Camp romain

camp fortifié

Un camp romain est une installation, durable ou provisoire, construite par les armées romaines pour protéger leur cantonnement. Contrairement à toutes les armées antiques, lorsque les légions de la Rome antique en campagne quittent la zone totalement sûre, elles construisent chaque soir un camp fortifié (castrum en latin, pluriel : castra). Cette habitude est très ancienne, et remonte peut-être aux réformes de Camille (Marius a plus tard codifié ces habitudes).

Reconstitution des circonvallations romaines autour d'Alésia à l'archéodrome de Beaune, France.
Reconstitution du camp romain de Templeborough, Angleterre. Produit par Rotherham Museums and Galleries.

Construction modifier

Un camp d'étape pour une légion (pour 6 500 hommes, muletiers compris, sans compter l'état-major) a une forme rectangulaire de 655 sur 610 mètres de côté environ, soit une superficie de 40 hectares (Faux-Vésigneul dans la Marne + Jules César BG2[Quoi ?]). Un camp d'hivernage ou permanent serait deux fois plus grand.

Choix du site modifier

Pour des raisons tactiques, le lieu est de préférence choisi en hauteur. Mais les critères essentiels sont :

  • l'accès sûr et facile (car le camp est établi en fin de journée, donc les troupes sont fatiguées) ;
  • la présence d'un point d'eau ;
  • des prairies suffisantes pour le fourrage des chevaux et des bêtes de somme utilisées ;
  • un terrain le plus uni possible, avec assez de pente pour le drainage : ni rochers, ni racines.

Il est préférable d'être à proximité d'un bois pour construire le camp. Mais on en connaît où tout est en pierre sèche.

Plan modifier

 
Plan du camp romain :
1. Prætorium
2. Via prætoria
3. Via principalis
4. Porta principalis (dextra, droite)
5. Porta decumana
6. Porta principalis (sinestra, gauche)
7. Porta prætoria
 
Maquette du camp d’Argentoratum au musée archéologique de Strasbourg. Les casernements sont alignés le long des murs.

Le principe est toujours le même, ce qui permet une construction très rapide, même si l'on retrouve rarement deux camps identiques. Le tribun et les centurions chargés de l'établissement du camp arpentent le terrain et fixent l'emplacement du prætorium (la tente du général), carré de 60 mètres de côté. Le drapeau blanc planté à cet endroit sert de repère autour duquel s'organise tout le camp : voies, tentes, forum et enceinte. Derrière l'enceinte, un dégagement de l'ordre de 18 mètres (60 pieds selon le Pseudo-Hygin) est laissé libre afin de permettre des mouvements des unités, et mettre les premières rangées de tentes à l'abri des projectiles adverses.

Deux voies principales, la via principalis et le decumanus, se coupent à angle droit devant le prætorium. Si le nombre de légions que le camp abrite est plus élevé, une via quintana parallèle à la via principalis est aussi tracée.

Dans les camps d'hiver ou permanents, les troupes d'élite campent de part et d'autre du prætorium, formées de fantassins et de cavaliers qui logent dans de longs baraquements rectangulaires divisés en dix chambrées en enfilade, accueillant huit soldats chacune. Toute une centurie loge dans un baraquement, constitué d'une succession de doubles-pièces. La première sert de vestiaire aux soldats pour entreposer leurs armes et autres effets personnels encombrants. La deuxième est la chambrée proprement dite, avec une cheminée et des châlits superposés pour coucher les huit hommes du contubernium, placés sous la surveillance d'un chef de chambrée. Chaque chambrée se compose d'une chambre (le papillo) précédée d'une antichambre (l’arma) au sol de terre battue. À l’extrémité de chaque bâtiment, se trouve l’appartement du centurion[1].

Les valetudinaria sont des zones médicales incorporées au camp à partir de la professionnalisation des armées d'Auguste au moins, et sont les versions militaires des aesculapia.

Déroulement de la construction modifier

 
Porta decumana (Porte Nord) au Camp romain de Favianis, en Basse-Autriche.

Les soldats ne commencent à aménager le camp que lorsque le plan est entièrement matérialisé au sol par des fanions de couleur. Le fossé est creusé de façon qu'un talus soit formé (agger). Il est stabilisé par des mottes de gazon. L’infanterie lourde creuse (3 000 hommes), pendant que les troupes légères et la cavalerie montent la garde entre l'ennemi et le camp. Ces gardes débroussaillent également le glacis, de façon à empêcher une approche masquée de l’ennemi. Les branchages sont utilisés pour en faire des cervis, des pieux d’arrêt disposés sur le glacis, le fossé ou le talus. Seul le train de bagages entre alors que le fossé n'est pas creusé ; puis au fur et à mesure, l'infanterie lourde entre, suivie de la cavalerie lorsque la palissade (vallum) côté ennemi est posée. Ceci est le discours classique. Un scénario plus proche de l'archéologie et des textes voudrait que chaque soir, les troupes répètent la manœuvre d'urgence. La colonne (agmen) se divise en deux colonnes qui s'écartent en forme de rectangle (agmen quadrata). Le convoi des mules entre dans le rectangle et l'arrière-garde prend position en ligne sur le dernier côté. Une fois immobilisées et les alignements rectifiés, les troupes passent au travail de retranchement, pendant que les muletiers installent les tentes. Cela se comprend à deux indices : les côtés des camps sont en général droits, mais leurs angles sont toujours approximatifs. Leur périmètre, et souvent chaque côté, est un multiple de 94 m, qui doit être une longueur de manipule. Michel Laforgue signale deux exceptions en France où ces 94 m sont remplacés par 70 m : Alise-Sainte-Reine (21) et Folleville (80). Les mesures que Karl Gutmann a pu effectuer des fondations du fort romain Larga[2] dans le sud de l'Alsace font état de 80 m.

L'enceinte modifier

 
Chemin de ronde du camp romain permanent de Saalburg.
 
Schéma de Tutulus : les bandes vertes représentent l'agger
les bandes marron la fossa.

Même pour une seule nuit, celle-ci est toujours construite, au prix d'une à deux heures de travail. Un fossé de coupe triangulaire est creusé tout autour, de profondeur et largeur variables. La terre est rejetée vers l'intérieur du camp et augmentée de matériaux rapportés (mottes de gazon, pierres, etc.) de façon à former un talus (agger) de 6 m environ à la base et de 3 m d'élévation par rapport au fond du fossé. Cette digue, dont le sommet formant un chemin de ronde est assez large pour laisser passer plusieurs hommes de front, est ou non couronnée d'une palissade (vallum), formée de pieux portés par les légionnaires. Ces pieux sont hauts d’environ 1,7 m, et pointus aux deux bouts (pour faciliter l’enfoncement et pour améliorer l’aspect défensif). Enfoncés de trente cm, ils rehaussent encore l’escarpe (soit un total d'environ 4 m).

Les angles du camp sont toujours arrondis, pour que chaque défenseur n'ait qu'un petit angle à surveiller. Le plan en carte à jouer qui en résulte est caractéristique de l'armée romaine.

Les portes sont de simples interruptions de l'enceinte, en nombre variable, classiquement quatre. En avant de l'ouverture, un fossé et un talus protègent le passage contre une irruption de la cavalerie adverse, en brisant son élan. La chicane peut avoir différentes formes : clé = clavicula ; écriteau = titulus, souvent corrigé en tutulus.

En fonction de la menace, on peut ajouter les jours suivants des tours de bois sur la digue, en commençant par les angles et les portes, un parapet, des créneaux, et même envisager des vantaux aux portes, maintenus entre les tours.

Défense du camp modifier

Le plan à périmètre réduit permet de n’occuper qu’une faible partie de la légion à la garde : pour un périmètre de 1 000 m, avec un garde tous les 10 à 15 m, seuls 70 à 100 hommes sont tenus éveillés (plus les postes aux entrées et les rondes) soit moins d’un trentième de la troupe. La légion qui repart le lendemain est donc fraîche et dispose, ayant bénéficié d’un sommeil tranquille. On sait par Pseudo-Hygin (De munitionibus castrorum) qu'un légionnaire sur cinq était d'astreinte de nuit. Même s'il n'avait de service effectif que pendant une seule veille (un quart de la nuit), cela représente 5 % de l'effectif à monter la garde.

Organisation de la garde modifier

Les velites (troupes légères sous la République) formaient des avant-postes en dehors du camp, près des portes dont ils assuraient la garde.

Chaque sentinelle désignée par un sous-officier de son manipule se voit remettre par un tribun une tablette de terre cuite (tessera) portant un signe inscrit.

Au cours de la nuit, quatre cavaliers effectuent ensemble quatre rondes. Au début de chaque tour de veille, le clairon sonne, et les rondes commencent. Les cavaliers demandent à chaque sentinelle sa tessera. Lorsqu'une sentinelle est endormie ou a déserté son poste, la chose est constatée et la ronde continue. Les tesseræ sont portées le matin au tribun, qui retrouve le coupable, immédiatement condamné à mort et exécuté par lapidation.

En cas d’attaque modifier

 
Cette carte des cantonnements des légions romaines en 80 illustre le déploiement des armées dans l'Empire, et indique donc les zones de friction avec les barbares ou les provinces où subsiste potentiellement une rébellion.

Tous les 50 m, des postes d’hommes dormant en armes sont prêts à intervenir. Le plan immuable permet, en cas d’attaque, qui ne se fait jamais totalement par surprise, à cause du glacis débroussaillé d’au moins 50 m, à tous les légionnaires de se porter au point prévu sans attendre un ordre, selon le plan et les exercices répétés. Cette disposition permet de repousser une attaque soudaine et limitée.

En cas d’attaque en force, le faible périmètre (1 000 m) permet d’aligner trois hommes au mètre, et en faisant entrer l’infanterie légère, de conserver 1 500 hommes en réserve pour renforcer tel ou tel point en difficulté. Ces effectifs sont là aussi rapidement en place, la disposition du camp et la place de chacun étant connue à l’avance, un ordre n’ayant pas besoin d’être expliqué. Dans toute l’histoire de Rome, aucun camp défendu par sa légion entière n’a été pris, par attaque de jour ou de nuit, par surprise ou en règle.[réf. nécessaire]

Canabae modifier

Les canabae ou cabanae sont des espaces situés à l'extérieur des camps romains qui accueillent une population civile vivant de ses échanges avec l'armée.

Les légions romaines en campagne drainent dans leur sillage un nombre de civils : marchands qui vendent matériel et commodités aux soldats mais qui peuvent aussi leur acheter du butin ou des esclaves, artisans, prêtres officieux, indigents, prostituées et concubines. Lorsqu'un camp provisoire ou permanent est établi, les civils y sont interdits et s'installent à l'extérieur, souvent directement en contact avec le fossé[3].

Base de départ modifier

De tels camps peuvent tout à fait servir de base à une sortie armée pour combattre l’ennemi, la légion ayant alors un point de repli sûr. Des effectifs de garde importants sont laissés, à la fois pour garder le camp et les bagages. L’avantage, même à effectifs réduits, est que la légion est expedita : débarrassée de son barda (en marche, elle est impedita, embarrassée par les impedimenta : bagage personnel de chaque légionnaire, mules et muletiers portant les tentes, les meules, l'artillerie, l'argent, plus le butin et les otages éventuels, etc.)

Camps semi-permanents ou permanents modifier

 
Camp romain permanent de Saalburg.

Le plan est identique, avec une muraille en pierre et un fossé un peu plus profond. Pour l'ensemble de l'enceinte, quatre tours de garde sont prévues.

De nombreuses villes tirent leur origine, voire leur nom, de ces camps romains, principalement dans les anciennes provinces frontières de l'Empire, où étaient établis les forts les plus importants : Castres[réf. nécessaire] ou Strasbourg en France ; Barcelone ou Tarragone en Espagne ; Chester, Lancaster, Lincoln ou Manchester en Angleterre ; Cologne, Bonn ou Mayence en Allemagne ; Nimègue aux Pays-Bas ; etc.

Sur le territoire français, les camps permanents sont rares. Les recherches archéologiques ont identifié trois sites attestés : Aulnay-de-Poitou, Mirebeau-sur-Bèze et Saint-Bertrand-de-Comminges[4].

Le castrum au Haut Moyen Âge modifier

Les peuples germaniques installés en Occident édifient des castra sur ce modèle, prenant appui sur des zones élevées dans le paysage (les mottes castrales).

On en trouve en Aquitanique lors de l'établissement de la patrie gothique, dans la plaine du Forez traversée par la Loire, jusqu'aux plaines de Grande-Pologne dans lesquelles les Polanes s'organisent au VIIIe siècle.

Le terme castrum s'applique également aux villages plus ou moins fortifiés établis sur des hauteurs d'accès difficile, autour d'un castellum, château de construction assez sommaire : la plupart des châteaux dits « cathares » de l'Aude, de l'Ariège, de l'Hérault, des Pyrénées-Orientales, étaient des castra, d'origine très ancienne et sans rapport avec la religion cathare. Leur situation était leur principale défense, les maisons étaient construites en pierres sèches prises sur place, certaines façades aveugles formant rempart et des murs assuraient une protection minimale. Hormis une barbacane devant la porte principale, il n'y avait généralement aucun autre système défensif. Leur position escarpée interdisait souvent l'emploi d'armes balistiques comme catapultes et trébuchets (à quelques exceptions comme Minerve ou Montségur). Les castra capitulèrent surtout après de longs sièges où les vivres et surtout l'eau finirent par manquer. Les habitations disparurent après la conquête française et les châteaux furent reconstruits, ou tombèrent totalement en ruine. Les castra de plaine, ou du moins élevés sur des collines de moindre hauteur, évoluèrent en villages de type classique, une église remplaçant le castellum central, comme à Fanjeaux.

Références modifier

  1. François Gilbert, Le soldat romain : à la fin de la République et sous le Haut Empire, Errance, , p. 87.
  2. « Les Romains à Friesen par Gutmann », sur aufildutemps.alsace via Wikiwix (consulté le ).
  3. François Gilbert, Le Soldat romain : à la fin de la république et sous le haut-empire, Errance, , p. 105.
  4. Dossiers d'Archéologie n°406, juillet-août 2021,

Gelot (Alain), Le camp légionnaire de Faux-Vésigneul, au lieu-dit « le Champ Gabriel » (Marne), et la route d'Agrippa, Études Marnaises, no 119, 2004, p. 9-23

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier