Équation de Schröder-van Laar

En chimie physique, l'équation de Schröder-van Laar représente l'évolution de la composition d'un mélange liquide binaire (composé de deux espèces chimiques) en fonction de la température lorsque seul l'un des deux corps se solidifie (les deux corps ne sont pas miscibles en phase solide). En d'autres termes, elle représente la courbe de congélation du mélange liquide ou la courbe de solubilité du solide dans le liquide.

Figure 1 - Diagramme de phase eau-chlorure de sodium. La courbe (liquidus) séparant le domaine du liquide des deux domaines liquide + solide peut être représentée à l'aide de l'équation de Schröder-van Laar.

Cette équation est aussi appelée équation de Schröder-Le Chatelier[1],[2], ou encore équation de Schröder-van Laar-Le Chatelier. Elle a été proposée indépendamment par Le Chatelier en 1885[3],[4], Schröder en 1893[5] et van Laar en 1903[6],[7]. Elle décrit le liquidus d'un diagramme de phase liquide-solide lorsque les deux solides purs sont totalement non miscibles et permet de déterminer la température et la composition de l'eutectique. Elle a pour cas limite la loi de la cryométrie lorsque la quantité en phase liquide du corps qui ne se solidifie pas est négligeable devant celle du corps qui se solidifie.

Cette équation peut être étendue au cas des solides miscibles et au cas des solutions non idéales. Elle permet alors de représenter également le solidus du diagramme de phase liquide-solide.

Énoncé modifier

Solides non miscibles modifier

Soit un mélange binaire, constitué des deux espèces chimiques   et  , liquide sous la pression   constante. On suppose que les corps   et   ne sont pas miscibles en phase solide, c'est-à-dire que seul l'un des deux corps se solidifie lors d'un refroidissement du liquide, l'autre restant en phase liquide. On suppose ici que le corps   se solidifie progressivement lors de l'opération de refroidissement.

L'équation de Schröder-van Laar lie la composition du liquide à la température de l'équilibre liquide-solide   ; elle s'écrit :

Équation de Schröder-van Laar

 

avec :

  •   la pression de l'équilibre liquide-solide ;
  •   la constante universelle des gaz parfaits ;
  •   la température de l'équilibre liquide-solide sous la pression   ;
  •   la température du fusion du corps   pur sous la pression   ;
  •   la fraction molaire du corps   dans la phase liquide ;
  •   l'écart des capacités thermiques isobares molaires du corps   pur liquide et solide à   :
    •   ;
    •   la capacité thermique isobare molaire du corps   liquide pur ;
    •   la capacité thermique isobare molaire du corps   solide pur ;
  •   l'enthalpie de fusion du corps   pur à  .

Les capacités thermiques du liquide et du solide d'un corps pur étant généralement assez proches :

 

l'équation peut être simplifiée en :

Équation de Schröder-van Laar simplifiée

 

Solides miscibles modifier

Si les deux solides sont miscibles, les solutions liquide et solide étant idéales, l'équation de Schröder-van Laar peut être étendue sous la forme :

Solutions liquide et solide idéales
 

avec   et   les fractions molaires du corps   respectivement dans les phases liquide et solide.

Généralisation modifier

Dans le cas général, c'est-à-dire dans le cas où les solutions solide et liquide ne sont pas idéales, on a :

Cas général
 

avec :

  •   et   les activités chimiques du corps   à   respectivement dans les phases liquide et solide ;
  •   et   les fractions molaires du corps   respectivement dans les phases liquide et solide ;
  •   et   les coefficients d'activité du corps   à   respectivement dans les phases liquide et solide, tels que   et  .

Démonstration modifier

On considère un mélange binaire, constitué des deux corps   et  , à l'équilibre liquide-solide sous une pression   constante à la température  . La démonstration est effectuée dans un premier temps dans le cas général, avec pour seule hypothèse que les propriétés physiques du corps   peuvent être considérées comme constantes entre la température de fusion   du corps pur et la température   du mélange. Le raisonnement mené sur le corps   est également valable pour le corps  .

À l'équilibre liquide-solide on a pour le corps   l'égalité des potentiels chimiques :

(1)  

avec :

  •   le potentiel chimique du corps   en phase liquide à   ;
  •   le potentiel chimique du corps   en phase solide à  .

Les potentiels chimiques du corps en solution s'écrivent en fonction des potentiels chimiques du corps pur :

(1a)  
(1b)  

avec :

  •   et   les potentiels chimiques du corps   pur à   respectivement dans les phases liquide et solide ;
  •   et   les activités chimiques du corps   à   respectivement dans les phases liquide et solide ;
  •   la constante universelle des gaz parfaits.

