Kérosène

composé chimique
(Redirigé depuis Pétrole lampant)

Le kérosène, aussi appelé autrefois « pétrole lampant », est un mélange d'hydrocarbures, contenant des alcanes, en majorité, et d'autres types d'hydrocarbures, comme des cycloalcanes, ou des composés aromatiques. Issu du raffinage du pétrole, il résulte du soutirage, pendant la distillation, de la coupe ayant un point initial (PI) de distillation compris entre 150 °C et 180 °C, et un point final (PF) de distillation entre 225 °C et 250 °C. Il doit être exempt de soufre. Ce carburant est utilisé notamment dans le monde de l'aviation, permettant de faire fonctionner des turboréacteurs.

Kérosène
Image illustrative de l’article Kérosène
Identification
No CAS 8008-20-6
No ECHA 100.029.422
No CE 232-366-4
Propriétés physiques
fusion −48 à −26 °C[1]
ébullition 150 à 300 °C[1]
Solubilité pratiquement insoluble (eau)[1]
Masse volumique 800 kg m−3 à 15 °C[1]
d'auto-inflammation 220 °C[1]
Point d’éclair 49 à 55 °C[1]
Limites d’explosivité dans l’air 0,6–6,5 %vol[1]
Thermochimie
PCS 46,4 MJ kg−1[2]
Précautions
SGH
SGH02 : InflammableSGH07 : Toxique, irritant, sensibilisant, narcotiqueSGH08 : Sensibilisant, mutagène, cancérogène, reprotoxiqueSGH09 : Danger pour le milieu aquatique
Danger
H304 et H350
SIMDUT
B3 : Liquide combustibleD2B : Matière toxique ayant d'autres effets toxiques
B3, D2B,
NFPA 704[3]

Symbole NFPA 704.

 
Transport[1]
   1223   
;
   1863   
Écotoxicologie
DL50 2 835 mg kg−1 (lapin, oral)
180 mg kg−1 (lapin, i.v.)
6 600 mg kg−1 (lapin, i.p.)[4]
Seuil de l’odorat bas : 3 ppm[5]

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

Histoire

modifier
 
Le kérosène fut d'abord connu dans le monde occidental comme le « pétrole lampant ».

Au Xe siècle, le savant perse Rhazès décrit la distillation du pétrole permettant d'obtenir du pétrole d'éclairage dans son Livre des secrets[6].

En Occident, c'est le physicien et géologue canadien Abraham Gesner[7] qui a effectué en 1846 la première démonstration publique d'un liquide d'éclairage qu'il nomme « kérosène », du grec κηρός / kêrós, « cire ».

Au départ obtenu à partir de charbon, puis de pétrole, le kérosène est un liquide économique, qui a supplanté l'huile de baleine dans les lampes à huile ou les lampes à pétrole ; on l'appelait aussi « pétrole lampant ». Il s'agit de la « première source de lumière efficace, abondante et pas chère dont ait jamais disposé l'humanité »[8]. Cet usage a été abandonné lors de l'avènement des lampes à incandescence.

Utilisation en aéronautique

modifier

Son usage en aviation est principalement dû à son fort pouvoir calorifique de 43,15 MJ/kg pour le Jet A1, qui autorise une plus grande autonomie à masse embarquée égale, ou, en d'autres termes, qui permet d'alléger la masse totale à emporter à autonomie constante.

Comme carburant pour l'aviation, le kérosène doit remplir des conditions particulières, notamment au niveau de ses propriétés physiques. Le carburant pour avion est ainsi un kérosène particulier ayant notamment un point de congélation très bas (−47 °C pour le Jet A1[9]), car à 11 000 m d'altitude, la température externe est proche de −56,5 °C.

Utilisation en aérospatial

modifier

Le kérosène et ses dérivés, de par son pouvoir calorifique et ses caractéristiques physico-chimiques déjà connues, fut un carburant de choix lors de la réalisation des premières fusées et lanceurs orbitaux, et le reste jusqu'à ce jour. Bien que certains lanceurs puissent utiliser des grades de kérosènes initialement prévus pour l'aviation (grade T-1 pour Soyouz, bien qu'une transition vers le grade RG-1 ait été engagée, Jet A pour certains vols de RS1etc.)[10],[11], les puissances spatiales développèrent des grades spécifiques à l'utilisation dans le domaine spatial, comme le RP-1 aux États-Unis, encore largement utilisé (Saturn V, Atlas V, Falcon 9etc.)[12], le RG-1 en Union Soviétique puis en Russie moderne, également parfois surnommé « naphthyle » (Zenit, Energuia, N-1, Angara, partiellement Soyouz, etc.)[13], ou encore un grade de kérosène spécifique en Chine, différant également des autres (certaines Longue Marche)[14].

Permettant une manipulation simplifiée comparé aux autres ergols (cryotechniques ou hypergoliques notamment), le kérosène dispose également d'une densité assez élevée même à température ambiante, rendant son utilisation attrayante. Toutefois, les limitations du carburant poussèrent les Soviétiques à développer de nouvelles espèces chimiques, comme la syntine (1,2-dicyclopropyl-1-méthylcyclopropane), ou le boktane (1,1-dicyclobutyle), devant remplacer le kérosène sur sa flotte de lanceur, présentant de meilleures caractéristiques. La situation économique du pays peu après la chute de l'URSS empêchera cette transition, la production de ces carburants de synthèse ayant été stoppée[15].

Propriétés physiques

modifier

Le kérosène est un mélange d'hydrocarbures obtenu par raffinage du pétrole. Selon le niveau de raffinage, il est classé en plusieurs catégories dont les plus connues sont :

  • le TR0 de densité moyenne 0,79 est le plus répandu ;
  • le TR4 plus volatil que le TR0 mais de densité équivalente (de moins en moins utilisé car il pose des problèmes de tenue des pompes à carburant) ;
  • le TR5 qui a un haut point d'éclair et qui a une densité moyenne 0,81, il est employé sur les porte-avions.

Le coefficient de dilatation volumique du kérosène est de 0,000 7 K−1.

Propriétés chimiques

modifier

Le kérosène est un mélange d'hydrocarbures saturés de premier type ou alcanes. Sa formule moyenne est C10H22. La combustion du kérosène par l'oxygène donne de la vapeur d'eau et du gaz carbonique en dégageant de la chaleur. Le pouvoir calorifique inférieur de cette combustion est de 10 300 kcal/kg de carburant.

Le pouvoir calorifique inférieur (PCI) d'une réaction chimique exothermique est la quantité de chaleur cédée à l'extérieur quand on a ramené les produits de la réaction dans leur état vapeur sans récupérer leur chaleur latente de vaporisation.

L'équation chimique de la réaction s'écrit :

2 C10H22(l) + 31 O2(g) → 20 CO2(g) + 22 H2O(g).

On définit la richesse en carburant du mélange carburant/oxygène par le rapport de la masse de carburant à la masse d'oxydant. Dans le cas de la réaction complète équilibrée, on dit de cette richesse qu'elle est stœchiométrique.

Dans le cas du turboréacteur, la combustion du kérosène se fait dans l'air et non dans l'oxygène pur ; l'équation de la réaction est la suivante (dans le cas d'une combustion parfaite sans production de NOx) :

2 C10H22 + 31 (O2 + 4 N2) → 20 CO2 + 22 H2O + 124 N2.

La température de fin de combustion du mélange carburé (kérosène/air) est donnée par l'équation suivante :

 

avec :

  • Cp : chaleur massique à pression constante de l'air ;
  • T2 : température de fin de combustion ;
  • T1 : température d'entrée du mélange carburé ;
  • Pceff : pouvoir calorifique efficace, inférieur au pouvoir calorifique inférieur (PCI), car la vapeur d'eau et le gaz carbonique, en se dissociant sous l'effet de la forte température, absorbent une partie des calories libérées par la combustion ;
  • α : richesse injectée ou quantité de carburant suffisante et inférieure à la richesse stœchiométrique dans l'oxygène pur.

eKérozène

modifier

Il est possible de synthétiser du eKérozène (eFuel) à partir de dihydrogène combiné à une source de carbone.[1]

Biokérosène

modifier

Les biokérosènes (ou bio-kérosènes) sont des alternatives au kérosène produites à partir de la biomasse et incorporables (drop-in) au kérosène « fossile » (Jet A/Jet A-1) sans besoin d'adaptation de leur usage, de leur maintenance et de la logistique d’approvisionnement associée.

En , la société Air France a commencé à utiliser un biokérosène issu de la fermentation du sucre de canne pour certains vols entre Toulouse et Paris. « Ce biocarburant permettrait de réduire de 80 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au kérosène d’origine fossile »[16].

Pour être certifié par l'Union européenne, un biokérosène doit émettre au moins 60 % de gaz à effet de serre en moins par rapport au kérosène d'origine fossile. Les biocarburants terrestres permettent d'atteindre une réduction des émissions de 80 %[17].

De 2011 à fin 2017, plus de 45 000 vols commerciaux d'une vingtaine de compagnies aériennes avaient eu recours au biokérosène à titre expérimental. En 2015, l'Union européenne a consommé 41,6 Mtep de kérosène (8,6 % des produits pétroliers), tandis que la consommation de biocarburants (éthanol + biodiesel) s'élevait à 14,2 Mtep[18].

