Utilisateur:Roque Carbajo/Brouillon

ROQUE CARBAJO - guitariste - compositeur et enseignant.

Dr. Roque Carbajo - Mon père Mon père le Dr. Roque Carbajo, est né le 12 décembre 1910 à San Miguel de Allende, (état de Guanajuato), Mexique. Il était médecin et pratiquait dans sa ville natale et les villes avoisinantes (Celaya, Salvatierra, etc.) En 1947, il s’installe à la ville de Mexico, ouvre son cabinet de médecin et se marie avec Yemila Dergal, mexicaine, d’origine libanaise. De cette union naît Luis Carbajo qui fut très populaire auprès du peuple en tant que présentateur et producteur à travers ses programmes de télévision au canal 11. Notre père, jouait du piano et un peu la guitare et son hobby était d’écrire de « boléros », (style de chanson très populaire de cette époque). En 1948, il participe à un concours et obtient le premier prix avec sa chanson « Hoja seca » qu'il a composé dans une taverne de Salvatierra qui aujourd'hui porte le nom de la chanson et dont les murs intérieurs sont décorés avec les paroles de sa chanson. Elle deviendra un succès et sera par la suite enregistrée par des grands noms tel que Pedro Vargas, Javier Solís, Vicente Fernandez, Tito Rodriguezetc. Le prix du concours est une tournée en Amérique centrale d’une durée d’un mois. Pendant cette tournée, il fait la connaissance de la chanteuse mexicaine Irma Vila qui effectuait elle aussi des représentations en Amérique centrale avec son mariachi. À la fin de cette tournée, Irma Vila propose à mon père de traverser l’Atlantique pour se rendre en Espagne afin de réaliser quelques spectacles. Il accepte et délaisse sa femme, mon frère et bien évidemment son cabinet de médecin. (Il ne retournera au Mexique que 25 ans plus tard, en 1970). Il arrive en Espagne et après quelques spectacles, il s’installe à Barcelone et fait la connaissance de Juana Masip, ma mère. Du fait qu’elle chantait, Ils décident de former un duo du nom de "Dr. Roque Carbajo y Juanita" et interprètent le folklore mexicain. Ils parcourent le Moyen-Orient et après quelques tournées finissent par revenir en France et s'installent sur la Côte d’Azur. Nice, août 1951, je vois le jour le 26 à l’Hopital St.Roch. 6 mois plus tard, mes parents se séparent. Ma mère se marie avec un monsieur suisse (elle n’était pas mariée à mon père) avec qui elle a eu un fils du nom de Enric. Durant toute sa vie, elle gardera cachée mon existence à son fils jusqu'à sa mort.
 En fin de compte, je ne connaitrai jamais la vraie histoire de mes parents et je n’aurai pas connu ma mère!

Mon enfance

Suite à la séparation de mes parents. Mon père anxieux et craintif que ma mère veuille venir me récupérer (ce qui ne fut jamais le cas), se rend à Paris, et me déclare à l’ambassade du Mexique. En présentant mon certificat de naissance niçois je deviens mexicain par mon père et j’apparais désormais sur son passeport étant donné que je suis d'âge mineur. D’ailleurs, voici une anecdote dont je me souviens encore aujourd'hui : À un moment donné, mon père avait laissé dans la chambre d’hôtel le passeport, il était sorti le temps d’aller faire une course et lorsqu’il est revenu, il a constaté que j’avais pris mes crayons de couleur et gribouillé toutes les pages du passeport. Il a dû en faire faire un nouveau. Ah ce qu’il n’était pas content!

Sur le certificat de nationalité mexicaine, mon père invente une histoire en mentionnant que ma mère est décédée dans un accident de la route et il se déclare veuf sur son statut civil. Étant donné que j'étais encore un enfant en bas âge, mon père me fait croire et ce jusqu’à mon adolescence, que ma mère était décédée

Dès lors, je le suivrais partout dans ses périples. Les premières années furent constituées de tournées avec des musiciens mexicains que mon père avait connu lors de son voyage avec Irma Vila ; Alfonso Castolo (violon)[1], Leopoldo Villa (guitare) et Benito Camacho (guitarrón). Il se présentait sous le nom de : Dr. Roque Carbajo et le trio Mexico. [2]

C'est sous ce nom qu'il enregistré le premier 33 tours de musique folklorique mexicaine en France, sous l’étiquette B.A.M (La boîte à musique) [3].

C'est sous cette même etiquette de disques que sortent 2 autres 33 tours avec les groupes qui tout comme mon père ont effectués les premiers pas de la musique de l’Amérique du Sud en France ; Los Guaranis dont les intégrants étaient Francisco Marin, Gerardo Servin, Angel Sanabria et Cristobal Cáceres et Los Incas dont les intégrants étaient Jorge Milchberg, Ricardo Galeazzi, Carlos Ben-Pott, Elio Rivero et Narciso Debourg. Les enregistrements s’effectuaient autour d’un seul micro et en une seule prise!

À force d’être entouré de musique dès mon jeune âge, la guitare m'attire et un jour, mon père me surprend a faire sonner les cordes de sa guitare. Se rendant compte de cette attirance pour le son, il cherche à m’acheter une guitare. Sauf qu’à cette époque les guitares plus petites (3/4 et 1/4) n’existaient pas.

Il décide donc d'acheter donc cavaquinho à un ami brésilien et commence à me montrer les accords de base. Au bout d’un mois, je maniais les accords sans problème et j’étais capable d’effectuer les cadences ( I -IV-V7-I ) sur les tonalités de Do, Sol, La, Mi et Ré.