On réécrit la relation (1) :

(2)  

Étant donné l'identité de l'enthalpie libre molaire et du potentiel chimique d'un corps pur, la relation de Gibbs-Helmholtz donne pour un corps pur quelconque, quelle que soit la phase, liquide ou solide :

(3)  

avec   l'enthalpie molaire du corps pur. En introduisant   la capacité thermique isobare molaire du corps pur dans la phase considérée, on a :

 

que l'on intègre entre  , la température de fusion du corps pur sous la pression  , et   :

 

En considérant que   varie peu en fonction de la température on obtient :

 

On injecte cette relation dans (3) que l'on intègre entre   et   :

 
 

En introduisant l'entropie molaire   du corps pur dans la phase considérée et en considérant la relation :

 

on obtient :

 

que l'on décline pour le corps   pur dans chacune des deux phases :

 
 

On a ainsi la relation :

(5)  

En introduisant l'enthalpie de fusion   du corps pur  , avec par définition les relations :

 

et l'écart des capacités thermiques :

 

on réécrit la relation (5) :

 

puis la relation (2), pour aboutir à la relation générale[8] :

Cas général
 

Si le solide et le liquide sont des solutions idéales, alors dans les relations (1a) et (1b) :

 
 

avec   et   les fractions molaires du corps   respectivement dans les phases liquide et solide. On a ainsi la courbe idéale :

Solutions liquide et solide idéales
 

Si le solide est constitué du corps   pur, alors  , on obtient l'équation de Schröder-van Laar :

Équation de Shröder-van Laar
 

Applications modifier

Détermination d'un eutectique modifier

 
Figure 2 - Diagramme de phase de deux corps A et B, équilibre liquide-solide présentant un eutectique. Le domaine L est celui du liquide seul, le domaine A+L celui du liquide en équilibre avec le solide A, le domaine L+B celui du liquide en équilibre avec le solide B. Le liquidus est la courbe séparant ces trois domaines. L'eutectique E est le point de rencontre des trois domaines L, A+L et L+B.

On considère un mélange de deux corps   et   à l'équilibre liquide-solide. L'équation de Schröder-van Laar est basée sur l'hypothèse des solides   et   non miscibles. Elle ne peut donc représenter totalement le liquidus du mélange binaire depuis le corps   pur (soit   et  ) jusqu'au corps   pur (soit   et  ). Dans le cas de deux solides non miscibles, il existe un point nommé eutectique auquel le liquide est en équilibre avec un solide de même composition (voir figure ci-contre). Pour décrire le liquidus d'un tel système, l'équation de Schröder-van Laar est appliquée :

  • au corps  , entre l'axe représentant ce corps pur et l'eutectique, pour tracer la branche du liquidus entre les domaines   et   :
 
  • puis au corps  , entre l'eutectique et l'axe représentant ce corps pur, pour tracer la branche du liquidus entre les domaines   et   :
 

avec :

  •   la température ;
  •   et   les températures de fusion respectives du corps   et du corps   ;
  •   et   les fractions molaires respectives du corps   et du corps   dans le liquide (avec la contrainte  ) ;
  •   et   les enthalpies de fusion respectives du corps   et du corps   respectivement à   et  .

À l'eutectique il y a simultanément présence de trois phases : le liquide binaire, le corps   pur solide et le corps   pur solide. Les deux branches du liquidus s'y rencontrent. On peut par conséquent écrire pour les équilibres entre le liquide et chacun des deux solides :

 
 

avec   la température de l'eutectique. On a ainsi un système de deux équations à deux inconnues :   et  .

Exemple[9]
Le chlorure d'argent AgCl et le chlorure de zinc ZnCl2 ne sont pas miscibles à l'état solide. Les propriétés de ces deux corps sont données dans le tableau suivant.
Propriétés du AgCl et du ZnCl2
Espèce Température de fusion
  (°C)
Enthalpie de fusion
  (kJ/mol)
Masse molaire
  (g/mol)
AgCl 455 13,2 143,32
ZnCl2 283 23,2 136,28
On obtient pour l'eutectique :
  • la température   = 506,75 K = 233,6 °C ;
  • la fraction molaire de ZnCl2 :   = 0,614, soit 60,2 % en masse.
Le diagramme de phases expérimental AgCl-ZnCl2 fait apparaître un eutectique à 504 K (231 °C) avec une fraction molaire   = 0,465, soit 45,2 % en masse[10].

Loi de la cryométrie modifier

On considère toujours que les corps   et   ne sont pas miscibles en phase solide et que la phase liquide est une solution idéale. Si le corps   est négligeable dans le liquide par rapport au corps  , soit en termes de fraction molaire  , alors par développement limité :

 

On réécrit l'équation de Schröder-van Laar simplifiée :

 
 

Puisque l'on est très proche du corps   pur :

 

on obtient finalement la loi de la cryométrie :

Loi de la cryométrie :  

Puisque seul le corps   se solidifie, la température   est sa température de fusion en présence du corps  . Le terme de droite de l'égalité précédente étant positif, on a   : le corps   fait donc baisser proportionnellement à sa fraction molaire en phase liquide la température de fusion du corps  .

D'autre part, la courbe   étant le liquidus du diagramme binaire, on a à l'approche du corps   pur  . La pente du liquidus en   est donc non nulle, de plus elle est négative ; autrement dit la tangente du liquidus en   n'est pas horizontale, c'est une droite décroissante. En   la tangente au liquidus est une droite croissante de pente  . La figure 2 précédente montrant un eutectique est donc fautive, puisque les deux tangentes du liquidus aux intersections des axes   et   y sont horizontales. La figure 1 est plus réaliste.

