Bettencourt Boulevard ou une histoire de France

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France est une pièce de théâtre écrite par Michel Vinaver, parue aux éditions L’Arche en 2014. La pièce est jouée pour la première fois le 19 novembre 2015 au Théâtre National Populaire dans une mise en scène de Christian Schiaretti, qui avait déjà mis en scène d’autres pièces de Vinaver telles que Les Coréens ou encore Par-dessus bord. La pièce est ensuite représentée au théâtre national de la Colline, et à la comédie de Reims au début de l’année 2016[1].

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France
Auteur Michel Vinaver
Pays France
Genre théâtre
Distinctions Grand prix de la Littérature dramatique 2015
Éditeur L'Arche
Lieu de parution Paris
Date de parution 2014
ISBN 978-2-85181-848-5
Date de création 2015
Metteur en scène Christian Schiaretti
Lieu de création Théâtre National Populaire
Chronologie

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France remporte le Grand Prix de la littérature dramatique de l’année 2015[2]. Le titre-même de la pièce est évocateur de l'importance, et de l'influence de l'affaire Woerth-Bettencourt sur l'histoire et l'image de la France. Le toponyme Bettencourt Boulevard renvoie au film Sunset Boulevard de Billy Wilder, un boulevard où beaucoup de gens et d'affaires s' entrecroisent comme dans la pièce de Vinaver où l'affaire Woerth-Bettencourt et l'affaire Banier Bettencourt s'entremêlent[3].

Cette pièce, comme les autres œuvres de Vinaver, s’ancre dans « l’actualité la plus brûlante »[2], puisqu’elle parle de l’affaire policito-financière Woerth-Bettencourt, qui a été le centre d’intérêt de la presse pendant plusieurs années. Cette affaire a déjà fait l’objet de multiples articles, publiés par les journaux tels que Le Monde ou Le Figaro[réf. nécessaire].

Michel Vinaver écrit cette pièce à l'âge avancé de 88 ans et ce sera donc la dernière qu'il écrira avant son décès en 2022.

Depuis son éclatement en 2010, cette affaire ne cesse d'être rediscutée par différentes instances de presse. Vinaver décide de compléter le travail des journalistes en y amenant un point de vue nouveau, celui d'un dramaturge. Ainsi, «il s'agit de redécouvrir (cette affaire) non pas sur le mode du théâtre documentaire mais à travers une poétique du montage »[4].

Cette histoire, toujours ramenée au centre de l'attention, l'entreprise Netflix décide d'en faire un documentaire qui paraît en 2023 sous le nom de L’affaire Bettencourt : scandale chez la femme la plus riche du monde. Douze jours à peine après sa diffusion sur les écrans, le « documentaire se classe dans le top 10 de 63 pays du monde »[5], montrant ainsi l'engouement pour cette affaire au niveau international.

D'ailleurs, ces différentes reprises de l'affaire provoquent des réactions assez différentes auprès des principaux concernés qui y voient parfois de la diffamation. Dans le cadre de cette affaire, la censure a souvent été exigée par les cours de Justice.[réf. nécessaire]

Contexte historique modifier

 
Portrait de Liliane Bettencourt sur billet de banque (2010)

La pièce Bettencourt Boulevard ou histoire de France découle directement de l’affaire Woerth-Bettencourt qui éclate en juin 2010 lorsque Mediapart fait fuiter des enregistrements clandestins qui révèlent la vérité non seulement sur les affaires de Liliane Bettencourt, mais également sur celles de tous ceux qui gravitaient autour d’elle. Allant des domestiques jusqu’à ses amis très proches et haut placés, leurs noms ont tous paru au moins une fois dans les coupures de presse. Cette affaire suscite alors énormément d’attention médiatique en France, mais également à l’international. On pourrait résumer cette affaire avec cette phrase très justement employée dans le documentaire Netflix: « L’argent rend fou » [6].