Taxes sur le kérosène

modifier

Vols internationaux

modifier

Bien que d'origine fossile, comme l'essence et le gazole, le kérosène est exempté de toute taxe sur les liaisons aériennes internationales. Cette exemption date de la convention de Chicago (1944) qui visait à encourager le transport aérien, sur l'impulsion des États-Unis ; la disposition a ensuite été prolongée par des accords bilatéraux.

Vols intérieurs

modifier
  • Les Pays-Bas, les États-Unis, le Brésil, l'Inde, le Japon et la Suisse ont introduit une taxe pour leurs liaisons nationales[19],[20].
  • En France, le kérosène est utilisé par les compagnies aériennes qui sont intégralement exonérées de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), sur tout le territoire français[21]. La France estime peu efficace d'agir sur les stricts vols intérieurs, car ils ne représentent que 4 % du trafic, et souhaite une taxe européenne[22]. De plus, une exonération de la TVA existe également, sous la simple condition que « les produits destinés à des avions des compagnies aériennes dont les services à destination ou en provenance de l'étranger ou des territoires et départements d'outre-mer représentent au moins 80 % des services exploités »[23],[24].
  • L'Allemagne souhaite introduire une taxe, mais des sociétés américaines considèrent qu'une telle loi ne serait pas légale[25].

Vols internationaux intérieurs à l'Union européenne

modifier

L'Union européenne envisage une taxe (d'au moins 0,33  par litre, taux minimal de la directive), qui pourrait diminuer de 11 % les émissions de CO2 du trafic aérien intra-européen et au départ de l'UE vers le reste du monde, selon une étude de la commission européenne publiée en 2019 (en France, les émissions de CO2 diminueraient de 9 %)[26],[27]. Ce sujet a aussi été abordé en 2019 par le Conseil de l'Union européenne (le ) puis lors d'un Conseil Environnement (le ), à l'initiative de la Belgique. La Commission européenne ne s'est pas prononcée mais doit évaluer la directive de 2003 qu'elle reconnait être « clairement dépassée », tant en matière de respect du principe pollueur-payeur que pour respecter les engagements européens pour le climat[27].

Une telle mesure pourrait rapporter 27 milliards d'euros par an selon Karima Delli, présidente de la commission des Transports au Parlement européen[28].

Impact environnemental

modifier

Effet de serre

modifier

Le kérosène est, comme tous les combustibles fossiles, responsable de l'émission de gaz à effet de serre. Le secteur aérien est responsable de 2 à 3 % des émissions au niveau mondial[29]. La combustion d'un litre de kérosène libère 2,52 kg de CO2, auxquels il faut ajouter 0,52 kg pour l'extraction, le transport et le raffinage, soit un facteur d'émission total de 3,04 kg de CO2 par litre de kérosène (ou 3,81 kg de CO2 par kg de kérosène, ou 0,312 kg/kWh, ou 3 642 kg par tep)[30]. Selon Lorelei Limousin, responsable des politiques de transport au sein du Réseau Action Climat (RAC) France, le maintien de l’exonération du kérosène est incompatible avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre auxquels s’est engagée la France lors de l’Accord de Paris sur le climat : « Limiter l’augmentation de la température à 2 °C n’est pas atteignable sans agir sur le transport aérien »[31].

Le biokérosène émet moins de gaz à effet de serre que le kérosène d'origine fossile, mais ses émissions ne sont pas nulles[17].

Toxicité

modifier

L'ingestion de kérosène est néfaste ou fatale ; le contact avec la peau peut provoquer des brûlures[32],[33].

Les employés peuvent être exposés au kérosène sur leur lieu de travail en le respirant, en l'ingérant, par contact avec la peau, ou contact oculaire. Le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) des États-Unis a défini un seuil réglementaire de 100 mg/m3 pour une période de huit heures de travail journalier[34].

