Les Oiseaux (Aristophane)

comédie d'Aristophane

Les Oiseaux (en grec ancien Ὄρνιθες / Órnithes) est une comédie grecque antique écrite par Aristophane. Elle est représentée aux Grandes Dionysies en [1],[2], pendant la guerre du Péloponnèse, où elle gagne le deuxième prix[3].

Les Oiseaux
Représentation des Oiseaux, Cambridge, 1883.
Représentation des Oiseaux, Cambridge, 1883.

Auteur Aristophane
Genre Comédie
Date d'écriture 414 av. J.-C.
Version originale
Titre original Ὄρνιθες (Órnithes)
Langue originale grec ancien
Personnages principaux
*
  • Evelpidès, citoyen d'Athènes
  • Pisthétairos, citoyen d'Athènes
  • La Huppe, homme du nom de Térée changé en oiseau
  • Iris, messagère de Zeus
  • Prométhée, antique ennemi de Zeus

Autres personnages

  • Divers personnages venus d'Athènes
  • Des messagers.
Lieux de l'action
un lieu escarpé, à l'entrée d'une forêt

Cette pièce est une utopie politique[4] et une critique : deux Athéniens, Évelpidès et Pisthétaïros, dégoûtés de leur ville corrompue et en proie à la guerre, fondent une cité chez les oiseaux (en grec ancien Νεφελοκοκκυγία / Nephelokokkugía, Coucouville-les-Nuées ou Coucouville-les-Nuages). Dans ce texte, l'auteur fait preuve d'insolence envers la religion : les dieux de l'Olympe sont remplacés par les oiseaux, qui deviennent les nouveaux dieux.

Résumé

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Pisthétaïros et Evelpides, dans une représentation des Oiseaux à Cambridge, en 1883.

L'argument de la pièce est le suivant : deux Athéniens âgés, Evelpidès et Pisthétaïros (Εὐελπίδης et Πισθέταιρος)[Note 1], lassés d'Athènes, décident de fuir la capitale gangrenée par la corruption, les politiciens, les procès et la guerre. Ils se mettent à la recherche d'un endroit où ils peuvent vivre tranquillement[5]. Au début de la pièce, les voici dans un bois, avec une corneille et un choucas pour guides, à la recherche de Térée-la-Huppe — Térée a été dans une vie antérieure un homme avant d'être transformé en huppe —, afin qu'il leur indique un endroit où ils pourront vivre loin de leurs concitoyens en compagnie des oiseaux[6],[5]. S'ils s'adressent à Térée, c'est parce qu'il a été un homme, si bien qu'il comprend ce que les deux cherchent. C'est aussi car il est devenu par la suite un oiseau, ce qui lui a permis de survoler toute la terre et de connaître ainsi le lieu idéal où vivre[7]. En outre, Oiseaux et hommes peuvent dialoguer car comme Térée a été un humain, il parle aussi bien le langage des hommes que celui des oiseaux. Il a, de plus, enseigné le langage humain à l'ensemble des oiseaux[8].

Ayant trouvé Térée-la-Huppe, Pisthétaïros propose l'idée suivante: que les Oiseaux mettent donc des murailles au ciel et fondent une cité, entre la terre et la demeure des dieux. Ce sera la ville idéale, car les oiseaux savent mener une vie heureuse. La Huppe est d'accord, et propose d'exposer cette idée à tous les autres oiseaux, qu'il convoque. Ceux-ci répondent à son appel, affluant en nombre. Mais en voyant les deux hommes, ils ne cachent pas leur méfiance, qui vient de l'inimitié ancestrale entre les humains, brutaux, et eux. Pourtant, la Huppe réussit à retourner leur hostilité et les Oiseaux acceptent d'écouter Pisthétaïros. Ce dernier les convainc qu'autrefois, « avant le règne de Zeus »[5], leur espèce dominait aussi bien les hommes que les dieux[6], et il leur expose son plan qui doit leur permettre de retrouver cette ancienne souveraineté. Il s'agit de construire une cité entre terre et ciel, que l'on appellera Νεφελοκοκκυγία / Nephelokokkugía, « Coucouville-les-Nuées » ou « Coucouville-les-Nuages ». Elle sera entourée par un mur qui coupera les relations entre les hommes et les dieux de l'Olympe, et permettra aux premiers d'intercepter les offrandes destinées aux seconds[3],[4]. En outre, ces derniers ne pourront plus traverser le ciel pour descendre sur terre.

