Dafroza Gauthier

ingénieure chimiste et militante franco-rwandaise

Dafroza Gauthier, née Dafroza Mukarumongi le à Astrida (Rwanda) est une ingénieure chimiste et militante franco-rwandaise.

Dafroza Gauthier
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Biographie
Naissance
Voir et modifier les données sur Wikidata (69 ans)
HuyeVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
MukarumongiVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalités
Conjoint
Alain Gauthier (d) (depuis )Voir et modifier les données sur Wikidata

Elle est connue pour sa traque des responsables du génocide des Tutsis au Rwanda sur le territoire français afin de les traduire en justice.

Elle est mariée à Alain Gauthier, avec qui elle fonde le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), et a pour gendre le chanteur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye.

Biographie

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Situation personnelle

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Jeunesse

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Dafroza Mukarumongi est née le à Astrida, rebaptisée Butare après l’indépendance[1]. Elle est issue d'une famille de pasteurs tutsi originaire du sud du Rwanda[2].

À l'âge de neuf ans, son père trouve la mort durant les massacres survenus à Gikongoro en 1963[3]. Elle trouve refuge dans l'église de Kibeho pour échapper aux massacres.

Elle étudie au collège dans la région de Butare avant d'intégrer le lycée de Kigali, capitale du Rwanda.

Exil et installation en France

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À la suite du coup d'État de 1973 (en), Dafroza et contrainte à l'exil et quitte le Rwanda dans la précipitation[2]. Elle trouve refuge dans un premier temps au Burundi près de la ville de Kirundo, au nord du pays, puis dans l'ancienne capitale Bujumbura. En septembre 1973, elle gagne la Belgique où elle est accueillie par son frère aîné et y poursuit ses études.

En 1975, elle fait la connaissance d'Alain Gauthier, alors étudiant en théologie et enseignant le français dans une mission catholique à Butare. Elle l'épouse en 1977[3] et obtient la nationalité française. Ensemble, Alain, professeur de français et chef d'établissement scolaire, et Dafroza, ingénieure chimiste, s'installent à Reims où ils vivent depuis le début des années 1980[4]. Le couple Gauthier se rend régulièrement au Rwanda durant les vacances avec leurs trois enfants[5].

Printemps 1994 : le génocide des Tutsis

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À la fin du mois de février 1994, Dafroza se rend, comme chaque année, à Kigali pour voir sa famille et assiste aux prémices du génocide à venir[6].

Le 8 avril 1994, sa mère Suzana Mukamusoni est abattue par balles devant l’église Charles-Lwanga à Nyamirambo (en), au lendemain de la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana[7].

D'avril à juin 1994, Dafroza suit, impuissante, la terrible progression des massacres et tente, avec son mari, d'alerter l'opinion publique à travers des pétitions, de manifestations et des tribunes dans la presse. Durant cette période, elle héberge deux de ses cousins. La quasi-totalité de sa famille maternelle est décimée en l'espace de quelques mois, soit près de 80 personnes[4].

Après le génocide : combat pour la justice

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1996-2001 : naissance d'un engagement

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En 1996, Dafroza se rend au Rwanda avec son mari Alain. Elle retrouve une cousine rescapée du génocide dont le mari et les deux enfants ont perdu la vie. Durant son séjour, elle écoute avec effroi les récits des rescapés. Puis, elle se décide à transmettre les témoignages des victimes à un avocat parisien.

En 2001, elle assiste aux audiences du premier procès post-génocide, connu sous le nom de procès des Quatre de Butare[8]. Celui-ci se tient à Bruxelles où une cour d'assises est appelée à se prononcer sur des accusations portées contre quatre Rwandais soupçonnés d'avoir participé au génocide[9]. Dès lors, elle s'engage activement, aux côtés de son mari, pour la justice.

