En théorie des probabilités, le lemme de Scheffé est un critère de convergence en loi concernant les suites de variables aléatoires à densité.

Énoncé et démonstration modifier

Lemme de Scheffé — Soit   une suite de fonctions mesurables positives définies sur le même espace mesuré  . Supposons que   converge  -presque partout vers une fonction   et que la suite   converge vers  . Alors   converge vers   dans  

Corollaire — Soit   une suite de densités de probabilité définies sur le même ensemble E et par rapport à la même mesure μ sur l'espace mesurable  . Supposons que   converge μ-presque partout vers une densité de probabilité  . Alors

  •   converge vers   dans  
  • si les variables aléatoires Xn et X ont pour densités respectives   et   alors Xn converge en loi vers X

Remarques.

  • De manière un peu surprenante, lorsque des fonctions sont positives et ont la même intégrale, on est donc affranchi des hypothèses habituelles de majoration uniforme de l'erreur apparaissant dans le théorème de convergence dominée.
  • En général, on applique le lemme de Scheffé dans le cas où   et où la mesure μ est la mesure de Lebesgue : les variables aléatoires apparaissant dans le lemme sont alors des variables "à densité".
  • Un autre cadre d'application du lemme de Scheffé concerne des densités par rapport à la mesure de comptage μ sur   : les variables aléatoires apparaissant dans le lemme sont alors des variables "discrètes" et la densité   de Xn est définie, pour   par
 
Dans ce cadre, il découle du lemme de Scheffé que Xn converge en loi vers X si (et seulement si) :
 
  • Sous les hypothèses du lemme de Scheffé, on obtient en fait une convergence plus forte que la convergence en loi :
 
La convergence des probabilités est donc uniforme sur   Pourtant, la convergence en loi, d'ordinaire, ne s'accompagne pas forcément d'une convergence simple (ni, a fortiori, d'une convergence uniforme) sur   : par exemple, si Y est gaussien standard, si   alors
 
alors que, pour autant, Xn converge en loi vers 0.

Applications modifier

Convergence de la loi de Student vers la loi normale modifier

Un exemple d'application est la convergence de la loi de Student vers la loi normale. Pour k ≥ 1, la loi de Student à k degrés de liberté a pour densité

 

Γ désigne la fonction Gamma d'Euler. Pour tout   on a[1] :

 

et donc

 

On a aussi[2]

 

d'où, en posant t=k/2

 

Donc

 

CQFD

Convergence de la loi binomiale vers la loi de Poisson modifier

Pour n ≥ 1 et 0 ≤ pn ≤ 1, la loi binomiale de paramètres n et pn a pour densité, par rapport à la mesure de comptage sur    la fonction (fn) définie sur   par

 

La suite (fn) converge simplement vers la fonction f définie par :

 

dès que

 

Ainsi, en conséquence du lemme de Scheffé, dès que  , la loi binomiale de paramètres n et pn converge vers la loi de Poisson de paramètre λ.

Variante discrète modifier

Sous certaines conditions, on peut adapter le lemme de Scheffé pour démontrer la convergence de lois discrètes vers des lois à densité. Pour un vecteur  , notons   le vecteur de coordonnées  ,  . Alors

Lemme de Scheffé discret —  On se donne une suite de v.a.   à valeurs dans  , une suite  , tendant vers  , de réels strictement positifs, et une densité de probabilité   sur  . Si p.p. en x on a

 

Xn/an converge faiblement vers  .

Une fois cette dernière démonstration faite, le lemme de Scheffé discret dispense de trouver une majoration du terme d'erreur

 

uniforme pour   ce qui serait une manière plus lourde de montrer que

 

Habituellement, un contrôle uniforme de la rapidité de convergence des termes de la somme est nécessaire pour assurer la convergence du terme de gauche de l'égalité (le terme de gauche est une somme finie dont le nombre de termes tend vers l'infini) vers l'intégrale limite. Dans ce cas précis, grâce au lemme de Scheffé, la convergence des termes de la somme, renormalisés, suffit pour assurer la convergence du terme de gauche de l'égalité.

Distance entre deux points au hasard d'un arbre de Cayley aléatoire modifier

La loi de la distance Dn entre deux points au hasard d'un arbre de Cayley aléatoire, est donnée, pour   par

 

En vertu de la bijection de Joyal, c'est aussi la loi du nombre de points cycliques d'une application de   dans   Cette loi discrète apparaît aussi dans des problèmes d'allocations (boules et urnes), dont le fameux problème des anniversaires. Lorsqu'on alloue séquentiellement des boules dans un ensemble de n urnes, avec équiprobabilité, ce qui revient à considérer un univers probabiliste   le rang   de la première boule à être allouée dans une urne non vide suit la même loi que 2 + Dn : pour  

 

On peut montrer, à l'aide du lemme de Scheffé, que

Proposition —   converge en loi vers la loi de Rayleigh.

En conséquence :

  • la distance "typique" entre deux points d'un arbre de taille n est de l'ordre de  ;
  •   converge en loi vers la loi de Rayleigh. Dans le cadre du problème des anniversaires, où l'on choisit n=365,   s'interprète comme la taille du groupe pour laquelle il devient probable qu'au moins deux membres du groupe ait la même date d'anniversaire (il faut imaginer un groupe dont l'effectif augmente progressivement) : la probabilité que dans un groupe de   personnes, toutes les dates d'anniversaire soit différentes, peut être estimée comme suit :
 
et vaut donc 1/2 pour un groupe d'approximativement   (soit 22,5) personnes, ou bien 1/10 pour un groupe d'approximativement   (soit 41) personnes. Le calcul exact du premier entier tel que cette probabilité soit plus petite que 1/2 (respectivement 1/10) donne les mêmes résultats : 23 (respectivement 41).

Un contre-exemple : la marche aléatoire simple symétrique modifier

Notons Sn la position de la marche aléatoire simple symétrique au temps n. Abraham De Moivre a montré que   converge en loi vers   Ce faisant, Abraham De Moivre a mis à son compte 3 « premières » :

Malheureusement, on ne peut pas appliquer directement le lemme de Scheffé discret pour prouver le résultat de De Moivre. En effet :

 

et

 

Comme Sn est de même parité que n la suite   prend la valeur zero pour une infinité d'indices, ceux pour lesquels   et n n'ont pas la même parité : dès que   on peut vérifier à la main que   est impair pour une infinité d'indices (et pair pour une infinité d'indices également), un constat analogue pouvant être fait pour   En revanche, lorsque   et n ont même parité, on a :

 

La formule de Stirling conduit alors à la limite annoncée,   On peut cependant adapter la démonstration du lemme de Scheffé discret à ce cas particulier : il suffit de poser

 

Alors Yn a pour densité

 

toujours via la formule de Stirling. Ainsi Yn converge en loi vers la loi normale, en vertu du lemme de Scheffé. Mais, comme plus haut,

 

Le théorème de de Moivre résulte alors de la convergence en loi de Yn et du théorème de Slutsky.

Notes et références modifier

  1. formule attribuée à Euler, voir Fonction exponentielle#Par une équation différentielle, et aussi Eli Maor, e: the Story of a Number, p.156.
  2. voir Fonction Gamma#Formule asymptotique de Stirling.

À voir modifier

Bibliographie modifier

  • (en) Rick Durrett, Probability : Theory and Examples, Thomson Brooks/Cole (Belmont, CA), coll. « Duxbury advanced series », , 3e éd., 497 p. (ISBN 0-534-42441-4), Section II.2.a., page 81.

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