Grève générale
La grève générale est une grève interprofessionnelle touchant en principe tous les travailleurs dans un pays. N'étant jamais complète, l'expression a ensuite signifié une grève interprofessionnelle nationale de grande ampleur, voire très étendue au seul niveau d'une région ou d'une ville.

Conceptions de la grève générale
modifierL'expression est née en France à la fin du XIXe siècle dans les milieux du syndicalisme.
Théorisée, entre autres, par Joseph Tortelier et Aristide Briand, elle était synonyme de révolution. La cessation de toute activité productive conduisant obligatoirement à l'effondrement du capitalisme, Georges Sorel en fit l'apologie en 1905-1906 en la présentant sous la forme d'un mythe mobilisateur censé remplacer la théorie marxiste de la catastrophe finale du capitalisme, jugée fataliste (voir ses Réflexions sur la violence).
Elle fut à ce titre au centre de la théorie du syndicalisme révolutionnaire et considérée comme le prolongement de la politique d'action directe. Elle est qualifiée d'« expropriatrice » par les anarchistes et les anarcho-syndicalistes[1].
La charte d’Amiens, adoptée par la Confédération générale du Travail (CGT) en 1906, fait de la stratégie de la grève générale un principe fondateur du mouvement ouvrier : « [Le syndicalisme] prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale »[2].
La social-démocratie n'omit pas de discuter dans ses congrès internationaux l'hypothèse de la grève générale comme substitut de la révolution politique. C'est ainsi que Rosa Luxemburg consacra un ouvrage au sujet en 1906.
L'échec des grèves générales lancées par la CGT, notamment pour empêcher le déclenchement de la Première guerre mondiale ; ou en 1920, avec la tentative avortée de généraliser la grève des cheminots, contribua au déclin du mythe révolutionnaire qu'elle représentait[2].
Pratiques de la grève générale
modifierAvant la Première Guerre mondiale
modifierEn pratique[note 1], c'est la constitution de syndicats puissants qui rend possible, à partir de la fin du XIXe siècle, l'organisation de grèves générales à l'échelle d'un pays[3].
Dans les années 1890, deux se succèdent en Belgique, l'une en 1891, l'autre en 1893[4]. Peu liées aux débats théoriques du moment, elles visent à faire pression en faveur de la généralisation du suffrage masculin[5]. Elles obtiennent dans ce sens des avancées concrètes, bien que partielles[4]. En Autriche-Hongrie, des résultats du même ordre sont atteints en 1896[4] après de simples menaces de grève générale, crédibilisées par l'exemple belge[6].
Au début du XXe siècle, la mobilisation pour l'extension du droit de vote donne encore lieu en 1902 à deux grèves générales, l'une en Belgique, l'autre (sv) en Suède[3]. Mais ces mouvements restent sans résultat immédiat[4]. En Italie, c'est l'utilisation de l'armée dans la répression des grèves qui déclenche, en réaction, la grève générale de 1904 (it) ; l'année suivante, en Russie, la révolution de 1905 culmine dans la grève générale d'octobre, qui contraint Nicolas II à publier le Manifeste d'octobre[3].
En Suède, une nouvelle grève générale est organisée en 1909 (sv), orientée cette fois-ci contre les pratiques patronales de gel des salaires et de lockout ; en mobilisant, un mois durant, près de la moitié du salariat du pays, elle parvient à obtenir des concessions économiques importantes[3]. La Belgique aussi connait une nouvelle grève générale, en 1913[7] ; ici, en revanche, le mouvement reste axé sur la démocratisation du système politique et n'obtient à nouveau qu'un succès limité[8].
La place des grèves de masse dans la révolution russe de 1905-1906 ayant ravivé l'intérêt pour ce moyen d'action, les congrès successifs de l'Internationale ouvrière débattent de propositions qui prescrivent d'y avoir recours contre le déclenchement d'une guerre ; cependant, faute de consensus, ces projets n'aboutissent pas[4].
D'une guerre mondiale à l'autre
modifierÀ l'échelle internationale, la pratique des grèves générales atteint un sommet à la suite de la révolution russe de 1917 et de la fin de la Première Guerre mondiale[7]. Pendant l'année 1917, outre la Russie, où elles se répètent depuis 1916, et l'Allemagne, où elles se succèderont jusqu'en 1921[7], elles touchent notamment la Norvège[4] et l'Espagne[7], avec des issues diverses : alors que la grève norvégienne (no) obtient en partie satisfaction[4], les grévistes espagnols subissent une répression meurtrière[9]. En 1918, une grève générale se déclare en Autriche-Hongrie[7] et la Suisse connait à son tour la sienne[10].
