Kinétoscope

dispositif de l’histoire du cinéma, destiné à visualiser une œuvre photographique donnant l’illusion du mouvement

La première caméra argentique du cinéma, le Kinétographe, enregistre dès 1890 les premiers films du cinéma. Le Kinétoscope, inventé en 1888, est le plus ancien dispositif de l’histoire du cinéma, destiné à visualiser, uniquement de façon individuelle, les œuvres photographiques donnant l’illusion du mouvement, les films enregistrés par cette caméra, qui dépassent en durée la rotation cyclique du jouet optique (limitée à deux secondes) et peuvent ainsi atteindre quelques minutes.

Kinétoscope
Image associée au projecteur
Vue du Kinétoscope ouvert.

Création 1888 (XIXe siècle)
Orange (États-Unis)
Fin d'util. années 1910
Secteur Cinéma
Créateur(s) Thomas Edison et William Kennedy Laurie Dickson
Société mère Studios d'Edison
Nom commercial Kinetoscope peep show machine
Format 1,33:1
Brevets 10
Dernier brevet

Selon l'historien britannique John Barnes :

« The cinema, as we know it today, began with the invention of the Kinetograph and Kinetoscope. These two instruments represent the first practical method of cinematography (le cinéma, tel que nous le connaissons aujourd'hui, commença avec l'invention du kinétographe et du kinétoscope. Ces deux machines sont la première méthode réussie de prise de vues cinématographique)[1]. »

Les deux machines sont très différentes dans leur conception, et préfigurent la dichotomie qui reste valable de nos jours dans l’industrie du film : une machine vouée à la prise de vues, une autre à la visualisation des œuvres.

Ce procédé à deux machines est imaginé en 1887-1888 par l’inventeur et industriel américain Thomas Edison, l’inventeur du phonographe, qui rêve d’apporter « pour l'œil ce que le phonographe fait pour l'oreille[2] ». En 1889, il confie l’étude et la fabrication de ce couple de machines à son bras droit, un ingénieur électricien, le Franco-britannique William Kennedy Laurie Dickson.

En 1891, le kinétoscope est présenté au public et à la presse, notamment le devant une assemblée invitée de cent-cinquante militantes de la Federation of Women’s Clubs. Le quotidien américain The New York Sun relate ainsi l’événement : « Sur la face supérieure de la boîte, se trouvait un trou, de 1 pouce de diamètre environ. Et, alors qu'elles se penchaient pour regarder, elles virent l'image d’un homme. C'était une très belle image. Il s'inclina, tout en souriant et en agitant la main puis enleva son chapeau avec grâce et le plus grand naturel. Chaque mouvement était parfait[3]... » Le film dure moins de dix secondes, dont il ne reste plus aujourd’hui que deux secondes, et s'intitule Dickson Greeting (Le Salut de Dickson), et l’homme très cérémonieux qui salue en direction du public (regard caméra) n'est autre que William Dickson. Le succès est donc au rendez-vous, et les spectatrices manifestent leur étonnement et leur enthousiasme. Dickson a montré sa liberté par rapport aux canons de la photographie et a choisi d’être filmé jusqu’à mi-cuisse, un cadrage que l’on nommera plus tard plan américain.

Edison ne voit en ces succès qu’un premier pas franchi ; pour lui, le but, le couple image et son, n’est pas encore atteint et nécessite d’autres recherches. Une pause est marquée, durant laquelle le projet semble gelé. Pourtant, en 1893, la présentation à un public payant des premiers films, dont la durée varie de 30 à 60 secondes, enregistrés par le kinétographe, met en ébullition le monde des chercheurs et celui des industriels, et provoque une émergence spectaculaire internationale de procédés divers visant à enregistrer et à reproduire des images photographiques en mouvement. La course aux inventions est lancée, et débouche en 1895 sur la victoire d’un outsider, le cinématographe de Louis Lumière. Le , un article du Lyon Républicain rapporte que « les frères Lumière [...] travaillent actuellement à la construction d’un nouveau kinétographe, non moins remarquable que celui d’Edison et dont les Lyonnais auront sous peu, croyons-nous, la primeur. »[4]

Cet article du Lyon Républicain, qui cite le kinétographe préexistant, montre bien que les frères lyonnais travaillent sur la piste ouverte par Edison. Le petit-fils de Louis, Maurice Trarieux-Lumière, souligne la généalogie des inventions : « Mon grand-père a toujours reconnu avec une parfaite probité, j'en porte témoignage, les apports de Janssen, Muybridge et Marey, inventeurs de la chronophotographie, Reynaud, Edison et surtout Dickson[5]. »

Les prémices de l'invention

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Aux dires mêmes d’Edison, ce sont les jouets optiques qui l’ont inspiré. Un jouet optique est une petite machine de salon, destinée à l’éducation des enfants des classes aisées et férues de sciences expérimentales (Phénakistiscope, Stroboscope, Zootrope, Praxinoscope, Zoopraxiscope). Le spectacle offert est très bref et cyclique (moins de 2 secondes), le plus souvent composé de dessins qui représentent les positions successives d’un corps ou d'un phénomène en mouvement.

Dès le début, Edison imagine de coupler l’enregistrement du son, dont il est l’un des pionniers, avec la prise de vues animées, un système audiovisuel complet : « On pourrait ainsi assister à un concert du Metropolitan Opera cinquante ans plus tard, alors que tous les interprètes auraient disparu depuis longtemps »[6].

Une invention au secours des autres

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En 1888, John Carbutt met au point un matériau mince et souple, transparent, d’excellente résistance à l’étirement, composé de nitrate de cellulose (le celluloïd). Malgré son gros défaut, l’inflammabilité (parfois spontanée), il est commercialisé en 1889 par l’industriel George Eastman (la future industrie du film Kodak), sous la forme de feuilles et d'un ruban lisse de 70 mm de large desttiné aux photographes[7]. En France, le scientifique Étienne-Jules Marey, l’initiateur de la chronophotographie, qu’Edison reconnaît comme l’un de ses maîtres, à l’égal de l’Anglais Eadweard Muybridge qu’il a reçu à Orange, aux États-Unis, adopte aussitôt ce ruban pour ses appareils, en remplacement des fragiles et lourdes plaques de verre, dans des conditions difficiles dont témoigne Georges Demenÿ, bras droit de Marey : « La pellicule était rare à cette époque, elle nous était fournie en petites longueurs par la maison Eastmann (sic) qui en chargeait ses kodaks et par Balagny, qui nous donnait des bandes de collodion émulsionnées au gélatino-bromure, mais ne dépassant pas 1 m. 50 de longueur. Le nombre d’images obtenues était ainsi fort limité. »[8]

Pour Edison et son équipe, la mise sur le marché de ce produit révolutionnaire change la donne, et les lance sur une autre piste, plus ouverte et féconde. La fin de la période du précinéma pourrait être associée à cette invention et datée de 1888. La maison Eastman ne manquera pas d'offrir à ces nouveaux clients des métrages plus importants de pellicule de 70 mm de large, et ceux qui ne pourront accéder à ses tarifs exorbitants trouveront d'autres sources d'approvisionnement.

L'invention du Kinétographe

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D’après les croquis approximatifs mais inspirés d’Edison[9], Dickson fabrique la première mouture du Kinétographe (d’après le grec ancien kinetos et graphein qui signifient respectivement "mouvement" et "écrire").

 
Charles Kayser, l'un des assistants de Dickson, aux commandes du kinétographe 19 mm à défilement horizontal (1891). Pendant la prise de vues, l'appareil — ici découvert — est mis à l'abri de la lumière ambiante grâce à un couvercle.
Newark Athlete (with Indian Clubs), moulinets aux massues d'athlétisme — format 19 mm — (1891).

Cette première version de l’appareil de prise de vues est temporaire. Dickson utilise le ruban souple Eastman qu’il débite en film (c’est à Edison, d'après une déclaration signée par Dickson, que nous devons cette adoption du mot anglais film pour désigner les œuvres du cinéma) de 3/4 de pouce de large, soit 19 mm[10]. En accord avec Edison, il dote ce support, recouvert d’émulsion photosensible sèche, d’une rangée de perforations rectangulaires aux coins arrondis afin de faciliter et rendre précis son déplacement dans le mécanisme, grâce à la rotation d’un tambour denté (ce qu’on appelle aujourd’hui un "débiteur"). N’oublions pas qu’Edison, avant d’être industriel, fut dans sa jeunesse un habile opérateur du télégraphe de Morse, où le ruban de papier, perforé en son centre, est entraîné par un rouleau denté.

 
Le kinétographe (en version 35 mm) et un phonographe pour un jeu en playback (1893).

À l’intérieur du kinétographe, la pellicule de 19 mm de large se déroule à l’horizontale, à raison de 6 perforations par photogramme, les perforations se présentant à la base du photogramme enregistré qui est circulaire (dernier souvenir des jouets optiques), d'un diamètre d'un demi-pouce, soit environ 13 mm. Le débiteur denté déplace la pellicule par intermittence (système stop-and-go), entraîné lui-même par une roue à rochet électrique, un système déjà existant dans l’industrie[11].

 
Modèle de film cinéma 35 mm Edison (1,378 pouce).

Les premiers essais sont décevants, l’image est trop petite, manquant de définition quand les personnages sont filmés en pied, et ces essais ne seront pas présentés immédiatement au public, excepté Dickson Greeting, filmé plus près du personnage.

Encore une fois, Dickson et Edison changent leur fusil d’épaule. Ils décident de couper le ruban Eastman de 70 mm de large en deux rubans identiques de 35 mm de large, dotés d'une rangée de perforations, puis de deux, afin d’équilibrer la traction des dents sur les perforations et de stabiliser la pellicule lors de son déplacement. Dans cette nouvelle version de l’appareil et de sa pellicule, celle-ci se déroule verticalement, et ses photogrammes (encadrés par un double jeu de 4 perforations rectangulaires) sont au format "paysage", plus large que haut, celui que nous connaissons encore aujourd’hui en muséologie du cinéma. Le 35 mm aux perforations Edison, qui deviendra au début des années 1900, d’un commun accord entre les cinéastes et les industriels du monde entier, le format standard des films de cinéma, est né à Orange en 1891« Edison fit accomplir au cinéma une étape décisive, en créant le film moderne de 3 mm, à quatre paires de perforations par image[12]. »

Edison dépose aussitôt des brevets nationaux et internationaux pour protéger ce format caractérisé par ses perforations. En 1895-1896, les concurrents de l’inventeur américain se garderont bien de contrefaire les perforations Edison. Les frères Lumière adopteront le 35 mm à un seul jeu de 2 perforations rondes par photogramme. Léon Gaumont et Georges Demenÿ opteront pour le 58 mm sans perforations (entraînement par came battante). Les premiers films de Louis Lumière, ainsi que ceux d’Alice Guy utiliseront ainsi ces formats peu fiables, qui seront abandonnés au profit du format Edison-Dickson. En revanche, d’autres cinéastes, peu au courant de la propriété industrielle, oseront sans vergogne la contrefaçon et entreront alors dans le collimateur d’Edison. Ce sera le cas de Georges Méliès, qui deviendra le bouc émissaire d’Edison, avant de conclure avec lui un arrangement à l’amiable et d'entrer momentanément dans son trust.

