Grande Jacquerie

un soulèvement de paysans des campagnes d'Île-de-France, de Picardie, de Champagne, d'Artois et de Normandie, survenu au cours de la guerre de Cent Ans, dans un contexte de crise du royaume de France
Guerre de Cent Ans
Grande Jacquerie (1358)
Description de cette image, également commentée ci-après
Les Jacques emmenant des prisonniers. Enluminure des Grandes Chroniques de France, vers 1375-1380. Paris, Bibliothèque nationale de France. département des Manuscrits, Français 2813, folio 414 recto.
Informations générales
Date au
Lieu Nord de la France
Issue Renforcement du pouvoir royal, fin des états généraux de 1351.
Belligérants
Réformistes
*Bourgeoisie parisienne
*Royaume de Navarre
*Jacquerie
Soutien:
Royaume d'Angleterre
Royaume de France
Commandants
Étienne Marcel
Gaston III
Jean de Grailly
Charles le Mauvais
Guillaume Carle
Jean II le Bon
Charles V
Pertes
Des milliers

La Grande Jacquerie, qui a lieu en mai et juin 1358, est un soulèvement de paysans des campagnes d'Île-de-France, de Picardie, de Champagne, d'Artois et de Normandie, survenu au cours de la guerre de Cent Ans, dans un contexte de crise du royaume de France : le roi Jean le Bon est en captivité en Angleterre ; le dauphin Charles doit faire face à l'opposition de deux puissants personnages : le roi de Navarre Charles II (Charles le Mauvais), prétendant au trône de France, et le prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel.

Ses causes sont multiples : impopularité de la noblesse après la défaite de Poitiers ; insurrection de Paris menée par Étienne Marcel à partir de février 1358 ; agitation dans les villes du comté de Flandre[1].

Cette révolte est courte : elle éclate à la fin du mois de mai 1358, peut-être le 23[2] ou le 28, à la frontière entre l'Île-de-France et le Clermontois et plus particulièrement dans un petit village appelé Saint-Leu-d'Esserent[3],[4]et la principale troupe des révoltés est écrasée les 9 et en Picardie, près de Mello (actuel département de l'Oise) par une armée de nobles rassemblée par Charles le Mauvais.

Le nom de « Grande Jacquerie » modifier

Cette révolte tire son nom de Jacques Bonhomme, archétype du « vilain » (paysan), puis sobriquet désignant les paysans français en général, probablement du fait qu'ils portaient des vestes courtes, dites « jacques » (cf. la « jaquette »). Elle eut pour chef un dénommé Guillaume Carle, aussi nommé Jacques Bonhomme[5].

Cette révolte est à l'origine du terme « jacquerie » repris par la suite pour désigner toutes sortes de soulèvements populaire par le chroniqueur Nicole Gilles (mort en 1503) dans Les chroniques et annales de la France parues dès 1492.

Contexte historique modifier

Difficultés du royaume modifier

Cette révolte s'inscrit dans une période difficile, marquée par la guerre de Cent Ans, commencée en 1337, et par l'épidémie de peste noire à partir de 1348.

La France a subi plusieurs défaites, notamment à Crécy en 1346, sous le règne de Philippe VI, et à Poitiers en septembre 1356, sous le règne de Jean le Bon, depuis lors prisonnier des Anglais d'abord à Bordeaux (capitale du duché de Guyenne, fief de France tenu par le roi d'Angleterre), puis à Londres (avril 1357).

Ces défaites ont jeté le discrédit sur la noblesse française, imbue de chevalerie, mais incapable de vaincre une armée anglaise, moins chevaleresque, mais plus efficace.

Le pouvoir exercé en l'absence du roi par le dauphin[6] Charles (1338-1380) est contesté : le roi de Navarre Charles II (1332-1387), petit-fils de Louis X le Hutin par sa mère Jeanne de Navarre, se considère comme spolié de la couronne de France par le choix fait en 1328 d'exclure les princesses royales de la succession ; à Paris, Étienne Marcel, prévôt des marchands, souhaite établir un certain contrôle sur la monarchie dans le cadre des états généraux.

Conséquences de la captivité du roi modifier

En mars 1357, une trêve d'un an a été conclue ; mais cela signifie que des compagnies de mercenaires démobilisés, les « grandes compagnies », n'ayant plus de solde, pillent les villages et rançonnent les villes.

Charles de Navarre, incarcéré par Jean le Bon en avril 1356[7], est libéré par le dauphin en 1357, ce qui lui permet de reprendre ses intrigues avec succès.

Cela pousse Jean le Bon à conclure avec Édouard III un traité assez défavorable (janvier 1358), ce qui provoque la rébellion ouverte d'Étienne Marcel (février 1358). Paris passe aux mains du prévôt des marchands et le dauphin met la ville en état de siège.

Problèmes économiques et sociaux des villes et des campagnes modifier

  • Agitation dans les villes du comté de Flandre, fief du royaume de France, notamment à Bruges et à Gand, avec qui Étienne Marcel entretient des relations anciennes.

Aux difficultés liées à la guerre, notamment les grandes compagnies, et à la peste, s'ajoute pour les paysans l'accroissement dans les années 1340 et 1350 de la pression fiscale royale du fait de la guerre (et de la rançon qui devra être payée aux Anglais), mais aussi des exigences des seigneurs fonciers qui cherchent à compenser la baisse de leurs revenus, liée notamment aux mutations monétaires fréquentes.

Histoire modifier

 
Gaston Fébus et Jean de Grailly chargent les Jacques et les Parisiens qui tentent de prendre la forteresse du marché de Meaux où est retranchée la famille du Dauphin ().
Enluminure ornant les Chroniques de Jean Froissart, XVe siècle.
 
Paysans révoltés massacrant un noble au XIVe siècle. Chroniques de Froissart.

Origines modifier

Les origines immédiates de cette révolte sont mal connues mais semblent résulter d'échauffourées survenues entre des hommes d'armes et des paysans.

Les violences antinobiliaires dans le nord du royaume modifier

Quelle que puisse être l'étincelle qui déclenche la révolte, celle-ci est tout de suite décrite avec horreur sous le terme d'« effrois » ; elle enflamme, de proche en proche, la moitié nord du pays. Les chroniques du temps dressent un catalogue des violences antinobiliaires qui se déchaînent alors sur le pays.

Ainsi, le chroniqueur Jean Froissart, dépeint, sous le terme de cruautés des « Jacques Bonhommes », un tableau pour le moins sinistre des méfaits de ceux qu'il qualifie de « chiens enragés ». Ce récit est ponctué de faits qui veulent souligner l'animalité des émeutiers :

« Ils déclarèrent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, haïssaient et trahissaient le royaume, et que cela serait grands biens que tous les détruisent. […] Lors se recueillirent et s'en allèrent sans autre conseil et sans nulle armure, seulement armés des bâtons ferrés et de couteaux, en premier à la maison d'un chevalier qui près de là demeurait. Si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfants, petits et grands, et brûlèrent la maison. […] Ils tuèrent un chevalier et boutèrent en un hâtier et le tournèrent au feu, et le rôtirent devant la dame et ses enfants. »

Le pseudo Jean de Venette, un frère carme d'origine modeste, est plus favorable aux paysans [8] :

« En cette même année 1358, en été, les paysans qui habitaient autour de Saint-Leu-d'Esserent et de Clermont-en-Beauvaisis, voyant les maux et les oppressions qui, de toute part, leur étaient infligés sans que leurs seigneurs les en protègent — au contraire ils s'en prenaient à eux comme s'ils étaient leurs ennemis — se révoltèrent contre les nobles de France et prirent les armes. Ils se regroupèrent en une grande multitude, élurent comme capitaine un paysan fort habile, Guillaume Carle, originaire de Mello. »

