Fouad Ali Saleh

terroriste tunisien
Fouad Ali Saleh
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Nationalité

Fouad Ali Saleh, né le à Paris de parents tunisiens, est un terroriste islamiste tunisien considéré comme l'organisateur du réseau logistique de la mouvance chiite intégriste du Hezbollah libanais en France, responsable de la vague d'attentats commis en 1985 et 1986 à Paris, ayant causé treize morts et blessé plus de trois cents personnes.

Biographie modifier

Né à Paris, ancien élève des pères blancs à Tunis, Fouad Ali Saleh qui reçoit une éducation catholique est un homme cultivé[1]. Il devient islamiste sunnite lors d'un séjour en Libye[1]. Il se convertit ensuite au chiisme et fréquente l'université théologique de Qom, en Iran, de février 1981 à juin 1982[2], sous la direction de l'ayatollah Khomeini dont il apprend l'idéologie islamiste jugée par Yves Lacoste comme conquérante et anti-occidentale[3].

Dans le contexte de la guerre Iran-Irak où la France soutient l'Irak, Fouad Ali Saleh est recruté par le Hezbollah libanais, dont la filiation avec l'Iran intégriste est attestée. Revenu en France, avec son charisme naturel il prêche la révolution islamique auprès des « déshérités » (musulmans immigrés surtout) et noue des relations, y compris en Tunisie et en Algérie[4]. Son réseau logistique, fondu dans la société française, comprend deux étudiants en troisième cycle, un restaurateur, un chauffeur de taxi, des employés, un petit patron, et, dès mai 1985, il reçoit du Liban plus de 25 kilos d'explosifs[4], dont du nitrate de méthyle, alors utilisé comme munition dans le domaine militaire, dont le composé pré-conditionné signera la marque de fabrique commune aux attentats perpétrés sur le sol français.

Fouad Ali Saleh choisit lui-même les cibles des attentats, reçoit en personne les poseurs de bombe envoyés depuis le Liban par le Hezbollah[5]. Il recrute également sur le sol français des individus peu soupçonnables qui fréquentent comme lui la mosquée Omar, sise rue Jean-Pierre-Timbaud dans le 11e arrondissement de Paris[6].

Dénoncé par un complice en échange d'une somme d'argent conséquente[5], Fouad Ali Saleh est arrêté le par la DST en compagnie de son chauffeur dans leur logement du 44bis rue de la Voûte, dans le 12e arrondissement de Paris ; douze litres de nitrate de méthyle sont trouvés dans leur coffre. Une importante saisie d'explosifs de ce type réalisée fin 1986 dans la forêt de Fontainebleau, au cours d'un flagrant délit de trafic destiné au réseau de Saleh, a permis de couper court à une troisième campagne d'attentats après le plus meurtrier d'entre eux, rue de Rennes (sept morts et une soixantaine de blessés).

Lors de cette dernière découverte est aussi déterré un sac d'héroïne coupée avec de la caféine, fournie par le Hezbollah pour financer ses opérations[1].

Motivation de ses attentats et procès modifier

Dans les communiqués qu'il joint à ses attentats, Fouad Ali Saleh se réclame d'un fictif « Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient ». En fait, loin de défendre des Arabes, il s'est engagé pour l'Iran contre le camp arabe dans la guerre Iran-Irak qui dure depuis 1980, et veut faire payer à la France son soutien au camp arabe[7]. Peu après son arrestation, il déclare : « La forteresse de l'islam est l'Iran. Votre pays, en aidant l'Irak, combat l'Iran, c'est donc un ennemi. Notre principal objectif est de ramener la France à la raison par des actions violentes »[8].

Son action s'inscrit dans le contexte de nombreux attentats fomentés par le regime de l'Iran intégriste[9]. L'enquête le concernant met en cause un traducteur de l'ambassade d'Iran, Wahid Gordji, soupçonné d'être l'un des rouages du réseau et des attentats de Saleh ; la demande de son audition par le juge sera à l'origine d'une guerre des ambassades entre la France et l'Iran. En outre ses déclarations inscrivaient son action dans une guerre religieuse plus large, annonçant les guerres terroristes du début du xxie siècle : « De l'Iran, nos frères partiront livrer bataille et iront sur Paris, Londres et Washington »[3].

Les attentats ont tué treize personnes et blessé 350 autres passants, souvent grièvement[10]. Pour son implication reconnue déterminante, la cour d'assises spéciale de Paris condamne Fouad Ali Saleh à la réclusion criminelle à perpétuité le , avec une période de sûreté de 18 ans. Hassan Aroua, le chauffeur tunisien de 38 ans, Abdelhamid Badaoui (33 ans) et Omar Agnaou (30 ans), les deux « étudiants » marocains qui ont stocké les explosifs, sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité mais sans période de sûreté[11]. Les cinq principaux protagonistes de ces attentats, en fuite, sont condamnés par contumace le à la réclusion criminelle à perpétuité : il s'agit du « cerveau », Abdelhadi Hamade, de ses deux lieutenants, Ibrahim Akil et Hassan Goshn, et des deux « artificiers », Hussein Mazbouh et Haidar Habib[12].

La cour d'appel de Paris s'oppose le à la libération conditionnelle de Saleh et à son expulsion vers la Tunisie. Le juge d'application des peines refuse la demande de libération à cause de son prosélytisme persistant[13] et aux motifs qu'il n'exprimait pas de regrets et n'avait pas indemnisé les victimes[14].

Lettres de prison modifier

Étant en prison en juin 1987 depuis près de trois mois, Fouad Ali Saleh écrit des lettres qui sont interceptées par l'administration pénitentiaire. Elles éclairent sa personnalité et le fonctionnement du réseau Hezbollah-Europe. À ce titre, elles sont publiées en 1990 par la revue Notes & Études[15] de l'Institut de criminologie de l'université de Paris-II.

Saleh y révèle un « contact direct avec le bureau particulier » de l'ayatollah iranien Hossein Ali Montazeri. Il demande dans trois de ces lettres « qu'ils envoient des salaires » mensuels à lui-même, à sa femme, et à des tiers à Paris et en Tunisie. Il affirme « jouer à l'imbécile » devant son avocat, disant qu'il n'a pas participé et ne rien savoir des attentats. Surtout, il donne des recommandations en vue du « triomphe de la révolution islamique [qui] est la seule solution pour écraser l'idôlatrie[16] », notamment de « poursuivre la mission [de propagande] d'une façon continue et éclairée, au sein de la colonie islamique et particulièrement la colonie nord-africaine » en Europe.

Portée de ses attentats modifier

Les attentats de Saleh et de son groupe modifient considérablement la perception du terrorisme international au milieu des années 1980. Leur nombre (presque autant en un an que durant les quinze années précédentes[17]), leur intensité (jusqu'à quatre attentats en trois jours), le ciblage du grand public (Champs-Élysées, tour Eiffel, Gibert Jeune, Forum des Halles, TGV, RER, magasin Tati, bureau de poste, etc.) et l'horreur[18],[19] sont alors inégalés. Jean-Louis Bruguière a pu juger que « Les services de l'État, l'Intérieur, la Justice, sont dépassés »[20]. Trente ans plus tard, en 2015, ces attentats restent parmi les dix attaques terroristes les plus meurtrières perpétrées en France depuis 1970[21]. En 2019, ils demeurent une référence pour apprécier l'insuffisance des progrès faits dans la lutte contre ce type d'attentats[22].

 
Plaque commémorative au 140 bis de la rue de Rennes à Paris.

D'autre part, la mise en évidence d'un commanditaire étatique de la taille de l'Iran est un facteur aggravant, ainsi que la découverte du nombre et de la violence des attaques en cours de préparation[23], ainsi que l'étendue européenne[4] des réseaux pilotés par l'Iran via le Hezbollah, jusqu'en Afrique[4].

La véhémence des propos de Saleh enfin frappe les esprits. Lors de son procès en 1992, ses imprécations portent contre les chrétiens et les juifs[3], les « femmes blanches » et les « faux Africains »[24], ainsi que contre les juges[25]. Il promet « une guerre qui démontrera que Hitler a été très clément » et annonce « des opérations aériennes suicide sur la centrale nucléaire de Nogent »[24].

