Le principe du bilan détaillé d'un système cinétique comportant plusieurs chemins, chacun d'eux comportant plusieurs étapes successives indépendantes, stipule que l'équilibre thermodynamique global du système implique l'équilibre de chacune des étapes constitutives.

Le principe voisin nommé principe de bilan semi-détaillé ou bilan complexe donne une condition suffisante pour assurer la stationnarité d'un tel système.

Histoire du concept modifier

Le principe de bilan détaillé a été utilisé une première fois par Ludwig Boltzmann en 1872 pour établir son théorème H[1],[2].

Ce principe a été décrit en chimie analytique par Rudolf Wegscheider en 1901 pour l'étude de l'équilibre chimique des systèmes réactifs complexes[3].

La notion de bilan semi-détaillé a été introduite par Boltzmann pour justifier le théorème H dans le cas de molécules ayant des degrés de liberté internes. Il repose sur la notion de réversibilité d'un ensemble de propriétés décrivant l'interaction des molécules plutôt que sur la microréversibilité de chacune d'entre elles. Ce concept a été formalisé par Ernst Stueckelberg comme reposant sur l'unitarité de la matrice S[4].

Il a été généralisé sous le nom de bilan complexe par Horn et Jackson en 1972 pour les systèmes faisant intervenir un catalyseur et les notions de quasi-stationnarité et de quasi-équilibre tels qu'on les rencontre dans l'équation de Michaelis-Menten[5].

Il a été largement utilisé pour l'étude des chaînes de Markov, en particulier la méthode de Monte-Carlo avec l'algorithme de Metropolis-Hastings[6].

Le concept est aujourd'hui un classique de la physique statistique[7] et de la chimie physique[8],[9].

Équilibre chimique et bilan détaillé modifier

Soit une réaction chimique comportant n espèces et m chemins différents possibles, chacun pouvant comporter plusieurs réactions élémentaires. Ce système est décrit par l'équation chimique

 

  est l'espèce et   sont les coefficients stœchiométriques. On définit la matrice stœchiométrique par :

 

Dans cette matrice rectangulaire la rème colonne   est relative à l'étape r.

La vitesse d'une réaction élémentaire s'écrit :

 

  est l'activité chimique de   et   la constante de vitesse.

Le système inverse s'écrit pareillement et on introduit les exposants « + » et « - » pour distinguer le système direct et le système inverse.   est la constante d'équilibre. Par convention pour une réaction absente car non réversible on a  .

L'équilibre du système, s'il existe, s'écrit :

 

Ce système linéaire admet une solution donnée par l'ensemble   si :

  •   : l'existence d'une réaction directe implique celle de la réaction inverse ;
  • toute solution   solution du système à l'équilibre
 
vérifie la condition de Wegscheider[10] :
 

Dans le cas d'un seul chemin on retrouve la loi d'action de masse.

La résolution du système peut se faire par l'analyse des chemins[11]. Toutefois, si l'on ne s'intéresse qu'au résultat de l'équilibre thermodynamique, on peut remarquer que ce système est sur-défini. En effet si   est le nombre d'atomes présents, la conservation de ce nombre d'atomes montre que le système est de rang  . L'ensemble correspondant à toute valeur propre de la matrice   suffit à définir le système[12].

Bilan semi-détaillé modifier

On s'intéresse à l'évolution temporelle du système décrit ci-dessus :

 

  est le nombre de moles contenu dans le volume  . On note   le vecteur stœchiométrique relatif au chemin r.

Soit   un élément de l'ensemble des vecteurs stœchiométriques, on définit un ensemble de valeurs

 

  si et seulement si   constitue l'un des vecteurs  .

Le principe de bilan semi-détaillé stipule que

 

La réalisation de cette condition est suffisante pour assurer l'état stationnaire  

Elle n'est pas une condition nécessaire, la stationnarité pouvant résulter de réactions cycliques[5],[13].

Le bilan détaillé implique le bilan semi-détaillé : l'équilibre thermodynamique est un état stationnaire particulier.

Dissipation modifier

Systèmes avec bilan détaillé modifier

La dynamique du système obéissant à la loi d'action de masse telle que généralisée ci-dessus est décrite par l'expression de l'activité chimique fonction des fractions molaires   et de la température thermodynamique T.

 

μi est potentiel chimique,   le potentiel chimique dans l'état standard, R est la constante universelle des gaz parfaits.

Pour un système idéal   et   : l'activité se réduit à la fraction molaire et on peut appliquer la loi d'action de masse classique.

Considérons un système isotherme et isochore pour lequel l'énergie libre   s'écrit

 

Le potentiel chimique est

 

L'évolution du système est décrite par

 

Si le principe de bilan détaillé est vérifié alors pour toute valeur de T il existe une valeur de ceq telle que

 

D'où

 

 

Le calcul de la variation d'énergie libre montre que ce système est dissipatif

 

Le signe de l'inégalité est obtenu en considérant que le logarithme est une fonction monotone et que   et   ont toujours le même signe.