De fait, quel que soit l'effroi réel des contemporains, d'autres chroniqueurs se montrent eux aussi moins éloquents sur les atrocités et moins favorables aux nobles que Froissart. Ainsi, Pierre Louvet, dans son Histoire du Beauvoisis, rappelle que « la guerre appelée la Jacquerie du Beauvoisis qui se faisait contre la noblesse du temps du roi Jean, et en son absence, arriva par le mauvais traitement que le peuple recevait de la noblesse » et le cartulaire d'une abbaye de Beauvais souligne que « la sédition cruelle et douloureuse entre le populaire contre les nobles s'éleva aussitôt. »

La campagne du roi de Navarre contre les paysans modifier

Charles le Mauvais, bien que roi de Navarre depuis 1349, n'est nullement navarrais : c'est un noble français de haut rang, lié à la famille royale des Capétiens (c'est un petit-fils de Louis X le Hutin par sa mère Jeanne de Navarre), comte d'Évreux (un des plus importants titres en Normandie), revendiquant le comté d'Angoulême et le comté de Champagne.

Répression modifier

L'issue de la révolte, une forme de contre-jacquerie, est caractérisée par une grande violence qui marqua autant les contemporains que celle commise par les paysans. Après avoir exterminé bon nombre de révoltés, le comte de Foix et le captal de Buch, Jean de Grailly, assiégèrent la ville de Meaux[9] dont quelques quartiers furent incendiés[10]. De son côté, Charles le Mauvais participa à la répression et, le 9 juin, lors du carnage de Mello[11], il mit fin à la révolte à grand renfort d'atrocités. Le chef des révoltés, Guillaume Carle, ayant reçu l'assurance d'une trêve et d'une rémission, fut entraîné par traîtrise dans le camp des nobles où il fut supplicié et décapité. Cependant, par la suite, une certaine clémence royale se manifesta envers les principaux meneurs sous la forme de « lettres de rémission » qui constituent une autre source pour l'histoire de la Jacquerie.

Interprétations modifier

Les interprétations de cette révolte sont nombreuses et, au-delà de son caractère circonstanciel, elle peut être rattachée à nombre des révoltes et des émotions paysannes médiévales.

Elle a ainsi pu être comparée à la révolte anglaise de 1381, dite révolte des travailleurs d'Angleterre, à l'insurrection des remensas en Catalogne, au mouvement taborite en Bohême ou encore au mouvement hussite. Dans une certaine mesure, la révolte de 1358 fait le lien entre les révoltes paysannes du Moyen Âge central et les mouvements messianiques de l'époque moderne.

Les historiens débattent de son caractère de lutte des classes et, étant donné la présence d'éléments nobles au sein du camp des Jacques, s'interrogent sur l'homogénéité du mouvement. Enfin, au-delà d'un refus de la pression fiscale, la révolte de 1358 peut se lire comme l'expression d'une revendication à la dignité de la part des masses paysannes et d'une perte de légitimité de la noblesse. Clairement, ce sont les nobles et le régime seigneurial en crise qui sont visés tandis que les habitants des petites villes comme Senlis sont plutôt favorables aux Jacques.

La Jacquerie devait profondément marquer les esprits et son nom a été retenu par la suite pour désigner toute révolte paysanne.

