Tata sénégalais de Chasselay

nécropole militaire
Tata sénégalais de Chasselay
Nécropole nationale de Chasselay
Vue d'ensemble du tata sénégalais de Chasselay.
Pays
Département
Commune
Superficie
785 m2
Personnes
196
Mise en service
Coordonnées
Carte

Le tata de Chasselay, officiellement nécropole nationale de Chasselay, est un cimetière militaire de la Seconde Guerre mondiale, située sur le territoire de la commune de Chasselay dans le département du Rhône, au lieu-dit du « Vide-Sac ».

Y sont inhumés 196 personnes (188 tirailleurs originaires de différents pays d'Afrique de l'Ouest, 6 soldats d'Afrique du Nord, et 2 légionnaires), tous massacrés par l'armée allemande en . D'après les photographies retrouvées en 2019, il semblerait que ce massacre soit imputable à la 10e Panzerdivision de la Wehrmacht, imprégnée de propagande raciste.

Cette nécropole a été construite selon le style d'architecture de l'Afrique de l'Ouest. Le mot tata est d'origine mandingue[1]. Dans cette langue et d'autres comme le wolof, il signifie « enceinte fortifiée », mais ici il prend le sens d'« enceinte sacrée » dans laquelle on enterre les guerriers morts au combat selon la conception du constructeur du lieu, Jean-Baptiste Marchiani[2],[3].

Histoire modifier

Contexte modifier

Du au , à Chasselay, les troupes coloniales sénégalaises de l'armée française retardent l'entrée des troupes allemandes dans Lyon, déclarée « ville ouverte » le .

La défense s'organise, le , à Chasselay, village situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Lyon. Des barricades sont dressées, grâce aux soldats du 405e RADCA de Sathonay, du 25e régiment de tirailleurs sénégalais, de légionnaires et aussi avec l'aide de civils.

N'ayant rencontré que très peu de résistance depuis Dijon, les Allemands arrivent le , près du couvent de Montluzin. De durs et violents combats entre troupes allemandes et françaises se soldent par 51 morts dont une civile du côté français, et plus de 40 blessés pour les Allemands.

Le massacre de Chasselay modifier

Le , à l'issue d'une deuxième bataille, au château du Plantin, les prisonniers, au nombre d'environ 70, sont divisés en deux groupes, les soldats français blancs d'un côté, les Noirs de l'autre.

Après avoir parcouru deux kilomètres à pied, les soldats français sont allongés dans l'herbe sous la menace de leurs gardes armés[4]. Le long d'un pré, ils assistent au massacre des soldats sénégalais par des mitrailleuses et pour certains écrasés par les chars d'assaut[5]. Le capitaine Gouzy tente de s'interposer pour protéger ses hommes et reçoit une balle allemande dans le genou[6]. Les Français blancs sont emprisonnés à Lyon. Deux jours durant, les Allemands recherchent les soldats des colonies que les habitants cachent et soignent. Une fois capturés, ces soldats seront brûlés vifs ou exhibés en trophées sur les chars de combat[6].

Horrifiés par le massacre, les habitants de Chasselay enterrent les corps des Africains : dès le lendemain, une soixantaine de volontaires procèdent à l'inhumation des soldats dans une fosse commune. Les effets personnels sont rassemblés pour procéder à l'identification des victimes.

Responsabilités du massacre modifier

En l'absence d'indice, le massacre est d'abord attribué à la 3e division SS Totenkopf (« tête de mort »). En 2007, l’historien Raffael Scheck pense que les chars ayant participé au massacre ne sont pas forcément issus de cette division SS comme souvent supposé, mais peuvent être des chars régimentaires de la division d'infanterie mécanisée Großdeutschland, ou encore de la 10e Panzerdivision, envoyés en renfort du fait de la résistance inattendue des Français[7].

L'acquisition en 2019 par un collectionneur français d'un album de photographies proposées à la vente sur internet par un brocanteur allemand permet de lever le doute sur les coupables de ces exactions : sur une double page de l'album, 8 clichés montrent le déroulement du massacre d'une colonne de prisonniers français noirs. L'historien Julien Fargettas, avec qui le collectionneur a pris contact, fait le rapprochement avec le massacre de Chasselay et attribue avec certitude ce crime à « deux chars de la 2e section de la 3e compagnie du 8e régiment de Panzer, intégrés à la 10e Panzerdivision »[8], confirmant une des hypothèses émises par Scheck[9],[10]. L'analyse de ces clichés permet aussi d'invalider l'hypothèse de la mise à mort de combattants par écrasement à l'aide des chars[11].

Cette découverte donne lieu à une nouvelle série d'articles dans la presse rappelant le massacre[4],[12],[13].