L’invention du Kinétoscope

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Le kinétoscope (d'après le grec ancien kinésis et skopein qui signifient respectivement "mouvement" et "observer") a l’aspect d’un coffre plus haut que large en bois de pin, de 1 mètre 23 de haut, pesant 75 kg, qui contient dans ses flancs un mécanisme qui déroule en continu (et non pas par intermittence, comme dans le kinétographe), un film souple de 35 mm de large, doté de perforations Edison, sur la surface photosensible duquel le kinétographe a fixé une succession d’instantanés dont le défilement devant une forte lampe — de marque Edison, puisque l'inventeur prolifique a fabriqué les premières ampoules électriques industrielles — donne l’illusion de reproduire un mouvement enregistré. Pour obtenir l’illusion du mouvement, un obturateur à disque mobile, tournant à très grande vitesse, est disposé devant le faisceau lumineux, et son secteur opaque est échancré pour laisser passer une sorte d’éclair puissant qui illumine successivement par transparence chaque photogramme qui se présente. Les perforations permettent entre autres fonctions de synchroniser parfaitement le passage des photogrammes avec chaque "flash". Un moteur électrique entraîne le tout[13].

 
Le Black Maria, premier studio de cinéma, construit en 1893. Le toit est ouvert, pour laisser passer le soleil, on remarque à gauche un ouvrier qui fait pivoter le léger studio sur son rail circulaire, le bras de levier est assez long pour permettre cette manœuvre par un seul homme.

En 1893, le couple kinétographe-kinétoscope étant au point, Thomas Edison fonde à New York, puis dans d’autres villes à travers les États-Unis, des kinetoscope parlors, les ancêtres des salles de cinéma où sont regroupés plusieurs exemplaires du kinétoscope, chargés chacun d’un film différent. Le nom commercial de la machine est le kinetoscope peep show machine, du verbe to peep, "épier". « Certains exemplaires présentent des bobineaux réservés aux messieurs seuls, où l’on peut apprécier des dames qui enlèvent leur robe et osent se présenter, suprême audace, en collant et maillot! Tous les autres bobineaux sont des films visibles par un public familial. »[14] Un monnayeur est d’abord installé sur les machines, puis il est décidé de faire payer un prix forfaitaire à l’entrée, qui donne droit d’accès à tous les films présentés. Ce sont parmi les premières recettes du cinéma mondial, le Théâtre optique d'Émile Reynaud et ses premiers dessins animés ayant au préalable (dès 1892) encaissé les toutes premières.

 
Chats boxeurs (The Boxing Cats) (1893).

Pour alimenter les kinetoscope parlors, Edison fait construire par Dickson le premier studio de l’histoire du cinéma qu’il intitule le Kinetographic Theater, mais qui restera pour l’histoire sous la désignation du Black Maria, que l’on peut traduire en « Sinistre Marie », ainsi affublé du surnom péjoratif donné aux fourgons de police de New York, noirs et inconfortables. Le Black Maria est construit en matériaux légers (bois et papier goudronné), afin de pivoter aisément sur un rail circulaire qui oriente par rapport au soleil son toit ouvrant. Dickson tourne, de 1890 à septembre 1895, quelque 148 films[15], devenant ainsi le premier réalisateur de films.

 
Fred Ott éternue en plan rapproché et contre-plongée (1894).

Les sujets du kinétoscope sont tirés directement du cirque ou du music-hall : une Carmencita dévoile ses mollets en dansant le flamenco et une Fatima exécute une "Danse du Muscle" dans le titre original, autrement dit une danse du ventre, et ces deux films seront victimes de quelques désagréments de la part des censures locales. Une Princesse Ali du Caire viendrait d’Égypte et Hadj Cheriff, jongleur aux couteaux, fait froid dans le dos par son audace farouche, une supposée Danse impériale montre une chorégraphie qui se veut japonaise, une autre est une véritable Danse écossaise. Quant à la Danse du Papillon (et sa suite, dite Danse serpentine), elles sont les premiers essais de colorisation au pinceau de chaque photogramme, et le bel effet qu'elles produisent est aujourd'hui toujours agréable à l'œil. « Caïcedo, roi de la voltige (Caicedo, with Pole), enregistré à 40 images par seconde [parce qu'il y a trop de soleil], montre l'équilibriste sur une corde tendue derrière le Black Maria, et nous offre sauts et pirouettes en un ralenti de deux fois. Les acrobaties deviennent un véritable ballet aérien[16] ». Premier ralenti du cinéma...

Sandow, l’homme le plus fort du monde, où un culturiste allemand exhibe avec fierté son corps musclé, filmé lui aussi en plan américain, tandis qu’une contorsionniste anglaise, Bertoldi, se désarticule sur une table.

Les Chats boxeurs et Combat de coqs nous plongent dans les bas-fonds du Bronx.

Buffalo Bill, en personne, fait une apparition, tandis que les Indiens de sa troupe exécutent plusieurs danses rituelles, dont une Danse des bisons. Quant à la championne de tir Annie Oakley, elle atteint toutes ses cibles dans Annie Oakley tirant à la Winchester.

Les Forgerons au travail sont en réalité joués par des employés d’Edison, qui boivent une bière après quelques coups de marteau. Un autre employé, Fred Ott, éternue comiquement face à la caméra dans L'Éternuement de Fred Ott. Dickson, plein d’invention, le filme en légère contre-plongée, et le cadrage utilisé est le plan rapproché (à mi-poitrine) et là encore, c’est une première… Fred Ott clamera plus tard qu’il a été la première star du cinéma !

Pour citer l'historien du cinéma américain Charles Musser, « une profonde transformation de la vie américaine et de sa culture du spectacle, venait de commencer. »[17]

Succès du Kinétoscope

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Un kinetoscope parlor à San Francisco (1894).

En , en accord avec Edison, un kinetoscope parlor est ouvert au public par la famille Holland Bros, sur Broadway (New York), à l’angle de la 27e rue. On y trouve dix machines, disposées en deux lignes parallèles. Pour 25 cents, le spectateur peut voir tous les films de l'une des lignes, et pour 50, il a accès à l'ensemble des machines[18].

Vingt-cinq cents pour quelques minutes seulement, le divertissement n'est pas bon marché. Pour le même prix, il est à l'époque possible d'acheter un billet d'entrée pour un grand théâtre de vaudeville américain. De même, lorsque le premier parc d’attractions américain ouvre sur Coney Island, ces mêmes 25 cents donnent droit à trois attractions foraines, un spectacle d’otaries et l'accès à une salle de bal[19]. Mais la novation que représentent les premiers films explique l’engouement des spectateurs. « Ces vues eurent un succès énorme, quoiqu’elles fussent très petites à regarder, malgré leur verre grossissant ; mais leur finesse et leur sincérité étaient telles qu’on ne pouvait pas se lasser d’admirer cette illusion de la vie ! »[20]

La famille Holland organise des kinetoscope parlors à Chicago et San Francisco. Des entrepreneurs de spectacles, par exemple Raff et Gammon dans leur société, la International Novelty, ouvrent des salons de kinétoscopes dans tous les États-Unis. Après moins d'une année, le salon des Holland sur Broadway génère un revenu de 1 400 $ par mois, pour un coût mensuel de 515 $[21].

Les films présentés ne sont pas copiés sur la pellicule vendue par Eastman, dont les prétentions hégémoniques ont instauré un prix de vente au mètre relativement exorbitant, mais sur un support semblable fabriqué par la Blair Camera Company. Au bout des onze premiers mois de commercialisation, les films, et autres produits dérivés ont généré un bénéfice de plus de 85 000 $ pour l’Edison Manufacturing Company.

D’autres machines sont achetées par la toute récente Kinetoscope Company, qui signe avec Edison un contrat de fabrication. Pour chaque machine, Edison facture généralement 250 $ à la Kinetoscope Company comme aux autres, et chaque film est initialement facturé 10 $[22].

Kinétographe, kinétoscopes et boxe

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Leonard-Cushing Fight (Le Combat Leonard-Cushing), tourné en juin 1894.

Le , un match arrangé est organisé par Woodville Latham entre deux obscurs boxeurs, Michael Leonard et Jack Cushing, au studio Black Maria. D’un commun accord avec les boxeurs, il est décidé de limiter chaque round à une seule minute, ce qui correspond à la capacité maximale en pellicule vierge du kinétographe. Il est aussi précisé que les deux sportifs doivent observer un arrêt de sept minutes entre chaque round, afin de permettre à Dickson et Heise de recharger la caméra. En août, le film est présenté en avant-première dans le salon de la Kinestoscope Exhibition Company (Latham), au 83 Nassau Street, à New York. Chacun des six kinétoscopes est chargé d'un des six rounds du match, et le public doit s’acquitter d’une dime (1/10e de dollar) par appareil, soit soixante cents pour la totalité du match, qui se termine par le knockout de Cushing. Le succès est mitigé car les adversaires sont peu connus.

Corbett and Courtney Before the Kinetograph (Corbett et Courtney devant le Kinétographe) (1894).

Woodville Latham signe alors un contrat avec James J.Corbett[23], sacré champion du monde des poids lourds en 1892 après sa victoire sur la vedette John L.Sullivan. Le contrat stipule que Corbett ne doit tourner avec aucune autre compagnie de kinétoscope, un vrai contrat de star du cinéma, avant la lettre[24]. Le combat est organisé contre un pugiliste, Peter Courtney, et le contrat de Corbett précise que le champion du monde doit mettre K.O. son adversaire au terme du sixième round, pour la somme de 5 000 $. Le champion du monde est clairvoyant, il exige des royalties de 150 $ par semaine de présence dans les kinétoscopes Latham.

Dickson et Enoch J.Rector transforment le kinétographe et font fabriquer une commande de soixante-douze kinétoscopes capables de recevoir trois fois plus de pellicule que les appareils standards, soit un peu plus de trois minutes, ce qui est possible maintenant avec la toute nouvelle boucle de Latham[25]. Corbett et Courtney devant le Kinétographe est ainsi « mis dans la boîte ». Le projet de Woodville Latham est de présenter au public chaque round du match à quinze jours d’intervalle. Cette fois, le succès est au rendez-vous, et la presse rapporte en détail les péripéties du combat qui se termine comme prévu par le knock-out de Courtney. Comme l’arrangement semble évident, et que les combats de boxe rémunérés sont interdits dans le New Jersey, un juge de Newark lance une enquête, mais elle est balayée par l’absence de preuves et l’extrême popularité de ce match relayé par les kinétoscopes[26].

Kinétoscope et censures locales

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Carmencita (1894).

Carmencita était une étoile du music-hall new yorkais depuis le début des années 1890. Elle « communiquait une intense sensualité lors de son show, ce qui amena les journalistes à écrire de longues colonnes enflammées sur son spectacle, des articles qui seront plus tard reproduits dans le catalogue de films d'Edison[27] ». Le film Carmencita, tourné dans le Black Maria en , est présenté dans le New Jersey en période estivale, dans la station balnéaire d’Asbury Park. Le fondateur de la ville, James A. Bradley, également militant et membre de la communauté méthodiste, nouvellement élu sénateur, « avait été tellement choqué par la vue des dentelles et des chevilles nues de Carmencita, qu'il s'en plaignit auprès du maire Abraham Ten Broeck. On ordonna donc au tenancier du salon de retirer le film licencieux, qu'il remplaça par les Chats boxeurs », ainsi que le rapporte le quotidien Newark Evening News du [28]. Rappelons qu’à cette époque, les femmes portent toutes des robes longues qui les couvrent des pieds au menton. Leurs cheveux sont dissimulés en grande partie par un foulard ou un chapeau. Toute autre façon de se vêtir relève de la prostitution, ou du moins du domaine des femmes dites "faciles".

 
The Kiss (1896).