Notes et références

modifier
  1. a b c d e f g et h Entrée « Kerosene » dans la base de données de produits chimiques GESTIS de la IFA (organisme allemand responsable de la sécurité et de la santé au travail) (allemand, anglais), accès le 3 mai 2009 (JavaScript nécessaire).
  2. (en) William M. Haynes, CRC Handbook of Chemistry and Physics, Boca Raton, CRC Press/Taylor & Francis, , 93e éd., 2670 p. (ISBN 9781439880494), p. 5-69.
  3. UCB « Copie archivée » (version du sur Internet Archive) Université du Colorado
  4. (en) « Kérosène », sur ChemIDplus, consulté le 12 octobre 2009
  5. « Kerosene » [archive du ], sur hazmap.nlm.nih.gov (consulté le )
  6. (en) Zayn Bilkadi, « The Oil Weapons », Saudi Aramco World, (consulté le ).
  7. Sunita Gahir et Mike Graul, Pétrole et gaz naturel [« Oil and Natural Gas »], Dorling Kindersley Publishing, , 72 p., PDF (ISBN 0756638798, lire en ligne)
  8. Matthieu Auzanneau, Or noir : La grande histoire du pétrole, Paris, La Découverte, , 718 p. (ISBN 978-2-7071-8611-9, présentation en ligne), p. 43.
  9. Fiche de données de Sécurite « Copie archivée » (version du sur Internet Archive) [PDF], Total, 23 novembre 2006 (voir archive)
  10. (ru) Министерство обороны Российской Федерации, « Ракета-носитель «Союз-2» »   (consulté le )
  11. (en) ABL Space Systems, « RS1 »  , sur ABL Space Systems (consulté le )
  12. « RP-1 »  , sur Chem Europe
  13. (ru) Interfax, « Начата работа по переводу ракет "Союз" на новое топливо при запусках с "Восточного" »  , sur Interfax (consulté le )
  14. (zh) Ren Chun-bo, Shen Zhao-xin, Ma Chen-fei et Wu Qing-yuan, « Recherche des composants du kérosène de fusée par chromatographie en phase gazeuse intégrale bidimensionnelle » [« Research of Components in Rocket Kerosene by Comprehensive Two-Dimensional Gas Chromatography »], Journal of Astronautic Metrology and Measurement,‎ , p. 92-96 (DOI 10.12060/j.issn.1000-7202.2018.04.17, lire en ligne   [PDF])
  15. (en) George P. Sutton, « History of Liquid-Propellant Rocket Engines in Russia, Formerly the Soviet Union », Journal of Propulsion and Power, vol. 19, no 6,‎ (DOI 10.2514/2.6943)
  16. « Les biocarburants prennent de la hauteur », sur Connaissance des énergies, (consulté le ).
  17. a et b Matthieu Jublin, « Contre le réchauffement climatique, le biokérosène peut-il sauver l'avion », sur LCI, .
  18. « Biokérosène », sur Connaissance des énergies, (consulté le ).
  19. « Pourquoi le kérosène des avions n'est-il pas taxé ? », sur Radio-télévision belge de la Communauté française, (consulté le ).
  20. Inventons demain, « Le kérosène, pompe à fric de la République », Libération, (consulté le ).
  21. « Le kérosène, pompe à fric de la République », Libération, (consulté le ).
  22. « La secrétaire d'État Brune Poirson est « bien sûr » favorable à des taxes sur le kérosène, mais pas « au niveau national » », sur Franceinfo, (consulté le ).
  23. « Carburant d'avion : remboursement de la TVA », sur Corintax Consulting (consulté le ).
  24. « Procédures d'avitaillement (maritime, aérien) », sur douane.gouv.fr (consulté le ).
  25. https://www.euractiv.fr/section/climat/news/us-airlines-attack-germanys-planned-air-ticket-tax/
  26. Étude publiée par Transport et Environnement le 13 mai 2019.
  27. a et b EnerPress, (2019) La taxe sur le kérosène de nouveau sur le devant de la scène, no 12323, le 15 mais 2019.
  28. Pavol Szalai, « Karima Delli : Le kérosène est un « paradis fiscal » européen », sur euractiv.fr, (consulté le ).
  29. Mathilde Gracia, « Quelles sont les véritables émissions de CO2 du trafic aérien ? », Le Monde, 18 juin 2015, lire en ligne.
  30. « Documentation des facteurs d'émissions de la Base Carbone », sur Ademe, (consulté le ), p. 35-36.
  31. Even Vallerie, « Pourquoi le kérosène est-il complètement détaxé ? », Ouest-France, .
  32. Michael D. Levine et Chip, III Gresham, « Toxicity, Hydrocarbons », sur emedicine.medscape.com, (consulté le )
  33. Mahdi, Awad Hassan, « Kerosene Poisoning in Children in Riyadh », Oxford University Press, vol. 34, no 6,‎ , p. 316–318 (PMID 3221417, DOI 10.1093/tropej/34.6.316, lire en ligne, consulté le ) :

    « Radiological signs of pneumonia were shown in nine out of 27 patients who had chest X-rays. There was one death. »

    .
  34. « CDC - NIOSH Pocket Guide to Chemical Hazards - Kerosene », sur cdc.gov (consulté le ).

Annexes

modifier

Sur les autres projets Wikimedia :

Articles connexes

modifier

Liens externes

modifier