On obtient également une inégalité montrant la croissance de l'entropie dans le cas d'un système isotherme et isobare ou pour un système isochore à énergie interne constante ou enthalpie constante[10].

Systèmes avec bilan semi-détaillé modifier

Le taux de production pour le chemin r est

 

Le terme exponentiel est le facteur de Boltzmann et le terme multiplicatif   le facteur pré-exponentiel[14]. On compte séparément les réactions directes et inverses

 

On définit une fonction auxiliaire   de la variable  

 

Cette fonction est convexe  .

Le calcul de la dérivée de l'énergie libre donne avec cette fonction une généralisation de la dissipation

 

La convexité de   donne la condition nécessaire et suffisante pour l'inégalité de dissipation

 
 

Le bilan semi-détaillé peut s'exprimer par  . Dès lors pour un tel système  [5].

Systèmes comportant une réaction irréversible modifier

De nombreux systèmes (combustion, catalyse hétérogène, réactions enzymatiques) comportent des réactions irréversibles. Ceux-ci ne présentent pas un bilan détaillé en général. C'est le cas par exemple du cycle  . Par contre le cycle   le peut[15]. Le théorème de GorbanYablonsky indique qu'un système comportant des réactions irréversibles constitue la limite de systèmes respectant le principe de balance détaillée si et seulement si

  • la partie réversible du système respecte le principe ;
  • l'enveloppe convexe des vecteurs stœchiométriques de la partie irréversible a une intersection vide avec
le sous-espace vectoriel engendré par les vecteurs stœchiométriques de la partie réversible[16].

Cette seconde condition exclut les systèmes cycliques comportant une réaction irréversible.

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

Notes et références modifier

  1. (en) Ludwig Boltzmann (trad. de l'allemand), Lectures on Gas Theory, New York, Dover, , 490 p. (ISBN 0-486-68455-5, lire en ligne)
  2. Ludwig Boltzmann, Leçons sur la théorie des gaz, Éditions Jacques Gabay, (ISBN 978-2-87647-004-0)
  3. (de) Wegscheider R, « Über simultane Gleichgewichte und die Beziehungen zwischen Thermodynamik und Reactionskinetik homogener Systeme », Monatshefte für Chemie und verwandte Teile anderer Wissenschaften, vol. 22, no 8,‎ , p. 849–906
  4. Ernst Stueckelberg, « Théorème H et unitarité de S », Helvetica Physica Acta, vol. 25,‎ (lire en ligne)
  5. a b et c (en) F. Horn et R. Jackson, « General mass action kinetics », Archive for Rational Mechanics and Analysis, vol. 47, no 2,‎ , p. 81-116
  6. (en) Nicholas Metropolis, Arianna W. Rosenbluth, Marshall N. Rosenbluth, Augusta H. Teller et Edward Teller, « Equations of State Calculations by Fast Computing Machines », Journal of Chemical Physics, vol. 21, no 6,‎ , p. 1087-1092 (lire en ligne)
  7. (en) L. E. Reichl, A Modern Course in Statistical Physics, John Wiley & Sons, (ISBN 0-471-59520-9, lire en ligne)
  8. (en) N. G. van Kampen, Stochastic Processes in Physics and Chemistry, Elsevier,
  9. (en) E. M. Lifshitz et L. P. Pitaevskii, Physical kinetics, Pergamon Press, (ISBN 0080264808)
  10. a et b (en) G. S. Yablonskii, V. I. Bykov, A. N. Gorban et V. I. Elokhin, Kinetic Models of Catalytic Reactions, Elsevier, (ISBN 0080868266, lire en ligne)
  11. (en) David Colquhoun, Kathryn A. Dowsland, Marco Beato et Andrew J. R. Plested, « How to Impose Microscopic Reversibility in Complex Reaction Mechanisms », Biophysical Journal, vol. 86,‎ , p. 3510–3518 (lire en ligne)
  12. (en) Georges Duffa, Ablative Thermal Protection Systems Modeling, Reston, VA, AIAA Educational Series, , 431 p. (ISBN 978-1-62410-171-7)
  13. (en) Stefan Müller et Badal Joshi, « Detailed Balance = Complex Balance + Cycle Balance: A Graph-Theoretic Proof for Reaction Networks and Markov Chains », Bulletin of Mathematical Biology, vol. 82, no 116,‎ (lire en ligne)
  14. (en) A. N. Gorban et M. Shahzad, « The Michaelis–Menten–Stueckelberg Theorem », Entropy, vol. 13, no 5,‎ , p. 966–1019 (lire en ligne)
  15. (en) Ch. Chu, « Gas absorption accompanied by a system of first-order reactions », Chem. Eng. Sci., vol. 26, no 3,‎ , p. 305–312
  16. (en) A. N. Gorban et G. S. Yablonsky, « Extended detailed balance for systems with irreversible reactions », Chemical Engineering Science, vol. 66,‎ , p. 5388–5399 (lire en ligne)