Usine de torpilles de Gassin

usine à Gassin (Var)
Usine de torpilles de Gassin
Vue du château Bertaud
à l'intérieur du site de l'usine des torpilles
Installations
Type d'usine
Superficie
9 hectares
Fonctionnement
Opérateur
Effectif
550 ()
330 ()Voir et modifier les données sur Wikidata
Date d'ouverture
1912
Patrimonialité
Recensé à l'inventaire généralVoir et modifier les données sur Wikidata
Production
Produits
Modèles
Production
100 torpilles pour la Marine nationale française (2018)
Localisation
Situation
Coordonnées
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L’usine de torpilles de Gassin se situe sur la commune de Gassin, près de Cogolin et sur la route de Saint-Tropez, au lieu-dit Bertaud. Elle est détenue par Naval Group, premier employeur privé du département du Var, qui emploie sur ce site 250 personnes.

L’usine est installée, depuis plus d’un siècle, sur un site historique qui abrite des restes d’occupation romaine et un château du XVIe siècle. L’usine figure à l’inventaire général du patrimoine culturel[1]. Le château y figure en propre distinctement[2].

Historique modifier

Une usine privée créée en 1912 modifier

En , un conglomérat d’entreprises britanniques, Whitehead Torpedo Ltd, Vickers Ltd et Armstrong Whitworth & Co Ltd[3],[4], fonde la Société française des torpilles Whitehead pour la construction d’une usine sur le bord de mer à l’est de Gassin. Une société similaire gérait la Compagnie des torpilles Whitehead, basée à Fiume, alors comprise dans l’empire d’Autriche-Hongrie[5]. Elle porte le nom de Robert Whitehead, l’inventeur de la première torpille, qui fonda l’usine de Fiume quarante ans plus tôt[6]. Elle permet d’assurer un approvisionnement, y compris en cas de guerre[6].

L’ouverture est prévue à l’été [7] avec une commande à honorer de 150 torpilles[3]. Durant la Grande Guerre, l’usine est utilisée pour la fabrication d’obus et la production des 150 torpilles ne commence qu’en pour s’achever en . Une livraison est effectuée à l’Italie, puis d’autres aux Pays-Bas et à la Lettonie[3].

Après la guerre, elle est l’une des trois usines au monde fabriquant des torpilles[8]. Certains de ses actionnaires sont frappés par la loi sur les séquestres des biens ennemis[9].

Le bien être du personnel conduit la direction, précurseur en la matière, à mettre en place des mesures notamment en vue de développer la pratique sportive[10].

La francisation de l’entreprise modifier

La Marine nationale passe une première commande en et la guerre conduit à une forte demande d’obus. L’usine Whitehead travaille pour l’exportation dès ses débuts, une vocation qui n’a pas cessé depuis : en , l’usine livre des torpilles à quinze pays.

Jusqu’en , le personnel encadrant de l’établissement est exclusivement britannique[4]. L’appartenance à des actionnaires essentiellement étrangers est régulièrement dénoncée par la presse[9]. La marine annonce qu’elle refuse désormais de se fournir auprès d’elle en 1925[3]. Les autorités françaises font alors pression pour qu’une entreprise française rachète la société[4] et l’usine devient la propriété de la Société de construction des Batignolles et de la Société des aciéries et des forges de Firminy en 1925.

Regroupement et nationalisation en 1937 modifier

L’entreprise est visée par la loi du sur la nationalisation des entreprises fabriquant des matériels de guerre. Un décret du entérine son passage à la Marine nationale. Elle en prend officiellement possession le , en même temps que les bâtiments de la Londe-les-Maures, alors que l’ancien propriétaire refuse le montant proposé[11]. La nationalisation comprend l'usine, mais également les fonds, le matériel, les approvisionnements et le matériel[12].

Les deux unités sont associées dans la fabrication des torpilles dans les décennies suivantes[4].

Pendant la guerre un sabotage est mené contre deux camionnettes de l’usine[13].

L’usine des torpilles françaises modifier

Après la Seconde Guerre mondiale, toutes les torpilles françaises sont construites par l’usine de Gassin. Dans les décennies qui suivent, le nom des établissements de Saint-Tropez s’associent étroitement avec les torpilles françaises[4].

