Tantum ergo III (Fauré)

Le troisième Tantum ergo de Gabriel Fauré est un motet composé en 1904, en faveur de la messe de mariage d'Élaine Greffulhe, qui était la fille du comte Henry Greffulhe et de la comtesse Élisabeth de Riquet de Caraman-Chimay-Greffulhe. À la différence des deux Tantum ergo précédents, il s'agit d'une œuvre sans numéro d'opus. Conçue pour le chœur de l'église de la Madeleine à Paris, celle-ci a été exécutée, avec l'orgue de Fauré, le 14 novembre 1904, lors de ladite messe de mariage.

Tantum ergo
sans numéro d'opus
Image illustrative de l’article Tantum ergo III (Fauré)
Élaine Greffulhe (par Paul Nadar)
en faveur de laquelle Fauré composa la pièce.

Genre motet
Nb. de mouvements 2 strophes
Musique Gabriel Fauré
Texte Tantum ergo
de Thomas d'Aquin
Langue originale latin
Effectif chœur mixte à 4 voix, orgue,
avec/sans quintette à cordes
Durée approximative 2 minutes
Dates de composition
Dédicataire Comtesse Greffulhe
(Élisabeth de Riquet de Caraman-Chimay-Greffulhe)
Partition autographe bibliothèque nationale de France
Création
église de la Madeleine à Paris
Interprètes Gabriel Fauré (orgue)

Historique

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Ce motet Tantum ergo se remarquait des deux vies principales de Gabriel Fauré. D'une part, celui-ci a été composé à la fin de son long service auprès de l'église de la Madeleine. Après avoir été nommé maître de chœur en 1877, il était organiste titulaire depuis 1896. À la Madeleine, il s'agissait du responsable de toute la liturgie musicale. L'année suivante 1905, il sera nommé directeur de la conservatoire de Paris[cv 1]. Si c'était sa vie officielle, Fauré était, d'autre part, un musicien réputé au salon, dans sa vie privée, quel que soit l'opinion des parisiens. Et à cette Belle Époque, la comtesse Greffulhe, née Élisabeth de Riquet de Caraman-Chimay, était non seulement un personnage important mais également une des amies et mécènes de Fauré[cv 1].

Lorsque la fille unique de la comtesse, Élaine Greffulhe, a épousé à la Madeleine le duc Armand de Gramont, ami de Marcel Proust, Fauré avait un grand honneur d'avoir organisé la messe de mariage, en tant qu'organiste titulaire[1]. La famille du duc conserve une carte de visite autographe de Fauré, qui détaillait le programme musical[ca 1] :

  1. Marche de Jeanne d'Arc de Charles Gounod pour l'entrée ;
  2. Chœur des pélerins (Tannhäuser) de Richard Wagner ;
  3. Largo de Georg Friedrich Haendel ;
  4. Tantum ergo de Gabriel Fauré ;
  5. paraphrase sur un thème de Quintette pour piano et cordes n°1 de Fauré ;
  6. Motet à la Sainte Vierge [de César Franck[2]] ;
  7. de nouveau Marche de Jeanne d'Arc de Gounod pour sortie.

Présidée par l'abbé Arthur Mugnier, la messe de mariage a débuté à midi, le 14 novembre 1904, et duré plus de deux heures, en raison de ces exécutions distinguées[1]. C'était Fauré lui-même qui a joué l'orgue pour ces musiques[1]. Grand mariage, mais il s'agissait pareillement d'un spectacle musical ou concert, qui comptait Marcel Proust parmi les participants et auditeurs[1].

Et pour cette messe, ce que Gabriel Fauré avait fait chanter était un Tantum ergo, nouvellement composé. Théoriquement, Achille Runner, nouveau chef de chœur de la Madeleine, a dirigé la schola pour le kyriale (Kyrie, Gloria ...). Mais il n'est pas certain qu'il ait pris la baguette pour le Tantum ergo. Manque de document, le nom de garçon ou d'artiste qui a chanté le solo non plus, n'est pas connu.

Lors de la publication de l'œuvre en 1905, elle était dédiée « À Mme la comtesse Greffulhe »[cv 2].

On ignore la raison pour laquelle l'œuvre manque de numéro d'opus, à la différence des deux Tantum ergo précédents :

  1. vers 1890 : en la majeur, op. 55 ;
  2. 1894 : en mi majeur, op. 65, n° 2.

Une hypothèse est que le compositeur voulait dédier et affecter la pièce à la famille Greffulhe. (Or auparavant, Fauré avait octroyé au compositeur André Messager son Madrigal op. 35, comme cadeau de noces.)

« Mariages
— Un grand mariage.
Jamais peut-être, de mémoire de Parisien, l'église de la Madeleine n'avait présenté une physionomie semblable à celle qu'elle offrait hier à midi, à l'occasion de la célébration du mariage du duc de Guiche, fils aîné du duc et de la duchesse de Gramont, avec Mlle Greffulhe, fille unique du comte et de la comtesse Greffulhe et petite-fille de la comtesse Greffulhe, née La Rochefoucauld. ............
La corbeille et les nombreux cadeaux — 1.250 environ — qui avaient été adressées aux jeunes époux, s'y trouvaient exposés. ..... ; [cadeau de] M. Gabriel Fauré, manuscrit du Tantum ergo, composé spécialement pour la circonstance et exécuté pendant la messe de mariage. »

— Le Gaulois, le 15 novembre 1904, p. 2[3]

Versions

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En faveur de cet événement, le compositeur a laissé trois manuscrits autographes, tous les trois en fa majeur. Parmi eux, deux sont de la version d'orgue, plus précisément pour soprano ou ténor solo, chœur à 4 voix (soprano, alto, ténor et basse) et orgue. Le premier, daté du 3 novembre 1904 et conservé à la bibliothèque nationale de France depuis 1978 (manuscrit 17782), n'était pas complétement achevé[ca 2]. Le deuxième, utilisé pour la messe, a été octroyé aux mariés par Fauré, en tant que cadeau de mariage[ca 1]. Alors que le premier manque d'indication de tempo, le compositeur précisait, sur le deuxième, le tempo andante moderato[ca 2]. Ce dernier était daté du 8 novembre, selon la description des photocopies[ca 1]. Il semble que l'original du manuscrit II soit toujours gardé dans les archives familiales[ca 1].

Il existe un autre manuscrit autographe en fa majeur. Il s'agit d'une partition de l'accompagnement de cordes, sans parties de voix à l'exception de quelques fragments[ca 3]. Notée par Fauré Tantum ergo / quatuor (en fait, quintette), ce manuscrit se conservait aux archives de la paroisse de la Madeleine[ca 3]. Celui-ci a été accueilli à la bibliothèque nationale en 1978, en tant que manuscrit 17722. D'après l'étude de Jean-Michel Nectoux, cette partition était en usage pour la messe de mariage[ca 3]. En effet, la pratique de l'église de la Madeleine était, en général, accompagnée de l'orgue ou l'harmonium, souvent avec une contrebasse aussi. Parfois, la harpe était ajoutée[cv 1]. Toutefois, lors de la messe solennelle, telle celle de mariage, l'accompagnement était renforcé, notamment par le quintette à cordes[cv 1]. C'était exactement un mariage duquel tous les parisiens parlaient. Il est donc tout naturel que Fauré, qui avait composé cette œuvre d'abord en version d'orgue, l'ait évoluée et ajouté un accompagnement des instruments à cordes[cv 1],[ca 3].

Puis publication conclue le 7 décembre avec l'éditeurs A. Durant & Fils (4, place de la Madeleine)[ca 1], Fauré a préparé un autre manuscrit autographe, pour la gravure[ca 1],[4]. Cette fois, le mode avait été modifié, en sol bémol majeur[ca 1], à savoir en demi-ton plus haut. Selon Nectoux, il s'agirait de la question de l'esthétique, sans doute mode original venu dans la tête de Fauré. Cependant, dans une lettre de 1907 expédiée à l'éditeur Hamelle, le compositeur précisait : « Inutile de faire deux tons. J'ai composé presque tous ces morceaux pour la Maîtrise de la Madeleine, et cela m'a entraîné à les écrire dans des tons pratiques, ni trop haut, ni trop bas »[cv 1]. L'avis du musicologue est que l'objectif de la version de fa majeur était de faciliter la lecture des musiciens de la Madeleine, surtout pour les enfants de chœur[cv 1]. La première partition a apparu en janvier 1905, chez A. Durant & Fils, avec 300 exemplaires de tirage. C'était l'édition de voix seules sans accompagnement (D.&F.6512bis) qui a connu un modeste succès. Plusieurs retirages ont régulièrement été effectués, jusqu'en 1956[ca 1].

Il est à noter que, dans la même année 1905, une version réduite aussi a été sortie, soit selon l'intention de l'éditeur, soit sollicitée par Fauré. Version destinée à la voix moins aiguë (mezzo-soprano ou baryton), le chœur est devenu facultatif et à l'unisson. Le mode fa majeur était rétabli avec lequel le solfège est plus facile. Cette version (D.&F.6525) n'a connu aucun succès : 1905 (300 exemplaires), 1918 (300) et 1947 (500)[ca 1].

Fauré a fait encore des corrections, pour le recueil Musique religieuse à une ou plusieurs voix par Gabriel Fauré (1911), en faveur de l'éditeur Hamelle, devenu officiel du compositeur[ca 1].

En résumé, après la messe de mariage, Fauré a effectué quelques modifications mineures :

  1. version originale avec orgue et instruments à cordes, en fa majeur (exécutée le 14 novembre 1904) ;
  2. publication d'une version réduite (1905), avec orgue, en sol bémol majeur, ce qui reste version en usage ;
  3. publication supplémentaire (1905) pour faciliter la pratique (pour mezzo-soprano ou baryton ; participation facultative du chœur à l'unisson), en fa majeur.

La version originale n'était pas connue, jusqu'à ce que Nectoux la rétablisse. Pour cela, il lui a fallu consulter tous les manuscrits autographes et publications. Dorénavant, il est possible d'exécuter la version de la messe de mariage, à la suite des publications en édition critique.

Caractéristiques

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Une petite pièce qui ne dure que deux minutes, mais celle-ci a été composée par l'organiste titulaire de la Madeleine en pleine maturité.

Quoiqu'elle fût destinée à une famille aristocrate, Fauré a fait affecter une caractéristique liturgique ou religieuse à l'œuvre. La mélodie était tout composée par l'accent du texte latin, écrit par saint Thomas d'Aquin. Les syllabes accentuées sont, authentiquement, attribuées aux notes importantes et longues. Ancien élève de l'école Niedermeyer, le compositeur connaissait bien cette façon de composition qui se trouve surtout dans le chant grégorien, et était capable de la maîtriser :

« Tantum ergo sacraméntum venerémur cérnui,
et antiquum documéntum novo cedat rítui ;
præstet fides suppleméntum sénsuum deféctui.

Genitóri Genitóque laus et iubilátio,
salus, honor, virtus quoque sit et benedíctio ;
procedénti ab utróque compar sit laudátio. Amen[5],[6]. »

L'œuvre s'illustre donc tant de l'élégance et de la beauté que de la caractéristique religieuse. Il est à noter que, dans cette composition, le texte latin accentué et la mélodie sont tellement inséparables qu'une exécution en traduction risquera de perdre cette beauté, tel le cas du grégorien.

Publications

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Version d'orgue

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  • 1905 : À Madame La Comtesse GREFFULHE, Tantum Ergo Pour Soprano ou Ténor et Chœur avec acce d'orgue, A. Durant & Fils[7], D.&F.6512, Paris[ca 1] ;
  • 1905 : Tantum Ergo pour voix seule (Mezzo-Soprano ou Baryton) avec chœur à l'unisson (ad libitum)[7], A. Durant & Fils[7], D.&F.6525, Paris[ca 1] ;
  • 1911 : Musique religieuse à une ou plusieurs voix de Gabriel Fauré, Hamelle, J.6302.H, Paris[ca 1] ;
  • 1998 : Jean-Michel Nectoux (éd.), Tantum ergo 1904, Carus-Verlag CV70.301/40, Stuttgart[8] ;
  • 2020 (Œuvres complètes) / 2021 (Tantum ergo seul) : Helga Schauerte-Maubouet (éd), Œuvres complètes, tome I-4 (Musique vocale religieuse - Œuvres avec orgue ou deux instruments), Bärenreiter, Kassel[ca 1].

Version d'instruments à cordes (posthume)

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  • 2002 : Jean-Michel Nectoux (éd.), Tantum ergo, version pour soprano ou ténor solo, chœur mixte, quintette à cordes et orgue, Urtext (édition critique), Carus-Verlag CV70.313, Stuttgart ;
  • 2024 : Helga Schauerte-Maubouet (éd.), Œuvres complètes, tome I-3 (Musique vocale religieuse - Œuvres avec orchestre ou ensemble instrumental), Bärenreiter, Kassel[ca 3].

Discographie

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Voir aussi

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Liens externes

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Références bibliographiques

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  1. a b c d e f et g p. 2
  2. p. 4
  1. a b c d e f g h i j k l m et n p. 320
  2. a et b p. 319
  3. a b c d et e p. 321

Notes et références

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  1. a b c et d Le Point, Qu'est-ce qui faisait courir Proust ?
  2. Laure Hillerin, La comtesse Greffulhe : à l'ombre des Guermantes, p. 11, 2014
  3. Les Gaulois, le 15 novembre 1904, p. 2 [lire en ligne]
  4. Ce manuscrit autographe révisé est actuellement conservé au Centre Harry Ransom à Austin (Texas), dans la collection Carlton Lake, dossier de boîte 297.11 [lire en ligne] (consulté le 26 août 2024)
  5. Liturgie latine, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes p. 110, 2005
  6. Il est à noter que, pour le texte latin, l'accent n'est autre que facultatif. Dans les écritures classiques de Rome, la prononciation du latin était contôlée par la quantité et non par l'accent. Mais depuis le Moyen-Âge, c'est l'accent qui dirige le texte, mais sans être écrit. Le signe de l'accent est une pratique tardive.
  7. a b et c La Revue musicale, tome 3 - 4, p. 116 (consulté en ligne le 19 août 2024)
  8. Extrait : partition CV70.301/40 de Carus-Verlag [extrait en ligne]