GRÈCE et CHYPRE

Entre temps, mon père et son trio voyagent à Athènes pour jouer à travers le contact d’un certain Mr. Ekonomides. Je me souviens d’une jeune femme avec qui mon père avait eu brève relation et qui me gardait dans la chambre d’hôtel le temps des représentations.

Mon père attirait les femmes qu’il croisait ; elles s’attendrissaient de voir un musicien « veuf » élever tout seul son fils. Cela lui permettait « entre autres choses » de me faire garder. Mon souvenir reste vague quant à la raison d’un voyage effectué à l’île de Chypre ; nous avions pris un bateau à Patras et une terrible tempête nous a surpris pendant notre traversée. Mon père était dans la cabine malade et moi, libre et joyeux j'étais avec les marins sans le moindre mal de mer. Tout ce dont je me souviens du séjour à Chypre, c’est qu’il y avait un couvre-feu ; le conflit entre britanniques et groupes chypriotes pour la décolonisation battait son plein.

ÉGYPTE-ISRAËL

Après la Grèce, mon père continua ses spectacles avec son trio en Turquie et en Égypte. C’est au Caire, qu’il proposa (une fois que leur contrat eut été terminé), de faire le trajet des rois mages. Il prit des guides et nous traversâmes le désert en chameau jusqu’en Israël. Arrivés en Israël nous nous installâmes à Jérusalem et mon père organisa mon baptême. Je fus baptisé dans le Jourdain.

LIBAN

Peu après mon baptême, les membres du trio décidèrent de partir chacun de son côté. Mon père décida d’aller au Liban, (considéré a cette époque comme la Côte d’Azur du Moyen-Orient). Il s’installa à Beyrouth où il connut un bijoutier libanais d’origine mexicaine (cela a dû sûrement lui rappeler son épouse Yemila qu’il avait délaissée au Mexique) qui était propriétaire d’un restaurant/piano bar en plein milieu de la plage qui s’appelait « Acapulco ». Mon père se proposa pour y jouer du piano tous les soirs. C’était un endroit magnifique! Il loua une roulotte qu’il fit installer sur la plage et nous sommes restés quelques temps. Il composa une chanson intitulée « Acapulco » pour cet endroit.

PARIS

Après le liban, mon père décide de revenir à Paris où il fait la connaissance d’Enrico Grossi, chef d’orchestre originaire de Rome qui avait engagé de nombreux musiciens pour former un orchestre de musique salsa (Il était marié à une femme cubaine du nom de Ada). Mon père intègre la formation en tant que pianiste. Nous étions à une époque très généreuse pour les musiciens, Paris débordait de cabarets qui engageaient 2 ou 3 orchestres pour un même soir et qui se reliaient tour à tour durant toute la soirée.

Ça été pour moi une période riche en découvertes à travers les membres de l’orchestre d’Enrico Grossi : José Riestra, contrebassiste cubain et sa femme Chiquita chanteuse, Angel Antonio Forero, guitariste colombien, Rudy Castel chanteur cubain, Pepe Nuñez trompettiste espagnol et beaucoup d’autres dont les noms m’échappent. Nous sommes en 1957 et je me souviens très bien que les musiciens, tous azimuts, se retrouvaient une fois à la semaine à la Place de Clichy ; c’est là que se prenaient les décisions pour la formation des ensembles (trios, quartets, orchestres, etc.) et la désignation des endroits où allaient s’effectuer les shows.

J’avais 5 ou 6 ans et mon père m’emmenait tous les soirs avec lui dans les cabarets sauf si les patrons des boîtes de nuit (souvent des mafieux) le lui interdisaient ; les enfants ne pouvaient pas être présents et il suffisait qu’un inspecteur passe pour se faire remettre une contravention salée. Je restais donc dans les loges tout le long de la nuit au beau milieu des stripteaseuses, des musiciens, des transgenres et autres artistes car dans ce temps, les cabarets présentaient toutes sortes d’attractions ( illusionnistes, acrobates, comiques, etc.). Tous m’aimaient bien et prenaient soin de moi. Je finissais par m’endormir au beau milieu du brouhaha, du va-et-vient des artistes, de la fumée et de l’alcool.

ABEL GANCE, BERTA DOMINGUE, ALEXANDRE SALKIND

En 1959, mon père se lié d’amitié avec l’écrivaine mexicaine Berta Dominguez, mariée à Alexandre Salkind, producteur juif russe qui s’était exilé au Mexique avec son père, et par la suite s’est installé à Paris. Salkind a produit (entre autres) le film « Austerlitz » réalisé par Abel Gance. Berta Dominguez venait de terminer l’écriture d’une pièce de théâtre intitulée « La cathédrale de cendres » ; une histoire qui se déroule pendant la révolution du Mexique. Dans la pièce, il y avait un personnage du nom d’Absalon, l’enfant au cerf-volant. Le rôle devait être attribué à Pierre Spengler. Mais Pierre était blond et russe d’origine (son père Alexandre Spengler, compositeur, était un ami de la famille Salkind), Berta demanda à mon père si j’etais en mesure de tenir le rôle. Ce à quoi, il lui assura que non seulement je serais capable mais qu’en plus je pouvais jouer (avec mon cavaquinho) et chanter. La pièce fut dirigé par Abel Gance et dans les principaux rôles il avait Tania Balachova, Tony Taffin, Gianni Esposito, Antoine Balpetré etc. La première eut lieu au Théâtre de l’Alliance Française, situé sur le Bd. Raspail. Ce fut mes débuts sur une scène!