En 1920, en Allemagne, une grève générale de quatre jours fait avorter le putsch de Kapp contre la république de Weimar[11]. En Norvège, la grève générale de 1921 est un échec, à l'inverse du précédent de 1917, et se solde par la désaffection du tiers des effectifs syndicaux[4]. En 1923, de nouvelles grèves en Allemagne[7] contribuent à la chute du cabinet Cuno[12]. Au Royaume-Uni, la grève générale de 1926, qui réussit à mobiliser en soutien aux mineurs de charbon, à l'appel du Trade Union Congress, environ trois des cinq millions de syndiqués du pays, se conclut au bout de neuf jours sans aucun résultat[3].
Dans les années 1930, se succèdent en France deux mouvements de grève générale marquants, la journée du 12 février 1934 et les grèves de mai-juin 1936[7] : la première, organisée en réponse à l'émeute d'extrême droite du 6 février 1934, est l'occasion d'un rapprochement des partis de gauche qui ouvre la voie à la constitution du Front populaire[13] ; le succès électoral de celui-ci déclenchera les secondes[14].
De la Seconde Guerre mondiale à la chute du mur de Berlin
modifierAprès la Seconde Guerre mondiale, les grèves générales ont souvent lieu en Europe de l'Est, où elles constituent un moyen de protestation contre les régimes imposés par l'Union soviétique ; c'est notamment le cas en 1953 en RDA, ou en 1956 en Hongrie et en Pologne[7].
En Europe de l'Ouest, elles deviennent plus rares. Des exceptions notables sont Mai 1968 en France et, en Italie, les grèves de novembre 1968 pour la sécurité sociale et la réforme de l'éducation[3].
- La grève générale de l'hiver 1960-1961 en Belgique
- La grève générale d’une heure le 24 avril 1961 en France, contre le putsch des généraux
- La grève générale de Mai 68 en France
- La grève générale de 1972 au Québec
- La grève des femmes le 24 octobre 1975 en Islande, suivie à 90 %[15]
- Le Jeudi noir de 1978 en Tunisie
- Les grèves de 1995 en France
- La révolution orange de 2004 en Ukraine
- La grève générale d'avril 2006 au Népal
- La grève générale en Guinée de 2007
- La grève générale en Guyane et aux Antilles françaises en 2008-2009
- La grève générale de 2011 à Oakland (en)
- La grève générale indienne de 2020-2021, plus grande grève de l'histoire avec 250 millions de grévistes.
Notes et références
modifier- Notes
- ↑ Ne sont mentionnées dans le présent texte que les grèves générales suffisamment représentatives pour figurer dans les écrits qui visent à donner une vue d'ensemble du sujet, dans une perspective internationale. Se reporter à la « Liste chronologique de grèves générales » pour une énumération plus fournie.
- Références
- ↑ Jean Lebrun et Philippe Pelletier, « Les anarchistes : le moment terroriste, et après ? », France Inter, 26 novembre 2015 (écouter en ligne).
- Baptiste Giraud, « La grève générale, une invitée-surprise », Le Monde diplomatique, , p. 4-5 (lire en ligne ).
- (en) « General strike », dans Encyclopaedia Britannica, (lire en ligne).
- (no) « Generalstreik », dans Store norske leksikon, (lire en ligne).
- ↑ Morelli et Zamora 2016, p. 14.
- ↑ Jacques Droz, chap. II « La social-démocratie en Autriche-Hongrie (1867-1914) », dans Histoire générale du socialisme, t. 2 : De 1875 à 1918, Paris, Presses universitaires de France, (DOI 10.3917/puf.droz.1983.01.0073 ), p. 86-88 (« Les premières luttes pour le suffrage universel »).
- (da) Steen Scheuer, « Generalstrejke », dans Lex – Danmarks Nationalleksikon, (lire en ligne).
- ↑ Jean Puissant, « Les grèves générales en Belgique avant 1914 : Paradigmes, paradoxes et réalités », dans Grève générale, rêve général : Espoir de transformation sociale, , p. 199-201 (« Les grèves de 1912-1913 »).
- ↑ Jean Rollin, « La guerre civile en Espagne », Politique étrangère, vol. 1, no 5, , p. 67–69 (« Les juntes militaires de 1917 ») (DOI 10.3406/polit.1936.5659).
- ↑ Bernard Degen, « Grève générale », dans Dictionnaire historique de la Suisse, (lire en ligne).
