Statue du dieu A'a
Statue du dieu A'a exposée au British Museum de Londres
Artiste
inconnu
Date
avant 1821, probablement entre 1591 et 1647
Type
Technique
Dimensions (H × L × l)
117 × 36 × 36 cm
No d’inventaire
Oc,LMS.19Voir et modifier les données sur Wikidata
Localisation

La statue du dieu A'a, en reo rurutu « Ti'i 'A'a »[1], est une sculpture sur bois originaire de Rurutu dans l'archipel des Australes et représentant la divinité A'a. Probablement réalisée entre 1591 et 1647, les premières mentions traçables de l'œuvre datent de 1821. C'est à cette époque que la sculpture est donnée aux missionnaires de la London Missionary Society par les insulaires pour marquer leur conversion au christianisme. La statue est alors amenée à Londres où elle est exposée, d'abord au musée de la LMS puis au British Museum.

La statue est considérée comme une des plus belles sculptures polynésiennes à avoir traversé le temps. Elle est d'ailleurs une source d'inspiration pour nombre d'artistes à l'instar de Picasso. Julie Adams, conservatrice des collections océaniennes du British Museum, la décrit comme « une célébrité internationale »[2],[Note 1] et la journaliste Cécile Baquey-Moreno, qui lui a consacré un documentaire, la décrit comme la Joconde de la Polynésie[3].

Description modifier

Forme générale modifier

La sculpture représente une figure anthropomorphe en bois de santal, haute de 117 cm et large de 36 cm[4]. L'anthropologue britannique Alfred Gell la décrit comme « sans doute la plus belle œuvre existante de la sculpture polynésienne »[5],[Note 2]. La statue est creuse et dispose d'un panneau arrière amovible qui permet d'accéder à l'intérieur[6]. Les bras, posés sur le ventre, sont sculptés en haut-relief. Les jambes sont séparées et légèrement fléchies[7]. La statue n'a ni pieds ni base, et on ignore si elle en avait à sa création. Le bas des jambes, la fesse droite et le bras gauche de la sculpture sont endommagés et le pénis est en grande partie sectionné. Alors que les autres dégâts sont probablement dus à l'usure avec le temps, le sectionnement du pénis semble quant à lui avoir été délibéré. On ne sait cependant pas si la mutilation est le fait des missionnaires britanniques ou des Polynésiens convertis[8].

 
Détail de la statue avec la cavité exposée

Figures en haut-relief modifier

Trente figures plus petites sont sculptés en haut-relief partout sur la statue[6]. Beaucoup sont positionnées de telle sorte qu'elles prennent la place de traits humains comme les yeux, le nez ou la bouche bien que d'autres ne correspondent à aucun trait particulier[9]. Ces figurines sont sculptées dans deux styles distincts : seize ont une posture droite, les bras au-dessus du torse, tandis que quatorze sont bras et jambes écartés. Il est possible que ces deux allures soient destinées à représenter des formes respectivement masculines et féminines[10]. Les figurines sont réparties symétriquement sur A'a, à l'exception de celles du bas-ventre, où l'on trouve une figurine à posture droite sur le flanc droit de la statue et une figurine aux membres étalées sur le flanc gauche. On ignore si cette asymétrie est délibérée[11].

Cavité modifier

L'intérieur de la statue a semblé être le recueil de statuettes de « petits dieux » selon le missionnaire John Williams qui en a décompté 24[12]. La tradition orale de Rurutu qui nous est parvenue en dénombre néanmoins trois, symbolisant la Trinité[1]. Dans les deux cas, les statuettes ont disparu, vraisemblablement détruites en 1822[5]. La finalité réelle, ou du moins initiale, de la cavité et la pertinence des objets qui y ont été retrouvés est néanmoins discutée[13],[14].

Histoire modifier

Origine modifier

Les premières mentions de A'a datent de 1821, quand la statue est présentée aux missionnaires de la LMS à Raiatea, deuxième plus grande île de l'archipel de la Société en Polynésie française[15]. Elle provenait cependant de Rurutu, dans l'archipel des Australes plus au sud, où elle avait été fabriquée[16].

Mais la sculpture serait en fait beaucoup plus ancienne : une datation au carbone 14 effectuée en 2015 suggère que la statue aurait été créée entre 1591 et 1647[4], voire 1505[17]. Par ailleurs, selon la tradition de Rurutu, A'a aurait été fabriqué à partir de bois de pua keni keni (Fagraea berteriana), aussi connu sous le nom de bois tabou. Mais les tests effectués en 2015 indiquent plutôt une fabrication à partir de bois de santal, le plus probablement Santalum insulare[4],[18]. Quant à l'outillage, le plus vraisemblable serait l'utilisation d'outils de pierre taillée. Il est possible que des outils en fer aient également été utilisés si tout ou partie a été fabriqué après l'arrivée des Européens en Polynésie dans les années 1760. Pour la finition et le polissage, les insulaires auraient utilisé des râpes en peau de raie ou de requin, des feuilles d'arbre à pain, des coquilles de cauris et de l'huile de coco[19].

Mythe oral modifier

 
Portrait d'Omai, personnage vraisemblablement derrière le mythe d'Amaiterai.

Selon la tradition orale de Rurutu rapportée par Alain Babadzan, A'a aurait été sculpté par un certain Amaiterai[1], qui aurait visité Londres et y aurait alors rencontré le Dieu chrétien[20]. Dans cette histoire, la cavité contenait initialement trois figures, représentant les trois éléments de la Trinité - le Père, le Fils et le Saint-Esprit[1],[5],[Note 3]. Cette interprétation chrétienne de la statue, qualifiée même de tentative de "réécriture" de l'histoire, aurait un objectif double. Le premier serait de nier une conversion extérieure, le récit d'Amaiterai se déroulant avant l'arrivée des missionnaires. Le second serait la réhabilitation d'un passé condamné par l'enseignement de la nouvelle religion[21].

Il a été suggéré qu'Amaiterai serait en fait Omai, célèbre tohunga connu pour avoir été le deuxième Polynésien à se rendre en Europe en 1774. Le nom "Amaiterai" serait en fait dérivé de "Omaiterai", qui veut dire "Omai le Grand"[22]. Une autre tradition orale en fait cependant le fils du roi Teuruarii[23], 4e roi de l'île[24], avant qu'Amaiterai ne devienne lui-même roi après son périple[25].

Récupération européenne modifier

En 1821, la statue est remise aux missionnaires de la London Missionary Society basés sur l'île de Raiatea par les insulaires en symbole de leur conversion au christianisme[26]. Les missionnaires, qui avaient pourtant coutume de détruire les œuvres païennes, l'expédient alors à Londres pour être exposée au motif de "contemplation instructive". Cette préservation exceptionnelle se fait probablement en preuve du succès de leur mission évangélisatrice[27], la LMS ayant connu des débuts mitigés dans le Pacifique[28]. En particulier, la saisie de la sculpture vise à montrer le triomphe chrétien contre l’idolâtrie insulaire que les missionnaires abhorrent[29]. Un autre but, moins avoué, est également de générer plus d'adhésions à la société[5].

À Londres, la statue est exposée dans les collections du musée de la LMS. En 1890, ce musée prête une grande partie de sa collection d'art polynésien, dont A'a, au British Museum. Ce dernier acquiert finalement la statue en 1911[30]. Après les années 1980, elle figure dans des expositions de par le monde, à New York, Canberra, Paris ou Londres[4].

À partir de 2023, la statue revient en Polynésie Française, où le British Museum la prête pour une durée de trois ans au Musée de Tahiti et des Îles[31], célébrant ainsi sa réouverture après quatre années de travaux de rénovation[32].

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Citation originale en anglais : « an international celebrity »
  2. Citation originale en anglais : « arguably the finest extant piece of Polynesian sculpture »
  3. En vernaculaire, respectivement « Roometuaore », devenu « te Atua Metua », « Auraroiteata », devenu « te Atua Tamaiti » et « Te Atuaiteroa », devenu « te Atua Vania Maita'i ».

Références modifier

  1. a b c et d Babadzan 1979, p. 229.
  2. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 19.
  3. Lucie Rabréaud et Marie Sillinger, « A’a, la Joconde de la Polynésie, l’histoire incroyable d’une sculpture de Rurutu », sur FIFO Tahiti, (consulté le )
  4. a b c et d (en) British Museum, « A'a », sur britishmuseum.org (consulté le )
  5. a b c et d Gell 1998, p. 137.
  6. a et b Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 34.
  7. Lavondès 1996, p. 314.
  8. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 30.
  9. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 38.
  10. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 35-36.
  11. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 39.
  12. Williams 1837, p. 44-45.
  13. Daniel Pardon, « A’a, dieu ou “cercueil” ? », sur Tahiti Infos, (consulté le ).
  14. Hooper 2007, p. 162.
  15. Hooper 2007, p. 134.
  16. Hooper 2007, p. 131.
  17. (en) Martin Bailey, « Polynesian sculpture admired by Picasso and Henry Moore far older than previously thought », sur The Art Newspaper, (consulté le )
  18. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 24.
  19. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 32-33.
  20. Babadzan 1979, p. 230.
  21. Babadzan 1979, p. 231.
  22. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 22-23.
  23. A Tehio et Brun 2007, p. 75.
  24. A Tehio et Brun 2007, p. 39-40.
  25. A Tehio et Brun 2007, p. 79.
  26. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 10-14.
  27. Hooper 2007, p. 138.
  28. Nicholas Thomas (trad. de l'anglais par Paulin Dardel), Océaniens : Histoire du Pacifique à l'âge des empires [« Islanders. The Pacific in the Age of the Empire »], Toulouse, Anarchasis, coll. « Essais / Histoire », , 507 p. (ISBN 9791092011869), p. 73
  29. Hooper 2007, p. 136.
  30. Adams, Hooper et Nuku 2016, p. 15-16.
  31. Rédaction web, « Des pièces emblématiques du patrimoine polynésien prêtées au Musée de Tahiti et des Îles », sur TNTV Tahiti Nui Télévision, (consulté le )
  32. Rédaction, « Te Fare Iamanaha, une nouvelle salle d'exposition où “les œuvres vous regardent” », sur La Dépêche de Tahiti, (consulté le )

Bibliographie modifier

Livres modifier

  • (en) Julie Adams, Steven Hooper et Maia Nuku, A'a: a deity from Polynesia, Londres, British Museum Press, coll. « Object in Focus », , 64 p. (ISBN 978-0-7141-5115-1)
  • (en) Alfred Gell, Art and Agency: An Anthropological Theory, Oxford, Clarendon Press, , 272 p. (ISBN 9780198280149)
  • Anne Lavondès, chap. 4.4 « L'histoire de A'A de Rurutu et l'évolution des mythes », dans Michèle Julien, Michel Orliac, Catherine Orliac, Bertrand Gérard, Anne Lavondès, Henri Lavondès, Claude Robineau, Mémoire de pierre, mémoire d'homme : tradition et archéologie en Océanie : hommage à José Garanger., Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Homme et Société », , 467 p. (ISBN 978-2859442989, lire en ligne)
  • (en) John Williams, A narrative of missionary enterprises in the South Sea Islands: With remarks upon the natural history of the Islands, origin, languages, traditions, and usages of the inhabitants, Londres, J. Snow, , 590 p.
  • Puoro A Tehio, Michel Brun et al. (trad. du tahitien par Michel Brun, préf. Edgar Tetahiotupa, Paroles des anciens de l'île retranscrites par Puoro a Tehio, présentées et annotées par Michel Brun), Eteroa : Mythes, légendes et traditions d'une île polynésienne, Paris, Gallimard, coll. « L'aube des peuples », , 294 p. (ISBN 9782070777082)

Articles modifier