Par la suite, mon père continua à jouer à Paris, notamment au cabaret « La romance » situé au Quartier latin, plus précisément sur la rue Monsieur le Prince. C’est à cet endroit que j’ai rencontré pour la première fois un ami de mon père; le chanteur paraguayen Luis Alberto del Paraná. Luis Alberto enregistra plus tard « Estoy llorando », une chanson de mon père. C’était une personne qui avait beaucoup d’affection pour moi.

Étant donné que je commençais à être en âge d’aller à l’école, mon père n’a eu d’autre choix que de m’inscrire au primaire. C’était à l’école communale pour garçons située au 6, rue Vaugirard. Ce fut mes premières expériences avec des enfants de mon âge, loin de la vie nocturne des adultes, mais je n’y suis pas resté longtemps puisque l'école dépendait la durée des contrats de mon père.

Sur la même rue, il y avait une autre boîte de nuit. Celle-ci regroupait tous les musiciens latino-américains de Paris. Ça s’appelait « L’escale ». C’est à cette endroit que je connu la plupart des musiciens avec lesquels je jouerai bien des années plus tard. C'est à cet endroit que j'ai connu un musicien paraguayen qui avait vécu longtemps au Brésil (Nicolas Perez Gonzalez), m’a captivé ; il chantait et s’accompagnait à la guitare avec une harmonie jazzistique (je découvrais la musique de Dorival Caymmi!) et cela m’a beaucoup marqué.

LA CÔTE D'AZUR et LA RIVIERA ITALIENNE

L’été, mon père descendait s’établir sur la Côte d’Azur. Tout d’abord à Nice ou il commence à être à court d’argent et éprouve de la difficulté à trouver des endroits dans lesquels jouer. Il commence par aller voir un certain Mr. Fracassi un prêteur sur gage. Mon père avait une montre en or et c’est elle qui nous a sauvé maintes fois ; dès qu’il avait gagné de l’argent, il s’empressait d’aller la récupérer. J’ai en ma possession cette fameuse montre dont il m’a fait cadeau 5 ans avant son décès.

Nous sommes en 1961 et c’est un moment où je suis devenu cinéphile (malgré moi). Mon père voulait absolument se faire des sous et il commença a aller jouer au casino dans l’espoir de gagner. Bien évidemment, il ne gagnait presque jamais. Il s’absentait pendant une bonne partie de la journée et me laissait au cinéma. À cette époque, on y présentait les informations, un dessin animé et le film. On pouvait rester dans la salle et revoir le tout jusqu’à la fermeture du cinéma. C’est comme ça que je suis devenu cinéphile amateur.

Parallèlement, mon père s’était fait des amis ; Vera Caprani et Mario Naldi ( elle chanteuse et lui excellent musicien). Vera chantait merveilleusement bien, avec une expression propre à elle, unique! Ils tenaient un restaurant dans le vieux Nice qui s’appelait « Le Tabor ».

Il y avait aussi un guitariste d’origine italienne avec qui j’entretenais de très beaux rapports ; Attilio « Nino » Fiorelli. C’est lui qui m’a fait connaître les valses d’Antonio Lauro. Il les jouait à merveille! C’est également à travers lui que mon père acheta une guitare 3/4 d’occasion construite au Mexique.

Par la suite, nous avons habité à divers endroits de la Côte d’Azur: Cannes, mon père m’avait inscrit à une école primaire qui se trouvait pas loin du Casino le Palm-Beach. Nous habitions près du port dans une auberge ou logeaient d’autres musiciens que nous connaissions et chaque matin, lorsque mon père rentrait après avoir joué toute la nuit, il se couchait et moi je partais seul et traversait toute la Croisette à travers la plage jusqu’à l’école. Un jour, mon père me laissa sur la plage à côté du casino, il devait être 2 heures de l’après-midi. Il partit jouer au casino dont l’entrée se trouvait tout près en me promettant qu’il ne tarderait pas. Il était 19h, plus personne d’autre que moi sur la plage et la noirceur qui s’installait. Je pris la décision d’aller voir le portier du casino et je lui explique que mon père était à l’intérieur et que je voulais un taxi pour rentrer à l’auberge. Il a appelé le taxi qui m’a emmené à l’auberge (j’avais mémorisé l’adresse). En arrivant, je demandé au taxi d’attendre le temps de monter et demander à l’un des musiciens de venir payer le taxiste. Peu de temps après, lorsque mon père sortit du casino et qu’il constata que je n’étais plus sur la plage, il fut pris de panique. Heureusement, le portier lui mentionna que j’étais rentré en taxi. Au moment où il arriva à l’auberge et que nos amis musiciens virent la colère en lui, ils s’interposèrent et c’est ce qui m’évita de recevoir un raclée monumentale. Cet événement aurait dû le faire réfléchir quant à ses longues visites dans les casinos. Mais il n’en fut rien. À une autre reprise, il me laissa toute une journée dans le parc qui était situé en face du casino de Nice, place Masséna.

Mes périodes scolaires ont été brèves et variées géographiquement parlant. Elles s’interrompaient lorsque les contrats de mon père s’achevaient. Je changeais alors d’endroit et d’école . Les écoles dont je me souviens étaient situées à Villeneuve-Loubet (nous habitions près de Biot, à l’Auberge du faisan doré qui était situé sur le bord de la route Nationale 7). et quelques autres situées sur la Riviera italienne. En fait, j’ai appris sur le tas les principales matières enseignées au primaire. Mon enfance s’est déroulée dans la solitude et entouré d’adultes (Il n’y avait pas moyen de me faire des amis de mon âge sur une longue période). En contrepartie, cela m’a donné un vécu et des expériences qu’aucun établissement pédagogique ne peut et aucun livre ne peut nous enseigner.