En , un exploitant de San Francisco est arrêté pour une représentation kinétoscopique « présumée indécente », toujours Carmencita. À l'origine de la plainte, la Pacific Society for the Suppression of Vice dont les cibles favorites sont la littérature licencieuse, les livres et images obscènes, la vente de morphine, de cocaïne, d’opium, de tabac, de spiritueux, et de billets de loterie, et qui revendique plus de soixante-dix arrestations et quarante-huit condamnations en seulement deux mois[29]. D’autres films sont visés par les attaques censoriales locales. « La danseuse Fatima, que l’on avait placée devant un décor exotique pour qu’elle exécute une "danse du muscle", autrement dit une danse du ventre, avait effrayé les censeurs puritains qui avaient exigé qu’elle soit en partie dissimulée par la surimpression de caches photographiques noirs, positionnés l’un au niveau du bas-ventre, le second au niveau des seins, deux parties de sa personne que Fatima savait si bien remuer. Heureusement, l’original non censuré a été aussi conservé[30] ».

En 1896, William Heise, ancien assistant de Dickson, qu’il remplace auprès d’Edison après leur brouille, tourne Le Baiser de Rice-Irwin (The Kiss), qui montre en plan mi-moyen le couple de comédiens quadragénaires qui triomphe à Broadway, interprétant devant le kinétographe les dernières répliques de leur pièce et le baiser final. Ce chaste baiser est pourtant reçu comme une obscénité scandaleuse qui provoque de véritables manifestations pour en interdire le passage dans les kinetoscope parlors[30].

Reproductions du Kinétoscope

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Publicité annonçant l’inauguration officielle du premier kinetoscope parlor à Londres, le 17 octobre 1894.

Les acheteurs se présentent, nombreux, la commercialisation du kinétoscope est une brillante réussite. Franck Z. Maguire et Joseph D. Baucus, deux commerçants qui possèdent la Continental Commerce Company, obtiennent d’Edison l’exclusivité des ventes du kinétoscope en Europe[26], et ouvrent aussitôt un kinetoscope Parlor à Londres, le , bientôt suivis de Georges Georgiades et George Tragides, grecs d’origine, qui acquièrent à leur tour plusieurs kinetoscope parlors dans la capitale anglaise, et ceci avec un contrat en bonne et due forme en poche.

À Paris, à l’automne 1894, une série de démonstrations ont lieu au no 20 du boulevard Poissonnière. Antoine Lumière, le père d'Auguste et Louis Lumière, assiste à l’une d’entre elles, « émerveillé par le Kinétoscope d’Edison[31] », Antoine revient à Lyon et, convaincu que les vues photographiques animées sont un marché prometteur à prendre dès maintenant, il demande à ses fils de suspendre leurs recherches sur les plaques couleur sèches (que les deux frères lanceront en 1903 sous l'appellation d'autochromes Lumière, l'un des succès financiers de la société Lumière) pour se consacrer à l’étude d’une machine à enregistrer des bandes image en mouvement, à l’imitation de celles qu’il a pu admirer à Paris.

Thomas Edison, que l’on présente sous deux aspects, ange ou démon (Gordon Hendricks, historien américain du cinéma et universitaire du milieu du XXe siècle, va même jusqu’à écrire un livre dont le seul but est de dénigrer l’inventeur[32]) est à propos de son kinétoscope d’une étrange négligence. Lui qui est un adepte de la protection par brevets, aussi bien pour protéger ses propres inventions que pour les améliorations qu’il apporte aux inventions d’autres chercheurs, lui qui a déposé aux États-Unis et à l'étranger diverses demandes de brevets sur les perforations rectangulaires des films et sur le kinétographe, il se contente de dépôts de demandes de brevets sur le seul sol américain pour ce kinétoscope, qu’il envoie cependant en démonstration dans le monde entier. Il faut se rappeler qu’Edison s’est lancé dans la production d’images photographiques animées pour réaliser un vieux rêve : coupler l’image et le son. Or, à son avis, le kinétoscope est une machine en devenir, et non pas un procédé abouti.

Les détracteurs d’Edison soutiennent que le fait qu’il n’ait pas déposé de demandes de brevet à l'étranger (un simple supplément de 150 $) pour le kinétoscope prouve qu’il n’était pas persuadé lui-même de l’originalité de son appareil. De là à penser qu’il l’avait copié[33]… Mais ce serait oublier que l’invention principale d’Edison et de ses employés est celle de la première caméra de cinéma : le kinétographe, qui fonctionne à merveille, mais dont il refuse de vendre des exemplaires. Pour le reste, Edison pense qu’il saura avec Dickson développer un système de visualisation plus performant que les versions du kinétoscope qu’il divulgue alors.

En tout cas, il est loin de se douter de ce qui va suivre la présentation du kinétoscope à Londres. Lorsqu’ils apprennent l’inexistence de brevets à l'étranger protégeant la machine, Georgiades et Tragides estiment que leur contrat avec Edison est léonin et sans objet, et commandent aussitôt à l'inventeur et fabricant anglais Robert W. Paul d’en réaliser des reproductions, qu'ils revendent dans le monde entier.

Après avoir rempli son contrat auprès de Georgiades et Tragides, Robert W. Paul décide d'entrer lui-même sur ce marché florissant, produisant pour son propre compte quelques douzaines de copies de kinétoscope. Pour alimenter ces machines avec de nouveaux programmes, Paul devient le premier réalisateur britannique après avoir mis au point avec le chercheur Birt Acres un appareil de prise de vues original qui tourne le premier film anglais le , pratiquement en même temps que naissent les premières projections des « vues photographiques animées » de Louis Lumière. Les films sont visualisés sur les kinétoscopes maison, et Paul complète son arsenal en en lançant son appareil de projection, le Theatrograph, muni de deux croix de Malte (dont son ami Georges Méliès achète aussitôt un exemplaire pour en faire... sa première caméra, après quelques bricolages[34]).

L'impasse du Kinétophone

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Utilisateur du kinétophone muni d’écouteurs acoustiques (identiques au stéthoscope inventé depuis le milieu du XIXe siècle) qui propagent le son du phonographe à cylindre situé avec l’image à l’intérieur du coffre (1895).

Le Kinétophone (ou Phonokinétoscope, ou, ainsi que le désigne Dickson, le Kinéto-Phonographe) est la tentative, signée Edison, de visualisation individuelle d’un film sur un kinétoscope, associée à l’audition d’un cylindre de cire gravé, lu sur un phonographe. Le célèbre ingénieur du son Mark Ulano (British Academy Film Award du meilleur son pour Titanic en 1997) écrit à ce propos :

« Seuls quarante-cinq kinétophones furent construits. Aucun n'a jamais été synchronisé autrement que par les démarrages au même instant du phonographe et du kinétoscope lui-même, et leur arrêt simultané à la fin du film[35]. »

Le premier film tourné pour ce procédé audio-visuel est conservé sous le titre Dickson Experimental Sound Film et date de 1895. On y voit Dickson en personne qui « interprète au violon une ritournelle du compositeur français Jean-Robert Planquette, il n’est pas très bon violoniste et ça grince un peu. Pourtant, cet essai signe le premier film sonore. Dickson joue devant une sorte de grand entonnoir destiné à récolter le son. »[36] C'est le seul film réalisé pour le projet car, en , lorsque la société Edison Manufacturing Studios met cet appareil sur le marché, les films joints sont des films muets figurant déjà dans le catalogue Edison, et les exploitants doivent se contenter de choisir parmi une gamme de cylindres celui qui leur convient pour offrit un semblant de rythme avec l'image[37]. Par exemple, trois cylindres différents sont proposés pour accompagner Carmencita : Valse Santiago, La Paloma et Alma-Danza Spagnola.

Essai de film sonore synchrone de Dickson (1895). La bande image était conservée dans le fonds Edison de la Bibliothèque du Congrès, et un cylindre de cire gravé l’était dans la collection Edison National Historic Site. Le rapprochement des deux supports date des années 1990. L’air joué au violon est une barcarolle, La Chanson du mousse (Acte I, scène 1, air no 3), tirée de Les Cloches de Corneville (« Va, petit mousse, le vent te pousse… »).

Ayant échoué avec le kinétophone, Edison déposera plus tard un brevet concernant un système de synchronisation reliant un appareil de projection et un phonographe. Dans le kinétophone, le son et l’image sont rassemblés dans un même lieu : le coffre de l’appareil. En projection, la problématique est différente : l’appareil de projection, situé derrière les spectateurs, est séparé du phonographe qui est situé impérativement au pied de l’écran pour diffuser le son face aux spectateurs (les premiers rangs sont seuls à profiter d’un son correct, les rangs du fond entendent moins bien car il n’existe pas encore d’amplification autre que les pavillons en forme de trompe). L’astuce d’Edison est de relier mécaniquement les deux appareils, éloignés l’un de l’autre, par une tige métallique articulée d’autant de cardans que nécessaire pour traverser la salle, de la cabine de projection à l’écran[38].

En 1914, un incendie éclatera dans le complexe Edison de West Orange et détruira tous les films et les enregistrements sonores, mettant un point final aux essais d’Edison pour marier le son et l’image[39]

En 1895, la brouille entre Thomas Edison et William Dickson est désormais publique. Déjà, en 1893, Dickson revendique en vain une reconnaissance plus appuyée de la part d’Edison. Le refus implicite et humiliant de l'industriel le pousse à aider en secret Woodville Latham et un peu plus tard à se joindre à ses recherches au bénéfice de l’entreprise Lambda qui veut développer un « Kinétoscope de projection ». Ce transfert de technologie à moitié souterrain est justifié par le journaliste Gordon Hendricks dans sa diatribe de 1996 contre Edison, Le Mythe du cinéma d’Edison (The Edison Motion Picture Myth, op. cit.), persuadé que Dickson serait le seul inventeur des machines que signe Edison qui détournerait ainsi à son seul profit les découvertes d’autrui.

L’historien du cinéma américain Charles Musser est très critique en ce qui concerne les assertions de Hendricks, notant que si le journaliste avance avec pertinence certains indices qui vont dans le sens de sa démonstration, il « regrette l’attitude hargneuse anti-Edison qui décrédibilise ses conclusion. »s[40] D’autre part, il faut rappeler qu’Edison a signé une préface élogieuse de la brochure rédigée par Dickson et sa sœur Antonia (qui a colorié à la main la Danse du papillon d’Annabelle, premier essai de film couleur), soulignant notamment que « l’historique de l’invention [du Kinétographe, du Kinétoscope et du film 35 mm perforé] reçoit mon accord le plus complet. Les auteurs sont particulièrement bien qualifiés pour décrire la part exceptionnelle qu’a prise M. Dickson dans la réalisation de ces travaux. »[6]

Un désaccord plus profond peut être énoncé, qui est le refus systématique et borné d’Edison de toute recherche dans le sens d’une possibilité de projeter sur grand écran les premiers films du cinéma, ainsi que le lui suggère Dickson dès 1894, ce qui ne lui posait aucun problème de conception. Le grand inventeur américain manque à ce sujet de clairvoyance quand il explique ses raisons : « Non, si nous fabriquons ces projecteurs d'images, comme vous nous le demandez, nous gâcherons tout. Nous produisons ces [kinétoscopes] et nous en vendons beaucoup, pour un bon profit. Si nous lançons ce projecteur, il n'y en aura peut-être plus besoin que de 10 pour l'ensemble des États-Unis. Avec un tel nombre de projecteurs, vous pourriez montrer les images à tout le monde dans le pays — et ensuite, ce serait fini. Ne tuons pas la poule aux œufs d'or[41]. »

Sous la pression continuelle de Raff, son responsable financier, Edison accepte finalement d'étudier la possibilité de développer un procédé de projection. Sans en informer Dickson, il délègue l'un de ses techniciens de la Kinetoscope Co pour commencer le travail, ajoutant ainsi un grief aux revendications de son bras droit, et une raison supplémentaire à leur rupture[42].

Mutoscope, Eidoloscope, Cinématographe contre Kinétoscope

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Mutoscope ouvert (1896).

Au cours de l'année 1895, ce n’est pas le cinématographe qui menace le kinétographe et le kinétoscope et le quasi-monopole de ce dernier dans le monde du cinéma : c’est un nouveau procédé, plus onéreux à la prise de vues, mais infiniment plus économique dans sa présentation au public. Ce couple caméra-appareil de vision est le fruit du « groupe K.M.C.D. », ainsi que se surnomment ses initiateurs : K comme Elias Bernard Koopman (financier), M comme Harry Norton Marvin (financier), C comme Herman Casler (inventeur) et D comme… William Dickson (inventeur). Réunis dans l’American Mutoscope Company, ils financent et fabriquent une caméra : le Mutographe, qui diffère totalement du kinétographe. Chargé avec une pellicule de 68 mm de large, cet appareil de prise de vues fournit un négatif de plus grande définition par rapport à un négatif de 35 mm. La pellicule vierge, non perforée, est entraînée par friction jusqu’au couloir et à la fenêtre de cadrage du film. À cet instant, le film est immobilisé par le couloir qui se referme sur lui pour assurer la planéité du support et l’exposition du photogramme. En même temps que le couloir se referme, un double poinçon perfore la pellicule sur ses bords, permettant ainsi de repérer sur le négatif les cadres séparateurs des différents photogrammes. Après l’exposition, le couloir se desserre, libérant la pellicule qui avance d’un pas, avant le prochain photogramme, et ceci à raison de douze à vingt clichés à la seconde.

Mais les copies ne sont pas faites sur pellicule de cinéma, chaque photogramme est reproduit sur du papier de tirage positif photographique cartonné et le Mutoscope, l’appareil qui permet de visionner ces tirages cartonnés, les effeuille un par un à la manière d’un folioscope. C’est une machine très rudimentaire, beaucoup moins chère à l’achat qu’un kinétoscope, mais efficace, simple à mettre en exploitation et d’un entretien des plus faciles. Comme pour le kinétoscope, le spectateur observe le film à travers un œilleton, et c’est lui qui entraîne à l’aide d’une manivelle la ribambelle de cartons disposés en éventail, éclairés au niveau de l'œilleton par une petite lampe. Les mutoscopes résistent à la pression des cinématographes et, en deux années de concurrence, ils font chuter les profits engendrés par les kinétoscopes Edison de 50 000 $ à 4 000 $.

 
Les sujets du Mutoscope n’hésitent pas à flatter le goût populaire pour le sexe et la violence.

L’American Mutoscope Company encaisse des profits substantiels qui en font une société puissante qui plus tard absorbe la Biograph Company et devient l’American Mutoscope & Biograph Company, appelée plus souvent tout simplement Biograph Co, l’une des premières « majors » américaines[43]

Le , deux mois après la projection privée de Louis Lumière devant un parterre restreint de savants de la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale, mais quatre mois avant la première projection privée à La Ciotat, et sept mois avant la première projection publique payante du Cinématographe, les Latham qui ont développé leur système de projection, l’Eidoloscope, avec l’aide de Dickson et du Français Eugene Lauste, un assistant de Dickson, organisent à New York une première projection publique payante sur grand écran, représentant un combat de boxe de quatre minutes, entre le jeune Griffo et Charles Barnett[44],[45],[46].

 
Le Kinestoscope de projection.
 
Le Home Projecting kinetoscope.

Face au déferlement du mutoscope et à la pression des projections Lumière, Edison ne peut prendre le risque d’un délai supplémentaire pour mettre au point son propre système de projection. Il préfère couper court, en acquérant les brevets d’un appareil de projection existant, le Phantascope, conçu par Charles Francis Jenkins et Thomas Armat, deux jeunes inventeurs qui n’arrivent pas à développer la commercialisation de leur machine, et qui se sont endettés au-delà de leurs possibilités de remboursement. Edison rachète l’appareil et, en contrepartie du remboursement de toutes leurs dettes, exige par contrat qu’ils renoncent à la paternité du phantascope (une méthode que l’on peut assimiler à l’usage très courant en littérature des ghost writers (écrivains fantômes)[47] pour écrire à la place de vedettes du show-biz ou de la politique, des livres dont le véritable auteur s’interdit par contrat – et compensation financière – de dévoiler son nom à la presse). Le phantascope devient ainsi un produit Edison sous le nom de Vitascope, et il est exploité avec succès durant quelques années avant qu’Edison ne lance ses propres systèmes de projection, d’abord le Projectoscope, et ensuite les diverses déclinaisons du kinétoscope (devenu à son tour appareil de projection) jusque dans les années 1910, telles que le « Projecting kinetoscope » pour les salles, puis le « Home Projecting kinetoscope » utilisant une pellicule spéciale de 22 mm de large, comportant l’impression de trois films côte à côte, dans la largeur de la pellicule, par souci d'économie puisque cet appareil est destiné à projeter des films dans un cadre familial.

Notes et références

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(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Kinetoscope » (voir la liste des auteurs).
  1. (en) John Barnes (dir.), The Beginnings of the cinema in England : 1894-1901, vol. 1 : 1894-1896, Exeter (Devon), University of Exeter Press, (1re éd. 1976), 294 p. (ISBN 978-0-85989-954-3), préface.
  2. (en) William K.L. Dickson & Antonia Dickson, préface de Thomas Alva Edison, « History of the Kinetograph, Kinetoscope and Kineto-Phonograph », facsimile edition, The Museum of Modern Art, New York, 2000 (ISBN 0-87070-038-3).
  3. (en) Patrick Robertson, « Film Facts », New York, Billboards Books, 2001 (ISBN 0-8230-7943-0).
  4. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, , 588 p. (ISBN 978-2-84736-458-3), p. 32.
  5. Maurice Trarieux-Lumière (entretien avec le petit-fils de Louis Lumière, président de l'association Frères Lumière), La Lettre du premier siècle du cinéma no 7, association Premier siècle du cinéma, supplément à la Lettre d'information du ministère de la Culture et de la Francophonie no 380, du 3 décembre 1994 (ISSN 1244-9539). Page 9.
  6. a et b Dickson et 2000 Préface Edison.
  7. Briselance et Morin 2010, p. 15.
  8. Jacques Ducom et Georges Demenÿ (citation texte), Le Cinématographe scientifique et industriel, Paris, éditions Albin Michel, , 510 p., p. 20.
  9. (en) Charles Musser, History of the American Cinema, Volume 1, The Emergence of Cinema, The American Screen to 1907, New York, Charles Scribner’s Sons, , 613 p. (ISBN 0-684-18413-3), p. 67.
  10. Dickson 2000, p. 53.
  11. Musser 1990, p. 66-67.
  12. Georges Sadoul, Histoire du cinéma mondial, des origines à nos jours, Paris, Flammarion, , 719 p., p. 11.
  13. Laurent Mannoni, La Machine cinéma, Paris, Lienart & La Cinémathèque française, , 307 p. (ISBN 9782359061765), p. 38.
  14. Briselance et Morin 2010, p. 26.
  15. Mannoni 2016, p. 38.
  16. Briselance et Morin 2010, p. 27.
  17. Musser 1990.
  18. Pour en savoir plus sur la famille Holland, voir Peter Morris, Embattled Shadows : A History of Canadian Cinema, 1895 - 1939 (Montréal et Kingston, Canada, Londres, Buffalo, et New York : McGill - Queen's University Press, 1978), page 6 à 7. Morris déclara qu'Edison lui avait vendu les kinétoscopes pour 200 $ pièce. Mais en fait, en général, le prix avoisinait les 250 $.
  19. Grieveson et Krämer (2004), page 34; Cross et Walton (2005), page 39.
  20. Jacques Ducom, Le Cinématographe scientifique et industriel, Paris, éditions Albin Michel, , 510 p., p. 41.
  21. Analyse financière fondée sur le livre de Musser (1994), page 81.
  22. (en) Gordon Hendricks, The Kinetoscope: America's First Commercially Successful Motion Picture Exhibitor, New York, Theodore Gaus' Sons, 1966 (réimpr. 1972) (ISBN 0-4050-3919-0).
  23. James J.Corbett est plus connu par son surnom, Gentleman Jim, qui est aussi le titre du film de Raoul Walsh de 1942, consacré au boxeur interprété par Errol Flynn
  24. Musser 1990, p. 82-83.
  25. Cf Woodville Latham
  26. a et b Musser 1990, p. 84.
  27. (en) Allan Karcher, « New Jersey’s Multiple Municipal Madness », New Brunswick, New Jersey, et Londres, Rutgers University Press, 31 janvier 1998, (ISBN 0-8135-2565-9),320 pages
  28. (en) Gordon Hendricks, « The Kinestoscope : America’s First Commercially Sucessful Motion Picture Exhibitor », New York, Theodore Gaus' Sons, 1996 (réimpr. 1972), (ISBN 0-4050-3919-0).
  29. (en) Vanessa R. Schwartz, Spectacular Realities : Early Mass Culture in Fin-de-siècle Paris, Paris, Los Angelès et Londres, Presse de l’université de Californie, 1998 (réimpr. 1999), (ISBN 0-5202-2168-0).
  30. a et b Briselance et Morin 2010, p. 72.
  31. Maurice Trarieux-Lumière (entretien avec le petit-fils de Louis Lumière, président de l'association Frères Lumière), « La Lettre du premier siècle du cinéma no 7  », association Premier siècle du cinéma, supplément à la Lettre d'information du ministère de la Culture et de la Francophonie no 380, du 3 décembre 1994 (ISSN 1244-9539).
  32. (en) « The Edison Motion Picture Myth », Presse de l’Université de Californie, Berkeley et Los Angelès, 1961
  33. (en) Andrew J. Rausch, « Turning Points in Film History », New York, Citadel Press, 2004, (ISBN 0-8065-2592-4).
  34. Mannoni 2016, p. 44.
  35. (en) Mark Ulano (CAS), « The Movies Are Born a Child of the Phonograph, partie du site FilmSound.org » (consulté le ).
  36. Briselance et Morin 2010, p. 159.
  37. (en) Terry Ramsaye, « A Million and One Nights : A History of the Motion Picture Through 1925 », New York, Touchstone, 1926 (réimpr. 1986) (ISBN 0-6716-2404-0).
  38. (en) Gordon Hendricks, « The Kinetoscope : America’s First Commercially Successful Motion Picture Exhibitor », op. cit..
  39. (en) Rick Altman, « Silent Film Sound », Washington, Presse de l’université Columbia, 8 décembre 2004 (ISBN 0-2311-1662-4) 528 pages
  40. Musser 1990, p. 64.
  41. (en) Charles Musser, « Introducing Cinema to the American Public : The Vitascope in the United sates, 1896-1897 », in « Moviegoing in America : A Sourcebook in the History of Film Exhibition », Maiden, Massachusetts et Oxford, Blackwell, 2002 (ISBN 0-6312-2591-9), p. 13 et 14.
  42. (en) Terry Ramsaye, « A Million and One Nights : A History of the Motion Picture Through 1925 », chap.9, op. cit.
  43. Musser 1990, p. 145 à 148.
  44. (en) Terry Ramsaye, « A Million and One Nights : A History of the Motion Picture Through 1925 », chapitre 9 à 10, op. cit.
  45. Musser 1990, p. 92-93.
  46. (en) H Mark Gosser, « Selected Attempts at Stereoscopic Moving Pictures and Their Relationship to the Motion Pictures Technology, 1852-1903, pages 228 et 229, New Yok, Ayer co pub, septembre 1977, (ISBN 0-4050-9890-1), 340 pages (Il existe de vieilles revendications à propos d'un homme, Jean Acmé Leroy, qui aurait projeté des films à New York à un public d’invités, en février 1894, puis aux frais de ses clients du New Jersey, en février 1895. Aucune preuve n’est apportée à ses allégations.)
  47. Le ghost writer est nommé en France : « nègre », réminiscence malheureuse de l’empire colonial français

Voir aussi

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Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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