Notes et références modifier

  1. Claude Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve siècle au XVe siècle, Mayenne, puf, , 650 p. (ISBN 978-2-13-062149-2), p. 445-452.
  2. Renée Grimaud, 1001 secret d'histoire de France, , 312 p. (ISBN 978-2-8104-1859-6), lire "La grande jacquerie" p.123.
  3. Raymond Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Librairie Droz, 1982, p. 321.
  4. Georges Duby, Histoire de la France - Dynasties et révolutions, de 1348 à 1852, Larousse, 1975, p. 16.
  5. On trouve aussi Cale, Caillet ou Callet, Karle…
  6. Charles est le premier prince héritier de France à porter le titre de dauphin, institué pour lui en 1349.
  7. À Rouen, le 5 avril, au cours d'un banquet organisé par le dauphin, duc de Normandie, pour la haute noblesse normande, notamment Charles de Navarre, comte d'Évreux, et Jean V d'Harcourt, qui est exécuté le soir même pour trahison.
  8. Jean de Venette, Chronique dite de Jean de Venette, Paris, Le livre de poche, , 501 p. (ISBN 978-2-253-08877-6).
  9. Gallica, Les chroniques de sire Jean Froissart.
  10. François Tommy Perrens, Étienne Marcel et le gouvernement de la bourgeoisie au quatorzième siècle, Hachette, 1860, p. 259-260.
  11. Marie-Thérèse de Medeiros, Jacques et chroniqueurs: une étude comparée de récits contemporains relatant la Jacquerie de 1358, Honoré Champion, 1979.

Voir aussi modifier

Sources primaires modifier

Bibliographie modifier

Ouvrages généraux modifier

  • Pierre Bonnassie, Les Cinquante mots clefs de l'histoire médiévale, Toulouse, Privat, 1981.
  • Michel Mollat du Jourdin et Philippe Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi, les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Les Grandes vagues révolutionnaires », , 333 p. (présentation en ligne).
    Réédition : Michel Mollat du Jourdin et Philippe Wolff, Les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, Flammarion, coll. « Champs » (no 279), , 332 p. (ISBN 2-08-081279-3).
  • (en) Samuel Kline Cohn, Jr., Lust for Liberty : The Politics of Social Revolt in Medieval Europe, 1200-1425, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, , X-376 p. (ISBN 0-674-02162-2, présentation en ligne).

Histoire de la jacquerie de 1358 modifier

Le cas du Beauvaisis modifier

  • Raymond Dufour, Les Effrois ou la Jacquerie du Beauvaisis, Cannes, Institut coopératif de l'école moderne, coll. « Bibliothèque de travail » (no 548), , VIII-24 p. (BNF 32987588).
  • Émile Morel (abbé), La Jacquerie dans le Beauvaisis, principalement aux environs de Compiègne, Abbeville, Imprimerie du Cabinet hhistorique de l'Artois et de la Picardie, , 30 p. (lire en ligne).

Analyses modifier

  • Gaëtan Bonnot, « Dynamiques de la rémission et détours de la résolution de la conflictualité : le règlement de la jacquerie de 1358 », dans Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte. XLIXe Congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public (SHMESP), Rennes, 24-, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Histoire ancienne et médiévale » (no 167), , 439 p. (ISBN 979-10-351-0337-8, lire en ligne), p. 349-362.
  • (en) Justine Firnhaber-Baker, « The Eponymous Jacquerie : Making Revolt Mean Some Things », dans Justine Firnhaber-Baker et Dirk Schoenaers (dir.), The Routledge History Handbook of Medieval Revolt, Londres, Routledge, coll. « The Routledge History Handbooks », , XIII-384 p. (ISBN 9781138952225, lire en ligne), p. 55-75.
  • (en) Justine Firnhaber-Baker, « Soldiers, Villagers, and Politics : Military Violence and the Jacquerie of 1358 », dans Guilhem Pépin, François Lainé et Frédéric Boutoulle (dir.), Routiers et mercenaires pendant la guerre de Cent ans. Hommage à Jonathan Sumption : actes du colloque de Berbiguières, 13-14 septembre 2013, Bordeaux / Pessac, Ausonius, coll. « Scripta mediaevalia » (no 28), , 357 p. (ISBN 978-2-35613-149-2, présentation en ligne, lire en ligne), p. 101-114.
  • (en) Justine Firnhaber-Baker, « The Social Constituency of the Jacquerie Revolt of 1358 », Speculum, vol. 95, no 3,‎ , p. 689-715 (ISSN 0038-7134, e-ISSN 2040-8072, DOI 10.1086/709361).

Articles connexes modifier

Liens externes modifier