L’argent, et la folie qui en découle, sont au centre de la pièce qui met en scène la principale actionnaire du groupe l’Oréal. Héritière et fille d’Eugène Schueller, fondateur du groupe l’Oréal, Liliane Bettencourt est la femme la plus riche du monde à l’époque des faits. Liliane Bettencourt et André Bettencourt, son mari, n’ont qu’une fille, Françoise Bettencourt Meyers de laquelle Liliane Bettencourt n’est pas très proche. En effet, elles entretiennent une relation conflictuelle qui s’envenime avec la vendetta que Françoise entretient à l'égard de François-Marie Banier, ami proche de Liliane et de la famille Bettencourt. François-Marie Banier et Liliane Bettencourt cultivent une amitié qu’ils font florir par des voyages aux quatre coins du monde ou encore par des « cadeaux démesurés »[7] de la part de Liliane Bettencourt. Cette générosité à outrance est vue par Françoise Bettencourt Meyers comme un « abus de faiblesse »[7] de François-Marie Banier sur Liliane Bettencourt. Quand Françoise entame une démarche légale contre Banier, l’affaire Banier Bettencourt naît et la relation mère-fille s’envenime d’autant plus.

Ces soupçons d'un abus de faiblesse sont confirmés en 2010 lorsqu’une septantaine d’enregistrements de conversations privées entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, fuitent sur le site de Mediapart. Ces enregistrements, fait par le majordome des Bettencourt, révèlent non seulement des comptes bancaires dissimulés en Suisse, mais également des affaires avec Éric Woerth, ministre du budget de l'époque, et plus indirectement, avec Nicolas Sarkozy, président de la république française en 2010. En plus d'être soupçonné de fraude fiscale, Liliane Bettencourt invite régulièrement Nicolas Sarkozy et sa famille pour des repas. Bien qu'ils prétextent une amitié de longue date, l'opinion publique fait rapidement le rapprochement entre ces repas et le financement d'une campagne politique[7]. L'affaire Woerth-Bettencourt naît alors, et Éric Woerth est d'autant plus impliqué, étant donné qu'il est le trésorier de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy.

Structure de la pièce et processus de création modifier

Une œuvre atypique modifier

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France peut être qualifié de pièce de théâtre contemporaine[8]. Dans un premier temps parce que la pièce se découpe en trente morceaux, bien loin alors de la structure du théâtre classique d'une pièce en cinq actes. Ensuite parce qu'elle ne respecte ni l'unité de temps ni celle de lieu. En effet, la temporalité est éclatée puisque des voix de plusieurs époques différentes résonnent en même temps. On[Qui ?] peut par exemple mentionner des voix d'outre-tombe, comme celles d'Eugène Schuller, fondateur de L'Oréal ainsi que celle du rabbin Robert Meyers. Ensuite, les lieux semblent eux aussi, divers puisqu'on oscille entre le salon de Madame Bettencourt ou encore son bureau, ainsi que de nombreux autres endroits de sa demeure. Finalement, seule l'unité d'action subsiste puisque la principale intrigue est l'affaire Woerth-Bettencourt; affaire complexe que Vinaver sera contraint de simplifier afin qu'elle puisse être contenue dans sa pièce.

Autre caractéristique atypique de la pièce, la présence des personnages dans chaque morceau n'est pas précisée par une didascalie, le lecteur les découvre au fur et à mesure de leur tour de parole. Cependant, la présence du chroniqueur dans la première et dernière scène permet d'amener un certain cadre à la pièce. Ce dernier « se trouve en surpolmb et n'appartient à aucun groupe »[9], ce qui lui donne presque un statut de narrateur omniscient, qui permet de structurer la pièce. Autre spécificité, Vinaver décide de ne pas, ou peu, ponctuer ses phrases car selon lui, la ponctuation « fait obstacle au jaillissement des rythmes, des associations d'images et d'idées, gêne les assemblages, les recouvrements de sons et de sens, empêche tout ce qui est confusion »[10].