Tracé d'un diagramme de phase idéal modifier

 
Figure 3 - Diagramme binaire liquide-solide dans lequel les deux solides sont totalement miscibles.

On considère un mélange de deux corps   et   à l'équilibre liquide-solide. Les deux solides sont totalement miscibles et les deux solutions liquide et solide sont idéales. Le système, à pression constante, est décrit par les quatre équations :

 
 
 
 

avec :

  •   la température ;
  •   et   les températures de fusion respectives du corps   et du corps   purs ;
  •   et   les fractions molaires respectives du corps   et du corps   dans la solution liquide ;
  •   et   les fractions molaires respectives du corps   et du corps   dans la solution solide ;
  •   et   les enthalpies de fusion respectives du corps   et du corps   purs respectivement à   et  .

On pose :

 
 

Pour une température   donnée on a :

 
 
 
 

Si l'on choisit, arbitrairement, le corps   comme référence, en faisant varier la température   entre   et  , la courbe   est le liquidus du diagramme de phase, la courbe   est le solidus, voir la figure 3.

Exemple[11]
Le cuivre Cu et le nickel Ni sont miscibles en toute proportion à l'état solide et leur mélange a un comportement idéal. Les propriétés de ces deux corps sont données dans le tableau suivant.
Propriétés du Cu et du Ni
Espèce Température de fusion
  (K)
Enthalpie de fusion
  (kJ/mol)
Cu 1 357,8 13,26
Ni 1 728,3 17,48
On obtient pour diverses températures les valeurs présentées dans le tableau suivant.
Valeurs calculées des liquidus et solidus du système Cu-Ni idéal
Température   (K) 1 357,8 1 400 1 450 1 500 1 550 1 600 1 650 1 700 1 728,3
Fraction molaire du Ni liquide   0 0,095 2 0,214 9 0,341 5 0,474 8 0,614 5 0,760 5 0,912 6 1
Fraction molaire du Ni solide   0 0,126 6 0,271 4 0,410 9 0,545 9 0,677 3 0,805 5 0,930 9 1
On peut tracer la figure 4.
 
Figure 4 - Diagramme de phase solide-liquide du mélange binaire cuivre-nickel établi par l'équation de Schröder-van Laar.

Point de fusion congruent modifier

 
Figure 5 - Diagramme de phase de l'alliage or-cuivre (Au-Cu). Les courbes d'équilibre liquide-solide, entre 1 100 K et 1 400 K, présentent un point de fusion congruent à 1 180 K (910 °C) pour une composition d'environ 44 % molaire de cuivre. Ce comportement prouve la non idéalité de l'alliage or-cuivre.

L'hypothèse de l'idéalité ne permet pas de représenter les cas de point de fusion congruent. En un point de fusion congruent le liquide et le solide ont la même composition (contrairement au cas de l'eutectique, dans le cas d'un point de fusion congruent les deux solides sont totalement miscibles) :

 
 

soit :

 
 

Les seules solutions sont :

  •  , soit   et  , le corps   est pur ;
  •  , soit   et  , le corps   est pur.

Un point de fusion congruent est une preuve de non idéalité des solutions liquide et solide. L'alliage or-cuivre présente un point de fusion congruent et n'est donc pas idéal ; son diagramme de phase (voir figure 5) ne peut donc pas être tracé à l'aide de l'équation de Schröder-van Laar. Pour représenter ce type de comportement, il est nécessaire d'employer la forme générale de l'équation comprenant les activités chimiques.

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. M. Malinovský Chem. zvesti, 30 (6), 721—729 (1976).
  2. (en) Michel Soustelle, Phase Transformations, vol. 5, John Wiley & Sons, coll. « Chemical engineering series - Chemical thermodynamics set », , 230 p. (ISBN 978-1-84821-868-0, lire en ligne), p. 102.
  3. H. Le Chatelier, C. R. Acad. Sc., 1885, 100, p. 441..
  4. H. Le Chatelier, C. R. Acad. Sc., 1894, 118, p. 638..
  5. I. Schröder, Z. Phys. Chem., 1893, 11, p. 449.
  6. J. J. van Laar, Arch. Néerl., 1903, II, 8, p. 264..
  7. J. J. van Laar, Z. Phys. Chem., 1908, 63, p. 216.
  8. Rousseau 1987, p. 45-47.
  9. Mesplède p. 182.
  10. (en) Alina Wojakowska, Agata Górniak, A. Wojakowski et Stanisława Plińska, « Studies of phase equilibria in the systems ZnCl2-AgCl and ZnBr2-AgBr », Journal of Thermal Analysis and Calorimetry, vol. 77, no 1,‎ , p. 41–47 (ISSN 1388-6150, DOI 10.1023/B:JTAN.0000033186.52150.8d, lire en ligne, consulté le ).
  11. Mesplède p. 193-p. 202.

Bibliographie modifier

Liens externes modifier

Articles connexes modifier