Ses attentats ont un grand retentissement. Celui contre le magasin Tati, à l'époque « l'attentat le plus sanglant jamais perpétré contre des civils en France »[18], donne lieu trois ans plus tard à une cérémonie rue de Rennes conduite par le président François Mitterrand et le maire de Paris, Jacques Chirac[26]. Le New York Times couvre dans un long article le procès de Fouad Ali Saleh qu'il considère comme « un procès majeur du terrorisme »[27]. Ses déclarations devant les juges sont publiées dans Le Monde et Libération[28]. En 2000, un livre de plus de 400 pages[29] relate les circonstances de son arrestation, qui n'est obtenue qu'après plus d'un an et demi d'une enquête particulièrement difficile[30]. En 2012 est diffusé un téléfilm, L'Affaire Gordji : Histoire d'une cohabitation, qui met en scène les conséquences, au plus haut niveau de l'État, de l'implication de l'Iran intégriste dans les attentats perpétrés par Saleh à Paris.

Liste des attentats sous la responsabilité de Fouad Ali Saleh modifier

La procédure criminelle instruite par le juge anti-terroriste Gilles Boulouque qui a conduit à la condamnation de Saleh à la réclusion criminelle à perpétuité retenait quatorze attentats et tentatives d'attentats perpétrés en France, avec un bilan humain de quatorze morts et 303 blessés[12].

  •  : explosions aux Galeries Lafayette Haussmann et au Printemps Haussmann à Paris (43 blessés).
  •  : explosion à la galerie marchande du Claridge, avenue des Champs-Élysées à Paris (un mort, huit blessés).
  •  : découverte d'une bombe artisanale dans les toilettes du 3e étage de la tour Eiffel à Paris (aucune victime).
  •  : explosion suivie d'un incendie à la librairie Gibert Jeune, Place Saint-Michel à Paris (cinq blessés).
  •  : explosions dans le 3e niveau du Forum des Halles et à la FNAC Sport à Paris (22 blessés).
  •  : explosion dans le compartiment à bagages de la voiture 06 du TGV 627 Paris-Lyon (neuf blessés).
  •  : explosion dans la galerie Point Show, avenue des Champs-Élysées à Paris (deux morts, 29 blessés).
  •  : découverte d'une bombe artisanale dans une voiture d'une rame de la ligne A du RER d'Île-de-France, station Auber à Paris (aucune victime).
  •  : découverte d'une bombe artisanale dans une voiture d'une rame de la ligne A du RER d'Île-de-France, station Étoile à Paris (aucune victime).
  •  : explosion dans le bureau de poste 113 situé dans le bâtiment de l'Hôtel de ville à Paris (un mort, 21 blessés).
  •  : explosion dans la Cafétéria Casino située dans le centre commercial Les 4 Temps à Paris (54 blessés).
  •  : explosion dans le Pub Renault, rue Marbeuf à Paris (2 morts, 1 blessé)[31].
  •  : explosion dans le service des permis de conduire de la préfecture de police de Paris (un mort, 56 blessés).
  •  : explosion rue de Rennes à Paris face au no 140, près du magasin Tati (sept morts, 55 blessés).