Parallèlement à mes incursions scolaires, mon père commença à m’apprendre les chansons du folklore mexicain et étant donné que j’avais déjà ma guitare 3/4 nous avons monté un répertoire afin de pouvoir se produire. Nous avons joué dans la totalité ds casinos de la Côte d’Azur ( de Cannes à Monte-Carlo) et sur la Riviera italienne (de Vintimille à Gènes).

Concernant la Ligurie, il y a une anecdote que je n’ai jamais oublié. Un ami italien de mon père qui habitait à Santa Margheriita Ligure me fit cadeau d’une petite chienne du nom de « Dolly ». Mon père était hésitant d’accepter car nous étions constamment en déplacement. Il finit par accepter et nous continuâmes nos représentations sur côte méditerranéenne de l’Italie. Au fur et à mesure que le temps avançait nous nous sommes aperçus que Dolly grossissait. Nous avons fini par comprendre que la chienne qui nous avait été offerte attendait une portée. Au moment de mettre à bas, mon père s’est débrouillé de louer un appartement plutôt qu’une chambre d’hôtel, le temps que naissent les chiots. Finalement, nous nous sommes retrouvés avec 5 chiots! Une fois qu’ils étaient capables de se déplacer, nous les emmenions avec nous et dans les endroits où nous logions, nous attendions la nuit pour descendre toute la manne pour les faire promener et prendre l’air. Devant ce problème grandissant, mon père décida de faire un bref retour sur la Côte d’Azur. Il prit un chiot à la fois et attendait pas loin de la porte d’un casino et des que des gens bien nantis sortaient, il s’approchait d’eux et mentionnait qu’il venait de trouver ce petit chien abandonné, La première réaction était « Oh comme il est mignon… de fil en aiguille les gens adoptaient le chiot. C’est ainsi que mon père se départit de tous les chiens entre les casinos de Cannes, Juan-les-Pins et Monte-Carlo.

Certains endroits sont restés dans ma mémoire, comme par exemple Le haut de Cagnes-sur-Mer. Sur la place du Château, il y avait un endroit où les gens riches et célèbres allaient écouter de la chanson française; c’était « Chez Suzy Solidor ». Cette chanteuse qui avait eu ses jours de gloire avait fait l’acquisition de ce petit endroit, décoré avec les innombrables tableaux que des peintres de renommée avaient fait d’elle et lui avaient donné. Elle y chantait tous les soirs, interprétant Ferré, Aragon, etc. Et nous!!! comme un cheveu dans la soupe, nous faisions nos 3 ou 4 chansons tous les soirs costumés en mexicains de la tête au pieds. Une chose m’avait marqué chez Solidor, c’était son exigence envers ses clients de garder un silence complet pendant les tours de chant. Un soir, une table de clients qui consommaient du champagne à profusion, se mirent à parler pendant qu’elle interprétait une de ses chansons. Elle arrêta d’un coup sec et les interpella tout en disant à la caissière « Leur consommations sont à ma charge, messieurs dames, veuillez quitter la salle sur le champ, Les clients visés n’eurent d’autre choix que de déguerpir. Suzi Solidor!

De Cagnes-sur-Mer, nous nous sommes installés à Villefranche-sur-Mer où nous avons eu un contrat dans une boîte de nuit ; Le « Tiki club ». Villefranche était une toute petite ville tranquille d’environ 5000 habitants (à cette époque), avec sa chapelle St-Pierre entièrement décorée par Jean Cocteau. Mais sur cette petite baie accostaient de temps en temps un porte-avions et des destroyers américains et lorsque les marines étaient là et qu’ils descendaient à terre en permission ( ils étaient des centaines), la ville changeait complètement! les bars et les boites de nuit affichaient en anglais «  Welcome marines! », « Floor show! », etc. Les dollars coulaient à flot et la ville s’enrichissait.

La Ligurie

Pendant les temps creux lorsque les américains n’étaient pas là, mon père et moi allions jouer souvent en Italie. Un des souvenirs qui m’avait marqué, c’étaient les salles de cinéma; les films étaient projetés en 2 temps ( primo tempo, secondo tempo) et pendant l’entracte, ce sont des attractions qui étaient présentées sur la scène ( illusionnistes, acrobates, clowns, etc.) … et nous ; le père et le fils, chantant le folklore mexicain. Bien entendu vêtus comme les « charros », nous n’étions définitivement pas à notre place. Mais ce qui m’avait fasciné (c’était dans un cinéma de San Remo), c’est qu’avant d’entrer sur scène, nous attendions la fin du film (premier temps). Derrière l’énorme écran, je voyais le film à l’envers. Ils projetaient «High noon» (Le train sifflera trois fois) de Fred Zinnemann. À force d’aller si souvent jouer en Italie, l’italien est devenu ma troisième langue maternelle. Nous avons joué à Milan, Venise, Naples, Rome et bien sûr toute la Ligurie.

