Alphonse Eugène Beau

ingénieur thermodynamicien français
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Alphonse Eugène Beau
Alphonse Beau de Rochas
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Nationalité
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Alphonse Eugène Beau, dit Beau de Rochas, né le à Digne et mort le à Vincennes, est un ingénieur français, lauréat de l'institut (Académie des Sciences). Ingénieur de grands travaux, il pose le premier câble télégraphique sous-marin en collaboration avec l'ingénieur Philippe Breton (1851). Il s'intéresse ensuite à de nombreux sujets relatifs à l'hydrographie, au transport ferroviaire et fluvial, ou encore au franchissement de la Manche par un tunnel immergé.

Thermodynamicien autodidacte, il décrit en 1862 un cycle à quatre temps, connu sous le nom de cycle de Beau de Rochas, qui lui vaudra d'être reconnu comme l'inventeur du moteur à quatre temps. Dans un mémoire adressé à l'Académie des sciences en 1887, il définit également certains principes du moteur à réaction, dont il prévoyait déjà les immenses possibilités.

Biographie modifier

Enfance et études modifier

Le père d'Alphonse Eugène, Alexandre Beau, est issu d'une famille nombreuse vivant à Serres. Après diverses pérégrinations qui l'emmènent à Saint Domingue et dans l'armée, il s'installe à Digne[1] où il est contrôleur aux contributions directes. Épris de poésie, il publiera plusieurs ouvrages durant sa vie. Il épouse en 1806 Lucrèce Thérèse Henriette Jacques de Rochas, dont les parents sont apothicaires à Digne et lointains descendants des seigneurs d'Aiglun, un village tout proche de Digne. La vie du couple est assez mouvementée dans les années 1810, notamment du fait des convictions bonapartistes affichées d'Alexandre Beau. De retour à Digne, Alexandre Beau sera percepteur municipal puis premier caissier de la Caisse d'Épargne. Deux enfants naissent : Alphonse Eugène, le 9 avril 1815, et, un an plus tard, une fille, Elisabeth. Alexandre Beau devient veuf en 1855, et perd sa fille en 1857. Il meurt en 1861.

Entre ses sept et seize ans, Alphonse Eugène est logé par des membres de la famille de sa mère dans le Loiret où il réussit de brillantes études, recevant notamment le premier prix de mathématiques du Collège Royal d'Orléans. À la suite de dissensions familiales d'origines financières et politiques, il n'intègre pas une grande école parisienne et revient à Digne où il poursuit des études de géométrie, jusqu'à devenir ingénieur civil[2].

Vie d'adulte à Digne modifier

Installé à Digne, Alphonse Beau fait son service militaire à partir de 1835[3], et, de retour dans sa ville, commence sa vie professionnelle d'architecte bâtisseur dans le département puis plus loin : Arles, Marseille, la Corse, etc. Il entame une collaboration, qui s'avèrera longue et créative, avec Philippe Breton, un ingénieur polytechnicien d'origine grenobloise : ils remporteront ensemble d'importants succès relatifs aux câbles télégraphiques, notamment avec la mise en service d'un câble sous-marin entre la France et l'Angleterre en 1851.

En 1848, il envisage de se présenter aux élections législatives avec un programme républicain et social, mais retire finalement sa candidature. Fin 1851, il est à la tête d'un petit groupe de Dignois qui prend le contrôle de l'Hôtel Préfectoral en réaction au coup d'État du 2 décembre 1851. Mais il ne soutient pas l'action des milliers de révoltés armés qui envahissent ensuite la ville. Jugé en février 1852, il est condamné à une peine, relativement légère, de déplacement et de mise en résidence surveillée qu'il obtient de purger à Paris[2][4].

Vie à Paris modifier

Alphonse Beau s'installe à Paris en 1852 et se fait désormais appeler, pour des raisons peu claires, Beau de Rochas. En 1854, il devient inspecteur de la toute jeune Compagnie des chemins de fer du Midi [5] et, en 1857, épouse Élisabeth Lemariée, fille d'un négociant en vins parisien et de dix-sept ans sa cadette.

À Paris, Beau de Rochas est déjà connu pour la réalisation du câble sous-marin, et il jouit d'une relative aisance financière accordée alors par sa famille. Il fréquente les bibliothèques scientifiques et, grâce à son ami Philippe Breton et à son cousin Albert de Rochas d'Aiglun qui intègre l'Ecole Polytechnique en 1857, il peut rencontrer élèves, chercheurs et enseignants de l'époque. Il se prend de passion pour la thermodynamique, à laquelle il consacrera une grande partie de son énergie jusqu'à la fin de sa vie.

Durant la commune de Paris, il crée un éphémère journal « Le régime constitutionnel, politique et social »[6] dont il dirige la publication d'une douzaine de numéros (du 26 mai au 8 juin 1871[7]) et qui rend compte des débats politiques de l'époque en prônant la modération et le dialogue[8],.

Pendant plus de quarante ans, il produit et publie un très grand nombre d'articles, communications et propositions, et dépose plusieurs brevets. Mais il n'arrive pas à en tirer profit et ce n'est que passé l'âge de 75 ans qu'il verra sa carrière couronnée par deux prix académiques[9],[10].

Il décède, sans descendance, à Vincennes le 27 mars 1893[11]. Il est inhumé dans un quasi anonymat, une dizaine de personnes seulement assistant à ses funérailles[2].

Vie professionnelle modifier

Câbles sous-marins et électriques modifier

En 1850, avec Philippe Breton, il étudie les causes de la rupture, le jour même de son inauguration, du câble télégraphique anglais Douvres - Calais. Les deux ingénieurs trouvent la cause du désastre, et définissent la théorie mathématique dite « de la chaînette » que l'on utilise aujourd'hui encore pour toute pose de câbles aériens ou sous-marins. Ils publient le résultat complet de leurs recherches en 1859[12].

Ils lancent le premier câble télégraphique français sous la Manche à Noël 1851, qui fonctionnera correctement pendant plus de quinze ans[13].

En 1886 Beau de Rochas étudie les possibilités de transport de courant continu sur de longues distances.

Hydrographie, grands travaux d'aménagement et plans modifier

À Arles, il étudie les possibilités de dessalement de la Camargue afin de permettre la culture des céréales.

En Corse, il met en route une carrière d'extraction de granit et porphyre, sans être indemnisé correctement.

En 1852, Beau de Rochas réalise le premier plan carnet, ancêtre de nos actuels guides urbains et en dépose le brevet[14]. Il en assure l'édition pour la ville de Paris[15].

Il est appelé au milieu des années 1850 comme expert à Dijon, pour soutenir une proposition de construction de docks reliant routes, canaux et voies ferrées dans un unique complexe commercial[16].

En 1881, il prononce une conférence à la Société des études coloniales et maritimes sur l'établissement d'une communication ferroviaire sous-marine à travers le pas de Calais, la comparant à l'établissement d'un tunnel ou d'un pont[17]. La solution proposée est de construire à terre un tunnel à base de tubes métallique puis de l'immerger sous la Manche.

En 1888, il publie un mémoire proposant l'aménagement du Soudan par la création de grandes oasis sahariennes[18].

Transport ferroviaire modifier

Au lendemain du rattachement de la Savoie et de Nice, en 1861, alors qu'il travaille pour la Compagnie des chemins de fer du Midi, il propose un tracé de voie ferrée « Grenoble - Gap - Digne - Nice » avec deux raccordements[19] :

  • le premier par Tallard, la vallée de l'Ubaye, vers Coni en Italie ;
  • le second plus méridional, vers Avignon et la vallée du Rhône.

Navigation modifier

Beau de Rochas s'intéresse aussi au touage, système qui permet à une embarcation de se propulser par l'intermédiaire d'une chaîne sans fin qui repose sur le fond. Il décrit le problème et ses propositions de solutions dans un mémoire transmis en 1863 à la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale et intitulé: « De la traction des bateaux fondée sur le principe de l'adhérence »[20].

Moteurs modifier

 
Fonctionnement d'un moteur à quatre temps tel que décrit par Beau de Rochas en 1862.

En 1862, Beau de Rochas publie un mémoire d'une soixantaine de pages qui est une somme de connaissances sur les moteurs et de propositions pour en améliorer le rendement[21]. La section 6 de ce mémoire décrit un cycle moteur à quatre temps qui vaudra à l'auteur d'être reconnu, plus tard, comme l'inventeur du moteur à quatre temps. Le 16 janvier 1862, il dépose à l'Office National de la Propriété Industrielle une demande de brevet[22] concernant le moteur à quatre temps qu'il a imaginé[23]. Beau de Rochas contacte sans succès plusieurs industriels pour exploiter son invention, et son brevet tombe dans le domaine public en 1863[24].

