Insurrection malgache de 1947

soulèvement indépendantiste malgache contre la France
Insurrection malgache de 1947
Description de cette image, également commentée ci-après
Monument malgache commémorant le soulèvement.
Informations générales
Date -
Lieu Madagascar
Issue Répression française
Belligérants
Drapeau de la France France MDRM
Forces en présence
7 000 à 30 000 hommes inconnues
Pertes
590 citoyens français (dont 350 soldats coloniaux)
1 900 partisans du PADESM tués[3]
inconnues

11 342 à 89 000[1],[2] Malgaches, civils et combattants, tués

L'insurrection malgache de 1947 est une insurrection qui eut lieu en 1947 et 1948 sur l'île de Madagascar, alors colonie française. Elle est souvent considérée, après la crise indochinoise qui éclata en , comme l'un des signes avant-coureurs de la décolonisation en Afrique francophone.

Le soulèvement occasionne la mort de 150 colons français et Malgaches non-indépendantistes, et est suivi d'un massacre conduit par l'armée française qui fit plusieurs milliers de morts, en incluant de nombreux déplacés morts de faim. Le nombre de victimes, directes et indirectes, fait encore débat parmi les historiens, le chiffre variant de 11 000 à 100 000 morts.

Cette tuerie est commémorée par un jour de deuil national à Madagascar chaque depuis 1967[4],[5],[6].

Contexte modifier

À la suite de la Seconde Guerre mondiale, le prestige du colon s'est grandement amoindri parmi les indigènes. De plus, le travail forcé est rétabli dans toute sa rigueur (les indigènes sont réquisitionnés pour 12 mois à des salaires de misère) et les récoltes de riz sont réquisitionnées à des prix dérisoires ; le marché noir prospère. Tout cela concourt à la crise du niveau de vie, ce qui augmente le mécontentement[7].

Insurrection modifier

L'insurrection éclate à la suite de réquisitions durant la Seconde Guerre mondiale, des travaux forcés et des pénuries alimentaires.

La lutte pour l'indépendance est active à travers le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM) et des sociétés secrètes de libération[8]. À la fin de , ce qui n'était qu'une sorte de jacquerie animée par des sociétés secrètes se transforme en une révolte contre l'ordre colonial. Les insurgés, initialement au nombre de 2 000, voient rapidement leurs effectifs augmenter, rejoints par des paysans du Sud de l'île. Ils sont bientôt 20 000 environ. Munis de sagaies, de couteaux et de haches, de talismans, de potions magiques concoctées par des sorciers, ils attaquent de nuit les maisons françaises. Quelque 35 000 colons habitent alors Madagascar.

L'insurrection débute dans le quart sud de l'île[9] et sur la côte sud-est. Elle s'étend jusqu'à la région de Tananarivo dans le Centre et à toute la région des hautes terres, de Fianarantsoa au lac Alaotra, au nord de Tananarivo en [9]. Les insurgés s'en prennent aux Français mais aussi aux Malgaches travaillant pour l'administration coloniale[9]. Ainsi environ 1 900 partisans du Parti des déshérités de Madagascar (PADESM) sont tués[9].

Répression modifier

Les troupes françaises dont les principales forces terrestres sont constituées de trois bataillons de tirailleurs malgaches sont environ 8 000 dans l'île au début de l'insurrection. En un an, le contingent est porté à 18 000 hommes[9]. Ces chiffres sont contestés par l'historien Jean Fremigacci qui compte 3 000 militaires en mars et 7 000 au plus fort de la répression[10]. Viendront en renfort de à sept bataillons (2e bataillon du 4e régiment étranger d'infanterie, 1er bataillon du 1er régiment de tirailleurs marocains, deux bataillons du 2e régiment de tirailleurs marocains, deux bataillons de tirailleurs sénégalais et du 1er escadron du 2e régiment étranger de cavalerie)[11] et, entre autres, une vingtaine d'avions de transport Amiot AAC.1 Toucan servant de bombardiers de fortune[12]. Un pont aérien entre la France et Madagascar de 20 rotations de Junkers Ju 52, 11 de Handley Page Halifax et de 4 de C-47 Dakota a lieu[13].

L'insurrection recule dès devant l'Armée française. La répression est telle que certains historiens la qualifient de guerre coloniale[9]. Les massacres sont nombreux, touchant largement la population civile[9]. Dans le village de Moramanga, les militaires français tirent sur trois wagons plombés où étaient enfermés 166 insurgés prisonniers, craignant une tentative de leurs camarades pour les libérer. Un haut fonctionnaire évoque un « Oradour malgache ». Certains prisonniers furent victimes des tout premiers vols de la mort, comme « bombes administratives[14][réf. à confirmer] ».

Les troupes coloniales mettent un an pour venir à bout de la guérilla qui ne se terminera qu'à la fin de l'année 1948[15],[16]. Les trois élus du MDRM, parti pourtant hostile à l'insurrection, à l'Assemblée nationale, Joseph Ravoahangy[17], Jacques Rabemananjara[18] et Joseph Raseta[19], sont arrêtés malgré leur immunité parlementaire — ils n'en sont déchus que quelques semaines plus tard. Raseta et Ravoahangy sont condamnés à mort lors du « procès des parlementaires » ; leur peine est commuée par la suite en prison à vie[20],[6].

L'ordre colonial règne de nouveau à Madagascar. En , François Mitterrand, alors ministre de la France d'outre-mer, indique dans un discours que l'« avenir de Madagascar est indéfectiblement lié à la République française »[9]. Madagascar n'accède à l'indépendance qu'après la fin de IVe République et la création de la Communauté française en 1960.

Nombre de victimes modifier

L'évaluation officielle des victimes de la « pacification » continue à faire débat. La puissance coloniale cherche à diminuer le nombre des victimes afin de minimiser sa responsabilité. Les dirigeants du pays devenu indépendant, instrumentalisent un sentiment « victimaire » pour faire adhérer la population à la « construction nationale » et des historiens militants instruisent le procès de l'ancienne puissance coloniale, sans critique de chiffres parfois très fantaisistes. Mais personne ne remet en question la violence de la répression[21],[22].

Une mission d'information de l'Assemblée de l'Union française fin 1948 établit un premier bilan à 89 000 morts[9],[21],[23] (soit plus de 2 % de la population malgache de l'époque). Ce nombre fourni par l'état-major français par différence du nombre d'habitants avant et après la répression[24], est repris plus tard par Jacques Tronchon dans L'insurrection malgache mais contesté par Jean Fremigacci[21], pour qui « de tels chiffres sont loin de la réalité : il a pu y avoir jusqu'à 40 000 morts à Madagascar en 1947-1948. Mais plus des trois-quarts sont imputables à la maladie et à la malnutrition qui ont frappé des populations en fuite, le plus souvent sous la contrainte des insurgés »[25]. » Les autorités coloniales, de leur côté révisent à la baisse cette estimation et fixent officiellement en 1950, le bilan à 11 342 morts[9],[21] (un rapport de 1952 faisait état de « 5 126 rebelles tués et de 5 390 civils morts de faim et de froid dans la forêt », ces derniers ayant simplement fui les affrontements entre insurgés locaux et militaires français[26]) ; au contraire, des analystes malgaches et étrangers réévaluent les pertes humaines à 100 000 à 200 000 morts[27],[28].

Le nombre de victimes comprend une grande majorité de Malgaches, tués lors des affrontements, fusillés avec ou sans procès, morts dans les camps d'internement, d'épuisement ou de faim. Le gros des pertes eut lieu dans les zones tenues par les insurgés, la plupart des 20 à 30 000 victimes de malnutrition et de maladie étant des familles paysannes prises entre les forces coloniales et les insurgés et chassées par la guerre, sans ressources, dans les forêts[27]. Parmi les morts malgaches, quelques milliers ont été tués par les insurgés[27], car ils faisaient partie des forces de l'ordre ou de l'administration coloniale… ou en étaient accusés sur une simple rumeur. Plusieurs centaines de tirailleurs sénégalais périrent aussi, ainsi que les colons français massacrés dans des conditions atroces (viols, décapitations, tortures)[27][réf. à confirmer]

Réactions modifier

 
Jean Ralaimongo (1895-1944).
 
Monja Jaona (1910-1994) en 1945.

Madagascar modifier

Le MDRM, formation politique légale qui milite pour l'indépendance dans le cadre de l'Union française et a trois députés au parlement français, désavoue l'insurrection et fustige les « crimes barbares ». Ses dirigeants lancent un appel au calme. Comme souvent dans les situations révolutionnaires, celui qui prêche la modération devient la cible des attaques de tous bords : le MDRM est interdit et ses chefs arrêtés par l'administration coloniale[22].

Certains colons demandent plus de fermeté, des distributions d'armes, la proclamation de l'état de siège et des exécutions d'otages publiques. D'autres, relativement plus modérés, demandent la révocation des fonctionnaires métropolitains, jugés trop laxistes et « grandes oreilles », et leur remplacement par des colons locaux. On demande la révocation de Coppet, jugé trop laxiste, tel que pour la Ligue de défense des intérêts franco-malgaches, fondée pour s'opposer à sa nomination, dont un représentant affirmait œuvrer à son renversement, « mais que M. de Coppet se rassure, pas par les mêmes moyens qu'à Moramanga[Note 1]. Nous ne sommes pas des sauvages[29],[30]. »

France modifier

En France, les fonctions ministérielles les plus importantes sont occupées par des représentants de la SFIO : Paul Ramadier est président du Conseil, Marius Moutet est ministre de la France d'outre-mer, Marcel de Coppet est haut-commissaire à Tananarive. Le Mouvement républicain populaire (MRP, démocrates-chrétiens) soutient la répression et renchérit. Le MRP Pierre de Chevigné devient haut-commissaire pour étendre la répression, en remplacement de Marcel de Coppet, jugé trop modéré. L'opposition gaulliste exige des châtiments. Les communistes critiquent la répression. Le journal L'Humanité est l'un des rares titres de presse à se faire l'écho des premières informations sur l'étendue des massacres et sur les pratiques répressives de l'armée française[31][14].

À la Chambre, le député communiste Georges Gosnat dénonce « les arrestations, les sévères représailles, l'état de siège » (). Il demande l'envoi immédiat d'une commission parlementaire d'enquête. Le PCF se trouve pourtant dans l'embarras : il est encore membre, pour quelques semaines, du gouvernement. Le 16 avril, en Conseil des ministres, un violent incident a lieu. Maurice Thorez et ses camarades, en désaccord sur la méthode employée à Madagascar, quittent la réunion en claquant la porte. Les divergences entre le PCF et ses partenaires gouvernementaux éclatent au grand jour, mais les communistes restent alors attachés à une notion d'Union française qu'ils souhaitent « libre et fraternelle »[31].

 
Monument à Toliara
 
Monument à Moramanga
 
Monument à Moramanga

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Ceci n'est pas une référence au massacre de Malgaches dans des wagons mais à des massacres de colons par les insurgés.

Références modifier

  1. John Gunther, Inside Africa, 588 p..
  2. Monique Mas, « Pour Chirac, la répression de 1947 était « inacceptable » », Radio France internationale, .
  3. « Madagascar se souvient de l'insurrection de 1947 et des massacres du corps expéditionnaire français », Le Monde,‎ (lire en ligne [archive du ]).
  4. Questions à Jean Roland Randriamaro, docteur en histoire.
  5. Séverine Awenengo, Pascale Barthelemy, Charles Tshimanga, « Écrire l'histoire de l'Afrique autrement », Cahier no 22, Collectif, éditions L'Harmattan, septembre 2004.
  6. a et b « Madagascar célèbre pour la première fois l'anniversaire de la rébellion de 1947 », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  7. Honorin 1971, p. 41-45
  8. « 29 mars 1947 - Révolte à Madagascar - Herodote.net », sur www.herodote.net (consulté le )
  9. a b c d e f g h i et j Caroline Bégaud, Éric Lafon, Tramor Quemeneur, Laure Pitt, « Madagascar fiche 55, L'insurrection », p. 207, 100 fiches d'histoire du XXe siècle, Éditions Bréal, 2004 (ISBN 9782749503417).
  10. Jean Fremigacci, « Bataillons marocains en 1947-1948 à Madagascar », dans Frédéric Garan, Défendre l'Empire : des conflits oubliés à l'oubli des combattants, 1945-2010, Vendémiaire, (ISBN 978-2-36358-077-1 et 2-36358-077-X, OCLC 858201682, lire en ligne)
  11. Charles Janier, Dictionnaire Opex : Opérations extérieures de l'armée française depuis 1945, Éditions SPE Barthélémy, , 105 p. (ISBN 979-10-94311-05-9), p. 5.
  12. Arnaud, « Amiot AAC-1 Toucan », sur www.avionslegendaires.net, (consulté le ).
  13. Jean Pierre Pénette, Christine Pénette Lohau, Le livre d'or de l'aviation Malgache, mars 2005
  14. a et b Honorin 1971, p. 57-60
  15. Christine Messiant, « Tronchon, Jacques. - L'insurrection malgache de 1947. Essai d'interprétation historique », Cahiers d'Études africaines, vol. 16, no 63,‎ , p. 649–650 (lire en ligne, consulté le )
  16. Site rfi.fr, article « Il y a 70 ans, les Malgaches s'insurgeaient contre le pouvoir colonial français », consulté le 19 novembre 2020
  17. biographie sur www.assemblee-nationale.fr.
  18. biographie sur assemblee-nationale.fr.
  19. biographie sur www.assemblee-nationale.fr.
  20. « UN ANNIVERSAIRE : le 29 mars 1947 à Madagascar ou une affaire Dreyfus à l'échelle d'un peuple », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. a b c et d Michelle Zancarini-Fournel, Les luttes et les rêves : Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, Éditions La Découverte, , 995 p. (ISBN 978-2-35522-088-3), chap. 15 (« Années noires, années rouges (1939-1948) »), p. 700.
  22. a et b « En 1947, l'armée française réprimait violemment l'insurrection malgache », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  23. Ariane Bonzon, « À Madagascar aussi la France coloniale a sévi, mais qui s'en souvient ? », sur Slate.fr,
  24. Jean-François Zorn, « L'insurrection malgache de 1947. Implications et interprétations protestantes », Histoire monde et cultures religieuses, vol. n°14, no 2,‎ , p. 13 (ISSN 1957-5246 et 2264-4938, DOI 10.3917/hmc.014.0013, lire en ligne, consulté le )
  25. Jean Fremigacci, « L'anticolonialisme (cinquante ans après) », Afrique & histoire vol. 1, no 1, 2003, p. 245-267 [lire en ligne].
  26. « Comptes rendus », Guerres mondiales et conflits contemporains vol. 3, no 207, 2002, pp. 139-147 [lire en ligne]
  27. a b c et d Véronique Bonnet, Conflits de Mémoire, Karthala éditions, 2004 (ISBN 9782845865341).
  28. (en) Philippe Leymarie, « Deafening silence on a horrifying repression », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  29. Helihanta Rajaonarison, « Des photographies de Vazaha en révolte. Une autre facette de l'insurrection de mars 1947 à Madagascar », Cahiers d'études africaines, no 230,‎ , p. 513–534 (ISSN 0008-0055, DOI 10.4000/etudesafricaines.22175, lire en ligne, consulté le )
  30. Honorin 1971, p. 48-50
  31. a et b Alain Ruscio, « Union (presque) sacrée autour de la répression », sur L'Humanité,

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Henry Casseville, L'Île ensanglantée (Madagascar 1946-1947), éditions Fasquelle, 1948.
  • Pierre Vidal-Naquet, La Torture dans la République, Éditions Maspero, 1972, pp. 18-19.
  • Jacques Tronchon, L'Insurrection malgache de 1947, Éditions Karthala, Paris, 1986.
  • Omaly Sy Anio, « Un deuxième 1947 en 1957 ? Les prolongements du soulèvement dans la mémoire et dans le contact avec les administrés », Revue d'études historiques, no 41-44, université de Tananarive, 1995-1996.
  • Madagascar 1947, la tragédie oubliée, actes du colloque AFASPA - Université Paris VIII Saint-Denis 9, 10 et 11 octobre 1997, Le Temps de Cerises, 1999. Ré-édité en 2018 par Mémoires de Madagascar et Laterit.
  • René Radaody-Ralarosy, Zovy : 1947 Au cœur de l'insurrection malgache, Sepia, 2007, Paris, 224 p. (ISBN 2-8428012-1-0).
  • Jean Fremigacci, « La Vérité sur la grande révolte de Madagascar », L'Histoire, no 318, mars 2007.
  • Eugène-Jean Duval, La Révolte des sagaies. Madagascar, 1947, éditions L'Harmattan, 2002.
  • Jean-Luc Raharimanana, Madagascar, 1947, Vents d'ailleurs, 2007.
  • Guillaume de Fontanges, Les ailes te portent, Nouvelles Éditions Latines, 1999, p. 97-100.
  • Françoise Raison-Jourde & Pierrot Men, Madagascar, la grande île secrète, Autrement.
  • Françoise Raison-Jourde, entretien avec Gaïdz Minassian, « 40 000 ou 89 000 morts, cela change peu la force du traumatisme », Le Monde, 28 mars 2007.
  • Jean-Luc Raharimanana et Pierrot Men, Portraits d'insurgés - Madagascar 1947, Éditions Vents d'ailleurs.
  • Bernard Michal (dir.) et Michel Honorin, Les grandes énigmes de la IVe république, vol. 2, F. Beauval, , « Les émeutes de Madagascar », p. 35-66

Documentaires modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier