Tu n'en reviendras pas

poème de Louis Aragon

Tu n'en reviendras pas est un poème de Louis Aragon, ainsi qu'une chanson composée et chantée par Léo Ferré, et éditée par les disques Barclay en 1961.

Le poète y évoque son expérience de médecin militaire auxiliaire en 1918 pendant la Première Guerre mondiale, poème en alexandrins écrits d'une manière régulière. Témoignage sur la tragédie sans nom de la guerre, il est publié en 1956 dans Le Roman inachevé.

Le poème modifier

 
Gare de la Verberie, dans l'Oise, début du XXe siècle. C'est de cette gare que Louis Aragon prit le train pour le Front avec son régiment.

Le poème chanté est extrait d'un autre poème beaucoup plus long intitulé : « Les ombres se mêlaient et battaient la semelle » paru en 1956 dans Le Roman inachevé sous le chapitre « La guerre et ce qui s’ensuivit » [1],[2]. Ce texte évoque le départ des soldats pour le Front de la Première Guerre mondiale[3],[4], les horreurs qui s'ensuivirent ainsi que la condition humaine[5].

Aragon construit ici un « fraternel » monument aux morts[6] car tous ces conscrits disaient en partant : « Je reviendrai » ou « À mon retour »[6], selon son biographe Pierre Juquin. Il use du procédé du tutoiement, nous les rend proches, même familiers et vivants paradoxalement dans l'instant présent. C'est toi « qui ne reviendras pas », écrit-il.

Selon Pierre Juquin, ce texte est donc une « complainte à hauteur d'homme »[6] d'un poète qui fut adjudant-médecin[7] et qui a connu des cœurs chauds, abimés : « Jeune homme dont j'ai mis le cœur à nu » (ce jeune homme anéanti par une blessure terrible), soigné les chairs blessées. Et chaque mort fut évidemment pour lui unique[6]. De même plus loin : « Quand j'ai déchiré ta chemise » évoque le brancardier que fut aussi ce poète, afin de voir ce soldat blessé et le soigner enfin. Il fait également allusion aux « Gueules cassées », blessés défigurés.

Un regard mélancolique empreint de cauchemars accompagne ses compagnons d'armes : « On part Dieu sait pour où, ça tient du mauvais rêve » car « Les bonshommes là-bas attendent la relève ».

La chanson modifier

Genèse modifier

Lorsqu'il composait une chanson, Léo Ferré se mettait au piano, le recueil posé devant lui, et la jouait, chantant dans la foulée. Soit cela venait, soit cela ne venait pas et il passait alors à un autre poème[8].

Plus tard, en 1961, il explique :

« J'ai rencontré Aragon dans son livre, dans sa poésie, au cœur même de ses mots. Je l'ai lu avec mes mains enchaînées au clavier et à ma voix. Entendons nous bien : cela n'est pas une formule, ni une image, mais l'expression d'une technique. Le vers d'Aragon est, en dehors de toute évocation, branché sur la musique (...) Derrière la porte des paroles d'Aragon, il y avait une musique, que j'ai trouvée, immédiatement. Et quand cela n'était pas immédiat, je tournais la page et passais à d'autres portes. J'ai mis Aragon en musique de la même façon que j'ai mis en musique Rutebeuf ... »

— Propos rapportés par Louis-Jean Calvet[8]

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Sur les ondes et en disque modifier

Le , à la Radiodiffusion-télévision française (RTF), sur France III[9], dans l'émission radiophonique hebdomadaire Avant-premières produite par Jean Grunebaum et animée par Luc Bérimont, Léo Ferré annonce qu'il a mis en musique quinze chansons d'Aragon puis il chante Tu n'en reviendras pas[10],[11],[12]. Finalement, dix chansons seulement composeront le disque Léo Ferré chante Aragon édité par Barclay en 1961. Ce disque fera découvrir Léo Ferré au public des lettres et inversement celui de la scène musicale écoutera Aragon.

Reprises modifier

Hommage et ce qui s'ensuivit modifier

 
Louis Aragon en uniforme (1917-1919), date inconnue.

Le , Louis Aragon participe à Couvrelles, dans l'Aisne, à une attaque meurtrière avec son bataillon ; parti soigner ses hommes, il est plusieurs fois enseveli sous les cadavres par une pluie d'obus [4]. Il est déclaré mort le jour même - sa vareuse étant trouvée avec une de ses lettres[13]. Quelques jours après, il vient rendre hommage à ses camarades au cimetière, aménagé à la hâte, et stupeur il voit une croix avec son nom. (De cet épisode de sa vie, il écrira trois poèmes parus dans le Roman inachevé)[14].

La Croix de Guerre lui est décernée pour cet acte héroïque et il est cité à l'ordre de la division[15] Après la guerre (il servit sous les drapeaux jusqu'en 1919), il renonce en 1922 à sa carrière de médecin pour devenir poète.

Notes et références modifier

Notes modifier

Références modifier

  1. Amis d'Aragon et d'Elsa Triolet (textes d'Aragon mis en musique).
  2. Tu n'en reviendras pas, Académie d'Aix-Marseille.
  3. Départ pour le front de l'Est que vécut Aragon, lui qui prit le train à La Verberie pour rejoindre le 355e régiment d'infanterie
  4. a et b www.chemindesdames.fr (La lettre du chemin des Dames novembre 2018)
  5. Collectif, Mémoires de l’événement. Constructions littéraires des faits historiques (XIXe-XXe siècle), Anthony Mangeon et Corinne Grenouillet dir., Presses universitaires de Strasbourg, 2020, 382 p., pp. 78-79.
  6. a b c et d Pierre Juquin, Aragon. Un destin français 1897-1939, Media Diffusion, 2012, 807 p. (sans pagination).
  7. :« si Aragon n'a jamais eu le titre de médecin, il en a suivi toute la formation, et notamment il a eu à voir l'horreur des tranchées (...) en tant que médecin auxiliaire », cf. Gabriella Bosco, Roberta Sapino, I cadaveri nell’armadio, Sette lezioni di teoria del romanzo, Rosenberg & Sellier, 2016 p. 25.
  8. a et b Louis-Jean Calvet, Chanson, la bande-son de notre histoire, L'Archipel, 2013 (sans pagination).
  9. Grille des programmes pour la saison 1959-1960, sur www.radioscope.fr.
  10. Léo Ferré en 1959 dans l'émission de Luc Bérimont.
  11. Jacques Layani, Avec Luc Bérimond 2/4, Léo Ferré, Études et propos, dimanche 19 novembre 2006.
  12. À propos de Luc Bérimont, lire Luc Bérimont : Un ami de la chanson, article que lui a consacré Jacques Vassal dans le numéro 66 de la revue Nord en 2015.
  13. Dictionnaire du Chemin des Dames (Louis Aragon)
  14. Louis Aragon mort dans l'Aisne une première fois sur le site du département de l'Aisne, aisne.com.
  15. Jean-Jacques Brochier, L'Aventure des surréalistes (1914-1940), Stock, 1976 (réédition numérique FeniXX) (sans pagination).

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier