Bouquinistes de Paris

vendeurs de livres d'occasion et anciens qui exercent leur activité le long d'une grande partie des berges de la Seine, à Paris.

Les traditions et savoir-faire des bouquinistes des quais de Paris *
Image illustrative de l’article Bouquinistes de Paris
Bouquinistes du quai de la Tournelle avec en arrière-plan Notre-Dame-de-Paris (février 2019).
Domaine Savoir-faire
Lieu d'inventaire Paris
* Descriptif officiel Ministère de la Culture (France)

Les bouquinistes de Paris sont des libraires de livres anciens et d’occasion vendant dans des boîtes installées sur une grande partie des quais de Seine : sur la rive droite, du pont Marie au quai du Louvre et sur la rive gauche, du quai de la Tournelle au quai Voltaire. Plus de 200 bouquinistes gèrent près de 900 boîtes sur les quais de Seine et proposent près de 300 000 livres, ainsi qu’un grand nombre d’estampes, revues, cartes de collection, etc.

En 2019, les bouquinistes de Paris sont inscrits à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France[1].

Historique modifier

Le terme de « boucquain », sans doute dérivé du flamand boeckijn (« petit livre »), fait son apparition en 1459 et est attesté sous la forme « bouquin » vers la fin du XVIe siècle. Le terme « bouquiniste » apparaît dans le Dictionnaire de l'Académie française dans l'édition de 1762 avec la définition et la graphie suivante : « Celui qui vend ou achete de vieux Livres, des Bouquins »[2]. L'étymologie de « bouquin » (au sens de « livre peu estimé », d'occasion) n'est toutefois pas claire, mais le mot dans cette occurrence est attesté dès 1694, toujours par l'Académie, et Littré renvoie bien au mot flamand boeckin.

La tradition des bouquinistes parisiens débute aux alentours du XVIe siècle avec des petits marchands colporteurs. Sous la pression de la corporation des libraires, un règlement de 1649 interdit les boutiques portatives et l’étalage de livres sur le pont Neuf. Le pouvoir à l'époque était assez soucieux de limiter les marchés parallèles non soumis à la censure. Les libraires ambulants sont donc, selon la période, chassés puis réintégrés sous agréments.

L'emblème traditionnel des bouquinistes se blasonne ainsi : « d'azur party de gueules à la boîte à bouquins soutenue de pierres, au chef d'argent au lézard convoitant l'épée » (Jean Lébédeff). En effet, le lézard symbolise les bouquinistes toujours à la recherche du soleil pour vendre leurs livres, et l'épée représente leur aspiration à la noble profession de libraire auxquels on accordait le privilège de porter l'épée[3].

Pendant la Révolution, de 1789 à 1795, malgré une forte baisse de la production éditoriale, seuls étaient imprimés les journaux et brochures révolutionnaires, les bouquinistes prospèrent et s’enrichissent des réquisitions et pillages de bibliothèques de l'aristocratie et du clergé.

Sous Napoléon Ier, les quais sont embellis et les bouquinistes se répandent du quai Voltaire au pont Saint-Michel. Ils sont alors enfin reconnus par les pouvoirs publics et ils obtiennent le même statut que les commerçants publics de la ville de Paris. Vers 1840, Charles Nodier, qui s'inquiétait déjà de la disparition de ce petit commerce, rappelait que « le nom du bouquiniste est un de ces substantifs à sens double qui abondent malheureusement dans toutes les langues. On appelle également bouquiniste l’amateur qui cherche des bouquins, et le pauvre libraire en plein air qui en vend. Autrefois, le métier de celui-ci n’était pas sans considération et sans avenir. On a vu le marchand de bouquins s’élever du modeste étalage de la rue, ou de la frileuse exposition d’une échoppe nomade, jusqu’aux honneurs d’une petit boutique de six pieds carrés » et de rappeler au souvenir d'un certain Passard, « qui avait colporté, sous le bras, sa boutique ambulante, du passage des Capucines au Louvre, et du Louvre à l’Institut, avait tout vu, tout connu, tout dédaigné du haut de son orgueil de bouquiniste », puis de conclure que « ce qu’il y a d’incontestable pour les bouquinistes amateurs qui l’ont visité si souvent, c’est que sa conversation était beaucoup plus curieuse que ses bouquins »[4].

 
Émile Mas, Le Client, 1887.

En 1859, des concessions sont mises en place par la ville de Paris et les bouquinistes peuvent s'établir à des points fixes. Chacun a alors droit à 10 mètres de parapet pour un droit annuel de tolérance de 26,35 francs et 25 francs de patente[5]. Les ouvertures se font du lever au coucher du soleil. Enfin, c'est en 1930 que les dimensions des « boîtes » sont fixées.

