau (de l'album Bons pour l'asile), l'histoire du film est reprise ainsi que certaines répliques, réécrites à leur manière.

Le film a également inspiré une bande dessinée, Inspecteur Londubec : la cigogne marche sur des œufs aux Éditions du long bec (scénario Emmanuel Tredez- dessin & couleurs Stéphane Nicolet). Cette bande dessinée animalière reprend la trame de ce fait divers sur un ton humoristique[15].

Le cas de l'affaire Grégory

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La thématique du « corbeau » a été abondamment reprise en 1984 lors de l'affaire Grégory, en référence au mystérieux harceleur de la famille Villemin. L'identification de ce dernier, bien qu'elle n'ait jamais pu être effectuée concrètement, donna lieu à de nombreuses dictées sur le modèle de celle du film[16].

La série documentaire Grégory (2019) réalisée par la plateforme Netflix, met cette parenté en évidence, utilisant notamment de nombreux extraits du film de Clouzot ainsi que des mises en scène calquées sur le modèle de celles du Corbeau de 1943[17].

Notes et références

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  1. José-Louis Bocquet, Marc Godin, Henri-Georges Clouzot cinéaste, La Sirène, , p. 46.
  2. Le « Corbeau » se révèle finalement être le docteur Michel Vorzet, tué par la femme de ménage de l'hôpital, la mère de François, qui s'était suicidé après une lettre du Corbeau.
  3. L'Affaire du Corbeau de Tulle émission sur RTL, le 15 février 2011.
  4. Le corbeau : Histoire vraie d'une rumeur. Du tigre au corbeau, p. 192.
  5. Sa mère est morte noyée dans un étang, sa fille Angèle Laval étant soupçonnée de l'y avoir aidée.
  6. Le corbeau : Histoire vraie d'une rumeur. Du tigre au corbeau, p. 193.
  7. Marc Mortelmans, « Le corbeau. Un oiseau noir pourtant si brillant », sur radiofrance.fr, 11 mai 2023, 11 min. 55 s.
  8. Jean Touzot, Jean Cocteau. Qui êtes vous ?, La Manufacture, , p. 150
  9. N. T. Binh, Paris au cinéma, Parigramme, , p. 63.
  10. José-Louis Bocquet, Marc Godin, Henri-Georges Clouzot cinéaste, La Sirène, , p. 34.
  11. « Oiseau de sang, oiseau noir, corbeau ! », Ariane Beauvillard, Critikat.com, 5 juillet 2011.
  12. Fabrice Laroulandie, La France des années 1940, Ellipses, , p. 26.
  13. a et b Cité par Bertrand Tavernier, dans on analyse de Quai des Orfèvres et autres films de Clouzot https://www.youtube.com/watch?v=L-onmOsqSeM
  14. Cité par Bertrand Tavernier dans le bonus du DVD réédité par Studio Canal en 2008.
  15. Emmanuel Trédez et Stéphane Nicolet, Inspecteur Londubec tome 1, « La cigogne marche sur des œufs », Éditions du Long Bec, 2014, 47 p. (ISBN 979-1-09-249909-4) présentation en ligne.
  16. « Comment le mot "corbeau" est entré dans l'histoire judiciaire française », sur BFMTV.com, .
  17. « Avec la série documentaire "Grégory", Netflix mise sur le suspense à la française », sur Le Monde.fr, .

Bibliographie

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Bande dessinée

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  • Antoine Quaresma, Francette Vigneron, L'œil de Tigre : Des lettres anonymes de Tulle au Corbeau de Clouzot , 2017, Maïade, 52 p. (ISBN 978-2-91651-235-8)

Articles connexes

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Liens externes

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