Utilisateur:Pradoliv/Daniel Paul Schreber

Freud et Schreber modifier

Sigmund Freud consacre à Schreber une étude dont le titre est « Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (Dementia paranoides) décrit sous forme autobiographique ». Le « Supplément » à ce texte est présenté au Troisième congrès psychanalytique international, à Weimar, le [1]. Une première partie du texte est publié en 1911 dans le Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen. Sa publication est poursuivie en 1912, dans ce même Jahrbuch. Elle est reprise intégralement en 1913 dans la Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre. Ces « Remarques psychanalytiques » sont reprises intégralement une deuxième fois en 1924 dans les Gesammelte Schriften. Leur première traduction en anglais date de 1925. En français, la traduction de Marie Bonaparte et Rudolph Loewenstein date de 1932, quand elle est publiée dans la Revue française de psychanalyse. En 1935, un recueil de cinq textes de Freud est publié en français sous le titre de Cinq psychanalyses[2]. Ce titre est propre à l’édition française et il est inexistant ailleurs. Les « Remarques psychanalytiques » y apparaissent avec un titre légèrement modifié. Au titre original, cette publication ajoute un sous-titre, entre parenthèses « (Le Président Schreber) », qui n’apparaît plus aujourd’hui dans le texte des Œuvres complètes. Il est difficile de concevoir cet ajout sans l’accord de Freud, ce qui fait qu’à son titre se succèdent deux parenthèses, celui portant sur le caractère de la « paranoïa » de Schreber, une « démence paranoïde », et celui portant sur la spécificité de cette « démence », celle du « Président Schreber ».

Position du texte sur Schreber dans l’œuvre de Freud modifier

Après sa publication, les Mémoires d’un névropathe ont été largement discutées dans les milieux psychiatriques. Carl Gustav Jung les mentionne dès 1906 dans ses écrits[3]. C’est lui qui attire l’attention de Freud au sujet de l’importance de ce livre lors de leurs conversations à Nuremberg ou à Rothenburg, à la même époque[4]. À partir de là, « le cas Schreber » est souvent présent dans les correspondances de Freud avec Jung, puis avec Karl Abraham et Sandor Ferenczi[5]. C’est au cours d’un voyage de vacances avec Ferenczi en Sicile, en septembre de 1910, que Freud projette de tirer un article du livre de Schreber [6].

L’étude de Freud sur Schreber fait suite à une série d’autres de ses études sur la paranoïa, qui apparaissent dès 1895 et dont les plus importantes sont le « Manuscrit H » de sa correspondance avec Wilhelm Fliess et les "Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense", de 1896 [7]. Néanmoins, des observations sur cette entité clinique sont disséminées tout au long des lettres de Freud, ainsi que dans d’autres de ses écrits théoriques ou cliniques[8]. Parmi ceux-ci, ce sont les Trois essais sur la théorie sexuelle, en ce qui concerne la transformation des pulsions en leur contraire[9]. Il suffit de repérer les entrées relatives à la paranoïa dans l’index des matières du volume pour se faire une idée des thèses de Freud à son sujet à l’époque; "l’Homme aux rats", en ce qui concerne les origines des sentiments de persécution[10];Les fantaisies hystériques et leur relation à la bisexualité, en ce qui concerne l’avènement du fantasme à la conscience [11]. Jamais, avant Schreber, Freud ne signale aucune relation entre la paranoïa et l’homosexualité, même quand cette relation pouvait paraître évidente [12]. C’est que sa théorie était déjà prête avant même la rédaction de son étude : « Je puis cependant en appeler au témoignage d’un de mes amis et collègues : j’avais édifié ma théorie de la paranoïa avant d’avoir pris connaissance du livre de Schreber [13]. » Octave Mannoni souligne l’importance de cette déclaration. Il est le premier à rappeler également qu’avant d’être fou, Schreber avait été un juge et que c’était comme écrivain que Freud l’a connu[14]. Dans un texte de grand humour, Mannoni suggère que l’ami auquel Freud se réfère était Schreber lui-même, par rapport à qui Freud s’est lancé dans une revendication de priorité infondée, puisque la date de publication des Mémoires est bien antérieure à celle de sa propre étude.

Après Schreber, Freud consacra deux textes importants à la paranoïa : « Un cas de paranoïa qui contredisait la théorie psychanalytique de cette affection »[15] et « De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité »[16]. En revanche, dans « Une névrose diabolique au XVIIe siècle » [17], où Freud revient à Schreber, il ne mentionne pas la paranoïa [18]. Néanmoins, l’importance de l’étude de Freud sur Schreber ne se réduit nullement ni à l’éclaircissement de certains aspects de sa maladie, ni aux propositions au sujet de la paranoïa, poursuit Strachey. Il remarque la contemporanéité de cette étude avec « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques » [19], où réapparaissent les formulations présentées dans le "Schreber" ; de même, les propositions que Freud y avance au sujet du narcissisme anticipent son étude "Pour introduire le narcissisme"[20] ; celles au sujet du refoulement anticipent sont article homonyme de 1915[21]; et celles au sujet des pulsions seront reprises dans ce même recueil[22]. En revanche, Freud ne reprendra pas l’étude sur la projection. Pour Strachey, l’étude de Freud sur Schreber est un texte fondateur, matrice de nombreuses de ses études ultérieures [23].

Les « Remarques psychanalytiques » modifier

Cette étude de Freud se divise en quatre parties : l’Histoire de la maladie ; les Tentatives d’interprétation ; le mécanisme paranoïaque et le Supplément. La première partie est largement basée sur le rapport du Dr. Weber, médecin traitant de Schreber au moment de la rédaction de ses Mémoires. Freud retient de l’histoire de la maladie : a) le rôle rédempteur de Schreber et sa transformation en femme ; b) les rapports de Schreber à Dieu [24]. La deuxième partie de cette étude correspond à une longue discussion avec Jung. Freud y expose d’abord la manière dont Jung a expliqué un cas de démence précoce autrement plus grave, à savoir, en s’attenant aux mots eux-mêmes utilisés par le patient. Ce mode d’interprétation lui semble limité [25]. Dès lors, Freud s’attache à démontrer le caractère transférentiel de la psychose de Schreber, transfert d’abord envers son médecin traitant et ensuite envers Dieu [26]. Progressivement, nous arrivons au personnage central pour Freud, le père de Schreber. Ainsi, une séquence logique s’établit : père-médecin-Dieu. A la fin de ses tentatives d'interprétation, Freud revient à la méthode de Jung, c’est-à-dire, il s’attache aux mots eux-mêmes de Schreber, mais en les prenant tout autrement que Jung, en les considérant comme intégrés dans ce réseau transférentiel et non pas en tant que mots d’un discours abstrait. Tel est le cas de l’expression utilisée par Schreber de « Dieu Flechsig », du nom de son médecin traitant, ou de l’expression « meurtre d’âme » [27].

La partie finale des « Remarques psychanalytiques » proprement dites porte sur le « mécanisme paranoïaque ». L’homosexualité de Schreber se situerait au long d’une autre séquence logique qui est celle du développement libidinal : auto-érotisme, narcissisme, homosexualité, hétérosexualité. La paranoïa y apparaît comme la conséquence d’une « fixation » à cette avant-dernière étape du développement psychosexuel. Freud présente alors sa proposition centrale d’explication de la paranoïa, à partir de laquelle il développe les manières de la contredire. Cette proposition est que la paranoïa s’organise autour d’une phrase : « Moi (un homme), je l’aime (lui, un homme) » [28]. Elle serait contredite de quatre manières, les trois premières étant marquées par la projection : (a) par le délire de persécution ; (b) par l’érotomanie ; (c) par le délire de jalousie ; (d) par le délire de grandeurs.

Freud conclut son étude en étudiant le refoulement, qui connaît trois phases : celle de la fixation, quand une pulsion reste fixée à un, ou plusieurs, stades infantiles et domine l’inconscient ; celle qui émane des instances conscientes du moi ou la répression ; et, enfin, celle de l’échec de ces deux phases, qui permet le retour du refoulé [29]. Le symptôme est la résultante de ce choc formidable entre refoulement et retour du refoulé. La dernière partie de son étude, le Supplément, se restreint à mettre en corrélation un symptôme de Schreber, celui de regarder le soleil en face, avec les donnés de la mythologie et de l’anthropologie, de manière à montrer le bien fondé des thèses de Jung.