Construction du tata et postérité modifier

Jean Marchiani, vétéran de la Première Guerre mondiale et secrétaire général de l'Office départemental des mutilés, combattants, victimes de la guerre et pupilles de la Nation, mobilise les anciens combattants locaux pour leur rendre hommage. N'ayant pas réussi à obtenir un financement de la part du gouvernement de Vichy, il finance lui-même l'achat du pré[14]. D'abord réticent à un hommage qui pourrait froisser les Allemands, Vichy autorise finalement le regroupement des corps en 1942, au moment où les colonies d'Afrique sont peu à peu reprises par la France libre[4]. Jean Marchiani fait alors construire une nécropole, sur le modèle des constructions du Soudan français, réalisé en terre et de couleur rouge ocre, pour rassembler les corps des soldats tombés lors des massacres de et enterré à la hâte en divers endroits. Le Tata est finalement inauguré le [15], 3 jours avant l'invasion de la zone libre. Il comporte 196 tombes, 194 soldats coloniaux (dont six maghrébins) et deux légionnaires, un Russe et un Albanais[6].

Après la guerre, la IVe République tente de conserver son empire colonial en créant l'Union française. La symbolique du tata de Chasselay est alors mobilisée pour de grandes cérémonies ; le président de la République, Vincent Auriol, s'y rend par exemple en 1949. Mais l'empire ne survivra pas et le Tata de Chasselay tend de plus en plus à se limiter à un site d'histoire locale, même si en 1966 la Ve République le déclare « nécropole nationale »[4],[16].

Une cérémonie officielle continue cependant de se tenir tous les ans, le , à Chasselay, où sont présents des représentants sénégalais et français[4],[16]. En 1996, une trentaine de sans-papiers de l'église Saint-Bernard assistent à cette cérémonie[17]. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a visité le tata le [18].

En et , l'enceinte, qui avait souffert des outrages du temps, fait l'objet d'une rénovation. Dalles et tombes sont également rafraîchies[19], ainsi que le portail et les masques dont il est orné[19].

Le [9], Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées rend hommage aux tirailleurs sénégalais au tata : « Cette nécropole symbolise une part de l’histoire militaire de notre pays et rappelle constamment le sacrifice des combattants africains. Le Tata de Chasselay est une sentinelle de la mémoire partagée entre la France et l’Afrique, un dépositaire de nos histoires entremêlées ; un gardien des liens indéfectibles entre les rives de la Méditerranée… Les combattants africains ont payé un lourd tribut pour défendre une terre lointaine »[6].

Le site est entretenu par l'Office national des combattants et des victimes de guerre du Rhône[9].

Description modifier

Ce cimetière de 785 m2, de forme rectangulaire, abrite 198 stèles identiques dont 2 sont dédiées à la mémoire des soldats français morts le , et les 196 stèles autres sont marquées des noms des tirailleurs morts, sauf 50 « Inconnu »[2]. Elles sont entourées de murs d'enceinte de 2,80 mètres de hauteur, de couleur ocre, dont le porche et les tourelles aux quatre angle sont surmontés de pyramides quadrangulaires bardées de pieux. Le portail à claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains. En face de l'entrée, une case surmontée de la croix latine et de deux croissants musulmans accueille les dépôts de gerbes et offrandes lors des cérémonies. Le drapeau tricolore implanté en son centre « matérialise [...] les sentiments de la reconnaissance nationale »[2].

On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française lors de l'inauguration du lieu le [20].

Le , deux plaques portant les noms de 25 tirailleurs jusqu'à cette date inconnus ont été ajoutées[21]. Un communiqué de presse des armées affirme que ces 25 tirailleurs ont été identifiés grâce à des recherches génétiques. L’historienne Armelle Mabon a mis en avant à travers des textes polémiques que ces recherches génétiques n'ont en réalité jamais été menées[22],[23]. En effet, ce texte fut diffusé par erreur et retiré dès le lendemain de sa publication, les travaux historiques conduits par Julien Fargettas établissent le parcours de ces 25 Tirailleurs[24]. Depuis, l'historienne Armelle Mabon a entamé des démarches auprès du Tribunal administratif pour demander le retrait de ces plaques malgré la joie indiscible de cette reconnaissance formulée par certain descendant[25]

Postérité modifier

Films modifier

  • Le Tata, Paysage de pierres, documentaire de 60 min de Patrice Robin et Eveline Berruezo (1992).
  • Le cimetière Tata, mémoires des tirailleurs sénégalais, documentaire de Rafael Gutierrez et Dario Arce (2007). Le cimetière Tata est le point de départ d'un film qui questionne l'histoire de la France coloniale comme celle des héros oubliés ou instrumentalisés. Une histoire encore problématique aujourd'hui. Il a été produit par la société C Productions Chromatiques, de Lyon.

Théâtre modifier

  • Tam-tam au Tata : Évocation théâtrale de l'ombre d'un soldat inhumé au Tata sénégalais de Chasselay (Rhône) par Jacques Bruyas (2010).