LA YOUGOSLAVIE

Vers la fin de l’année 1963, nous rentrâmes à Paris et mon père décide de créer un spectacle sous le titre « La fiesta » ; musique et danse de l’Amérique latine. Pour ce faire, il envoie une proposition à une agence située à Zagreb (Croatie), qui accepte et lui donne des dates à travers l'envoi d'un télégramme ; pas de contrat! Uniquement un télégramme de confirmation. Mon père commence à recruter les musiciens. Ils étaient une quinzaine; Angel Sanabria (qui avait fait partie du groupe Los guaranis), Facio Santillan, Marga Yergo, Arturo Salazar, Dahlia, Nito Rojas, Ada Valiente, Pedro Leguizamon, Polo Rojas, etc.  Mais peu de temps avant le départ, mon père reçoit un télégramme mentionnant que les dates sont annulées. Mon père jeté le télégramme et ne dit absolument rien à aucun des musiciens. Nous partîmes quand même, 5 voitures en tout. Nous traversâmes toute l’Italie jusqu’à la frontière avec la Yougoslavie. En arrivant à Zagreb, l’agence est surprise de voir arriver 17 personnes prêtes à effectuer les représentations. Sur ce, mon père mentionne ne jamais avoir reçu de télégramme d’annulation et l’agence n’a pas eue d’autre option que de nous faire jouer tel que prévu. C’est ainsi que débutèrent nos spectacles dans les pays de l’Est en pleine période de guerre froide. La Yougoslavie était le pays le seul pays non aligné des pays de l’Est ; Le maréchal Josip Broz Tito qui gouvernait, avait refusé l’aide de russes pour contrer les forces allemandes et cela faisait de la Yougoslavie un pays plus libéral en comparaison aux autres pays. Nous avons effectué des spectacles dans toutes les grandes villes, du nord au sud. Je n’ai jamais oublié la ville de Zagreb dans laquelle je me suis fait des amis. Lors de la première représentation dans un théâtre dont j’ai oublié le nom et était situé sur Ilica est une des rues les plus anciennes et les plus longues de Zagreb, nous commencions le spectacle tous sur scène avec la chanson Las mañanitas. Quelle fut notre surprise lorsque nous entamons les premières notes de la chanson, le public se met debout, applaudit et crie de joie. On nous explique par la suite que les films mexicains étaient très présents dans toutes les salles de cinéma et que cette chanson était très populaire grâce au film "El aguila negra"

La Roumanie

Le suivant pays que nous avons parcouru est la Roumanie ; le seul pays dont la langue roumaine est étroitement liée aux langues latines. Nous nous sommes sentis un peu chez nous parce qu’on échanger facilement avec le peuple roumain et les musiciens que nous avons croisé nous ont raconté à quel point le pays vivait une dictature ; une chasse aux sorcières à tous les dissidents du régime en place ainsi que les tziganes. La Roumanie était sous le régime de Nicolae Ceaușescu! En ce qui a trait au côté culinaire, j’ai découvert qu’un des plats traditionnels était la Mamaliga (l’équivalent de la polenta italienne). Nous avons parcouru les grandes villes : Mamaïa, Constanța, Brașov, Ploiești etc. Lorsque nous avons joué à Bucarest, quelle n’a pas été notre surprise de retrouver Luis Alberto del Paraná! Lui aussi effectuait une tournée avec son ensemble.

LA RUSSIE

De la Roumanie, nous sommes allés jouer en Russie, il n’y avait qu’une seule agence qui gérait, c’était Gosconcert. Le pays ne permettait pas aux artistes étrangers de se produire au-delà de 3 mois. Nous fûmes une exception; on nous permit de continuer les spectacles 3 mois de plus. Nous avons joué à Erevan (Arménie), à Tashkent (Ouzbékistan) ou j’ai vécu mon premier tremblement de terre, à Baku ( Azerbaïdjan), à Tbilissi (Géorgie), Moscou et Leningrad (aujourd’hui St- Petersbourg).

À Moscou, après une de nos représentations, un musicien du théâtre Bolchoï est venu me rencontrer dans les loges pour me féliciter. Il parlait un bon français et il me dit qu’il aimait ma manière de jouer et qu’à part son instrument ( il était clarinettiste), il adorait la guitare. Il me demanda si je savais lire la musique, je lui répondis que non. Il se proposa de venir me rencontrer à mon hôtel et qu’il apporterait sa guitare. Le jour suivant, il se présenta comme prévu et me proposa de m’enseigner une pièce pour guitare du répertoire classique. En une après-midi, j’appris la pièce par cœur. Il s’agissait de « Recuerdos de l’Alhambra de Francisco Tarrega. J’avais 13 ans.

LA POLOGNE

Après la tournée en Russie, chaque membre du spectacle « La fiesta » entreprit sa propre route. Mon père se retrouve avec une somme faramineuse de roubles. À cette période, la Russie ne permettait pas de quitter le pays avec de l’argent local et n’échangeait pas les devises étrangères. Il a du acheter toutes sortes de choses (camera 8mm, appareil photo, tapis etc.) Avec tous ces achats obligés et rajouté à ça, tous les costumes que mon père avait acheté pour le spectacle et qu’il récupéra à la fin de la tournée, nous nous sommes retrouvés avec un bagage titanesque. Avant le départ pour la Yougoslavie, mon père avait acheté une Citroën ID d'occasion et c’est avec elle que nous avons effectué toutes les tournées. La voiture était remplie de bagages et nous sommes dirigés vers la Pologne. La première ville fut Cracovie et ensuite Varsovie, Gdansk et bien d’autres villes. En fait, nous arrivions dans les villes et nous nous proposions comme attraction. Lorsque nous sommes arrivés à la ville de Katowice, il avait un groupe de tziganes polonais qui effectuait une tournée. C’était l’ensemble Roma. Il était composé de musiciens, chanteurs et danseurs… tous de la même famille. Il jouaient et dansaient magnifiquement.

Mon père est allé rencontrer le directeur de l’ensemble et lui que nous aussi étions de tziganes…. « Des tziganes du Mexique!!! ». Et aussi incroyable que cela puisse paraître, il nous ont engagés et nous avons effectué 3 mois de tournée sur tout le territoire polonais. Je dois mentionner qu’à force de côtoyer les gens de chacun de ces pays, je suis arrivé à parler couramment les langues suivantes: yougoslave, polonais, roumain, bulgare et russe. Aujourd’hui, il ne me reste que quelques bribes de chacune d'entre elles

LA BULGARIE

Nous avons joué à Sofia. Nous avons un musicien bulgare dont je ne me souviens malheureusement pas de son nom. C’était un fanatique des trios mexicains des boleros (Los panchos, Los 3 ases, etc.). Il s’était construit un requinto (guitare de petite taille qui s’accorde une 5te plus haut que la guitare. Étant donné que par sa tessiture son volume est mis en avant, sa fonction consiste à jouer les introductions et les fioritures des boléros). Il connaissait par cœur toutes les chansons et les jouait. Mon père avait gardé un guitarrón ( la basse des mariachis) et lui proposa d’apprendre à en jouer. Ce qu’il fit en un rien de temps et nous fîmes une mini tournée avec lui (Plovdiv, Varna, etc). Lorsque nous jouions dans les boîtes de nuit des grands hôtels, on le faisait passer pour mexicain. Comme il ne parlait pas un mot d’espagnol, lorsque nous mangions au restaurant et que les serveurs s’approchaient pour prendre notre commande et nous servir, nous parlions entre nous en espagnol en utilisant des textes de chansons. C’était très amusant. En passant, j’adorais manger une spécialité bulgare : le Kashkaval pané!

LA ROUMANIE ET RETOUR À PARIS

Après la Bulgarie, nous sommes retournés en Roumanie, à Sighișoara (Transylvanie). Nous avons joué dans un hôtel qui avait une boîte de nuit et le bassiste de l’orchestre nous invita un jour à aller chez lui. Il avait un grand magnétophone Telefunken (rarissime à cette époque dans les pays de l'Est). Il avait des enregistrements de toutes sortes. En autres, j’écoutais pour la première fois le fameux disque avec "Getz/Gilberto" Joâo et Astrud Gilberto, Antonio Carlos Jobim et Stan Getz. C’est resté gravé en moi durant toute ma vie!

Lorsque nous avons terminé le contrat de l’hôtel de Sighișoara, mon père est informé que l’ambassadeur de l’Uruguay (qui était une de ses connaissances) à Bucarest termine son mandat et rentre avec sa famille en voiture jusqu’à Paris. Sur ce, il lui demande s’il y a une place pour moi dans sa voiture. L’ambassadeur acquiesce et me voilà sur la route vers Paris. Mon père est resté afin de vendre tout le matériel du spectacle, les objets achetés en Russie et la Citroën. Il rentra à Paris en avion avant moi. Entre temps, ce fut une belle balade en voiture avec l’ambassadeur et sa famille. Nous nous arrêtâmes pour dormir à Budapest et on a dîné dans un restaurant avec de la musique tzigane hongroise; Quelle belle musique, pleine de vie! J’ai pu voir de près jouer du cymbalum.

Le prochain arrêt fut à Vienne. Et puis Paris.

Dès que je suis arrivé à Paris, nous somme partis pour Cannes. Mon père avait signé un contrat pour jouer tous les à « La chunga », une boite de nuit située à l'époque sur le boulevard de La Croisette, à côté de l’hôtel Martinez.

Le mois suivant s’amorçait le MIDEM  (Marché international du disque et de l'édition musicale) ; le plus grand rassemblement au monde d’entreprises travaillant dans le secteur de la musique. Après les représentations qui avaient lieu au Palais des festivals, la plupart des vedettes et directeurs de compagnies de disques allaient boire dans les clubs jusqu’à l’aube. La chunga était l'un des clubs les plus prisés.

Mon père et moi jouions tous les soirs notre répertoire latino-américain. Un soir, Eddie Barclay vient au club avec des amis. Mon père toujours en quête d’opportunités, s’approche de Barclay et lui mentionne que j’ai écrit des chansons en français ( j’avais écrit une dizaine de chansons pendant les tournées dans les pays de l’Est, sans aucun but précis, juste pour le plaisir).

Je n’était pas très content de chanter ces chansons en public, d'autant plus que mon père ne m’avait pas demandé mon avis. Je m’assois à la table de Barclay et je chante 2 chansons et dès que j’ai terminé, il dit à mon père d’aller le retrouver à son hôtel le lendemain. Le jour suivant nous nous rendons à la terrasse de l’hôtel Carlton et Barclay nous attend avec un contrat d’exclusivité à signer et mentionne que je vais enregistrer un 45 tours. Mon père est ravi, moi pas du tout!!! je ne me sentais pas bien dans ce rôle de vedettariat et encore moins de chanter tout seul en français. J’ai toujours été un musicien et heureux de l'être ; Je n'étais pas du tout dans mon élément!

