Règle de Grandmont

La règle de Grandmont, ou règle de Saint Étienne, est la règle monastique de l'ordre de Grandmont. Elle est largement inspirée du livre des sentences grandmontaines, condensé en 65 articles par le 3e prieur de Grandmont vers 1140-1150, et approuvée par Alexandre III en 1171. Règle très sévère avec une dimension érémitique, elle est amendée à plusieurs reprises dès 1223, notamment pour donner aux clercs le pouvoir sur les convers qui se révoltaient, et donner aux grandmontain le droit de posséder des terres.

Saint Étienne et Hugues de La Certa, plaque du maître-autel de l'abbaye de Grandmont (XIIe siècle), Paris, musée de Cluny.

Peu suivie même au xiie siècle, la règle est reprise par la branche réformée de l'ordre au xviie siècle. L'ordre est supprimé avant la Révolution. Un ermitage grandmontain est réouvert vers 1975 au prieuré Notre-Dame et Saint-Étienne de Villiers.

Vie de saint Étienne de Muret modifier

Étienne de Muret, né en et mort le [1], est un ermite français, fondateur de l'ordre de Grandmont. Fils du vicomte de Thiers, il passe une partie de sa jeunesse en Italie où il observe la vie des moines, en particulier les ermites de Calabre[2]. Il abdique en faveur de son oncle Guillaume II de Thiers afin d'entrer dans la vie religieuse. Il fonde un ermitage au Grand Muret, commune d'Ambazac (Haute-Vienne). Il est rejoint par plusieurs compagnons, ce qui lui permet de fonder quelques autres ermitages. Diacre, il refuse d'accéder à la prêtrise. Ses compagnons se déplaceront à Grandmont, commune de Saint-Sylvestre, après sa mort. Il est canonisé par Clément III en 1189.

Règle modifier

Source modifier

La première trace écrite de règle est constituée par les 75 articles du Liber Sententiarum (livre des sentences) qui aurait été constitué par le disciple préféré d'Étienne de Muret : Hugues de La Certa (1071-1157)[3]. Pierre de Limoges (mort en 1137), premier successeur d'Étienne de Muret à la tête de l'ordre et fondateur de l'abbaye de Grandmont, organise le culte liturgique et règlemente la tenue vestimentaire des frères[3].

Les sentences sont condensées vers 1140-1150 en une règle de 65 articles par le 3e prieur (1139-1163) de Grandmont Étienne de Liciac qui fut le véritable organisateur de l'ordre[4],[3]. Elle est suivie par l'apparition d'un coutumier constitué vers 1170-1171[3]. Selon l'historien Dom Becquet, la règle de Grandmont est non seulement largement inspirée du Liber Sententiarum, mais également de la règle de Saint Benoît et des coutumes des Chartreux[3].

Thèmes de la règle modifier

Les chapitres 1 à 3 concernent l'obéissance, ceux de 4 à 24 la pauvreté. La solitude est détaillée dans les articles 21 à 54, articles enclavant le recrutement. Les articles 55 à 63 concernent l'organisation de la vie commune. Le chapitre 64 résume la règle et le 65 ordonne au prieur de se conformer à la règle[3].

Pauvreté modifier

La règle, une des plus rigoureuses sur ce sujet, interdit aux grandmontains de posséder des terres en dehors de l'enclos boisé où ils habitent. Les moines s'abstiennent de détenir les églises et les revenus qui s'y rattachent. Ils ne doivent pas posséder de troupeaux (interdiction sans exemple ailleurs). Enfin, ils ne peuvent demander de l'aide qu'en cas de besoin, la quête leur étant habituellement interdite[3].

Solitude et prière modifier

Les grandmontains s'installent dans des lieux boisés dont il se font attribuer la pleine propriété pour ne pas être dépendants, et se font dispenser de dîme pour la distribuer eux-mêmes aux pauvres. Ils doivent refuser (interdiction sans exemple ailleurs) jusqu'à faire des procès pour défendre leurs intérêts. Les sorties de l'enclos sont interdites, même pour assister un mourant, ainsi que les prédications. Les grandmontains ne peuvent se confesser au dehors[3].

Les dispositions relatives à la prière diffèrent peu des ordres de l'époque. La règle renvoie aux livres liturgiques de l'ordre. Le silence semble être un peu moins strict qu'ailleurs. Les frères doivent accorder l'hospitalité d'usage[3].