Galerie de photographies modifier

Notes et références modifier

  1. Sirio Canós-Donnay, Fluid fortresses in changing states: Tàta in southern Senegal (13th–19th centuries AD), Dr. Rudolf Habelt, (ISBN 978-3-7749-4374-2, lire en ligne)
  2. a b et c Robin-Detraz 2020.
  3. Andrée Dore-Audibert, Une décolonisation pacifique : Chroniques pour l'histoire, Paris, Karthala, , 359 p. (ISBN 2-86537-950-7, lire en ligne), p. 49.
  4. a b c d et e Benoît Hopquin, « Ces tirailleurs africains massacrés par les nazis », Le Monde,‎ , p. 22–23 (lire en ligne).
  5. Scheck 2007, p. 56–57.
  6. a b c et d Pierre Lepidi, « Le village de Chasselay rend hommage à ses tirailleurs africains morts pour la France », Le Monde, (consulté le ).
  7. Scheck 2007, p. 245-246.
  8. Christian Eboulé, «  : les tirailleurs sénégalais sont massacrés à Chasselay », TV5 Monde, (consulté le ).
  9. a b et c Sylvie Adam, « Hommage : Il y a 80 ans, 48 tirailleurs sénégalais étaient exécutés par les allemands à Chasselay, dans le Rhône », France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, (consulté le ).
  10. Viviane Forson, « Chasselay questionne à la fois le racisme, le nazisme et la colonisation », Le Point, (consulté le ).
  11. Julien Fargettas, Combats et massacres en Lyonnais. Comprenant Chasselay : anatomie d'un massacre, Editions du Poutan, , 189 p. (ISBN 2375530756)
  12. Pascal Blanchard et Aïssata Seck, « Tribune. "Le racisme tue : souvenons-nous des massacres de Chasselay de " », Le Journal du dimanche, (consulté le ).
  13. « Les Chères/Chasselay. Ces huit photos qui ont permis de faire la lumière sur un massacre », Le Progrès, (consulté le ).
  14. Julien Fargettas, Les tirailleurs sénégalais : Les soldats noirs entre légendes et réalités 1939-1945, Paris, Tallandier, , 381 p. (ISBN 978-2-84734-854-5).
  15. Scheck 2007, p. 181–182.
  16. a et b Robin-Detraz 2019, chap. 2 « Sémiotique du cimetière africain. Les régimes mémoriels du Tata », p. 26-31.
  17. Béatrice Bantman, « Des sans-papiers rendent hommage aux tirailleurs sénégalais... », Libération, .
  18. Moulaye Aïdara, « Le Tata sénégalais de Chasselay, « une présence africaine » », Écarts d'identité, no 115,‎ , p. 51–57 (lire en ligne).
  19. a et b « Le Tata sénégalais de Chasselay », sur le-transit.fr, (consulté le ).
  20. Bakari Kamian, Des tranchées de Verdun à l'église Saint-Bernard : 80 000 combattants maliens au secours de la France, 1914-18 et 1939-45, Paris, Karthala, , 468 p. (ISBN 2-84586-138-9, lire en ligne), p. 206.
  21. « Chasselay : hommage au tata sénégalais », BFM TV, (consulté le ).
  22. Armelle Mabon, « Le « Tata », les tirailleurs et les tests ADN bidon », Afrique XXI, (consulté le )
  23. Justine Brabant, « Tirailleurs sénégalais : le ministère des armées a inventé des « recherches génétiques » », mediapart.fr, (consulté le )
  24. Julien Fargettas, Juin 1940 : Combats et massacres en Lyonnais., Paris, Éditions du Poutan, , 244 p. (ISBN 978-2-37553-075-7)
  25. TF1, « 80 ans, après la réhabilitation d'un tirailleur sénégalais. »,

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Julien Fargettas,  : Combats et massacres en Lyonnais, Paris, Éditions du Poutan, , 192 p. (ISBN 978-2-37553-075-7).
  • Raffael Scheck (trad. de l'anglais américain par Éric Thiébaud), Une saison noire : Les massacres de tirailleurs sénégalais, -, Paris, Tallandier, , 287 p. (ISBN 978-2-84734-376-2).
  • Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, Nécropole nationale de Chasselay (69) : Le "tata" des tirailleurs sénégalais, Paris, Ministère de la Défense, Secrétariat général pour l'administration, coll. « Mémoire de pierre » (no 11), , 8 p. (BNF 40081042).
  • William Robin-Detraz, « Haut-lieu et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais : Le Tata de Chasselay (69) », Bulletin de l'association des géographes français, vol. 97, no 3,‎ , p. 280–303 (DOI 10.4000/bagf.6883, lire en ligne  ).
  • William Robin-Detraz, Le Tata sénégalais de Chasselay : Ancrage spatial et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais (mémoire de master 1 en Sciences sociales), Lyon, ENS de Lyon, , 112 p. (lire en ligne   [PDF]).

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Articles connexes modifier

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