Notes et références modifier

  1. a b et c Frédéric Charpier, Islamisme : 60 ans de lutte antiterroriste, Paris, Tallandier, , 336 p. (ISBN 979-10-210-2135-8, lire en ligne).
  2. « Comité de solidarité aux prisonniers politiques arabes », sur globalterrorwatch.ch, (consulté le ).
  3. a b et c Yves Lacoste, « Géopolitique des religions », Hérodote, no 106,‎ , p. 3–15 (ISSN 0338-487X, DOI 10.3917/her.106.0003).
  4. a b c et d « Europe : les réseaux du HizbAllah », Notes & Études de l'Institut de criminologie de Paris, nos 15-17,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. a et b Sébastien Laurent (dir.), Jean-Pierre Bat, Floran Vadillo et Jean-Marc Le Page, Les espions français parlent : archives et témoignages inédits des services secrets français, Paris, Nouveau Monde éditions, , 620 p. (ISBN 978-2-36583-844-3 et 2-36583-844-8).
  6. (en) Mohamed-Ali Adraoui, « Radical Milieus and Salafis Movements in France: Ideologies, Practices, Relationships with Society and Political Visions », Max Weber Programme,‎ , p. 2-3 (ISSN 1830-7728, lire en ligne).
  7. Alain Gresh, « Comment la France est devenue une cible « légitime » pour les groupes djihadistes », sur orientxxi.info, (consulté le ).
  8. Julien Fragnon, « Le discours antiterroriste. La gestion politique du 11 septembre en France », sur theses.univ-lyon2.fr, (consulté le ).
  9. (en) « IRGC's Terrorism Abroad », sur stopfundamentalism.com, (consulté le ).
  10. Aurélie Rossignol, « Dans le rétro. Il y a 30 ans, une série d'attentats semait la terreur à Paris », sur leparisien.fr, (consulté le ).
  11. Jacques Cordy, « Les attentats de 1986 à Paris, devant la cour d'assises : la perpétuité pour Fouad Ali Saleh », sur archives.lesoir.be, (consulté le ).
  12. a et b « Liste des attentats », sur sos-attentats.org (version du sur Internet Archive).
  13. Dépêche Associated Press du 19 juillet 2007, citée par une thèse de doctorat en science politique : Julien Fragnon, « Le discours antiterroriste », sur tel.archives-ouvertes.fr, (consulté le ).
  14. AP, « Le parquet général opposé à la libération de Fouad Ali Saleh », sur intimeconviction.over-blog.com, (version du sur Internet Archive).
  15. « Fouad Ali Saleh : lettres de prison », Notes & Études, no 13,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  16. Coran, 4:48 : « Allah ne pardonne pas qu'on Lui donne quelqu'associé ». Les chrétiens sont des « associateurs », assimilés aux idolâtres (Jésus « associé » à Dieu, statues et icônes offertes à l'adoration, etc.).
  17. Voir le graphique Nombre d'attentats meurtriers en France depuis les années 1970 sur Jean-Marie Pottier, « La France n'avait pas connu trois attentats aussi rapprochés depuis 1995 », sur slate.fr, (consulté le ).
  18. a et b [vidéo] Attentats de 1986 sur YouTube.
  19. Marc Knobel, « Paris, à feu et à sang », sur crif.org, (consulté le ).
  20. Jean-Louis Bruguière, Les voies de la terreur : terrorisme, les racines du mal, Paris, Fayard, , 304 p. (ISBN 978-2-213-68475-8, lire en ligne).
  21. « L'attentat le plus meurtrier en France depuis 40 ans », sur ouest-france.fr, (consulté le ).
  22. Barbara Lefebvre, « De Saleh à Harpon, 35 ans de renoncements des dirigeants Français face à l'idéologie islamiste », sur valeursactuelles.com, (consulté le ).
  23. Didier Bigo, « Les attentats de 1986 en France : un cas de violence transnationale et ses implications », Cultures & Conflits, no 4,‎ (ISSN 1157-996X, lire en ligne, consulté le ).
  24. a et b Julien Fragnon, « Le discours antiterroriste », sur tel.archives-ouvertes.fr, (consulté le ).
  25. Jacques Cordy, « Premier procès à Paris du réseau terroriste arabe de Fouad Ali Saleh », sur lesoir.be, (consulté le ).
  26. « Mitterrand-Chirac rue de Rennes », sur ina.fr, (consulté le ).
  27. (en) Youssef M. Ibrahim, « Trial of Accused Mastermind In Bombings Begins in Paris », sur nytimes.com, (consulté le ).
  28. Journaux des 30 et 31 janvier, et 5 et 11 février 1990.
  29. Patrice Trapier, La Taupe d'Allah, Paris, Plon, , 418 p. (ISBN 978-2-7028-6174-5).
  30. Patricia Tourancheau, « Rue de la Voûte, la taupinière de la DST », sur liberation.fr, (consulté le ).
  31. « Mémorial en ligne des policiers français morts en service : Jean-Louis Breteau & Bertrand Gautier », sur policehommage.blogspot.fr (consulté le ).

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Articles connexes modifier

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