Les frères convers ont une stricte égalité juridique avec les clercs. Aspect sans équivalent dans un ordre monastique, la gestion des biens matériels est confiée exclusivement aux frères convers sous l'autorité du dispensateur (frère convers également), ce qui causera par la suite de grands troubles dans l'ordre[3].

Obéissance et vie commune modifier

Les sanctions ne sont pas plus explicites que la mention "discipline régulière" en usage dans les cloîtres. En revanche, l'obéissance au pasteur commun, élu par les frères, fait l'objet de longs développements. L'élu ne doit pas faire de largesses à sa famille. Le prieur n'a pas le titre d'abbé et ne doit pas transgresser la règle[3].

Concernant le recrutement, aucun temps de probation n'est spécifié pour les novices, mais il est interdit d'accepter une personne venant d'une autre religion ou un ermite souhaitant garder sa cellule. Allant plus loin qu'un simple éloignement des femmes des celles grandmontaines masculines, la règle réserve explicitement aux hommes cette vie religieuse[3].

Postérité modifier

La règle de Grandmont est approuvée par Alexandre III en 1171[4], et amendée dès 1223[3]. Elle est modifiée en 1247 par le pape Innocent IV puis par Clément V en 1309. Les modifications successives portent sur le renforcement du pouvoir du clerc correcteur sur le convers dispensateur, ainsi que l'élargissement du droit de posséder des terres et de recevoir des legs. Jean XXII réforme l'organisation de l'ordre en 1317 en le faisant passer du semi-érémitisme à une organisation cénobitique ressemblant aux bénédictins[4].

La règle semble peu diffusée dans les monastères grandmontains, et est peu observée même au xiie siècle[3]. Au xviie siècle, le réformateur Charles Frémon et la branche de l'Etroite observance de l'ordre reprennent la règle de Grandmont. L'ordre est supprimé avant la Révolution. Une tentative de faire revivre la règle de Grandmont est expérimentée depuis 1975 au prieuré Notre-Dame et Saint-Étienne de Villiers[5].

Notes et références modifier

  1. 1125 dans le calendrier actuel, car le changement d'année se faisait le 25 mars dans le calendrier limousin de l'époque.
  2. Docteur Grézillier, L'Architecture grandmontaise, 1963
  3. a b c d e f g h i j k l m et n Becquet 1958.
  4. a b et c Jean-Pierre Auger, Le prieuré Grandmontain du Meynel, Initiatives et Actions pour la Sauvegarde de l’Environnement et des Forêts, , 32 p. (lire en ligne)
  5. La Nouvelle République, article du 3 avril 2012

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Maximes et enseignemens de St Étienne, instituteur de l'ordre de Grandmont (trad. Adrien Baillet), Paris, Veuve Jean de Saint-Aubin, (lire en ligne)
  • Dom Jean Becquet, « La règle de Grandmont », Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, vol. 87,‎ , p. 9-36 (lire en ligne).  
  • Dom Jean Becquet, Le coutumier de Grandmont, , 25 p. (lire en ligne)
  • Enseignements et sentences de Saint Etienne de Muret [« Liber de doctrina vel Liber sententiarum seu rationum »] (trad. Fr. Réginald Bernier, d'après le texte établi par dom Jean Becquet dans les "Scriptores Ordinis Grandimontensis".), Paris, P.E.V. [Pro estate video], , 79 p. (ISBN 2950400906)
  • Règle du vénérable Étienne de Muret (trad. Réginal Bernier), Saint-Prouant, Association pour la Sauvegarde et l'Aménagement de Grandmont, , 24 p.
  • G. Durand et J. Nougaret (éds.), L'Ordre de Grandmont : art et histoire. Actes des journées d'études de Montpellier, 7 et , Montpellier / Carcassonne, Études sur l'Hérault / Centre d'archéologie médiévale du Languedoc, 1992, 220 p. (lire en ligne) :
    • Dom Jaques Dubois, « Grandmontais et chartreux, ordres nouveaux du XIIe siècle », Etudes Héraultaises,‎ (lire en ligne)
    • Maire Marie Wilkinson, « La vie dans le monde d'Etienne de Muret et la vita Stephani Muretensis », Etudes Héraultaises,‎ (lire en ligne)
  • Gilles Bresson, Introduction au "Coutumier de l'Etroite Observance de Grandmont", Saint-Prouant, Editions du GEREG, 4 p. (lire en ligne)

Articles connexes modifier

Liens externes modifier