Utilisateur:Leonard Fibonacci/Falashas

Les origines modifier

L’origine des Beta Israel est obscure : l’histoire des populations éthiopiennes est mal connue entre le Ve siècle et XIIe siècle car l’Empire d'Éthiopie n’a conservé pratiquement aucun texte de cette période.

Les traditions Beta Israel modifier

Les Beta Israel eux-mêmes ont deux traditions principales concernant leurs origines. Selon la première, « la plus répandue dans la tradition orale »[1], les Beta Israel descendraient des Israélites ayant accompagné le prince Ménélik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba lorsqu’il apporta l’arche d’alliance en Éthiopie, au Xe siècle av. J.-C. On peut noter que cette tradition est étroitement connectée à la légende des chrétiens d’Éthiopie concernant l’arche d’alliance. Elle en est peut-être une adaptation.

La seconde tradition fait des Beta Israel les descendants de la tribu de Dan, une des «  Dix tribus perdues » (déportées par les Assyriens en 722 avant Jésus-Christ). En Israël, cette seconde tradition tend à devenir dominante, sans doute parce qu’elle est celle officiellement acceptée par le grand rabbinat israélien en 1973 (cf infra).

On trouve aussi des traditions moins répandues et qui tendent aujourd’hui à disparaître de la tradition orale Beta Israel :

  • C’est par exemple l’hypothèse selon laquelle les Falashas descendraient d’un groupe d’hébreux ayant refusé de suivre Moïse lors de la sortie d’Égypte.
  • Au XIXe siècle, un grand prêtre avait rapporté une tradition, qui semble aujourd’hui disparue, selon laquelle les Falashas seraient des éthiopiens convertis par Moïse lors d’une ancienne visite dans le pays.
  • Une autre tradition fait remonter la présence juive en Éthiopie à la fuite d’Israélites après la prise de Jérusalem en 587 avant Jésus-Christ par les Babyloniens.

On peut retenir deux choses de ces traditions diverses :

  • D’une part que les Beta Israel se considèrent comme les descendants des hébreux ;
  • D’autres part qu’ils n’ont pas une perception claire et unique du lien entre eux-mêmes et leurs ancêtres supposés.

Les sources textuelles modifier

Jusqu’au Ve siècle, les sources textuelles indiquent la présence d’une communauté juive en Éthiopie, comme dans d’autres pays riverains de la Mer Rouge d’ailleurs. En 327, par exemple, Physostorgios mentionne l’opposition des Juifs lors de la conversion au christianisme du royaume d’Abyssinie. Ces Juifs ne sont pas nommés « Beta Israel » et rien n’indique qu’ils aient eu des rites spécifiques.

À compter du XIIe siècle, les sources textuelles, indiquent l’existence de Beta Israel, mais ne parlent plus de la présence de Juifs pratiquant la religion classique. Dans le Kebra Nagast, un texte éthiopien du XIIIe siècle, il est fait allusion à Yodit (Judith) une reine juive. La première référence relativement claire[2] concernant les Beta Israel date seulement du XIVe siècle, dans un texte nommé les glorieuses victoires de Amda-Syon. Pendant le règne de ce roi chrétien (1314-1344), probablement au début de 1332, des campagnes dans les régions du nord-ouest de Semien, Wegera, Tsellemt, Tsegedé et Bégemder (ou Gondar) sont mentionnées contre des « renégats qui sont comme des Juifs » (en ge'ez : kama ayhud)[3].

Un moine chrétien du XIVe siècle, Zena Marqos, neveu du roi Yekouno Amlak (1270-1285) a écrit un compte rendu assez précis de l’histoire et de la religion des Beta Israel, obtenu d’une source unique, un converti. Celui-ci indique en particulier que les Falashas sont venus dans le pays avec Ménélik Ier, fils de la reine de Saba et du roi Salomon, qu’ils connaissent la Bible mais ne croient pas à l’enfantement du Christ par Marie[4].

Deux familles d’hypothèses sont avancées par les historiens pour l’apparition des communautés Beta Israel.

L’hypothèse juive modifier

Les Beta Israel seraient apparus sur la base du noyau juif présent dans l’Éthiopie d’avant le Ve siècle. Ce noyau se serait élargi par mariage mixte et conversion. Ceux-ci ont dû être soit importants, soit la communauté juive originelle était déjà largement éthiopienne, puisque des études sur l’ADN des populations éthiopiennes ont eu lieu ne montrant aucune spécificité génétique des Beta Israel par rapport aux autres populations éthiopiennes.

La présence de Juifs en Éthiopie au Ve siècle, avant le tarissement des sources documentaires, milite en faveur de cette hypothèse.

Au XVIIe siècle, Manoel de Almeida, un diplomate et voyageur portugais, écrivait (dans son histoire de la haute Éthiopie ou Abassia[5]) : « Les Falashas, ou Juifs, sont [...] de race [...] arabe [et parlent] hébreu, bien qu’ils soient très corrompus. Ils ont leurs bibles hébraïques et chantent les psaumes dans leurs synagogues ». Si ce rapport est exact, la permanence d’une connaissance de l’hébreu au XVIIe siècle milite en faveur d’une connaissance plus ancienne, et donc d’un apport juif venu de l’extérieur. Cependant, l’affirmation de Manoel de Almeida selon laquelle les Beta Israël sont de « race arabe » est manifestement erronée, ce qui pose question quant à la validité de ses sources et de son témoignage.

L’hypothèse chrétienne modifier

D’après cette hypothèse, les Beta Israel seraient issus de groupes chrétiens fondamentalistes ne considérant comme authentique que le Pentateuque et rejetant le reste de la Bible, en particulier le Nouveau Testament. De telles attitudes sont connues dans d'autres groupes : Subbotniks russes ou Black Hebrews américains. Un rejet de la religion dominante aurait été facilité par le refus du pouvoir impérial par les populations du Nord, pouvoir légitimé par la religion copte[6].

Plusieurs éléments corroborent cette hypothèse :

  • le caractère déjà très judaïsant du christianisme copte éthiopien : respect du Sabbat, circoncision, interdits alimentaires, origine supposée juive de la dynastie chrétienne[7]. Cette forte légitimation de l’Ancien Testament a peut-être incité certains à relativiser puis à rejeter le Nouveau Testament.
  • l’origine chrétienne de la version du Pentateuque utilisée par les Beta Israël, et l’utilisation du ge'ez comme langue liturgique,
  • la présence de moines, de prêtres (Kés), et non de rabbins,
  • la non-utilisation du nom traditionnel « Juif[8] », de certaines fêtes juives, l’absence des symboles juifs traditionnels comme l’étoile de David[9], l'ignorance du terme « synagogue »[8], remplacé par un dérivé de « Mosquée ». En règle générale, tout ce qui relève de la tradition juive mais qui n'est pas présent dans le Pentateuque est ignoré.
  • les conversions ultérieures de chrétiens à la foi des Beta Israel, attestées par les textes chrétiens. Ces conversions montrent une certaine attractivité des Beta Israel sur les chrétiens, ce qui ne signifie pas obligatoirement que les premiers Beta Israel venaient des milieux chrétiens.
  • les études génétiques, qui ne montrent pas de liens entre les Beta Israel et les autres communautés juives, mais insistent sur la similarité génétique avec les populations locales[10]. Cependant, si la génétique démontre l’origine locale des populations Beta Israel, elle ne tranche pas quant à l’origine de leur religion : conversion par des Juifs ou auto conversion[11].

Notes et références modifier

  1. Les enfants de la reine de Saba, P.24.
  2. Le terme Ayud (Juif) s’utilise cependant à l’époque pour désigner d’autres non chrétiens, ou des « hérétiques » chrétiens. Les glorieuses victoires semblent bien parler des Beta Israel, mais il subsiste un doute. Voire à ce sujet les Juifs éthiopiens en Israel, P. 18.
  3. Steven Kaplan, «Betä ésrel», in Siegbert von Uhlig, ed., Encyclopaedia Aethiopica: A-C (Wiesbaden: Harrassowitz Verlag, 2003), p.553. Voir aussi la traduction anglaise des glorieuses victoires de Amda-Syon, par G.W.B. Huntingford, Oxford, Clarendon Press, p. 61.
  4. Les enfants de la reine de Saba, P.51.
  5. Traduction anglaise de C.F. Beckingham et G.W.B.Huntingford, Londres, Hakluyt Society, 1954, pp. 54-55.
  6. Cette thèse est défendue comme probable ou au moins plausible par plusieurs auteurs, comme :
    • Paul B. Henze : Layers of Time: A History of Ethiopia, Palgrave, New-Tork, 2000, (ISBN 0312227191),
    • Steve Kaplan : The Bete Israel (Falasha in Ethiopia: from Earliest Times to the Twentieth Century), New York University Press, nouvelle édition, 1994, (ISBN 0814746640),
    • James Quirin : The Evolution of the Ethiopian Jews: A History of the Bete Israel (Falasha) to 1920, University of Pennsylvania Press, 1992, (ISBN 0812231163).
  7. Voir l’article Le christianisme éthiopien, de l’historien Stéphane Ancel, 2002, sur le site de clio.
  8. a et b Qu'on ne trouve pas dans le Pentateuque.
  9. Du moins jusqu'au XXe siècle.
  10. Gérard Lucotte et Pierre Smets dans Human biology, Origins of Falasha Jews studied by haplotypes of the Y chromosome, vol. 71, décembre 1999, pp. 989-993, [1]. Les conclusions sont les mêmes pour Zoossmann-Diskin A, Ticher A, Hakim I, Goldwitch Z, Rubinstein A, Bonne-Tamir B, dans leur article « Genetic affinities of Ethiopian Jews », publié le 27 mai 1991 dans l'Israel journal of medical sciences [2] Enfin, M. F. Hammer, A. J. Redd, E. T. Wood, M. R. Bonner, H. Jarjanazi, T. Karafet, S. Santachiara-Benerecetti, A. Oppenheim, M. A. Jobling, T. Jenkinsdagger, H. Ostrer, et B. Bonné-Tamir classent les Beta Israel dans un groupe totalement distinct des populations juives occidentales, qui ont plus de connexions avec les populations moyen-orientales. Voire leur article « Jewish and Middle Eastern non-Jewish populations share a common pool of Y-chromosome biallelic haplotypes », publié le 9 mai 2000 dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
  11. On connaît quelques exemples de chrétiens auto convertis à la religion de l’Ancien Testament, comme le petit groupe de San Nicandro, dans le Sud de l’Italie, dans l’entre-deux guerres (groupe officiellement converti au judaïsme orthodoxe par les rabbins après la seconde guerre mondiale), ou les Black Hebrews des USA.