Installés sur plus de trois kilomètres le long de la Seine, ils exploitent environ 900 « boîtes vertes » — d'une couleur réglementée appelée « vert wagon » en référence à la signalétique du premier métropolitain et qui est aussi celui des fontaines Wallace ou des colonnes Morris — où sont exposés, selon diverses estimations, environ 300 000 livres d'occasion et un très grand nombre de revues, timbres et cartes de collection[6]. Toutefois, si la vente de livres reste la raison sociale officielle, ces boîtes ont toujours par tradition proposé d'autres articles : estampes, timbres, monnaies et petites brocantes, voire souvenirs, comme l'attestent les nombreuses représentations (par exemple, le tableau d'Eugène Galien-Laloue intitulé Notre-Dame vue du quai Saint-Michel, v. 1940). Le règlement actuel a définitivement tranché : une seule boite peut contenir des souvenirs de Paris.

Les exploitants n'ont plus à acquitter un droit de concession, ils ne payent pas de loyer et l'autorisation de stationnement peut être enlevée à tout moment par la Mairie de Paris. Comme tout commerçant, ils doivent être inscrits au registre du commerce et des sociétés, en donner le justificatif tous les ans. La plupart sont inscrits en auto-entrepreneurs. Ils occupent 8 mètres de parapet chacun, permettant de placer jusqu'à quatre boîtes[7]. Les emplacements doivent obligatoirement être exploités au moins quatre jours par semaine, sauf intempéries[8].

En 2009, la mairie de Paris a commencé à donner des avertissements aux bouquinistes qui vendaient majoritairement plus d'articles – souvenirs, bibelots, gadgets – autres que le livre et la gravure, alors que le règlement autorise seulement une boîte sur quatre[9],[7]. Avec l'essor du tourisme dans la capitale, ce phénomène est sensible aux abords des monuments touristiques et des zones les plus fréquentées notamment[10]. La baisse des ventes de livres d'occasion ne fait qu'amplifier ce phénomène[11] poussant même dans certaines zones – comme celle dite du « Purgatoire » près de l'Hôtel de ville de Paris – à la fermeture massive des boites[10].

En 2014, les bouquinistes lancent leur premier festival. Cinquante bouquinistes s'étaient alors réunis pour présenter leurs meilleurs choix de livres anciens et d'occasion[12]. Les 4 et 5 septembre 2021, un autre festival est créé par une quarantaine de bouquinistes sur les 200 que compte la profession. Intitulé Paname bouquine, il propose diverses animations (rencontres avec des écrivains, ateliers d'écriture ou encore chasse au trésor pour les enfants)[13]

 
Panneau Histoire de Paris « Les bouquinistes », à l'angle du pont Marie et du quai de l'Hôtel-de-Ville (2019).

Le , sous l'impulsion de la Mairie de Paris, le Ministère de la Culture décide que les bouquinistes de Paris entrent au Patrimoine culturel immatériel de l'inventaire français, condition préalable à une possible candidature au patrimoine mondial de l'Unesco[1],[14] envisagée depuis quelques années notamment à l'initiative de l'Association culturelle des bouquinistes de Paris, unique association qui regroupe près de 80 % des bouquinistes, et des maires du 5e et 6e arrondissement de Paris[15],[16]. Les rives de la Seine à Paris, sur lesquelles sont installés les bouquinistes, sont déjà inscrites au patrimoine mondial depuis 1991[15].

Les bouquinistes de Paris ont inspiré d'autres capitales, comme Ottawa, Pékin ou Tokyo[6].

En vue de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'été de 2024, le 10 juillet 2023, la mairie de Paris a commencé à évoquer le déplacement temporaire de 570 bouquinistes le long de la Seine dans les jours précédant le 26 juillet 2024 pour des raisons de sécurité. Les bouquinistes ont demandé un écrit officiel et une lettre de la Préfecture de Paris leur a confirmé que dans les jours précédant la cérémonie, leur commerce et leur fonds devraient quitter les lieux. Des bouquinistes ont argumenté que démonter ces boîtes est un cauchemar logistique, que beaucoup d'entre elles n'y survivront pas et certains bouquinistes ont évoqué leur précarité pour s'y opposer en cette période de pleine saison touristique[17].

Évolutions du nombre de bouquinistes à Paris et emplacements modifier

 
Boîtes d'un bouquiniste de Paris ouvertes reposant sur les parapets des quais parisiens (2007).

Conditions d'accès modifier

D'après le Règlement des bouquinistes des quais de la Seine[8], toute candidature doit être déposée à la Mairie de Paris en nom propre par le candidat lui-même.

Elle doit être accompagnée :

En 2010, une centaine de candidatures ont été déposées alors que seulement vingt-deux places étaient à pourvoir[7].

Boîtes de bouquinistes modifier

 
Boîtes de bouquiniste fermées (2006).

Les boîtes installées doivent être conformes au « Règlement des Bouquinistes des quais de la Seine » cité ci-devant et dont est extrait l'article qui suit.