Existence menacée modifier

L’usine, intégrée à la Marine nationale, à la délégation générale pour l’armement (DGA) est aujourd’hui la propriété de Naval Group (anciennement DCN puis DCNS).

Son existence est remise en cause régulièrement depuis les années 1980. Elle a échappé à la fermeture en , au prix de réductions de poste, ses effectifs tombant à moins de 600 employés[14].

Vente des terrains modifier

En 2016, DCNS annonce la vente du site de l’usine des torpilles, dans des conditions jugées "floues" par les élus locaux[15]. La presse évoque alors l’achat par un milliardaire libanais[16]. Finalement c'est le Groupe WAJBROT (foncière familiale d'investissement) qui sera la futur propriétaire des lieux.

Après plusieurs mois de négociations, les conditions de la mise en vente du site, y compris le château, sont dénoncées par les élus de la communauté de communes du golfe de Saint-Tropez[17],[18] et ceux de la commune de Gassin[19],[20] et l’objet de polémique[21]. L’entreprise maintient néanmoins sa volonté de vendre[22].

En définitive, c’est bien de la cession des terrains qu’il s’agit[23] et non de celle de l’outil industriel ; la transaction est effective depuis .

Le groupe annonce en 2022 la délocalisation des effectifs et de la production au profit de La Londe[24].

Site modifier

L’usine s’étend sur 90 000 m2 au fond du golfe de Saint-Tropez.

Le terrain, propriété au XVIe siècle de la famille de Châteauneuf, coseigneur de Gassin, est vendu en 1912 par une famille originaire de Lyon[25].

Sur le terrain, utilisé comme logement de fonction du directeur, se trouve un château du XVIe siècle. Plusieurs bâtiments patrimoniaux y sont liés : une chapelle, un moulin et une fontaine notamment[2].

Durant des travaux réalisés en 1970, des monnaies ont été retrouvées ainsi qu’une amphore gauloise et de la céramique[26]. Le Dr Alphone Donnadieu décrit la présence de briques de colonnes et de onze monnaies romaines[27].

L’usine est connue sous plusieurs noms, notamment celui de l’usine de torpilles de Saint-Tropez. Elle a porté le nom d’établissement des constructions et armes navales de Saint-Tropez (ECAN St-Tropez)[28].

Processus de production modifier

Le site combine sur place l’ensemble du processus de la fabrication des torpilles : conception, fabrication et essai. Elle dispose de bureau d’étude et de développement, des moyens de production et de moyens d’essai[28].

Jusqu’en , l’État confie la prééminence dans la construction des torpilles aux unités de Toulon. Les ravages provoqués par les bombardements alliés sur la région toulonnaise conduisent à une profonde modification dans cette organisation[4].

L’ECAN Saint-Tropez est désigné comme "chef de file" dans la construction des torpilles, notamment pour les nouvelles à créer. Il conçoit les torpilles K2, E12, Z13, L3 et E14, fabriquées dans un atelier de Nancy et également, entre et , à Mers el-Kébir[4]. L’usine de Gassin, bénéficiant des moyens de contrôle de l’ensemble du processus de création des torpilles, devient le seul atelier constructeur de torpilles[4].

Avec l’arrivée du programme Murène, l’informatique se généralise à tous les stades de la fabrication des torpilles, la conception comme les tests[4].

Effectifs modifier

Avant son ouverture, la presse annonce l’embauche de 500 ouvriers avant de passer en trois ans à 3 000[29]. En , elle emploie 550 personnes[3].

En , l’usine employait une centaine de personnes, dont une vingtaine de femmes et une vingtaine d’étrangers[30].

Les effectifs des établissements de Gassin et La Londe sont de 570 en [31]. Dans les années 1980, les sites de Gassin et La Londe emploient 1 200 personnes, dont environ 900 à Gassin et dont 100 à 150 ingénieurs et cadres[28],[4]. Après la fermeture du site de La Londe en 1991, les effectifs passent sous la barre des 600[14]. Ils ne sont plus que 290 en [32].

Mouvements sociaux modifier

Contrairement à d’autres sites de ce type au sein du « Var rouge », le site de Gassin n’a jamais connu d’important mouvement social. En , une grève se termine sans incident[33]. En 1922, quelques semaines après la scission menée par la frange communiste à la CGT, la Confédération générale du travail unitaire lance une grève à l’usine de torpilles de Gassin. Elle s’achève par un échec pour les grévistes après un mois d’arrêt[34].

En 1968, l’usine est occupée durant une heure par des ouvriers. Ils quittent les lieux après l’intervention du directeur[35].

Modèles fabriqués modifier

En , sept des neuf modèles en usage dans la marine ont été inventés et produits dans l’usine de Gassin. Cela comprenait alors toutes les torpilles anti-sous-marines pour bâtiments de surface (torpille à programme pour combat rapproché, torpille acoustique active pour lutte ASM à moyenne distance et torpille acoustique active, arme terminale de l’engin Malafon), toutes les torpilles contre les bâtiments de surface et, pour les torpilles acoustiques contre les sous-marins, un des trois modèles pour aéronef de l’aéronautique navale[28].

Actuellement, le site réalise la fabrication des torpilles F21, issue du programme Artémis. Ce programme a été confié par la direction générale de l’Armement à la société DCNS en 2008[36]. Elle vise à doter de torpilles lourdes les sous-marins nucléaires de la marine française, lanceur d’engins et d’attaque[36]. Elle doit remplacer la torpille DTCN F17.

Les tirs de qualification ont été réalisés en au large de l’usine de Gassin[37].

La qualité des torpilles fabriquées à Gassin a été remise en cause durant l’entre-deux-guerres par plusieurs pays, dont la Yougoslavie[38]. Le prix des torpilles, largement supérieur à celui des missiles fabriqués en Grande-Bretagne est également un handicap. Il conduit entre autres la Finlande et la Pologne, pourtant intéressée par la qualité des produits français, à choisir le concurrent britannique[39].

Usine de La Londe modifier

De 1907 et jusqu’en 1993, la DCN possédait également une usine aux Bormettes, à La Londe-les-Maures. Elle servait à sa création à régler les torpilles fabriquées dans les usines d’Harfleur et du Creusot par la société Schneider. Elle fut associée à l’usine de Gassin après la nationalisation des deux unités par le décret de 1936.

Propriétaires et directeurs modifier

Propriétaires modifier

Identité début entre et fin
Whitehead & Co
Schneider
Société des torpilles de Saint-Tropez 1937
État français/ Marine nationale 1937
Délégation générale pour l’armement (DCN) 1961
DCNS/Naval Group 2003
Bailleur privé 2018

Directeurs modifier

Identité début entre et fin
Henri Charles Stroh 1925 1933
André Minvielle 1973 1979
Jacques Divan 1979 1983
Damien Raby 2016 octobre aujourd’hui

Un fort ancrage local modifier

L’usine des torpilles bénéficie d’un fort ancrage local. Il s’explique par l’ancienneté de son implantation, son importance stratégique et son impact sur l’emploi avec la présence de nombreux retraités de l’usine[4]. Les employés résident majoritairement dans le bassin local où se trouve l’usine, principalement dans les communes de Cogolin, Sainte-Maxime et Saint-Tropez[40]. En 1920, elle met à disposition de la société sportive de Saint-Tropez diverses installations (agrès, terrain de football)[41]. Les essais de torpilles sont l’occasion d’émerveillement pour les touristes ; le reste du temps, les concierges autorisent l’accès des plages aux scouts[42].

Cet établissement industriel tranche avec un milieu marqué par le secteur tertiaire, notamment le tourisme et l’administration.

Sources modifier

Bibliographie modifier

Généralité modifier

  • Anne Burnel, La Société de construction des Batignolles de 1914-1939 : histoire d'un déclin, Genève-Paris, Librairie Droz S.A., (lire en ligne)

Syndicalisme et grève de 1920 modifier

  • Roger Codou, Le Cabochard : mémoires d'un communiste, 1925-1982, Paris, F. Maspero, coll. « Actes et mémoires du peuple », , 241 p.
  • Jacques Girault, Le Var Rouge. Les Varois et le socialisme de la fin de la Première Guerre mondiale, Paris, Publications de la Sorbonne
  • Office du travail, Statistique des grèves et des recours à la conciliation et à l'arbitrage survenus pendant l'année, Paris, Ministère du commerce, de l'industrie, des postes et des télégraphes, (lire en ligne)