Finalement, sa pièce est profondément ancrée dans l'histoire de France et s'intéresse particulièrement à l'affaire Woerth-Bettencourt. Il s'agit d'une affaire complexe qui soulève de multiples enjeux et met en scène de nombreux personnages. Il est donc nécessaire d'avoir une connaissance préalable de cette affaire pour parvenir à comprendre et apprécier la pièce[11].

Une structure fragmentée modifier

La pièce est constituée de trente morceaux de tailles inégales. Il n’y a pas d’ordre logique ni chronologique entre les différents morceaux. Ce type de structure a déjà été entrevu par l'auteur dans d'autres de ses œuvres, comme par exemple La Demande d'emploi, dans laquelle il n'y a pas de lien logique ou chronologique entre les différents fragments. Cette structure aléatoire choisie par Michel Vinaver peut donner l'impression d'un patchwork, d'un genre d'assemblage de fragments. Cela va s'en dire, dans le processus même de création, il s'inspire de divers fragments lus dans le presse ainsi que des « transcription[s] des enregistrements du majordome des Bettencourt » [12], après qu'elles aient été rendues publiques par Mediapart ou Le Point. La structure bien particulière pour laquelle il opte est donc intimement liée à la genèse même de son œuvre. Il décrit ainsi son processus de création :

« Après avoir accumulé les coupures de presse et les avoir classées dans des chemises, au moment de commencer à écrire, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je les ressorte: j’aurais été étouffé. L’écriture de la pièce est un jeu entre la mémoire et l’oubli, qu’il me fallait accepter, sans craindre d’être incomplet ou fragmentaire. »[12]

Il précise également que par peur d'avoir trop de contenu sur cette affaire très dense, il a préféré travailler de mémoire pour aller droit à l'essentiel. Il a choisi de travailler « sans plan. Sans construction préalable. [...] En faisant confiance au processus d'incubation dont [il] avait été le siège » [13].

Cette dramaturgie de l’entrelacs qui semble être propre à Vinaver se voit être véritablement propice pour la pièce de Bettencourt Boulevard ou une histoire de France puisqu'elle se base justement sur des fragments entendus, des bouts d'enregistrements et de multiples articles de presse[Interprétation personnelle ?].

Par ailleurs, cette structure ainsi que la conception même de l'œuvre Bettencourt Boulevard ou une histoire de France rappelle inévitablement sa pièce Portrait d'une femme[Interprétation personnelle ?]. En effet, pour cette dernière, il s'empare également d'une histoire d'actualité, à savoir celle de Pauline Dubuisson, condamnée dans les années 50 à une vingtaine d'années de prison. Pour la réalisation de cette pièce, comme pour Bettencourt Boulevard, il s'empare de divers articles de presse et il en résultera une pièce déstructurée en fragments qui ne sont pas nécessairement interconnectés les uns avec les autres.

Pièce déstructurée : à l’image des troubles cognitifs de Liliane modifier

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, cette pièce faite de divers fragments, orchestrés/agencés sans ordre logique ni chronologique avec parfois même des incomplétudes quant à l’affaire Woerth-Bettencourt, semble[Interprétation personnelle ?] se référer directement à l’état mental de Liliane Bettencourt. La construction de la pièce serait [Interprétation personnelle ?]alors centrée autour du personnage de Liliane et permettrait au lecteur de percevoir cette affaire de l’intérieur, comme si ce dernier était Liliane.  

Le chroniqueur rappelle dans la scène dernière, les différents troubles dont Liliane est atteinte :

« La patiente est atteinte de troubles cognitifs évidents

Avec désorientation temporelle

Troubles mnésiques

Troubles de raisonnement et éléments aphasique

[...]»[14]

Ainsi, la structure fragmentée de la pièce ainsi que les collisions entre différentes strates temporelles pourraient[Interprétation personnelle ?] représenter la façon dont Liliane perçoit cette affaire, tenant compte des divers troubles dont elle est affectée. Cette approche fragmentaire et ce parallèle avec l’état mental de Liliane permet d’amener un nouveau point de vue sur cette affaire tant de fois discutée[15].

Scène des éclats : parallèle avec le film de Wilder modifier

Le morceau vingt-neuf, soit l'avant-dernier morceau possède une particularité puisque Vinaver précise entre parenthèse «(scène des éclats) »[16]. En effet, « il s'agit de 93 fragments de la pièce, 93 bribes qui sont autant d'échos, de reprises exactes ou légèrement déformées de paroles entendues pendant les scènes »[17]. Cette scène raisonne avec l'affaire Woerth-Bettencourt au moment où l'auteur écrit la pièce : les coupures de presse se multiplient, mettant chacune l'accent sur différents aspects de cette affaire, et tout cela s'entremêle avec les enregistrements divulgués par Pascal Bonnefoy dès lors qu'ils sont rendus publics. L'affaire étant sans issue encore, Michel Vinaver renonce à l'idée d'inventer une fin plausible et trouve comme issue cette stratégie, ce « portail » qu'il décrit lui-même comme « des feuilles qui tombent, un effet de nuage, un processus d'éparpillement de la mémoire [ou encore] des paroles déjà entendues »[18].

Par ailleurs, cette scène d'éclats fait un parallèle direct avec le film Sunset Boulevard de Billy Wilder dont la pièce tient déjà son titre. Si l'on visionne la dernière scène de Sunset Boulevard, on y voit un rapport sans équivoque à la scène d'éclats où les voix se multiplient et se croisent. Les éléments communs sont flagrants: «une femme âgée et célèbre qui perd le sens de la réalité, qui sombre dans une forme de folie, un domestique dévoué, un scandale, l'intervention de la police, un rapport de séduction »[19].

Un théâtre de la voix modifier

Cette pièce de Vinaver a avant tout été pensée pour être jouée plus que lue et l'aspect sonore représente donc un aspect majeur. En effet, alors que la pièce était à demi-écrite, l'auteur croise Christian Schiaretti, le metteur en scène de deux autres de ses pièces et ce dernier souhaite alors aussitôt la mettre en scène alors que la pièce n'est même pas achevée. Vinaver explique alors :

« M'ayant entendu lui en lire la moitié qui était déjà sur le papier, et sans savoir ce qui allait suivre - mais moi non plus - Christian sans autre délibération m'a dit qu'il était preneur pour sa saison suivante »[13].

Ici, la volonté de mise en scène de Christian Schiaretti a pu[Interprétation personnelle ?] avoir un impact sur la suite du processus de création de l'auteur puisqu'il savait avant même d'avoir terminé sa pièce que cette dernière allait être représentée.

Au-delà de l'aspect théâtrale de la pièce, il faut rappeler[Interprétation personnelle ?] que les matériaux qui a servi de base pour la construction de cette pièce ne sont autres que des enregistrements sonores, à savoir ceux produits par Pascal Bonnefoy, et son « petit enregistreur »[20]. Philipe Manevy, Christophe Mollier-Sabat et Isabelle Truc-Mien précisent dans leur dossier pédagogique sur la pièce que «cette dramaturgie de l’entrelacs fait du matériau sonore la matière première de ce théâtre » [21].

Personnages modifier

Les personnages présentés dans l'œuvre de Vinaver ne sont autres que des personnages réels et comme le précise Fabienne Pascaud : « tous les noms sont vrais. Tous les personnages ont existé »[22]. Vinaver n'a jamais cherché à masquer les noms de ces derniers et il précise qu' « il eut été vain d'en maquiller l'identité. Ils eussent été trop reconnaissables sous de faux noms ou autrement masqués»[23].

L'auteur se dédouane de ce choix osé en précisant qu' « en tant qu'auteur, [il] ne donne pas de leçon. [Il] essaie d'embrasser tous les éléments et d'inviter celui qui les reçoit, comme le lecteur ou le spectateur à réfléchir [...] »[24]. Ainsi, en s'inspirant de propos étant déjà publics, il les met à disposition de ses lecteurs sous un jour nouveau qui est celui de l'art théâtral.

Liste des personnages modifier

Voici donc la liste des personnages, telle qu'elle apparaît dans l'œuvre, dans l'ordre des entrées en scène :

Enjeux de la pièce modifier

Mythologie modifier

Les références mythologiques et historiques sont récurrentes dans Bettencourt Boulevard ou une histoire de France. D'ailleurs, l'épigraphe de la pièce, qui est un extrait de Le Galet de Francis Ponge, annonce dès le départ les enjeux de la mythologie dans une pièce écrite au XXIe siècle:

Ici, point de générations, point de races disparues. Les Temples, les Demi-Dieux, les Merveilles, les Mammouths, les Héros, les Aïeux voisinent chaque jour avec les petits-fils. [...] Point de conception: tout existe; ou plutôt, comme au paradis, toute la conception existe[25].

Ces enjeux tels que présentés ici par Ponge sont d'autant plus présents dans la mise en scène de Christian Schiaretti où l'espace unique de la scène crée une sorte d'unité : « La convention d’un espace unique permet que demeurent sur le plateau des personnages qui ne sont pas nécessairement impliqués dans le dialogue en cours »[26]. Cette nouvelle unité permet de voir les similitudes et parallèles faits entre la mythologie et l'affaire Bettencourt. De cette façon, l’épigraphe ainsi que les références mythologiques présentes dans la pièce se rallient à la tradition de la tragédie grecque. Bettencourt Boulevard ou une histoire de France est une sorte de tragédie française des temps modernes où la forme aristotélicienne n’est certes pas respectée, mais où le fond tragique et le pathos sont bien présents[Interprétation personnelle ?]. Par exemple, il en est fait mention à la scène vingt-et-une dans un dialogue entre le chroniqueur et Françoise Bettencourt Meyers:

Françoise Bettencourt Meyers

Les Grecs ont tenté de mettre un peu d'ordre dans le chaos du monde

un peu de sens

Ils ont inventé la tragédie

Chroniqueur

L'affaire Bettencourt est-elle une tragédie?

Françoise Bettencourt Meyers

Ma mère comme Palamède a été piégée

Mais les anciens Grecs n'avaient pas encore inventé les neuropsychiatres experts devant les tribunaux[27].

Dans cette échange, le parallèle entre le système de justice et la tragédie grecque est déclaré. Ultérieurement à ce passage, le chroniqueur mentionne le livre Les Dieux Grecs de Françoise Bettencourt Meyers où elle débat les généalogies des divinités, thème pertinent dans le cas du scandale qui frappe sa mère. Le chroniqueur relate même un passage retiré de ce livre comme pour légitimer les analogies faites à la mythologie dans Bettencourt Boulevard ou une histoire de France. La dernière scène de la pièce emploie et modernise l’apparat mythologique[Interprétation personnelle ?], et mérite donc d'être mentionné et étudié :

Les tragiques grecs

Faisaient parfois intervenir

Pour finir leur pièce

Un dieu amené sur scène par une grue

Ou une déesse ou un couple divin formé d'un dieu et d'une déesse comme par exemple Poséidon et Athéna dans Les Troyennes d'Euripide

Le deus ex machina de Bettencourt Boulevard a pour nom Ajem j'épelle A J M E

C'est un dieu à deux têtes il s'appelle AJ pour Appareil de Justice et EM pour Expertise Médicale[28]

Dans la pièce vinavérienne, le Dieu de la tragédie grecque est remplacé par l’appareil de justice français, et l’expertise médicale qui diagnostiquera Liliane Bettencourt comme neurologiquement inapte à prendre des décisions sur ses biens. Ce «dieu à deux têtes » met les personnages face aux conséquences de leurs destins et de leurs faires[Quoi ?].

Antisémitisme modifier

Au delà de la part mythologique apparente dans cette pièce, l'accent est également mis sur le caractère antisémite de certains des propos du personnage de Liliane Bettencourt. Nous remarquons[Interprétation personnelle ?] un parallèle avec une réalité de la vie des Bettencourt, souvent cachée. Le père de Liliane, Eugène Schueller, était ouvertement antisémite, et cela se répercuta sur l'éducation de Liliane. Alors quand sa fille Françoise épouse un rabbin, Robert Meyers, dont la mère a été déportée à Auschwitz, elle ne voit pas l'union d'un bon œil car elle craint que sa descendance soit juive[29]. De ce fait, il peut être entendu dans les enregistrements et lu dans la pièce un certain nombre de commentaires faits par Liliane à l'égard des Juifs et de sa réticence à l'idée d'être associée à eux.

Fasciné par la présence de deux extrêmes au sein d'une même famille, à savoir celle Eugène Schueller, fondateur de L'Oréal, mais aussi partisan du courant antisémite et collaborateur de La Cagoule[30] et celle du rabbin Robert Meyers, juif résistant dont la mère est décédée à Auschwitz, Vinaver consacre une scène entière pour mettre cette opposition en avant. Il s'agit de la scène vingt-huit sous-titrée "Scène des Nommos selon la cosmologie Dogon" dans laquelle il met en scène Schueller et le rabbin. Ces derniers prennent la parole à tour de rôle sans pour autant entrer en dialogue, chacun parle pour soi, comme si on assistait à un dialogue de sourds. Alors que Schueller semble être obsédé par le travail, l'argent et le fait qu'il ait inventé le salaire proportionnel, le rabbin, lui, ne cesse de se questionner sur sa mère déportée à Auschwitz :

Eugène Schueller

Le goût du travail le travail le travail et encore le travail

Rabbin Robert Meyers

Maman et moi

Nous ne nous sommes pas revus depuis l'ouverture des portes

du wagon à Auschwitz et je pense sincèrement que nous ne nous reverrons pas.

Eugène Schueller

Le travail n'est pas une peine pour moi c'est ma force mais

aussi ma joie[31]

L'effet de contraste dans cette scène permet de mettre en avant une forme d'ironie que Vinaver entrevoit, mêlant deux univers radicalement opposés au sein de la même famille[Interprétation personnelle ?].

Ce passage fait directement référence à l'expression allemande "Arbeit marcht frei", utilisée lors de la seconde guerre mondiale dans les camps de concentration. Ce culte pour le travail établi par Eugène Schuller met en évidence l'aspect ambivalent que ce terme peut représenter. Alors que certains comme Eugène Schueller peuvent en bénéficier et monter un empire capitaliste comme L'Oréal, d'autres doivent le subir. Tel est le sort des proches du Rabbin Robert Meyers qui seront déportés à Auschwitz et y mourront. Vinaver cherche ici à mettre en avant cette ironie familiale[Interprétation personnelle ?].

Bien que Vinaver soit connu pour son théâtre du quotidien, ses pièces cachent bien souvent un autre message. Edwy Plenel commente alors:

"Mais non: il nous trompe; ce n'est pas du quotidien qu'il s'agit, c'est de la grande Histoire; seulement, il sait en extraire l'essence en regardant les gens vivre"[32].

Dans Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, en examinant l'histoire familiale de la famille Bettencourt, Vinaver aborde en réalité des enjeux bien plus profonds que les querelles familiales et les histoires d'argent de la famille. Il dévoile les nombreux enjeux sous-jacents antisémites qui se cachent derrière une des familles les plus riches du monde et dévoile alors un aspect sombre de l'Histoire de France, qui fait directement référence au sous-titre du livre.[Interprétation personnelle ?]

Représentations théâtrales modifier

Une lecture de la pièce est organisée au Festival d'Avignon en septembre 2015 et sera également diffusée sur France Culture, en partenariat avec la SACD. La pièce est lue par Anouk Grinberg, dans une réalisation de Baptiste Guiton.[1]

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France est pour la première fois représentée au Théâtre National Populaire dans une mise en scène de Christian Schiaretti à la fin de l'année 2015. Elle sera ensuite jouée au Théâtre nationale de la Colline puis à la Comédie de Reims au début de l'année 2016.

Une des actrice principale, Francine Bergé qui jour le personnage de Liliane Bettencourt se confie quant aux difficultés rencontrées lorsqu'il s'agit de jouer une personne qui existe réellement:

«L'idée de jouer un personnage qui est vivant, c'est un défi. Mais en fait, je suis toujours étonnée quand je vois une photo de Liliane Bettencourt maintenant: je ne suis pas comme ça, ce n'est pas Liliane Bettencourt ça! Ah si, c'est Liliane Bettencourt et moi je suis Francine Bergé et je vais jouer Liliane Bettencourt. Je revois une photo de Liliane Bettencourt et ça me refait la même chose. Et puis elle s'éloigne petit à petit. Liliane Bettencourt, c'est moi, ce n'est pas elle. Moi je ne me suis pas emparée de Liliane Bettencourt, c'est plutôt elle qui est en train de s'emparer de moi. » [33]

Finalement, la distinction entre la pièce et la réalité semble claire : «la création s'opère à partir du texte, qui est une fiction, plus qu'à partir de la "personne réelle". Il ne s'agit pas de "s'emparer" d'une personne, mais de faire exister une autre »[34].

Distribution des rôles modifier

Acteurs Personnages
Francine Bergé Liliane Bettencourt
Stéphane Bernard Pascal Bonnefoy
Clément Carabédian Chroniqueur
Jérôme Deschamps Patrice de Maistre
Philippe Dusigne André Bettencourt
Didier Flamand François-Marie Banier
Christine Gagnieux Françoise Bettencourt Meyers
Damien Gouy Neuropsychiatre
Clémence Longy Dominique Gaspard
Elizabeth Macocco Claire Thibout
Clément Morinière Eric Woerth
Nathalie Ortega Florence Woerth
Gaston Richard Nicolas Sarkozy
Juliette Rizoud Joëlle Lebon
Julien Tiphaine Lindsay Owens-Jones

Liens externes modifier

Notes et références modifier

  1. « Bettencourt boulevard ou une Histoire de France - Lecture », sur Festival d'Avignon (consulté le )
  2. a et b Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », 2014 (ISBN 978-2-85181-848-5), p.3
  3. « Michel Vinaver », sur France Culture, (consulté le )
  4. BASUYAUX, Marie-Laure, « Bettencourt Boulevard : Dossiers pédagogiques "théâtre" et "art du cirque" », Pièce [dé]montée, Éditions Canopé, no 225,‎ , p.5 (lire en ligne [PDF])
  5. Thibaut Lescuyer (CMI), « Netflix. Le succès surprise du documentaire sur l’affaire Bettencourt, en France et dans le monde », sur programmetv.ouest-france.fr, (consulté le )
  6. ETCHEGARAY Baptiste et BONNET Maxime, L’affaire Bettencourt : scandale chez la femme la plus riche du monde, Netflix, 2023, épisode 1 (03 :15-03 :19)
  7. a b et c Basuyaux, Marie-Laure, « Bettencourt Boulevard : dossier pédagogiques Théâtre et Art du Cirque », dans Pièce [dé]montée, Editions Canopé, n°225, janvier 2016, p.6
  8. Association C.R.I.S, « Présentation - Bettencourt Boulevard ou une histoire de France - Michel Vinaver, - 4 Christian Schiaretti, - theatre-contemporain.net », sur theatre-contemporain.net (consulté le )
  9. MANEVY Philippe, MOLLIER-SABET Christophe et TRUC-MIEN Isabelle, « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver mise en scène Christian Schiaeretti : activité pour la classe », spectalce TPN, 2015, p.8.
  10. Vinaver Michel in MANEVY P., MOLLIER-SABET C., TRUC-MIEN I., “Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver mise en scène Christian Schiaeretti : activité pour la classe”, Spectacle TNP, 2015, p.20.
  11. MANEVY Philippe, MOLLIER-SABET Christophe et TRUC-MIEN Isabelle, « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver mise en scène Christian Schiaeretti : activités pour la classe », spectalce TPN,‎ , p.6
  12. a et b Vinaver Michel, propos recuillis par Françoise Dage, "L'écriture du théâtre peut être conçue comme un double du réel" in Le Monde, le 28 novembre 2015.
  13. a et b Vinaver Michel, présentation de Michel Vinaver à La Colline, Théâtre national, le 5 mai 2015 in "Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France de Michel Vinaver, Mise en scène par Christian Schiaretti", Spectacle national TNP, 2015, p.5.
  14. Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », (ISBN 978-2-85181-848-5), p.127
  15. MANEVY Philippe, MOLLIER-SABET Christophe et TRUC-MIEN Isabelle, « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver, mis en scène Christian Schiaretti, Activités pour la classe », Spectacle TPN Création,‎ , p.29
  16. Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », (ISBN 978-2-85181-848-5), p.118.
  17. MANEVY Philipe, MOLLIER-SABET Christophe, TRUC-MIEN Isabelle, “Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver mise en scène Christian Schiaeretti : activité pour la classe” in Spectacle TNP, 2015, p.22.
  18. Michel Vinaver, « "Bettencourt Boulevard..." de M. Vinaver / Effets de montage » (consulté le )
  19. Basuyaux, Marie-Laure, « Bettencourt Boulevard : dossier pédagogiques Théâtre et Art du Cirque », dans Pièce [dé]montée, n°225, janvier 2016, p.10
  20. Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », (ISBN 978-2-85181-848-5), p.78
  21. MANEVY Philipe, MOLLIER-SABET Christophe et TRUC-MIEN Isabelle, « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver mise en scène Christian Schiaeretti : activités pour la classe », Spectacle TNP,‎ , p.28 (lire en ligne [PDF])
  22. Fabienne Pascaud, « La chronique de Fabienne Pascaud », Télérama', no 578680,‎ 28 novembre - 04 décembre 2025, p.59 (lire en ligne [PDF])
  23. « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France de Michel Vinaver mis en scène Christian Schiaretti », Dossier de presse du théâtre populaire (TNP),‎ , p.5
  24. Vinaver Michel, propos recuillis par Brigitte Salino, "L'affaire Bettencourt est un crash" in Le Monde, septembre 2014 in MANEVY P., MOLLIER-SABET C., TRUC-MIEN I., “Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver mise en scène Christian Schiaeretti : activité pour la classe”, Spectacle TNP, 2015.
  25. Ponge, Francis, "Le Galet" dans Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », 2014 (ISBN 978-2-85181-848-5), p.9
  26. Manevy Philipe, Mollier-Sabet Christophe et Truc-Mien Isabelle, « Bettencourt Boulevard ou une histoire de France de Michel Vinaver : Mise en scène de Christian Schiaretti », dans Spectacle TNP création, activités pour la classe : volet 2, 2015, p.10
  27. Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », 2014, p.87 (ISBN 978-2-85181-848-5)
  28. Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », , p.126 (ISBN 978-2-85181-848-5)
  29. « Liliane Bettencourt et les fantômes de l'Occupation », sur L'Obs, (consulté le )
  30. Yves Mamou, « Le cosmétique en famille », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  31. Michel Vinaver, Bettencourt boulevard: ou une histoire de France pièce en trente morceaux, l'Arche, coll. « Scène ouverte », (ISBN 978-2-85181-848-5), p.109
  32. Edwy Plenel, « Michel Vinaver transcende l'affaire Bettencourt », Mediapart,‎
  33. Francine Bergé, site du TNP in BASUYAUX, Marie-Laure, “Bettencourt Boulevard : Pièce [dé]montée” in Dossier pédagogiques “théâtre” et “arts du critique”. Éditions Canopé, n° 225, 2016, p.11.
  34. Basuyaux, Marie-Laure, « Bettencourt Boulevard : dossier pédagogiques Théâtre et Art du Cirque », dans Pièce [dé]montée, n°225, janvier 2016, p.11.