Épidémie de peste de 1920 à Paris

Peste de 1920 à Paris
Peste des chiffonniers
Chiffonniers au travail, Paris vers 1920, photo de Frank G. Carpenter (1855-1924).
Maladie
Agent infectieux
Origine
Angleterre (contesté)
Localisation
Date d'arrivée
Bilan
Cas confirmés
92
Morts
34

L'épidémie de peste de 1920 à Paris, aussi appelée peste des chiffonniers est une épidémie de peste bubonique qui a touché les faubourgs pauvres et la banlieue de la capitale en mai 1920. Pour ne pas alarmer le public, la maladie est appelée par les autorités « maladie n°9 »[Note 1].

Dernière épidémie de peste à Paris — la précédente remontait à plus de trois siècles — elle fut vite circonscrite en ne faisant que 34 morts grâce à une bonne prise en charge et aux découvertes récentes sur la transmission de la maladie.

Elle donna lieu à un regain de l'antisémitisme dans une partie du monde politique.

Déroulement modifier

La dernière menace de peste à Paris datait de 1668-1669[1], une conséquence de la grande peste de Londres de 1665[2].

Quelques cas de la maladie furent signalés à la fin de la Première Guerre mondiale[1]. Le premier cas, en à Levallois-Perret, en rapport avec des péniches apportant du charbon d'Angleterre du Havre à Paris, dans le cadre de la troisième pandémie de peste ou peste de Chine[3].

La peste bubonique est probablement arrivée de la même manière en 1920, par un navire transportant du charbon d'Angleterre et qui avait remonté la Seine et déchargé à Levallois, dans la banlieue ouest de Paris[4],[Note 2]. Des rats pesteux ont alors quitté le navire et commencé à contaminer les environs. Des habitants du quartier autour du port avaient noté un grand nombre de rats morts[4].

 
Carte de Paris, édition 1911 de l'Encyclopædia Britannica.

La préfecture de police demande alors au docteur Édouard Joltrain, médecin inspecteur des épidémies à la préfecture de police[5] , de procéder à l'enquête épidémiologique. C'est ainsi que l'on découvrit le cas d'une famille habitant à Clichy, dont le père et l'enfant étaient morts de la peste bubonique. Le , mis en présence de la veuve, l'attention de Joltrain fut attirée par la pâleur de son visage et son mauvais état général. En l'examinant, il découvrit un bubon dans l'aine : il s'agissait d'un cas de peste ambulatoire. Interrogée sur la date du début de sa maladie, la patiente déclara que tout avait commencé le jour précis de l'enterrement de son fils et de son mari. Connaissant le rôle néfaste de la veillée aux morts dans la propagation de la peste, rôle affirmé pendant l'épidémie de Marseille en 1720, Joltrain s'enquit des autres personnes présentes à l'enterrement. Presque immédiatement, la malade pensa à son neveu, alors soldat à Lons-le-Saunier. Ardemment recherché, ce dernier fut retrouvé à l'hôpital du Val-de-Grâce pour un cas de peste ambulatoire.

Au début du mois août, vingt-sept cas de peste, dont quatorze mortels, étaient dénombrés dans quatre foyers différents[1]. Puis dans les semaines suivantes, l'épidémie gagna du terrain avec un mort et trois malades à Saint-Ouen, un mort et trois malades également à Bagnolet et un mort et six guérisons à Pantin et un mort à Clichy[1].

Le les recommandations d'Albert Calmette sont adoptées par le conseil de Paris[4]. Si un foyer est suspecté dans un immeuble, les habitants de celui-ci sont évacués et relogés dans des bâtiments militaires disponibles sur les fortifications ou dans d'autres baraquements. Ensuite les planchers de l'immeuble sont arrosés de cresyl, un désinfectant, les murs sont blanchis à la chaux[4]. Si l'immeuble est en trop mauvais état pour être désinfecté, il doit être détruit[4]. Entre 1920 et 1921, 1 000 Parisiens de quartiers à risque sont vaccinés[4].

Analyse épidémiologique modifier

L'épidémie de 1920 touche surtout la bordure nord de Paris, puis la bordure est, avec quelques victimes dans le centre et le sud de Paris. Dans Paris intra muros on compte 51 cas. Les victimes appartiennent à des populations misérables, vivant dans la Zone en conditions insalubres : taudis entourés d'immondices, vivant du commerce de vieux chiffons, d'où le nom de « peste des chiffonniers »[3].

 
La pause du chiffonnier à son domicile parisien, porte d'Ivry en 1912. Photo d'Eugène Atget (1857-1927).

Les riverains notent une nette augmentation de cadavres de rats, précédant la survenue des cas humains. À l'origine de ces cas, on retrouve deux types de circonstances : le contact (ramassage) avec un rat mort, les veillées funèbres autour des premières victimes (foyer épidémique familial)[3].

Le mode de transmission exact de la peste des chiffonniers reste controversé. En 1921, Édouard Dujardin-Beaumetz de l'Institut Pasteur, qui se base sur les études bactériologiques et entomologiques des rats de Paris, incrimine le rat et ses puces (Nosopsyllus fasciatus en majorité). Cependant, la même année, Édouard Joltrain attribue une part des contaminations familiales lors de veillée mortuaire, à des contacts interhumains par puce de l'homme Pulex irritans[6].

En 1981, une étude incrimine à la fois la puce du rat et la puce de l'homme, voire de poux, pour concilier la présence de cadavres de rats, avec la théorie de Marcel Baltazard (possibilité de peste humaine sans rats, par puce de l'homme)[6].

Selon Frédérique Audoin-Rouzeau, la responsabilité de la puce humaine Pulex irritans à Paris, lors de veillée mortuaire, n'est guère possible : le délai d'incubation des victimes dans ces circonstances est trop court ou trop long, il faudrait un trop grand nombre de puces humaines pour expliquer une contamination éventuelle[7].

Son principal argument est d'expliquer la faiblesse de l'épidémie de Paris par la seule responsabilité de Nosopsyllus fasciatus (puce du rat d'Europe). En effet, si la puce de l'homme en avait été le vecteur, il y aurait eu plusieurs milliers de victimes dans les quartiers populaires. Les puces infectées sur cadavres de rats ne sont passés qu'occasionnellement sur l'homme, en préférant toujours un nouveau rat sain, le réservoir de rats résistants étant suffisamment vaste à Paris[7].

Antisémitisme modifier

La peste fait partie de l'imaginaire antijuif depuis plusieurs siècles. Les juifs étaient déjà accusés d'empoisonner les eaux pendant la peste noire. Un élément supplémentaire qui contribuera à l'accusation des Juifs dans les milieux d'extrême droite parisiens : la publication des Protocoles des Sages de Sion dans le journal d'extrême-droite La Vieille France en même temps que l'apparition de la peste à Paris. Dans ce faux paru quelques années auparavant dans la Russie tsariste, une des stratégies pour dominer le monde est l'inoculation de maladies aux non-Juifs.

 
Les enfants de la Zone, (Ivry-sur-Seine 1913).

Le , au Sénat, Adrien Gaudin de Villaine, le sénateur de la Manche, un anti-républicain connu pour son antisémitisme prend la parole et il accuse « les milliers d'indésirables venus d'Orient » d'être responsables de la maladie et poursuit : « ce sont en général les juifs d'Orient qui nous apportent toutes sortes de maladies, notamment la lèpre, et surtout le mal numéro 9 […] Qu'attend-on pour prendre des mesures ? […] Il faut, comme nous l'avons dit, interdire les chambrées où vingt Israélites se communiquent leurs poux et leurs tares. Il faut établir un solide barrage aux frontières. Ce n’est tout de même pas à nous à faire preuve d'une charité criminelle… pour les Français »[4]. Les sénateurs du Maine-et-Loire et de la Seine, Dominique Delahaye et Louis Dausset, demandent que l'on chasse « les indésirables », parlant de « vermine » et d'un « peuple qui grouille dans Paris, ni pénétrable, ni assimilable » et mentionnant que parmi les conseillers techniques du ministère « figurent, en bonne ligne, MM. Léon Bernard et Netter, qui sont comme par hasard leurs coreligionnaires. »[4]

Le président de l'Institut Pasteur, le professeur Émile Roux doit faire une intervention publique pour réfuter la responsabilité des Juifs et le ministre de l'Hygiène[Note 3] Jules-Louis Breton publie un démenti indiquant que l'état sanitaire de Paris était satisfaisant et expliquant l'origine de la maladie par un bateau des Indes arrivant d'Angleterre pour apporter du charbon, navire qui transportait des rats malades[5]. Le , La Tribune juive écrit : « nous sommes convaincus que les antisémites n’auront pas le courage d'avouer leur erreur et de cesser de faire campagne contre les Juifs malades de la peste […] Ils sont dans le dilemme suivant. 1/ Ou déclarer que les rats anglais sont d'origine juive. 2/ Ou bien annoncer que le professeur Roux a un entourage juif. Le microbe de l'antisémitisme ne pardonne pas. La peste est plus facilement guérissable. »

Bilan modifier

La peste en 1920 fit 166 malades déclarés, dont 92 cas confirmés et 34 morts[3]. Plus de 7000 rats ont été examinés. L'évènement a été l'occasion pour Édouard Joltrain de créer le « Laboratoire du Rat de la Préfecture de Police » pour une surveillance bactériologique permanente des rats de Paris[8]. En 1921, 1 rat sur 200 était en moyenne infecté, et 1 sur 300 en 1922, ce qui indique une faiblesse de l'épizootie[7].

On comptera encore, de 1921 à 1934, 45 cas humains en rapport avec 159 cas de rats pesteux[3]. En France, la dernière épidémie de peste se produira à Ajaccio en 1945[4], faisant 13 cas, dont 8[9] ou 10 morts[10].

Bibliographie modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Selon le débat au Sénat (voir lien externe), le n°9 serait celui du pavillon de l'hôpital de banlieue où ont été hospitalisés les premiers malades, ou celui du numéro d'ordre des maladies dans le catalogue du ministère de l'hygiène. Il pourrait correspondre aussi, dans le jargon médical de l'époque, à la neuvième maladie (par ordre chronologique) dont l'agent causal a été identifié.
  2. Zineb Dryef rapporte dans son ouvrage et dans son article dans M le magazine du Monde pour expliquer l'origine de la peste le propos du ministre de l'Hygiène de l'époque, Jules-Louis Breton selon qui « la peste bubonique était arrivée à Paris en 1917, par un bateau venant des Indes qui contenait des rats malades. Il apportait du charbon d'Angleterre, remonta la Seine depuis Le Havre et accosta à Levallois ». Mais un navire de mer allant jusqu'aux Indes ne peut remonter que jusqu'à Rouen. Il a ensuite un tirant d'air (passage sous les ponts de Rouen), et un tirant d'eau trop importants. Le navire pouvait à la limite venir d'Angleterre mais il est plus probable qu'il y ait eu transbordement du charbon dans une ou des péniches au Havre comme l'indique une autre source.
  3. Le ministère de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociale venait d'être créé en juillet 1920. Auparavant la direction de l'Assistance et de l'Hygiène publique dépendait alors du ministère de l'Intérieur et la direction de la Prévoyance sociale était rattachée au ministère du Travail.

Références modifier

  1. a b c et d Jean Lhéritier, « La Peste des chiffonniers », L'Histoire, no 51,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  2. A P Trout, « The municipality of Paris confronts the plague of 1668. », Medical History, vol. 17, no 4,‎ , p. 418–423 (ISSN 0025-7273, PMID 4607206, PMCID 1081507, lire en ligne, consulté le )
  3. a b c d et e Audoin-Rouzeau 2003, p. 192-193.
  4. a b c d e f g h et i Zineb Dryef, « Mai 1920, quand la peste a frappé aux portes de Paris », M, le magazine du Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a et b Zyneb Drief, Dans les murs : Les rats, de la Grande Peste à Ratatouille, Don Quichotte éditions, (ISBN 978-2-35949-424-2).
  6. a et b Audoin-Rouzeau 2003, p. 195-196.
  7. a b et c Audoin-Rouzeau 2003, p. 199-201.
  8. Jacqueline Brossollet, « A propos du centenaire de la découverte du bacille de la peste : Un pasteurien oublié Édouard Dujardin-Beaumetz », La Revue du Praticien, vol. 45,‎ , p. 671-674.
  9. Jean-Noël Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, t. I : La peste dans l'histoire, Paris/La Haye/Paris, Mouton, , 455 p. (ISBN 2-7193-0930-3), p. 337.
  10. Bertrand Mafart, « Épidémiologie et prise en charge des épidémies de peste en Méditerranée au cours de la Seconde Guerre mondiale. », sur bertrand.mafart.free,

Articles connexes modifier

Lien externe modifier