Liens externes modifier

Notes et références modifier

  1. « Usine d'armes (usine de torpilles) », notice no IA83000823.
  2. a et b « Château », notice no IA00047549.
  3. a b c d et e Anne Burnel, La Société de construction des Batignolles de 1914-1939 : histoire d'un déclin, Librairie Droz, , 362 p. (ISBN 978-2-600-00094-9, lire en ligne)
  4. a b c d e f g h i j et k « Les torpilles et l'ECAN de Saint-Tropez », Cols Bleus,‎ (lire en ligne)
  5. Navigazette, s.n., (lire en ligne)
  6. a et b Navigazette, s.n., (lire en ligne)
  7. L'Écho des mines et de la métallurgie, Société Publications minières et métallurgiques, (lire en ligne)
  8. La Pince sans rire : chronique hebdomadaire de la vie nantaise, s.n., (lire en ligne)
  9. a et b Les Documents politiques, diplomatiques et financiers, Agence indépendante d'informations internationales, (lire en ligne)
  10. Paul Crouzet, « L'éducation populaire et la loi de 8 heures », La Grande revue,‎ , p. 31 (lire en ligne  )
  11. L'Écho des mines et de la métallurgie, Société Publications minières et métallurgiques, (lire en ligne)
  12. « La Tribune de Madagascar et dépendances : paraissant les mardi et vendredi », sur Gallica, (consulté le )
  13. Victor Masson, La Résistance dans le Var, 1940-1944, Association des Mouvements Unis de la Résistance et des Maquis du Var, , 182 p.
  14. a et b Dominique Legenne, Var, terre d'histoire, Actes sud, , 261 p. (ISBN 978-2-7427-2603-5, lire en ligne)
  15. Nicolas Sabatier, « DCNS met en vente l'usine des torpilles dans des conditions floues », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  16. Pascale Pleu et Christophe Caietti, « DCNS a-t-elle déjà vendu son site de 9 hectares à... un milliardaire libanais? », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. Christophe Caietti, « Vente de DCNS à Gassin: la Comcom n'a plus la main », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  18. Christophe Caietti, « Vincent Morisse: "Les intentions de Naval Group sont floues" », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. Christophe Caietti, « Vente des terrains DCNS à Gassin: le maire met en garde Naval Group », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. Sunder Chaudhari, « Vente de DCNS: pourquoi les élus de Gassin sont très remontés », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. Christophe Caietti, « Naval Group sur la vente de DCNS à Gassin: "L'appel d'offre ouvert jusqu'au 20 décembre" », Var-Matin,‎ (lire en ligne, consulté le )
  22. « Naval Group : Gassin attire le chaland - La Lettre A no 1797 », sur www.lalettrea.fr (consulté le )
  23. Naval Group vend le terrain de son site de Saint-Tropez, Mer et Marine, 19 décembre 2018.
  24. « Drones navals: l'incroyable projet varois de Naval Group », sur Challenges, (consulté le )
  25. Hervé de Christen, Familles lyonnaises victimes du siège de Lyon en 1793 : Pessonneaux, Dujast, Chaney, Janmot,
  26. Goudineau, Christian, « Circonscription de Côte d'Azur - Corse », Gallia, vol. 29, no 2,‎ (lire en ligne, consulté le )
  27. Alphonse Donnadieu, La Côte des Maures de Toulon au golfe de Fréjus : ses calanques, ses forêts, ses îles d’Or, Paris, Berger-Levrault, coll. « Paysages de Provence », , p. 152
  28. a b c et d René Guillemin, « L'établissement des constructions et armes navales de Saint-Tropez », Cols Bleus,‎ (lire en ligne)
  29. L'Écho des mines et de la métallurgie, Société Publications minières et métallurgiques, (lire en ligne)
  30. Journal des mutilés, réformés et blessés de guerre, s.n., (lire en ligne)
  31. France Sénat (1875-1942) Auteur du texte, Impressions : projets, propositions, rapports... : Sénat, Imprimerie du Sénat, (lire en ligne)
  32. Ifremer, Données économiques maritimes françaises 2003, Editions Quae, , 95 p. (ISBN 978-2-84433-130-4, lire en ligne)
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  42. (Saint-Pé-de-Bigorre Hautes-Pyrénées) Institution secondaire libre, Annuaire de l'Institution secondaire libre de Saint-Pé, s.n., (lire en ligne)