Une reconnaissance tardive et peu rémunératrice

Beau de Rochas n'ayant pas payé les droits nécessaires à la protection de son brevet de 1862, les inventions qui y sont mentionnées peuvent être librement utilisées dès 1863. Un inventeur franco-belge, Etienne Lenoir, qui a déjà conçu et breveté en 1860 un moteur à deux temps, décide de fabriquer des moteurs utilisant la technique de Beau et commence à les commercialiser en 1883. Durant les années 1870, un entrepreneur allemand, Nikolaus Otto, se lance lui aussi dans la conception et la fabrication de moteurs. En 1876, Otto dépose un brevet décrivant le fonctionnement à quatre temps, qu'il oppose ensuite à Etienne Lenoir et aux autres inventeurs et industriels commençant à produire de tels moteurs.

Une longue bataille juridique s'ouvre, compliquée par la difficulté à retrouver la publication de 1862, qui n'a été tirée qu'à 300 exemplaires environ. La justice française finit par trancher en accordant l'antériorité aux travaux de Beau de Rochas et, en 1886, le brevet d'Otto est invalidé. Beau de Rochas, qui ne s'est pas impliqué dans ces débats, acquiert une véritable notoriété, au point que le cycle thermodynamique qu'il a décrit est consacré comme « cycle de Beau de Rochas », et non pas « cycle d'Otto ». Mais il n'en tire aucun avantage pécuniaire.

En 1887 il transmet à l'Académie des Sciences un mémoire intitulé « Conversion de l'énergie potentielle de fluides élastiques à haute pression, en travail direct de translation »[25]. Il y décrit le principe de propulsion par réaction, mais ne mentionne que des applications au transport terrestre.

Assurance du travail modifier

En 1868, des industriels parisiens lui demandent d'étudier les répercussions financières d'un système d'assurances pour les accidents du travail[26].

Prix et distinctions modifier

De son vivant modifier

  • Prix Trémont de l'Académie des Sciences (décembre 1890)[9]. Ce prix, d'une valeur portée à 2 000 francs pour cette occasion[27], a été décerné à Beau de Rochas sans qu'aucune justification, ni même mention de ses mérites et découvertes apparaisse dans le compte-rendu de l'Académie, alors que la quasi-totalité des nombreux autres prix valent à leur récipiendaire un éloge dans ce même compte-rendu.
  • Prix spécial de mécanique pour l'invention du cycle à quatre temps, décerné par la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale (juillet 1891)[10]. Le rapporteur, J. Hirsch, fait un résumé de la vie et des apports de Beau de Rochas, tout particulièrement de ceux relatifs aux moteurs. Il mentionne également l'état de gêne financière du récipiendaire et propose de lui attribuer ce prix spécial de 3 000 francs, aucun des prix traditionnels de la Société ne correspondant au cas de Beau de Rochas.

Après sa mort modifier

 
Plaque commémorative à Vincennes.
  • Bas-relief dévoilé au salon de l'Automobile, donné ensuite au Conservatoire national des arts et métiers (octobre 1937)[24].
  • Plaque commémorative et discours à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale (mai 1938)[24].
  • Plaque commémorative à Vincennes à l'occasion du centenaire de l'industrie automobile française (1984).
  • Cérémonies du centenaire de sa mort organisées à Digne (1993), avec rassemblement de voitures anciennes, exposition, conférences et passage de la patrouille de France[2].

Beau de Rochas à notre époque modifier

Dans la ville modifier

 
Mémorial Beau de Rochas à Digne-les-Bains.

Le nom d'Alphonse Beau de Rochas est présent dans plusieurs villes françaises, notamment à :

Numismatique modifier

Des médailles commémoratives ont été créées à l'effigie de Beau de Rochas pour célébrer le centenaire de son brevet de 1862 et celui de sa disparition en 1893[30].

