Abbaye de Leffe aux XIXe et XXe siècles

L’abbaye de Leffe, dénommée plus exactement Abbaye Notre-Dame de Leffe est une abbaye de l’ordre des Prémontrés fondée en 1152, située à Leffe, un quartier de Dinant (Belgique), sur la rive droite de la Meuse. S'agissant de son histoire, l'abbaye de Leffe aux XIXe et XXe siècles est faite de haut et de bas. Après les troubles liés à la Révolution française, elle a connu plusieurs propriétaires successifs, puis à nouveau les Prémontrés. L'abbaye est, en 2015, toujours habitée par une communauté de chanoines prémontrés, appelés aussi norbertins.

Sécularisation de l'abbaye modifier

Après les événements de la Révolution française, l'abbé Frédéric Gérard décide, le , de léguer tous ses biens à sa nièce avec mission de restaurer l’abbaye quand ce sera possible. Il meurt en 1813. Revendue en 1816 à une société française de Monthermé gérée par Auguste des Rousseaux, l'abbaye fut convertie en verrerie ; dans les ruines de l'église on établit les fours et les ateliers de fabrication ; dans une partie du couvent, on logea les familles d'ouvriers.

Cette industrie dura 15 ans, puis la société s'écroula en 1830. Des créanciers reprirent ce bien et le conservèrent jusqu'en 1839. Mis de nouveau en vente à cette époque, il ne trouva point d'amateur. Une partie de l’abbaye fut alors convertie en papeterie, puis en fabrique de lin ; l'autre partie, à savoir la ferme comprenant la brasserie, les étables, les écuries, les celliers, trois corps de logis, anciens quartiers du père Abbé et des moines, fut vendue à en 1842 à M. Jean-Joseph Wauthier de Leffe. Le décès de sa veuve, le décida de la remise en vente de la propriété. En 1844, le dernier religieux survivant de l'abbaye meurt.

Rachat de l'abbaye par les Prémontrés modifier

D’héritage en héritage, l’abbaye est finalement achetée par Henri Collard, qui la revend quelques jours plus tard (le ), par acte passé devant le notaire Alfred Laurent de Dinant, à des chanoines prémontrés français de Frigolet, près d’Avignon. Ceux-ci s’attendent en effet à être chassés de France par la loi Combes qui interdit aux communautés « sans utilité sociale » de posséder des biens fonciers. Ils se réfugient à Leffe vers la mi-. Cependant, les bâtiments ne sont nullement prêts à les accueillir. De grand travaux sont réalisés, avec l’aide notamment de l’évêque de Namur, Mgr Thomas-Louis Heylen, lui-même prémontré et ancien abbé de Tongerlo[1].

Les chanoines remettent les bâtiments en état et aménagent une nouvelle église abbatiale dans la grange construite par l'abbé Perpète Renson en 1710.

La Première Guerre mondiale modifier

Le , la bataille s'engagea à Dinant. Après avoir été repoussés par l'armée française, les Allemands envahirent la ville le . Entre le 22 et le , 674 civils furent exécutés, et 950 maisons livrées aux flammes en représailles à l’assassinat de soldats allemands par des francs-tireurs.

Deux religieux qui voulaient s'enfuir par la Leffe sous l'abbaye sont abattus par les Allemands. Parmi les Leftis amenés par les Allemands au matin, 43 hommes dont le portier de l'abbaye sont sommés de sortir et sont fusillés sur la place de l'abbaye avec 31 autres. Leffe, avec son total de 227 victimes civiles, tient le record de l'ensemble des victimes de l'agglomération de Dinant[2].

Le , une perquisition est menée et la découverte à l’abbaye d’un vieux pistolet rouillé et d’une antique hallebarde, utilisée par le suisse de l’église, fournissent prétexte à accuser les Pères de rébellion. Les religieux chassés de l'abbaye sont emprisonnés dans l'école régimentaire. Le , dix-sept religieux dont l'abbé allèrent grossir les colonnes de prisonniers en partance pour l'Allemagne. Les prisonniers firent halte à Marche-en-Famenne, dans le Luxembourg. Là, ils retrouvèrent les Carmes de Tarascon, en exil dans cette ville. L'Autorité allemande les y constitua prisonniers sur parole. Le suivant, le général von Lonchamp leur rendit la liberté et les disculpa. La communauté se réfugia chez les Bénédictins de Ligugé en exil à Chevetogne et y demeura jusqu'en décembre.

Le Père Adrien Borelly, alors prieur, se rendit à Leffe pour constater l'état des lieux. L'abbaye avait été temporairement transformée en prison pour 1 800 femmes. Quelques jours après, la communauté regagna Leffe. De soixante religieux partis de Frigolet en 1903, il ne restait que trente survivants en 1919.

L'entre-deux-guerres modifier

Le Père Adrien Borelly nouvellement élu abbé réinstalla sa communauté en Provence en 1920. Le Père Léon Perrier, futur abbé de Frigolet, demeura à Leffe comme gardien jusqu'à son élection abbatiale en 1928. À cette date, il fut remplacé par le Père Abbé Adrien Borelly, démissionnaire.

Le , un incendie détruit une partie de l'abbaye de Tongerlo. Le , l’Abbé Perrier propose par télégramme d’accueillir une partie de la communauté sans abri. 35 novices accompagnés de quelques prêtres débarquent ainsi à Leffe. Leur direction spirituelle sera assurée par le Père Borelli. L’évêque de Namur, Mgr Heylen, est l'ancien prélat de cette abbaye.

En , Leffe fut officiellement cédée à l'abbaye de Tongerlo. Les novices retournèrent à Tongerlo au milieu de l’année suivante, mais Leffe ne retombera pas dans l’abandon. Des religieux flamands restent sur place, des démarches sont entamées et le par la lettre apostolique Refert ad nos, le pape Pie XI rend son statut de maison autonome à l’abbaye de Leffe, qui devient fille de l’abbaye de Tongerlo et est intégrée à la circarie de Brabant. Le Père Joseph Bauwens en devient le 53e abbé. Juridiquement autonome, l’abbaye demeure très vulnérable sur le plan financier. Mgr Heylen, qui avait pensé pouvoir aider la communauté naissante, dut y renoncer. Quelque temps auparavant, sa confiance avait été trompée dans l'affaire du Boerenbond namurois, l’obligeant à s’acquitter de lourdes dettes sur son compte personnel. La communauté dut vivre d’expédients : Les jeunes frères fabriquaient de l’encens et de l’encre que les confères prêtres allaient vendre à travers toute la Belgique, se déplaçant souvent à pied. Ces maigres revenus suffisaient juste à assurer la survie matérielle de la communauté. Cette situation dura jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et au-delà.

La Seconde Guerre mondiale modifier

Mgr Bauwens fit réaménager le réfectoire, fit construire la tour néo-baroque qui se trouve dans le prolongement du porche d'entrée et le campanile, établi sur une ancienne tour carrée d’où, tous les quarts d'heure, un jaquemart, à l’origine prévu pour la collégiale, laisse tomber les notes d’une antienne à la Vierge marie. Un dépôt permanent d’œuvres d’art appartenant aux musées royaux du cinquantenaire contribua encore à l’embellissement de l’abbaye. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la majorité des Pères partirent au front en tant qu’aumôniers et deux religieux furent blessés par une bombe aérienne. Lors de la débâcle de 1940, les jeunes Frères évacuèrent l'abbaye et allèrentavec leurs formateurs jusqu’à Toulouse. Il trouvèrent ensuite refuge durant quelques mois à Espaly, dans le diocèse d’Annecy où vivait une communauté prémontrée dépendant de Frigolet. Ils rentrèrent le et retrouvèrent une abbaye presque intacte. Les dégâts relativement mineurs causés par une bombe et quatre obus furent l’occasion d’une restauration plus en profondeur des bâtiments. Une autre alerte emmènera les novices à Tongerlo lors de l’offensive dite « von Runstedt », fin 1944. Durant toute cette période, le Père De Bruyn, prémontré de Tongerlo résidant à Leffe, travailla de concert avec le Père Capar, Jésuite, à faire fonctionner une « institution d’hébergement pour la jeunesse citadine », installée dans une maison de maître voisine, propriété de l’abbaye, devenue plus tard la maison d’accueil Saint Norbert. Cette institution n’était en fait qu’une façade permettant de recueillir et de dissimuler aux Allemands une quarantaine d’enfants juifs.

Sa santé se fragilisant de plus en plus, Mgr Bauwens démissionna au cours de la guerre et rentra à Tongerlo en 1944. Le Père Hugues Lamy, abbé émérite de Tongerlo, lui succéda d’abord comme administrateur puis comme abbé. Francophone né à Fosses-la-Ville, il était également historien. Il avait publié de nombreux travaux sur l’abbaye de Tongerlo et les Prémontrés.

Histoire récente modifier

 
Bière de Leffe.

Après le décès du Père Lamy en 1949, le Père Cyrille Nys est élu Abbé le . Ancien Procureur Général de l’Ordre, il enrichit considérablement la bibliothèque et la sacristie et améliorera grandement le confort des bâtiments. Il est surtout connu pour son rôle dans la renaissance de la bière de Leffe. En 1954, il rencontre Albert Lootvoet, brasseur à Overyse, et lui fait part des difficultés financières de son abbaye. De concert avec le Père-Abbé, Albert Lootvoet décide de renouer avec la tradition brassicole de l'abbaye, en respectant les procédés d'autrefois. Progressivement, l’apport financier provenant de la vente de bière va aider la communauté – qui compte alors 47 membres – à se consolider sur le plan matériel.

L’abbé Marc Mouton succède au Père Nys en 1963. Grâce à l’argent de la brasserie, d’importants travaux sont réalisés à cette époque : aménagement de la sacristie, élargissement des fenêtres de la façade sud et aménagement d’un chemin d’accès à l’arrière des bâtiments. La période du Concile Vatican II amène des bouleversements importants dans la vie de l’abbaye : modifications de l’horaire (il n’y a plus d’office à 4h30 du matin), utilisation du français dans la liturgie...

En 1981, le Père François Martens est élu abbé après une vacance du siège de deux ans. Moins gênée par des soucis matériels, la communauté peut se consacrer davantage à son rôle pastoral et devient, jalons après jalons, un centre de rencontre religieuse et culturelle[réf. nécessaire].

Le Père Bruno Dumoulin, prieur de l’abbaye depuis 1968, est élu à la charge de prélat et succède au Père Martens le . Sous son abbatiat, une rapide succession de décès et d’ordinations de jeunes prêtres entraîne un redéploiement des forces vives. La communauté trouve un enracinement de proximité à travers l’administration de paroisses proches de l’abbaye, telles Bouvignes et Leffe. Elle tente également l’expérience d’un prieuré paroisse – petite communauté d’au moins 3 chanoines administrant un secteur pastoral tout en gardant la vie et la prière en commun – dans les paroisses de Couthuin et Burdinne, au diocèse de Liège. La construction en 1996 d’un nouvel orgue, sous l’impulsion du prieur Patrick Johnson, ouvre une importante page culturelle et liturgique dans l’histoire de l’abbaye. L’approfondissement de l’identité prémontrée – auquel contribue une thèse de doctorat sur Adam Scot du Père Norbert Reuviaux – reste à l’ordre du jour, notamment à travers l’étude approfondie des constitutions renouvelées de l’Ordre.

Notes et références modifier

  1. « Dès notre arrivée, nous avons mis toute notre ardeur à organiser la maison afin de la rendre habitable, car nous étions arrivés dans un vrai chantier de démolition et de transformation… Quand la communauté à peu près fut logée, on songea à édifier une chapelle. Jusqu'alors on s'était contenté d'une grande salle assez belle mais insuffisante pour nos messes solennelles et surtout pour y recevoir les fidèles. L'aile du Nord de l'ancienne abbatiale, qui était une vaste grange, fut choisie pour être transformée en chapelle… On plaça sur les murs les beaux tableaux de Mignard que nous avions enlevés des boiseries de Notre Dame du Bon Remède et qui certainement auraient disparu après notre départ de Frigolet. Les stalles de l'ancienne chapelle de Saint-Michel qui nous avaient suivis garnirent le chœur… De plus, nous avions fait venir toute notre sacristie, ses ornements et vases sacrés qu'on avait soustraits au séquestre et cachés dans une famille dévouée de Maillane qui nous les avait soigneusement gardés. Le Gouvernement belge les avait exonérés des frais de douane… L'ancienne grange de Leffe avait disparu, parée et ornée comme une épouse, elle prit l'allure de la maison de Dieu ». A. Chaix, O.Praem, Les Pères prémontrés de Frigolet en exil, Le petit messager, 1966.
  2. Le 23 août 1914 et les exactions allemandes : le père Adrien Borelly, alors prieur de l'abbaye, a relaté longuement les événements tragiques qui se sont déroulés le 23 août 1914. Le 23 août vers 7 heures du matin, les soldats allemands arrivèrent sur la place de l'abbaye. Brisant les portes et pénétrant ainsi de force dans les maisons, ils en chassaient les habitants qu'ils nous amenèrent par groupes en les terrorisant et en les obligeant à tenir les bras levés. Vers 9 heures, le cloître abritait déjà plus de trois cents personnes affolées. Quelque temps après, un officier vint et donna ordre de rassembler tous les hommes. Les religieux, persuadés qu'il s'agissait d'un appel, recherchèrent tous les hommes dispersés dans la maison. Tous les hommes défilèrent devant lui : ils étaient quarante-trois. Une minute se passa… Un cri d'effroi s'élève… Il est poussé par ces quarante trois hommes, tués sur la place de l’Abbaye en face du mur blanc de la maison Servais. Le même 23 août, vers midi un officier du 178e saxon se présente au Révérendissime Père et lui dit: « Vous allez verser 60 000 francs pour avoir tiré sur nos troupes. Si, dans deux heures, la somme n'est pas versée, le feu sera mis à votre maison », Le Père Abbé proteste en vain de l'innocence de tous, l'officier maintient ses dires et ses exigences. Le Révérendissime supplie alors et demande au moins la réduction d'une pareille somme, impossible à trouver soit à la maison, soit au-dehors. L'officier consent enfin à en référer au chef qui l'a envoyé. Il revient au bout d'un moment et annonce qu’on se contentera de 15 000 francs, qu'il reviendra à 15 heures précises et que, faute de versement., l'incendie du couvent aura lieu de suite. Il fallut bien se résigner devant les menaces. Les femmes prisonnières furent mises au courant de la situation si critique pour tous. Elles se cotisèrent pour arriver à parfaire la somme que la caisse de l'abbaye était incapable de fournir. On arriva ainsi péniblement à réunir ces 15 000 francs. À l'heure dite, l'officier se présente. Il est accompagné cette fois de soldats, baïonnette au canon, et d'autres chefs encore. Lui-même braque son revolver sur le Révérendissime Père, puis le dépose sur le bureau, à sa portée, se dégante, et compte pièce par pièce les 15 000 francs étalés sur la table. L'officier met le tout dans ses poches, tout en protestant qu'il ne veut pas accepter d'argent ecclésiastique. Il donne un reçu écrit d'avance en allemand, et s'en va revolver au poing.