Équations de Painlevé


Les équations de Painlevé sont les uniques équations différentielles non linéaires du second ordre qui définissent de nouvelles fonctions. Elles possèdent par construction la propriété de Painlevé : l'absence de singularités à la fois critiques et mobiles dans la solution générale. Découvertes par les mathématiciens Paul Prudent Painlevé[1] et Richard Fuchs, on peut les rencontrer dans de nombreux problèmes intégrables de physique, géométrie, etc.

Définition et propriétés fondamentales

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Il existe six équations de Painlevé : cinq découvertes par Painlevé et Bertrand Gambier, et la sixième par Richard Fuchs. La sixième équation engendre toutes les autres par un processus de confluence[Quoi ?].

La sixième équation de Painlevé

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La sixième équation de Painlevé, notée PVI, est une équation différentielle ordinaire (EDO) non linéaire qui dépend de quatre paramètres complexes  ,  ,   et  . Il en existe deux représentations : ou bien en coordonnées rationnelles pour une fonction   :

 

ou bien en coordonnées elliptiques pour une fonction   :

 

Ici   est la fonction elliptique de Weierstrass, une fonction doublement périodique, dont les périodes sont notées   et  , et   désigne sa dérivée par rapport au premier argument. La variable indépendante   ne dépend que du rapport des périodes,  , et les quatre grandeurs   sont respectivement l'unique pôle et les trois zéros de  .

Le passage aux coordonnées rationnelles  

 

a pour inverse

 

 .

L'équation PVI en coordonnées elliptiques découle d'un hamiltonien naturel dont les variables (position, impulsion) sont  

 

Propriété de Painlevé et singularités

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Quelques définitions classiques sont ici nécessaires[2].

  • une expression est dite uniforme (resp. multiforme) si le nombre de ses déterminations est égal (resp. supérieur) à un. Exemples respectifs :  .
  • pour une expression donnée, un point est dit critique si autour de lui plusieurs déterminations de l'expression permutent, non-critique dans le cas contraire. Exemples respectifs :   en   a un point critique,   en   a un point non critique.
  • étant donné une équation différentielle ordinaire (EDO), un point est dit mobile si sa position dans   dépend des conditions initiales, fixe sinon.

La propriété de Painlevé d'une EDO est alors définie comme l'absence dans la solution générale de singularités à la fois critiques et mobiles[3]. Une telle équation est aussi appelée à points critiques fixes.

L'équation PVI pour   possède par construction la propriété de Painlevé. Sa solution générale est uniforme sauf en trois points fixes, mis par convention en   pour que   soit le birapport  . Plus précisément, elle est méromorphe dans  .

Les seules singularités mobiles de PVI en coordonnées rationnelles sont les suivantes. À chaque  , sont associés soit deux pôles simples   de résidus opposés si  , soit un pôle double   si  . Le comportement de la solution   au voisinage de ces pôles est

 

où les résidus   des pôles doubles sont arbitraires.

Confluence

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Dans l'écriture de PVI en coordonnées rationnelles, le coefficient de   possède quatre pôles   de résidus  . Par une homographie, on peut donner à trois de ces pôles des positions quelconques dans  . La confluence ou coalescence ou dégénérescence consiste à obtenir d'autres équations différentielles en effectuant des limites du type  . Dans une telle limite, deux pôles sont remplacés par un seul pôle, dont le résidu est la somme des résidus des deux pôles initiaux. Les résidus se comportent donc ainsi :

 

À partir de PVI, on obtient quatre autres équations[4],[5] :

 

Ce schéma est une extrapolation non-linéaire de la confluence classique[6] qui, à partir de l'équation hypergéométrique de Gauss, engendre successivement les équations de Whittaker, Bessel, Hermite et Airy :

 
 

Équations de Painlevé

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Les cinq équations PVI, PV, PIV', PIII, PII' dépendent chacune de quatre paramètres, ce qui permet d'exploiter au mieux la confluence pour engendrer à partir de PVI les diverses propriétés des autres : paires de Lax, hamiltoniens, fonctions tau, transformations birationnelles, solutions de Riccati, etc. On obtient les équations PIV, PII, PI en donnant des valeurs particulières aux paramètres de PIV' et PII'.

En coordonnées elliptiques

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Dans l'écriture de Babich et Bordag[7], les équations de Painlevé sont :

 .

En coordonnées rationnelles

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Les changements de coordonnées entre les écritures elliptiques et rationnelles sont:

 

Les écritures rationnelles des équations de Painlevé sont[5]

 

avec pour PVI la notation   Ces cinq équations possèdent par construction la propriété de Painlevé, ce qui n'est pas le cas (sauf pour PII') de leur écriture elliptique.

Potentiels

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Pour les cinq équations PVI-PII' en coordonnées rationnelles, Garnier a introduit les potentiels

 

Ces potentiels permettent d'écrire les équations de façon plus compacte :

 

Valeurs particulières des paramètres

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Les équations PIV, PII, PI ont un nombre minimal de paramètres, et se déduisent de PIV' et PII' en donnant des valeurs particulières à certains de leurs quatre paramètres[4] :

 
 
 

De plus, selon les valeurs des paramètres, on distingue trois variétés d'équations PIII :

 
 
 

Données de base et confluence

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La table ci-après rassemble : comportement dominant, indices de Fuchs, exposants de monodromie. Les indices de Fuchs sont par convention définis pour que la valeur   soit toujours un tel indice, ce sont donc les racines de l'équation indicielle de l'EDO linéarisée, diminuées de la valeur de l'ordre du pôle considéré. Chaque exposant de monodromie   a son carré rationnel en  . Les lignes successives indiquent :

  • le degré de singularité   de la Pn et l'indice de Fuchs positif  ,
  • le premier coefficient   de la série de Laurent de  ,
  • la notation pour la racine carrée de  ,
  • la définition du vecteur (transposé) des exposants de monodromie,
  • les composantes de ce vecteur.

 .

Les coalescences successives d'une équation   vers une autre équation   sont décrites par des transformations affines  , où   tend vers zéro.

Pour les cinq Pn définies par Garnier et pour des valeurs génériques de  , ce sont

 

Le niveau ajouté (J comme Jacobi)   est celui vers lequel conflue PII'.

Pour la confluence des six Pn historiques, consulter[8],[9] ou[1],[10], qui corrigent des erreurs typographiques des Comptes rendus [4].

La table suivante présente la confluence des exposants de monodromie[11]. Les paramètres   (qui représentent essentiellement des signes) participent aussi à la confluence. Le signe des racines carrées est choisi pour ne donner que des signes + dans les valeurs successives  

 

Fonctions tau

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Il en existe au moins deux définitions, équivalentes au niveau de PVI : une analytique, une par la paire de Lax matricielle.

Définition analytique

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Pour chaque  , il existe des fractions rationnelles de  , définies à une fonction additive de   près, dont les seules singularités mobiles sont des pôles simples de résidu entier positif. Leur primitive logarithmique, qui possède alors les mêmes singularités mobiles que la solution générale d'une EDO linéaire (c'est-à-dire aucune singularité mobile, seulement des zéros mobiles), est par définition appelée fonction tau [sans doute par le choix dans l'alphabet grec de la lettre   qui suit  , la notation de Weierstrass pour sa fonction entière] et leur existence prouve ipso facto la propriété de Painlevé de Pn.

PVI admet deux ensembles de quatre fonctions tau équivalentes, respectivement construits par Painlevé et Chazy, chaque élément des deux ensembles étant indicé par l'une des singularités  .

Dans le cas (de Picard) où les quatre   sont nuls, Painlevé[12],[13] a défini l'ensemble préliminaire  

 

dont chaque élément possède un seul pôle simple de résidu unité au voisinage des pôles doubles correspondants de  ,   Le seul élément pair en   est celui d'indice   (le birapport des quatre points singuliers), il conduit à des expressions ultérieures plus simples.

Le premier ensemble de fonctions tau[4],[14], noté  , extrapole le double de ces expressions préliminaires ; leur dérivée logarithmique possède ou bien deux pôles simples de résidu unité (cas   non nul), ou bien un pôle double de résidu deux (cas   nul).

Avec le choix   (plus simple que le choix   à cause de sa parité en  ), la dérivée logarithmique

 

possède des pôles simples de résidus un ou deux aux pôles de  ,

 

et elle est régulière aux six pôles simples ou aux trois pôles doubles de  . Cependant, l'EDO d'ordre deux qu'elle vérifie a pour degré quatre[15],[16], soit plus que le minimum deux.

Le deuxième ensemble de quatre fonctions tau, noté  , a été construit par Chazy[15] [expression   p. 341] à partir de l'ensemble   simplement en supprimant l'un des deux pôles mobiles simples du premier ensemble :

 

De plus, et c'était la motivation de Chazy, l'EDO d'ordre deux pour chaque   a pour degré la valeur minimale deux, comme explicité ci-dessous.

L'élément   (le choix de Malmquist[17]) de ce deuxième ensemble est le plus simple car il n'a pas de terme linéaire en   :

 

son unique singularité mobile est un pôle simple   de résidu unité :

 

et il est régulier aux pôles mobiles de  .

Cette expression s'écrit également

 

  définit la solution classique de PVI à un paramètre.


Définition par la paire de Lax

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C'est plutôt une propriété caractéristique, elle est donc mentionnée dans la section Paires de Lax matricielles en coordonnées rationnelles.

Exemple de fonction tau

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Seul   (X=P ou C) est exprimable sous forme fermée,   ne peut pas l'être à cause de l'irréductibilité. Pour la série asymptotique de  , voir Jimbo [18] et, pour plus de détails, Its, Lisovyy et Prokhorov [19].

Équations différentielles des fonctions tau

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Les termes additifs non-pertinents qui ne dépendent que de   dans   visent à rendre les quatre expressions   solutions de la même EDO d'ordre deux et de degré deux, dénotée (B-V) par Chazy[15] [p. 340]. Après la normalisation  , l'EDO pour   s'écrit ou bien avec un belle symétrie quaternaire[20]

 

ou bien comme une équation simplifiée avec quatre termes complémentaires notée SD-Ia par Cosgrove et Scoufis[21],[22]

 

avec les valeurs suivantes dans le cas  

 

La transformation inverse s'écrit[23] [Table R]

 

Exemples en physique et en géométrie

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Ces deux ensembles de fonctions tau se rencontrent dans de nombreux domaines :

  • dans la correspondance quantique, les quatre   ne contribuent que par leur carré, c'est donc la fonction tau de Painlevé  qui la décrit.
  • dans tout problème où la fonction tau n'a qu'un zéro mobile simple (donc sa dérivée logarithmique un seul pôle mobile simple de résidu un), c'est la fonction tau de Chazy   qu'il faut considérer. Sa non-invariance par parité d'un des quatre   a conduit Okamoto[24] à établir le groupe de Weyl affine et la transformation birationnelle élémentaire de PVI.
  • si l'on désire l'invariance par changement de   en son opposé, les fonctions tau adéquates sont  . Cela a conduit Malmquist[17] à construire un hamiltonien polynomial dans les deux coordonnées canoniques  .
  • l'exigence d'un degré minimal (deux) de l'EDO d'ordre deux pour   sélectionne les fonctions tau de Chazy  . Cela se présente en géométrie des surfaces de Bonnet[25], où une telle EDO d'ordre deux et de degré deux trouvée par Hazzidakis[26] a pour solution  .

Fonctions tau des Pn inférieures

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Il suffit pour les engendrer de faire agir la confluence.

Les fonctions tau à deux zéros mobiles   engendrent des fonctions tau[27] (C10)-(C13) affines en  , paires en   pour le choix  , à deux zéros mobiles simples (mais un seul zéro double pour PIII-D8 et PI) définies à des fonctions additives de   près

 

Les fonctions tau à un zéro mobile engendrées par   sont les suivantes

 

La dérivée logarithmique de chaque fonction tau obéit à une EDO d'ordre deux et de degré quatre (fonction tau à deux zéros  ) ou deux (fonction tau à un zéro  ). Celles de degré deux ont le type dit binomial, elles sont énumérées par Chazy[15] [p. 340] et détaillées par Cosgrove et Scoufis[21] [p. 66]. Avec la normalisation

 

Okamoto [23] [Table (E)] [28] [Éq. (B.58)] les a récrites comme suit afin de mettre en évidence leur groupe de symétrie

 

Invariances

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Pour les établir toutes, il faut considérer non seulement l'équation PVI mais aussi la fonction tau à un seul zéro  . La considération d'un tel couple est également nécessaire dans l'étude du comportement au voisinage des trois points critiques fixes[29], cf. la section Problèmes de connexion.

Dans sa représentation elliptique   PVI possède deux invariances dans l'espace des quatre   : quatre changements de signes, vingt-quatre permutations des  . Dans l'espace   ces permutations agissent comme des homographies, lire ci-après.

L'EDO pour   telle qu'écrite par Okamoto[20]

 

est invariante par les vingt-quatre permutations des  , liés aux   par les relations précitées. Ces permutations agissent sur   comme des transformations birationnelles, détaillées ci-après.

Homographies

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Pn  ne désigne pas une EDO mais une classe d'équivalence définie par l'homographie la plus générale qui conserve la structure de singularités

 

et qui dépend donc de quatre fonctions arbitraires.

Ainsi,   est une définition parfaitement admissible[30] [p. 258] de PII.

Les 24 permutations de   qui laissent PVI invariante de forme agissent sur les   comme une permutation et sur   comme une homographie. Rangées par valeurs croissantes de l'ordre de cette homographie, ce sont (la numérotation en première colonne est celle de Gromak et Lukashevich[31]),

 

Leurs trois générateurs sont par exemple les éléments 8, 14, 7.


Pour des valeurs génériques de  , la confluence définit les homographies laissant les autres Pn  invariantes de forme

 

  désignent des constantes arbitraires non-nulles.

Transformations birationnelles

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Étant donné deux EDOs en   et   de même  , une transformation birationnelle entre ces deux EDOs est par définition [8] [p. 21] une paire de relations

 

  et   sont des fonctions rationnelles de   et de leurs dérivées, analytiques de  .

Ces transformations définissent un groupe et admmettent pour sous-groupe le groupe des homographies.

Dans le cas des Pn, contrairement aux homographies, elles changent l'ensemble  , donc elles n'existent par pour les Pn sans paramètre (PI et PIII-D8).

Au niveau de PVI, ce sont les vingt-quatre permutations des paramètres   qui laissent invariante de forme l'EDO pour la fonction tau à un seul zéro  . La nature affine de la transformation entre les   et les   fait donc agir chaque permutation des   comme une transformation affine des   et birationnelle de  . Il est également possible de les obtenir sans théorie des groupes, en exploitant seulement la structure de singularités[32],[33],[34].

Aux niveaux inférieurs, la non-commutativité de deux opérations (permutation des quatre singularités de PVI, convention de fusionner   et   de PVI pour définir PV) définit deux séquences distinctes[34]  . Notons   et   les signes de   et  :  .

Séquence normale

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accompagné de

 

La deuxième partie   de la transformation se déduit de la première par l'échange des minuscules   et des majuscules  , par exemple pour PII

 

Avec une telle convention, chaque transformation où   est une involution.

Le choix   rend toutes les translations positives et, pour le choix  , la partie linéaire a pour déterminant  . La somme des translations reste égale à deux, sauf pour PIV et PII par suite d'un changement d'échelle, cf. la Table de notation des exposants de monodromie.

Ces transformations sont respectivement dues, pour PVI à Okamoto[24], pour PV à Okamoto[35], pour PIII à Gromak[36] [Eqs. (14)-(15)], pour PIV à Murata[37], pour PII à Lukashevich[38].

Pour PVI, le carré de la transformation élémentaire ci-dessus est l'involution qui laisse deux exposants invariants et décale les deux autres de  , par exemple

 

Connue de Schlesinger dans l'espace  , elle a été établie dans l'espace   par Garnier[39],[40]

 

Séquence biaisée

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Avant d'effectuer la confluence, on effectue sur la transformation birationnelle normale de PVI la permutation  (numéro 22 dans la Table des homographies) et le changemment du signe de   et de  , avec pour résultat