Notes et références modifier

  1. (en) James Strachey (Editor's Notes), The Complete Psychological Works of Sigmund Freud : Psycho-Analytical Notes on an Autobiographical Account of a Case of Paranoia (Dementia Paranoides), t. XII : The Case of Schreber - Papers on Technique and Other Works, Londres, The Hogarth Press and The Institute of Psycho-Analysis, , 373 p. (ISBN 0701200677, BNF 32649543), p. 3-4
  2. Pierre Cotet et René Lainé, Remarques éditoriales : Oeuvres complètes, vol. X - 1909-1910, t. X : Sigmund Freud - Oeuvres complètes, Paris, Presses Universitaires de France, , 339 p. (ISBN 2130457673, BNF 35606680), p. 226
  3. C. G. Jung (1906), “The Psychology of Dementia Praecox”, The Collected Works, vol. III, The psychogenesis of Mental Disease, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1960, p. 73.
  4. Sigmund Freud et Carl Gustav Jung (trad. de l'allemand par Ruth Fivaz-Silbermann, préf. William McGuire), Correspondance, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient » (no 28), , 765 p. (ISBN 2-07-072159-0, BNF 37390753), p. 39
  5. (en) James Strachey, Editor's Notes, op. cit, p 3-4.
  6. J. Strachey, idem. P. Cotet et R. Lainé, Œuvres complètes, X, op. cit, p. 228.
  7. J. Strachey (1925), op. cit., p. 4; P. Cotet et R. Lainé, idem.
  8. Luiz Eduardo Prado de Oliveira, "L'invention de Schreber" : Le cas Schreber. Contributions psychanalytiques de langue anglaise, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Bibliothèque de Psychanalyse », , 502 p. (ISBN 2-13-035718-0, BNF 34644304), p. 23-43
  9. Sigmund Freud (trad. de l'allemand par Philippe Koeppel), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », , 211 p. (ISBN 2-07-032539-3, BNF 35060079)
  10. Sigmund Freud (trad. de l'allemand par Pierre Cotet et François Robert, préf. Jacques André), Remarques sur un cas de névrose de contrainte : L'Homme aux rats, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Quadrige » (no XV), (1re éd. 1935), 88 p. (ISBN 2-13-051122-8, BNF 37707099)
  11. Sigmund Freud, Les fantaisies hystériques et leur relation à la bisexualité, vol. 8, Paris, (ISBN 9782130548256)
  12. Luiz Eduardo Prado de Oliveira, L'Invention de la psychanalyse. Freud, Rank, Ferenczi, Paris, (ISBN 9782372060011)
  13. S. Freud (1911) « Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (Dementia paranoides) décrit sous forme autobiographique », Œuvres complètes, X, Paris, PUF, 1993, traduction P. Cotet, R. Lainé, p. 301.
  14. Octave Mannoni, Clefs pour l'imaginaire ou l'autre scène, Paris, Seuil, , 318 p. (BNF 43429151)
  15. S. Freud (1915), « Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique », Œuvres complètes, XIII, Paris, PUF, 1988, traduction A. Bourguignon, A. Cherki, P. Cotet.
  16. S. Freud (1922), « De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité », Œuvres complètes, XVI, Paris, PUF, 1991, traduction J. Altounian, F.-M. Gathelier
  17. S. Freud (1923), « Une névrose diabolique au XVIIe siècle », Œuvres complètes, XVI, op. cit, traduction P. Cotet, R. Lainé.
  18. J. Strachey (1925), op. cit., p. 5.
  19. S. Freud (1911), « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques », Résultats, idées, problèmes, I, traduction J. Laplanche, pp. 135-143.
  20. Sigmund Freud (trad. de l'allemand par Hélène Francoual), Pour introduire le narcissisme, Paris, In Press, , 225 p. (ISBN 978-2-84835-266-4, BNF 43697450)
  21. S. Freud (1915), « Le refoulement », Œuvres complètes, XIII, Paris, PUF, traduction, pp. 189-201
  22. S. Freud (1915), « Pulsions et destin de pulsions », idem, p. 163-185.
  23. J. Strachey (1925), op. cit., p. 5.
  24. Freud 2001, p. 239.
  25. Freud 2001, p. 257-259.
  26. Freud 2001, p. 259-269.
  27. Freud 2001, p. 269-272.
  28. Freud 2001, p. 285-288.
  29. Freud 2001, p. 289-290.

Bibliographie modifier

  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  •  Sigmund Freud (trad. Marie Bonaparte et Rudolph M. Loewenstein), Remarques psychanalytiques sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa (Dementia paranoides). Le président Schreber, Paris, Presses Universitaires de France, , 422 p. (ISBN 2 13 045620 0), p. 263-324
  •  Le cas Schreber. Contributions psychanalytiques de langue anglaise (trad. Luiz Eduardo Prado de Oliveira), Paris, Presses Universitaires de France, , 502 p. (ISBN 2-13-035718-0)
  • J. Strachey (1925), The Complete psychological Works of Sigmund Freud (Standard Edition), XII, Londres, The Hogarth Press et The Institute of Psycho-Analysis, 1958, p. 4.
  • S. Freud (1911), Œuvres complètes, X, Paris, PUF, 1993, p. 226.


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