Notes et références modifier

  1. Digne est depuis 1988 officiellement dénommée Digne-les-Bains.
  2. a b c et d Gérard Perrin-Gouron 1999.
  3. Le service militaire dure alors 6 ans.
  4. Sa peine ne sera remise qu'avec l'amnistie générale du 15 août 1859.
  5. Cette compagnie vient d'être créée par les frères Pereire.
  6. Le sous titre du journal est le mot latin « laboramus » qui veut dire « nous travaillons ».
  7. « Constitution politique et sociale », sur RetroNews - Le site de presse de la BnF, (consulté le )
  8. Le régime constitutionnel, politique et social (Journal), Paris, , 4 p.
  9. a et b Académie des Sciences, Comptes rendus hebdomadaires Tome 111 Juillet-Décembre 1890, Paris, Gauthier-Villars et Fils, , 1172 p. (lire en ligne), p. 1089
  10. a et b Société d'encouragement pour l'industrie nationale, Bulletin 4ème série Tome VI 1891, Paris, Société d'encouragement pour l'industrie nationale, , 744 p. (lire en ligne), p. 359-364
  11. Il a emménagé à Vincennes en 1887.
  12. Alphonse Beau de Rochas et Philippe Breton, « Théorie mécanique des télégraphes sous-marins », sur cnum.cnam.fr, (consulté le )
  13. Orange Cité des Télécoms, « Câbles télégraphiques », sur Orange (consulté le )
  14. INPI, « Système de porte feuilles dit plans carnets », sur Bases brevets du 19e siècle (consulté le )
  15. Alphonse Beau de Rochas, Plan-carnet de la ville de Paris : portefeuille spécial du voyageur dans Paris., Paris, Smith, , 74 p. (lire en ligne)
  16. Alphonse Beau de Rochas, Extrait du Rapport de M. l'ingénieur Alph. Beau de Rochas, sur l'établissement du dock de Bourgogne à Dijon, impr. de Loireau-Feuchot, (lire en ligne)
  17. Alphonse Beau de Rochas, Conférence faite à la Société des études coloniales et maritimes sur l'établissement d'une communication tubulaire sous-marine à travers le détroit du Pas-de-Calais, parallèle avec l'établissement d'un tunnel et avec celui d'un pont, par Alph. Beau de Rochas,..., Dunod, (lire en ligne)
  18. Alphonse Beau de Rochas, Oasis et Soudan : la pénétration du Soudan, considérée dans ses rapports avec la création de grandes oasis sahariennes, Paris, Fischbarer, , 64 p. (lire en ligne)
  19. Alphonse Beau de Rochas, Mémoire sur l'établissement des chemins de fer dans les Alpes. Lignes principales de Grenoble à Nice et d'Avignon à Coni (par A. Beau de Rochas), impr. de Vve A. Guichard, (lire en ligne)
  20. Phillips (rapporteur) et Beau de Rochas (auteur), « Rapport sur le mémoire "De la traction des bateaux fondée sur le principe de l'adhérence" de M. Beau de Rochas », sur cnum.cnam.fr, Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, (consulté le )
  21. Alphonse Beau de Rochas, Nouvelles recherches sur les conditions pratiques de plus grande utilisation de la chaleur et, en général, de la force motrice avec application au chemin de fer et à la navigation, Paris, Lacroix, , 58 p. (lire en ligne)
  22. Référence 52593.
  23. Beau de Rochas, « Perfectionnements dans les conditions pratiques de plus grande utilisation de la chaleur et en général de la force », sur Bases de brevets du 19ème siècle INPI, (consulté le )
  24. a b et c Société d'encouragement pour l'industrie nationale 1938.
  25. Beau de Rochas, Académie des Sciences, « Mémoire de M. Beau de Rochas sur la « conversion de l'énergie potentielle de fluides élastiques à haute pression en travail direct de translation ». », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences séance du 29 août 1887, sur Gallica, (consulté le ), p. 402
  26. Alphonse Beau de Rochas, Commentaire de la loi portant création d'une Caisse d'assurance en cas d'accidents résultant de travaux agricoles et industriels, en ce qui touche la responsabilité des entrepreneurs, suivi de l'analyse des statuts de la Caisse sanitaire, association mutuelle des entrepreneurs contre les risques de leur responsabilité civile en matière d'accidents, par Alph. Beau de Rochas, E. Lacroix, (lire en ligne)
  27. Ce montant est très inférieur à celui octroyé par l'Académie aux récipiendaires d'autres prix plus prestigieux de cette institution.
  28. « Accueil », sur Lycée Automobile Beau de Rochas (consulté le )
  29. « LYCEE DES METIERS Alphonse BEAU DE ROCHAS », sur www.lyc-beauderochas.ac-aix-marseille.fr (consulté le )
  30. Jean-François Delénat, « Alphonse Beau de Rochas (1815-1893) », sur hauteprovencenumismatique.e-monsite.com (consulté le )

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Gérard Perrin-Gouron, Beau de Rochas : ses origines, son œuvre scientifique, sa vie, Grenoble, Académie Delphinale de Grenoble, (lire en ligne).  
  • Jacques Payen et Gérard Perrin-Gouron, Beau de Rochas, sa vie, son œuvre, Editions de Haute-Provence, , 150 p. (ISBN 978-2-909-80029-5)
  • Société d'encouragement pour l'industrie nationale, Bulletin 1938, Paris, , 463 p. (lire en ligne), p. 209-239.  

Articles connexes modifier

Liens externes modifier