  • Article 9 de l’arrêté municipal du , signé par Jacques Chirac, maire de Paris :
Les boîtes utilisées par les bouquinistes devront être d’un modèle agréé par l'administration présentant un gabarit extérieur déterminé par les dimensions ci-après, pour une longueur maximale de 8,60 m (ces dimensions s’entendent boîtes fermées, couvercles compris) :
  • Longueur : 2,00 mètres
  • Largeur : 0,75 mètre
  • Hauteur :
    • côté Seine : 0,60 mètre
    • côté quai : 0,35 mètre
En période d’utilisation, la ligne d’horizon, figurée par le bord supérieur du couvercle relevé ne devra pas s’établir à plus de 2,10 m au-dessus du sol.

En 2012, à la demande de la Ville de Paris, une réflexion a été lancée en partenariat avec les designers Materiaupôle Paris–Seine-Amont et Paris Région Lab pour « rénover » ces boîtes vertes sensiblement éprouvées par les conditions climatiques et le vandalisme[22]. Après consultation des bouquinistes de quais de la Seine, conception puis réalisation de quatre prototypes de boîtes, un « cahier de recommandations pour la construction de nouvelles boîtes de bouquinistes et/ou l'amélioration des boites existantes » a été rédigé en [23].

Dans l'art modifier

Les bouquinistes de Paris ont inspiré de nombreux peintres et aquarellistes :

Exerçant elle-même cette profession, Camille Goudeau est l'auteure du roman Les Chats éraflés (Gallimard, 2021), qui raconte l'histoire d'une provinciale devenue bouquiniste à Paris[13].

Notes et références modifier

  1. a et b Jean-Clément Martin Borella, « Les bouquinistes entrent au patrimoine immatériel français », La Croix, 20 février 2019.
  2. Université de Chicago (dir.), Lexilogos, index de recherche par terme, en ligne.
  3. Robert Giraud (photogr. Robert Doisneau), Le Royaume d'argot, Denoël, , p. 235.
  4. Nodier 1841, p. 208–209.
  5. Le salaire hebdomadaire d'un ouvrier parisien se situe vers 1860 à 5 francs (cf. Germinal d’Émile Zola).
  6. a et b À Paris, Le magazine municipal d'information, no 29, hiver 2008-2009, p. 12.
  7. a b et c Caroline Venaille, « À Paris, les bouquinistes priés de vendre… des bouquins », sur Rue89, (consulté le ).
  8. a et b « Règlement des bouquinistes des quais de la Seine » [PDF], Mairie de Paris (consulté le ).
  9. Cécile Charonnat, « La Mairie de Paris recadre les bouquinistes », Livres Hebdo,‎ (lire en ligne).
  10. a et b Antoine Cargoet, « À la rencontre des bouquinistes des quais de Seine, un métier en danger », Les Inrockuptibles,‎ (lire en ligne).
  11. Diane Lestage, « Les bouquinistes des quais, patrimoine parisien en péril », Le Figaro,‎ (lire en ligne).
  12. Souen Léger, « Les bouquinistes de Paris lancent leur festival », Livres Hebdo,‎ (lire en ligne).
  13. a et b Philippe Martinot, « Les bouquinistes aussi ont leur festival », Le Figaro, cahier « Le Figaro et vous »,‎ 4-5 septembre 2021, p. 29 (lire en ligne).
  14. Nicolas Turcev, « Les bouquinistes parisiens entrent au Patrimoine culturel immatériel français », Livres Hebdo, 21 février 2019.
  15. a et b Caroline Fruhauf, « Les bouquinistes de Paris seront-ils inscrits au patrimoine culturel de l'Unesco ? », sur francetvinfo, .
  16. Léopoldine Blanc, « Paris soutient l’inscription des bouquinistes au patrimoine immatériel de l’Unesco », Livres Hebdo, 3 mai 2018.
  17. Les bouquinistes de Paris, ces indociles qui refusent de déménager, Le Point, 17 septembre 2023
  18. Uzanne 1893, p. 262 [lire en ligne].
  19. Les chiffres pour 1945 et 1957 sont extraites de Doré 1957.
  20. Les bouquinistes de Paris sur le site de la ville de Paris, consulté le 17 août 2017.
  21. « France : la relève des bouquinistes parisiens assurée • FRANCE 24 » (consulté le )
  22. Calixte de Procé, « À Paris, les boîtes vertes des bouquinistes s’offrent une nouvelle vie », dans Innov'in the City, 31 janvier 2012.
  23. Association Matériaupôle Paris–Seine-Amont, Bouquinistes de Paris : Cahier de recommandations pour la construction de nouvelles boîtes de bouquinistes et/ou l'amélioration des boîtes existantes, (lire en ligne).

Annexes modifier

Bibliographie modifier

  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Articles connexes modifier

Sur les autres projets Wikimedia :

Liens externes modifier