- ↑ Morelli et Zamora 2016, p. 15.
- ↑ (de) Andreas Michaelis, « Wilhelm Cuno (1876–1933) », sur Lebendiges Museum Online, Deutsches Historisches Museum, .
- ↑ Antoine Prost, chap. II « Les manifestations du 12 février 1934 en province », dans Autour du Front populaire : Aspects du mouvement social au XXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « L'Univers historique », (lire en ligne), p. 43-70.
- ↑ Antoine Prost, chap. III « Les grèves de juin 1936 revisitées », dans Autour du Front populaire : Aspects du mouvement social au XXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « L'Univers historique », (lire en ligne), p. 71-103.
- ↑ (en) « The day the women went on strike », The Guardian, (lire en ligne).
Voir aussi
modifierBibliographie
modifierTextes politiques
modifier- Aristide Briand, La Grève générale et la Révolution (discours sténographié in-extenso et revu par l’orateur, prononcé devant le congrès général du Parti socialiste en décembre 1899), Paris, La Brochure mensuelle, (1re éd. 1899) (lire en ligne).
- Étienne Buisson, La Grève générale, Paris, Georges Bellais, coll. « Bibliothèque socialiste », (lire en ligne).
- Victor Griffuelhes, Le Syndicalisme révolutionnaire, Paris, La Publication sociale, (lire en ligne).
- Rosa Luxemburg (trad. Irène Petit, préf. Michael Löwy, Olivier Besancenot), Grève de masse, Parti et Syndicat, Paris, La Brèche, (1re éd. 1906) (ISBN 978-2-9558168-3-7, lire en ligne).
- Ernest Mandel, La Grève générale (retranscription d'un exposé d'Ernest Mandel lors d'un stage de formation), (lire en ligne).
- Émile Vandervelde, La Grève générale, Gand, Volksdrukkerij, (présentation en ligne).
Textes littéraires
modifier- Jack London (trad. Philippe Mortimer), Grève générale (nouvelles), Montreuil, Libertalia, (1re éd. 1909) (ISBN 978-2-37729-149-6 et 978-2-37729-150-2, présentation en ligne).
Études
modifier- Sophie Béroud et Jean-Marie Pernod, « La grève, malgré tous les obstacles », Le Monde diplomatique, , p. 18 (lire en ligne ).
- Robert Brécy (préf. Jean Maitron), La Grève générale en France, Paris, Études et documentation internationales, (présentation en ligne).
- Miguel Chueca, Déposséder les possédants : la grève générale aux « temps héroïques » du syndicalisme révolutionnaire, 1895-1906 (textes réunis, annotés et présentés par Miguel Chueca), Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », , 267 p. (ISBN 978-2-7489-0094-1, DOI 10.3917/agon.chue.2008.01 ).
- Marc Crépon, « Les promesses d’un mot : la grève générale (Sorel, lecteur de Nietzsche) », dans Frédéric Worms (éd.), Le moment 1900 en philosophie, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, (DOI 10.4000/books.septentrion.74089 ).
- Fernand De Visscher, « La philosophie syndicaliste et le mythe de la grève générale », Revue néo-scolastique de philosophie, no 78, , p. 129-163 (DOI 10.3406/phlou.1913.2054).
- Marco Gervasoni, « L'invention du syndicalisme révolutionnaire en France (1903-1907) », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, no 24, , p. 57-71 (DOI 10.3917/mnc.024.0057 ).
- Patrick de Laubier, 1905 : mythe et réalité de la grève générale : Le mythe français et la réalité russe, Paris, Éditions universitaires, (ISBN 2-7113-0367-5, présentation en ligne).
- François de Massot, La Grève générale : Mai-juin 1968, Paris, L’Harmattan, (ISBN 9782296057623, lire en ligne ).
- Anne Morelli et Daniel Zamora, « Grève générale, rêve général ? », dans Morelli et Zamora (dir.), Grève générale, rêve général : Espoir de transformation sociale, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », , 334 p. (ISBN 9782343065588, lire en ligne ), p. 9-17.
- Wayne Thorpe, « Une famille agitée. Le syndicalisme révolutionnaire en Europe de la charte d'Amiens à la Première Guerre mondiale », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, no 24, , p. 123-152 (DOI 10.3917/mnc.024.0123 ).
- Xavier Vigna, « La grève générale introuvable. France, 1968-1995 », dans Grève générale, rêve général : Espoir de transformation sociale, (lire en ligne), p. 157-168.
Articles connexes
modifierLiens externes
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- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :