Refuznik (hébreu : מסורבים, me-su-rav-im), ou otkaznik (russe : « отказник », de « отказ », refus, rejet), était le terme officieux désignant les personnes à qui le visa d'émigration était refusé par les autorités de l'Union soviétique, principalement (mais pas uniquement) des Juifs soviétiques[2].

Joseph Schneider (1927-2006), rescapé de la Shoah, vétéran de l'Armée rouge, photographe du monde juif de Lettonie, refuznik « prisonnier de Zion » dans un goulag en Mordovie où il est exilé de 1957 à 1961, après avoir déposé 16 demandes rejetées d'immigration, enseigné le judaïsme, soutenu le sionisme, avoir formé des Juifs à l'autodéfense, avoir été persécuté et torturé[1], 1960.

Le terme « refuznik » est entré dans la langue pour désigner une personne qui refuse de faire quelque chose, notamment en signe de protestation.

Pratique modifier

Période modifier

Dans les années 1960, un coup de frein est donné face au nombre croissant de Juifs soviétiques qui demandent des visas pour quitter l'Union soviétique, en particulier dans la période qui suit la guerre des Six Jours de 1967 où ces demandes de visas se multiplient[1]. Certains refuzniks doivent alors languir des années voire des décennies pour l'obtention de leur visa.

Durant le temps de la Guerre froide, de fortes condamnations internationales amènent les autorités soviétiques à augmenter considérablement le quota d'émigration. Dans les années 1960 à 1970, 4&000 personnes[Quoi ?] émigrent (légalement) d'URSS. Au cours de la décennie suivante, 347 100 personnes reçoivent un visa pour quitter l'URSS, dont 245 951 sont des Juifs, puis le nombre retombe à partir de 1980.

Dans les années 1980, la politique de glasnost et de perestroïka de l'URSS, de même que le désir d'améliorer les relations avec l'Occident, donnent lieu à des changements importants où la plupart des refuzniks sont alors autorisés à émigrer[3]. Au tout début des années 1990, la dislocation de l'Union soviétique leur laisse la liberté d'émigrer en masse. La majorité d'entre eux se rendent aux États-Unis ou en Israël pour effectuer leur alyah.

Personnes concernées modifier

Les refuzniks concernent principalement les Juifs soviétiques mais englobent des catégories plus larges de personnes et d'autres ethnies telles que :

Histoire modifier

 
Peinture illustrant la volonté d'exil des Juifs soviétiques vers Israël (1973) : Let my people go !.

Des Juifs soviétiques qui réclamaient des visas d'émigration pour quitter l'Union soviétique, certains furent autorisés à partir mais beaucoup essuyèrent des refus, soit instantanément, soit par le biais d'une attente interminable de traitement de leur dossier par l'OVIR, le département du ministère de l'Intérieur responsable de la délivrance des visas de sortie. Dans de nombreux cas, l'excuse donnée pour un refus était que la personne avait eu accès à un moment ou à un autre de sa carrière à une information vitale pour la sécurité nationale de l'Union soviétique et qu'elle ne pouvait donc pas pour le moment être autorisée à quitter le pays.

Pendant la Guerre froide, les Juifs soviétiques sont confrontés à un antisémitisme systématique et institutionnel ; certains secteurs du gouvernement leur sont presque entièrement interdits[4],[5] . Ils étaient considérés comme un risque au niveau sécuritaire ou comme des traîtres potentiels. Certains étaient arrêtés, ou punis par d'autres voies, pour avoir osé exprimer le désir de quitter le pays pour l'Ouest, ce qui était ipso facto considéré comme une confirmation des soupçons quant à leur manque de loyauté. Pour introduire une demande de visa, la famille entière était obligée d'abandonner son emploi, ce qui rendait ses membres susceptibles d'être inculpés de « parasitisme social (en) », une infraction pénale.

L'un des fondateurs en 1976 du mouvement refuznik, et son porte-parole, était Natan Sharansky. Masha Slepak (née Mariya Rashkovskaya) et son époux Vladimir Slepak (en)[6] sont également des figures importantes de la résistance des Refuzniks en URSS et ils ont attendu 17 ans leurs visas, tout en combattant[7],[8],[9].

Dès qu'un Soviétique demandait à quitter la Russie, il était licencié et parce que le gouvernement était le seul employeur dans la société communiste, il lui devenait impossible de trouver un autre travail. « De nombreux Juifs à travers le monde ont envoyé de l'argent aux refusniks, dont un pourcentage important a été confisqué par le gouvernement »[10]. « Bien que de nombreux refusniks aient été très instruits, ils devaient souvent accepter n'importe quel travail qui leur était proposé (par exemple, nettoyer les rues la nuit) pour éviter d'être arrêtés comme « parasites » (une classification soviétique)[10],[11]. Des Juifs pouvaient être licenciés de leur travail lorsqu'ils demandaient à vivre en Israël, puis harcelés constamment, leur logement perquisitionné, soumis à de longs interrogatoires ou condamnés pour ne pas avoir travaillé et exilés en Sibérie[10]. La demande de visa de sortie était une étape enregistrée par le KGB, de sorte que les perspectives de carrière future, toujours incertaines pour les Juifs soviétiques, pouvaient être compromises[12].

Une autre ruse soviétique consistait à accorder un visa d'émigration à un Juif soviétique marié avec enfants mais pas à sa famille[10]. Ceux qui étaient autorisés à émigrer devaient payer une taxe proportionnelle à leur niveau d'études, généralement élevé parmi les Juifs.

 
Des refuzniks dont Edward N. Trifonov, et Andrei Sakharov, avant 1976.

Aussi bien les juifs ultra-orthodoxes souhaitaient émigrer pour des raisons religieuses que des Juifs relativement laïcs désirant échapper à l'antisémitisme latent suscité par les autorités soviétiques. De même, d'autres catégories de personnes non-juives, appartenant à d'autres Églises, désiraient (en vain) quitter l'URSS pour échapper aux persécutions ou pour chercher une vie meilleure.

 
Membres de la Mashka : Leonid Stonov, Valery Engel, Yuli Kosharovsky, Alexander Smukler, Roman Spektor, Michael Chlenov, Benny Lidsky, Yuri Semenovsky, à Moscou, 1989.

Les refuzniks bénéficièrent d'un soutien international de la part de citoyens de pays occidentaux dans le cadre de la Guerre froide : par exemple en France, avec la création en du comité de soutien des juifs d'URSS[13], et aux États-Unis dans les années 1960 à 1980[14],[15]. Les organisations juives concentraient d'énormes efforts sur la sécurisation de l'émigration des refuzniks. Il était devenu courant pour les communautés juives et les écoles juives à travers les États-Unis et l'Europe d'« adopter » des familles refuzniks, souvent en leur écrivant et en leur téléphonant. Lors de nombreuses célébrations de Bar et de Bat Mitzvah, un jeune juif américain « se jumelait » avec un enfant atteignant l'âge de la Bar ou de la Bat Mitzvah en Russie[10].

Dans les années 1980, le petit groupe secret russe Mashka composé de huit personnes est créé : il coordonne les efforts pour prendre soin des « prisonniers de Sion »[16],[9], soutenir les familles des prisonniers et enseigner l'hébreu[17],[18],[19].

Quand Iouri Andropov accède au pouvoir, il poursuit la lutte du KGB contre le sionisme, les Juifs soviétiques et lesdits refuzniks auxquels il réserve souvent un traitement de « dissidents » avec déportation ou internement, et contre la communauté juive mondiale[20].

 
Visa de sortie de l'URSS de type 2, délivré à ceux qui recevaient l'autorisation de quitter l'URSS de façon permanente en perdant leur citoyenneté soviétique.

L'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en Union soviétique au milieu des années 1980 et sa politique de glasnost et de perestroïka, de même que le désir d'entretenir de meilleures relations avec l'Ouest, amenèrent des changements considérables[3]. La plupart des refuzniks sont alors autorisés à émigrer. Avec l'écroulement de l'Union soviétique à la fin de la décennie, le terme otkaznik passa au registre de l'histoire. Cependant, en mars 1989, une quarantaine de Juives soviétiques de plusieurs villes russes jeûnent pendant plusieurs jours pour attirer l'attention sur environ 80 000 refuzniks encore présents et les innombrables autres qui n'ont même pas postulé, craignant des répercussions[3].

Un refuznik, Benjamin Bogomolny, est entré dans le Livre Guinness des records comme « le plus patient » pour avoir attendu vingt ans et demi pour obtenir l'autorisation de quitter la Russie (1966-1986 - de ses vingt à quarante ans)[10].

Le calvaire des refuzniks a été l'un des thèmes de l'humour juif : une anekdot affirme que le joailler Max Leibovitch, oui, celui des jolies alliances dans la toute petite boutique, attendit pendant des décennies un visa d'émigration pour aller vivre auprès de sa famille à Jérusalem. L'URSS vacillant, enfin on le lui accorda. À l'aéroport de Moscou, les douaniers s'étonnèrent de trouver dans sa valise un petit buste de Lénine en bronze : -« C'est quoi, ça ? » Max : - « En voilà une façon de parler du fondateur de l'URSS ! J'emporte dans ma famille ce souvenir du pays grâce auquel j'ai pu faire des études, échapper aux nazis et avoir du travail ! ». Les douaniers le laissèrent passer. Il débarqua ensuite à l'aéroport de Tel-Aviv où les douaniers s'étonnèrent à nouveau : - « Lénine, ici ? pourquoi ? » Max : - « Il fera le cochonnet pour jouer aux boules, pour me rappeler les années de Goulag de mon pauvre père et la vie de chicanes et de privations que j'ai eue en URSS ! ». Les douaniers le laissèrent passer et il arriva dans sa famille où les petits enfants lui demandèrent : - « Qui c'est, ce monsieur ? » Max : - « Qui c'est ? aucune importance ! Ce qui compte, c'est ce que c'est : un kilo d'or pur recouvert de bronze ! »[21].

 
Allée des Refuzniks à Paris.

Le terme « refuznik » a été remis à la mode en Israël une dizaine d'années plus tard pour désigner des Israéliens refusant d'accomplir leur service militaire ou des soldats refusant de servir en Cisjordanie.

Plusieurs voies publiques commémorent ces Refuzniks : à Paris où une allée des Refuzniks est inaugurée en 1986 pour honorer les refuzniks de l’URSS, à Créteil ainsi qu'à Sarcelles.

Notes et références modifier

  1. a et b (en-US) Yaakov Schwartz, « Family of refusenik puts on display the world’s only photos of Soviet gulag life », sur www.timesofisrael.com (consulté le )
  2. (en) Azbelʹ, M. I︠A︡. (Mark I︠A︡kovlevich), Refusenik, trapped in the Soviet Union, Houghton Mifflin,‎ (ISBN 0-395-30226-9 et 978-0-395-30226-2, OCLC 6735540, lire en ligne).
  3. a b et c (en-US) MASHA HAMILTON, « Would-Be Soviet Emigres Say 'Noise Will Get Us Out' : Don't Forget Us, Fasting Women Refuseniks Plead », sur Los Angeles Times, (consulté le )
  4. (en) Willem Adriaan Veenhoven, Winifred Crum Ewing et Stichting Plurale Samenlevingen, Case Studies on Human Rights and Fundamental Freedoms: A World Survey, Nijhoff, (ISBN 978-90-247-1780-4, lire en ligne)
  5. (en) Benjamin Pinkus, The Jews of the Soviet Union : the history of a national minority, Cambridge University Press, (ISBN 0-521-34078-0, 978-0-521-34078-6 et 0-521-38926-7, OCLC 15592472, lire en ligne), p. 229-230
  6. (en) « Prisoners of Zion. 1978 », sur www.angelfire.com (consulté le )
  7. (en) Colin Shindler, « Rare courage of a Soviet refusnik », sur www.thejc.com (consulté le )
  8. (en-US) David Bezmozgis, « Refusenik », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  9. a et b (en) Maxim D. Shrayer, Leaving Russia: A Jewish Story, Syracuse University Press, (ISBN 978-0-8156-5243-4, lire en ligne)
  10. a b c d e et f « Refusniks », sur www.jewishvirtuallibrary.org (consulté le )
  11. (ru) « Московская Хельсинкская Группа », sur web.archive.org,‎ (consulté le )
  12. (en) Thomas Crump, Brezhnev and the decline of the Soviet Union, (ISBN 978-1-134-66915-8, 1-134-66915-1 et 978-1-315-88378-6, OCLC 863157340, lire en ligne), p. 153
  13. Henri Hochner, « Histoire du Comité de soutien des juifs d'URSS ».
  14. Pauline Peretz, « La mobilisation politique locale aux États-Unis dans les années 1960. L'exemple de l'aide à l'émigration des Juifs soviétiques », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. no 87, no 3,‎ , p. 70 (ISSN 0769-3206 et 1952-4226, DOI 10.3917/mate.087.0070, lire en ligne, consulté le ).
  15. (en-US) « A Hanukkah Letter From Moscow | THE REFUSENIK PROJECT », (consulté le )
  16. (en) « Remember and Save : Prisoners of Zion », sur www.angelfire.com (consulté le )
  17. Jewish movement USSR, part 3, episode 35, voanews.com
  18. (en) Christian Peterson, Globalizing Human Rights: Private Citizens, the Soviet Union, and the West, Routledge, (ISBN 978-1-136-64694-2, lire en ligne)
  19. (en) Subcommitee on Space Science and Application, Visit to Sweden and the Soviet Union: Report, Floride, U.S. Government Printing Office, (lire en ligne), p. 49
  20. (en) Ronen Bergman, « The KGB's Middle East Files: The fight against Zionism and world Jewry », Ynetnews,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. Viktor A. Pogadaev, The Origin and Classification of Russian Anecdotes as a Folklore Genre, Université Chulalongkorn, Bangkok 2009 et Université de Malaya, Kuala-Lumpur 2012.

Bibliographie modifier

  • Andreï Soldatov et Irina Borogan, Exilés, émigrés et agents russes, Gallimard, 2023.