Le 26 avril 2001, dans une tribune au quotidien La Croix, elle appelle la France à reconnaître « la responsabilité qui fut la sienne dans cette période troublée de l'histoire du Rwanda »[10].

2001 : création du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR)

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En novembre 2001, elle fonde avec son époux, Alain Gauthier, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR)[11]. Depuis, elle œuvre sans relâche à la recherche des individus ayant joué un rôle actif dans le génocide et s'étant réfugiés en France et à leur comparution devant les tribunaux.

En effet, en raison des liens historiques entre Paris et le régime du président rwandais Juvénal Habyarimana, nombre de génocidaires ont trouvé refuge en France après 1994 et bénéficié pendant des années d'un accueil complaisant que dénoncent les Gauthier.

Le couple se rend trois à quatre fois par an au Rwanda à la recherche de témoignages de survivants, d'ex-tueurs, de prisonniers[12]. Ils collectent des informations sur place et constituent des dossiers qu'ils transmettent à la justice française.

Ensemble, ils sont à l'origine de la quasi-totalité de la trentaine de plaintes déposées en France contre ces ressortissants rwandais suspectés d'avoir pris part au génocide des Tutsis au Rwanda et vivant sur le territoire français. Parmi eux, le haut-fonctionnaire Laurent Bucyibaruta, le financier Félicien Kabuga, le colonel Aloys Ntiwiragabo, l’ex-première dame du Rwanda Agathe Habyarimana mais aussi un prêtre, le père Wenceslas Munyeshyaka, ancien curé de l'église de la Sainte-Famille de Kigali, ou encore un médecin, le gynécologue Sosthène Munyemana.

Depuis 2014 : les premiers procès

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Déplorant la lenteur de la justice française à se saisir des dossiers et à mener les investigations, ce qui favorise l'impunité[13], Dafroza Gauthier accueille favorablement la constitution, en janvier 2012, d'un pôle « génocides et crimes contre l'humanité » au sein du tribunal de grande instance de Paris[14]. La création, en novembre 2013, de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) permet également une accélération des procédures judiciaires.

En février 2014, s'ouvre ainsi le premier procès d'un des protagonistes du génocide, l'ex-officier de la Garde présidentielle rwandaise Pascal Simbikangwa[15]. À cette occasion, Dafroza Gauthier témoigne devant la cour d'assises de Paris[2]. Pascal Simbikangwa est condamné pour crimes de génocide et complicité de crimes contre l’humanité.

À ce jour, sept hommes ont été jugés et condamnés en France pour leur participation au génocide à des peines allant de 14 ans de réclusion criminelle à la perpétuité mais seulement trois définitivement, les autres ayant fait appel de leur condamnation[16].

En 2020, le couple, régulièrement surnommé « les Klarsfeld du Rwanda »[17],[18] – en référence aux chasseurs de nazis Beate et Serge Klarsfeld – estime qu'une centaine de génocidaires vivraient en France, en toute liberté[13]. Si un certain nombre de planificateurs du génocide, commanditaires ou tueurs ont été condamnés au Rwanda, par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et à l'étranger, beaucoup continuent d'échapper à la justice. Kigali a adressé une cinquantaine de demandes d'extradition à la France mais la plus haute instance judiciaire en France, la Cour de cassation, s'est constamment opposée aux extraditions de Rwandais soupçonnés d'avoir pris part au génocide, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi.

Passeuse de mémoire

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Dafroza Gauthier intervient régulièrement dans les collèges, lycées et universités[19] pour lutter contre l'oubli et transmettre la mémoire du génocide[11].

Par son action, elle entend également lutter activement contre le révisionnisme.

En novembre 2017, le couple s'est vu remettre par le président rwandais Paul Kagame à Kigali l'Ordre national de l'amitié exceptionnelle pour honorer leur service à la nation rwandaise. Elle est régulièrement accusée d'être un agent du Front patriotique rwandais (FPR), à la solde du président Paul Kagame[16].

En 2021, elle salue la reconnaissance par le président de la République Emmanuel Macron du rôle de la France dans le génocide des Tutsis.

En 2023, un film documentaire et une bande dessinée, Rwanda, à la poursuite des génocidaires, retracent le combat du couple Gauthier[20] alors que s'ouvre, le 13 novembre, un sixième procès pour génocide au Rwanda à Paris[21].

En 2024, elle participe aux commémorations du trentième anniversaire du génocide des Tutsis.

Notes et références

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  1. « Rwanda : Dafroza Gauthier, originaire de Reims, de retour sur ses terres à la veille du procès d'un génocidaire présumé », sur France 3 Grand Est, (consulté le )
  2. a b et c Dafroza Mukarumongi-Gauthier, « Témoignage », dans Florence Prudhomme, Cahiers de mémoire, Kigali, 2014, Paris, Éditions Classiques Garnier, , 20 p. (ISBN 978-2-406-08747-2, DOI 10.15122/isbn.978-2-406-08747-2.p.0303  , lire en ligne), p. 303-322
  3. a et b Mathieu Livoreil, « Les Gauthier, infatigables chasseurs de génocidaires rwandais », sur www.lunion.fr, (consulté le )
  4. a et b « Rwanda : les époux Gauthier, près de 30 ans de traque des génocidaires entre les « mille collines » et les tribunaux français », sur Le Nouvel Obs, (consulté le )
  5. « Justice: Alain Gauthier, une vie à traquer les génocidaires rwandais », sur www.lunion.fr, (consulté le )
  6. Jean-Baptiste Naudet, « Les tueurs sont parmi nous », Le Nouvel Observateur,‎ , p. 36
  7. « Alain et Dafroza Gauthier : trente ans à traquer les auteurs de génocides au Rwanda », sur SudOuest.fr, (consulté le )
  8. Maria Malagardis, « Dafroza et Alain Gauthier, on n’arrête pas le procès », sur Libération, (consulté le )
  9. « Alain et Dafroza Gauthier, chasseurs de génocidaires. », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  10. « Reconstruire au Rwanda », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  11. a et b « Dafroza Mukarumongi et Alain Gauthier, le couple qui traque les génocidaires Rwandais réfugiés en France - L'Humanité », sur https://www.humanite.fr, (consulté le )
  12. AFP, « De France aux collines rwandaises, le combat d'un couple pour traquer les génocidaires », sur Challenges, (consulté le )
  13. a et b Maria Malagardis, « Rwanda : «Il y aurait une centaine de génocidaires supposés en France» », sur Libération, (consulté le )
  14. Dafroza Gauthier et Alain Gauthier, « Une justice au service des victimes, de l'Histoire et de la mémoire », Les Cahiers de la Justice, vol. 4, no 4,‎ , p. 585–592 (ISSN 1958-3702, DOI 10.3917/cdlj.1404.0585, lire en ligne, consulté le )
  15. « Collectif de parties civiles : "sans la justice, le Rwanda ne pourra pas se reconstruire" », sur France Inter, (consulté le )
  16. a et b « De France aux collines rwandaises, le combat d'un couple pour traquer les génocidaires », sur Le Point, (consulté le )
  17. « Les Gauthier, une vie de combat au nom des victimes du génocide des Tutsi », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  18. David Servenay, « Enquête sur le financement du génocide au Rwanda : après les tueries, l’heure des comptes », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. AFP, « Les Gauthier, une vie de combat au nom des victimes du génocide des Tutsi », sur Challenges, (consulté le )
  20. « Rwanda, à la poursuite des génocidaires - Vidéo Dailymotion » [vidéo], sur Dailymotion, (consulté le )
  21. « Rwanda : Dafroza et Alain Gauthier, le combat d’une vie : épisode • 1/4 du podcast Crimes internationaux : la quête de justice », sur France Culture (consulté le )

Voir aussi

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Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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