À la fin du mois, nous plions bagage et rentrons à Paris. La compagnie de disques me désigne un directeur artistique (Rikki Stein) qui m’emmène chez un tailleur pour me faire des habits de scène (l’horreur !!! entre autres 2 costumes en velours tapé ; cintré, couleur rouge bordeaux.) Je me sentais comme un clown! De plus, il mentionne à mon père que Roque Carbajo n’est pas un nom commercial. Il décide que mon pseudonyme sera Manuel Cabaro. Je n’étais plus moi-même. Avant l’enregistrement, on me désigne un arrangeur, chef d’orchestre qui était engagé de façon quasi fermantente chez Barclay. Je me rends chez lui, il met une enregistreuse cassette en marche et me demande de lui chanter chacune des 4 chansons. Plus tard, il effectue les arrangements en se basant sur mon accompagnement à la guitare qui était somme toute de bon goût et l’adapte à l’orchestre. L’arrangeur s’appelait Jean-Claude Petit.

Une fois que le disque sort, on m’envoie le promouvoir et je participe à de nombreuses émissions de radio. Étant donné que je n’aimais pas ce que je faisais et que je ne me sentais pas à ma place, cela se projetait sur mes interprétations. Lors d’un passage dans une émission en public de Philippe Bouvard, tout de suite après que j’ai fini ma chanson, il mentionne au public « Il va devenir célèbre à l’âge de Maurice Chevalier! ». On me fait faire une mini tournée avec d’autres artistes dont l’auteur compositeur interprète Claude Reva avec qui je deviens ami.

Bien évidemment, avec tout ça, il fallait bien générer des revenus ; Mon père et moi reprenons nos activités et on prend entente pour jouer tous les soirs à « Los faroles « , un bar restaurant situé dans le 11ème arrondissement. J’ai 18 ans et parallèlement au travail avec mon père, d’autres musiciens qui me connaissaient déjà et qui savaient que je connaissais tout le répertoire latino-américain par cœur ont commencé à m’engager pour des événements d’un jour.

Nous sommes à la fin de l’année 70 et mon père apprend le décès de sa sœur. C’est elle qui s’occupait de ma grand-mère paternelle. Étant donné qu’il n’y à plus personne pour prendre soin d’elle. Mon père prend la décision de partir pour le Mexique. Il achète un millier d’exemplaires de mon 45 tours et me promet que lorsque j’irais le rejoindre, il aura déjà fait une promotion et déjà trouvé des engagements afin que je puisse chanter mes chansons en tant que vedette… Encore une fois!!!

Entre temps, après avoir été sous la tutelle rigide de mon père depuis mon enfance. Voilà que la porte de la liberté s’ouvre à moi. De plus en plus de groupes musicaux font appel à moi pour des tournées et d’autres événements.

Je joue dans les boîtes de musique latino-américaine tel que L’escale, Le Rancho guarani, etc. Et je partage la scène avec des musiciens tels que: Virgilio Rojas, Angel Sanabria, Otto Palma, etc. Aussi, je me lie d’amitié avec Martin Torres, Eduardo Calvo, Raúl Maldonado avec lesquels je passe de nombreuses nuits à jouer jusqu’à l’aube pour le simple plaisir du partage. J’effectue des tournées et des enregistrements avec divers ensembles.

Parallèlement à mon activité de musicien, je décide de prendre des cours de guitare classique. Je m’inscris à l’Académie de guitare qui était administrée par Gilbert Imbar. Je devient élève d' Antonio Membrado qui donnait des cours sporadiquement à l'Académie.

Le Maestro Membrado était d’une gentillesse inouïe! Il a toute de suite compris que je prenais ses cours pour mieux comprendre la technique mais aucune prétention de devenir concertiste. D’autant plus que je devais travailler pour gagner mon pain et payer mon loyer ( je n’étais plus sous la protection financière de mon père). Je remercierai toujours Antonio Membrado pour son indulgence et son acceptation de me donner dews cours entrecoupés par mes absences dues au travail.  

Antonio Membrado était d’une gentillesse inouïe! Il a toute de suite compris que je prenais ses cours pour mieux comprendre la technique mais sans aucune prétention de devenir concertiste. D’autant plus que je devais travailler pour gagner mon pain et payer mon loyer ( je n’étais plus sous la protection financière de mon père). Je le remercierai toujours pour son indulgence et son acceptation de m'avoir donné son enseignement entrecoupé par mes absences dues au travail.

À cette même période, mon ami Claude Reva m’appelle et me demande si je veux partager avec lui la tâche d’écrire une musique pour un documentaire. Le documentaire fut réalisé par Robert Bozzi et s’intitule Les immigrés en France - Le logement. 40 ans plus tard, je reprenais la musique du documentaire et l'adapte pour 2 guitares intitulée « Les immigrants ».

LE MEXIQUE

Au milieu de 1971, mon père m’écrit pour me demander de le rejoindre au Mexique, qu’il a des contrats et des émissions de télévision déjà prévus pour moi en tant qu’auteur, compositeur et interprète et que je suis attendu par toute ma famille (ma famille libanaise). Le jour ou je suis arrivé à la ville Mexico, au moins 100 personnes m'attendaient à l’aéroport. C’était impressionnant et bouleversant en même temps. Mon père instantanément commença à me présenter chaque personne (oncles, tantes, cousins, cousines), mon frère Luis, son épouse Josefina et mes 2 neveux JosefinaLuis Antonio et Yemila, l'épouse de mon père. c’est à ce moment que j’apprends que Yemila qu’il m’avait mentionné depuis toujours comme étant ma tante, était en réalité ma belle-mère. Ce fut une très longue journée pleine de turbulences dans ma tête... il m’était impossible de retenir tous les noms de chacune et chacun et cela m'a gêné durant un certain temps. Pour revenir sur Yemila ; peu de temps après l'avoir connue et côtoyé, j’ai découvert en elle un être rempli d’amour, toujours prête à accueillir. Elle ne disait jamais du mal de personne… une sainte! Je lui garde une grande affection et une énorme admiration pour son attitude envers la vie ; mon père l’a délaissée avec 1 enfant. 25 ans plus tard, alors qu’il décide de retourner au Mexique pour s’occuper de sa mère, elle l’accueille à bras ouverts et accepte de vivre à nouveau avec lui et sa mère sans aucune condition. En 25 ans, elle ne s’était jamais remarié et n’a jamais eue aucune relation avec un autre homme. Elle a été et restera la maman que j’espérais depuis toujours.

Les semaines qui suivirent furent remplies d’invitations dans chaque maison de la parenté libanaise. Tout le monde m’accueillit avec une grande générosité (en même temps, j’étais la curiosité du moment…le petit français!!!).

Entre temps mon père, avait déjà organisé quelques émissions de de télévision et un spectacle au Centre libanais de la ville de Mexico. Je continuais à ne pas me sentir à ma place en jouant ce rôle de pseudo vedette, mais j’ai dû assurer. Au bout d’un mois, l’ambassade de France m’appelle chez mon père et me convoque. Je me rends à l’Ambassade et on m’annonce qu’étant donné que je suis né sur la terre française et que je suis sur le point d'avoir 21 ans, je suis obligé d’effectuer mon service militaire. À l'époque, c’était 18 mois de caserne ferme. Il n’était pas question pour moi de laisser la guitare pour un fusil. À mon plus grand regret, j’ai du renoncer à la nationalité française ; c’était le prix à payer!

Après mes 2 mois de séjour au Mexique, je suis retourné en France afin d'honorer les tournées qui étaient prévues. Au bout de 4 mois, je suis retourné au Mexique. Première mauvaise surprise que j’ai eu en arrivant c’est concernant ma guitare ; une guitare construite par mon ami François Perrin. Lorsque j’ai ouvert mon étui, ma guitare avait complètement éclaté! J’avais oublié de baisser la tension des cordes et la table d’harmonie et le fond étaient en mille morceaux. Plus d’instrument!!!

Je suis retourné vivre chez mon père pendant un certain temps (la période pour que je devienne une vedette était loin derrière). Il fallait que je trouve du travail car l’argent que j’avais gagné en France diminuait au fil du temps. Un ami de mon père qui m’avait vu chanter lors de mon premier séjour à Mexico est venu manger à la maison et me mentionne qu’il connaît un parolier qui travaille pour la maison d’édition EMI et décide d’organiser une rencontre. Le parolier est Mario Arturo Ramos. Il m’invite à plusieurs reprises chez lui et je fais plusieurs musiques sur ses texte (heureusement il avait une guitare chez lui). Au bout de 2 semaines, il m’invite à aller avec lui chez EMI afin de mettre sous contrat les chansons que nous avions conçu. Nous arrivons à la maison d’édition et Mario Arturo me présente un auteur compositeur interprète avec qui il avait collaboré pour les textes de plusieurs de ses chansons. Il me mentionne qu’il était déjà bien connu du public pour ses chansons de style néo-folklorique. C’était Guadalupe Trigo.

Nous faisons connaissance et il me fait entendre sur place quelques pistes de son dernier 33 tours qui venait de sortir sous le titre « Mis cuatro paredes » avec de superbes arrangements orquestaux de Mario Patron. Dès la première écoute, je suis emballé par ses chansons et je saisis l’occasion en lui demandant s’il n’avait pas par hasard besoin d’un vihueliste (on parle ici de vihuela, instrument d’accompagnement joué dans les ensembles de mariachis). Bien évidemment, je ne pouvais pas lui demander s’il avait besoin d’un guitariste, étant donné que je n'avais pas de guitare. Ma nécessité de travailler était tellement pressante que j’ai pris une chance en me disant qu’éventuellement je pourrais acheter une vihuela si je suis engagé. Sur ce, Guadalupe accepte et me dit « viens manger demain à la maison! ».

Le lendemain je me rends chez lui. Il habitait à Coyoacán, un des plus beaux quartiers de la ville de Mexico avec une historique (c'est dans ce quartier que résidait Frida Kahlo). Je suis accueilli à bras ouverts, il me présente son épouse Viola, chanteuse et ses enfants. Nous partageons un superbe repas et il me dit, « tu n’as pas apporté ta vihuela pour que l’on puisse jouer ensemble? ». J’ai du lui dire la vérité : qu’en réalité je n’étais pas vraiment un vihueliste malgré le fait que je savais en jouer mais que j’étais guitariste et je lui raconte ma mésaventure avec ma guitare. Sur ce, il dit j’ai une guitare ici. Il part chercher l’instrument et revient avec une guitare style flamenco de 1955 construite et signée par Gustavo Pimentel.

On accorde nos instruments et il me dit on va jouer l’introduction de « Mi ciudad ». La chanson qui l’a fait connaître et dans laquelle il décrit la plupart des caractéristiques de la ville de Mexico. (Cette chanson est devenu aujourd’hui l’hymne par excellence de la capitale du Mexique). Dès qu’il attaque les premières mesures et me montre de quoi il s’agit, je m’adapte aussitôt et les deux guitares sonnent à merveille.


Étant donné que j’avais déjà encore des contrats à respecter en France, j’ai continué à travailler jusqu’à ce qu’il ait  une pause et je suis parti seulement pour 2 mois au Mexique étant donné que j’allais devoir revenir pour honorer encore des contrats de tournées et émissions de télévision.