Conquis par l'idée, les Oiseaux se lancent dans la construction de la ville afin de donner corps à l'utopie. Mais les travaux ne sont pas terminés que des hommes y affluent, espèces de « candidats terrestre à l'immigration »[3]: un inspecteur des impôts, un diseur d'oracle intéressé par l'appât du gain, un mauvais poète qui veut se faire payer en échange des vers qu'il composera sur la cité, un sycophante... Pisthétaïros chasse l'un après l'autre ces importuns. Bientôt, un messager lui annonce que le mur d'enceinte est terminé[5].

Quant aux dieux de l’Olympe, les voici fort mal : les hommes ne leur sacrifient plus, si bien que les fumées des sacrifices (dont ils ont besoin pour vivre[Note 2]) ne leur parviennent plus[4]. Contraints de jeûner, affamés, ils envoient donc Iris, fille de Zeus, pour signifier aux hommes de reprendre les sacrifices[6] — en vain. Voilà qu'arrive ensuite Prométhée, venu de sa propre initiative et à l'insu des dieux[Note 3]. Il explique à Pisthétaïros la situation des dieux, forcés de jeûner, lui annonçant qu'une ambassade composée de Poséidon, Héraclès et Triballe (un dieu barbare et stupide) va venir. Il recommande à Pisthétaïros de négocier qu'à deux conditions : les dieux devront abandonner leur souveraineté aux Oiseaux, et donner Royauté (la parèdre de Zeus[4]) en mariage à lui, Pisthétaïros[5]. Quand les trois dieux sont là, Pisthétaïros suit les conseils de Prométhée et l'emporte, jouant pour cela de la gourmandise d'Héraclès et de la stupidité de Triballe pour venir à bout des réticences de Poséidon : Zeus renoncera à sa souveraineté[5],[6].

Au terme de ces négociation, un messager s'avance : « Ô vous les oiseaux, triplement bénis ! / Faites entrer votre roi dans son merveilleux palais. / (...) Il s'avance, avec à son bras sa femme / Si belle qu'il n'y a pas de mots... »[9]. La pièce se termine donc sur la victoire des Oiseaux sont les nouveaux dieux, et sur la féérie du mariage de Pisthétaïros et Royauté.

Analyse

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Anonyme. Les Oiseaux, au théâtre Haymarket. Illustration pour The Illustrated London News, 18 avril 1846.

Selon Jean Defradas, dans cette pièce plus que dans toutes ses autres comédies, Aristophane a créé un monde féérique, et il fait preuve d'une très grande invention verbale. Il se moque quelque peu des dieux, mais c'est par esprit bouffon plus que par attaque de la religion. C'est cet esprit qui lui permet, dans une pièce représentée lors d'une fête religieuse, de montrer les dieux dans des postures comiques, voire ridicules[4].

La pièce fait écho, deux mille quatre cents ans plus tard, à des préoccupations contemporaines : immigration, impôts, politique intérieure... Ainsi : « Le délire consistant à élever des murailles autour de Coucou-les-Nuages pour mieux prélever des impôts sur l’odeur des fumées de sacrifice trouve, dans sa drôlerie improbable, de sombres échos dans les murailles contemporaines, dans la privatisation de tout espace naturel ou commun »[10].

Notes et références

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  1. Pascal Thiercy interprète ces deux noms respectivement par « fils du bel espoir » et « qui persuade ses compagnons ». P. Thiercy, « Les Oiseaux ou l'art du non-sens » in L'avant-scène théâtre, n° 1281, avril 2010, p. 63 (numéro consacré aux Oiseaux). Laetitia Bianchi recense aussi diverses autres traductions de ces deux noms : « Belespoir » ou « Espéron » (sic); Fidèle-Ami, Compagnon-Fidèle, Ralliecopain (chez Debidour) ou Copinon. (in Les Oiseaux, Arléa, 2024, p. 179 — v. Bibliographie).
  2. Les sacrifices d'animaux (thysia) destinés aux dieux étaient l'un des principaux rites de la religion grecque antique; ils permettaient d'établir les liens entre les hommes et les dieux. (Marie-Thérèse Le Dinahet, La religion des cités grecques. VIIIe – Ier siècle av. J.-C. Paris, Ellipses, coll. « Poche », 2023 [2005], p. 34; 36-37).
  3. Prométhée est à la fois l'ennemi de Zeus et le défenseur des hommes, auxquels il a apporté le feu. Il le relève d'ailleurs, disant à Pisthétaïros : « Comme tu vois, je suis toujours du côté des hommes », à quoi celui-ci répond, en forme de clin d'œil : « Ah ça c'est sûr ! Et c'est grâce à toi qu'on peut faire des grillades... » (v. 1545-1546, trad. Laetitia Bianchi, Arléa, 2024, p. 154 — v. Bibliographie).

Références

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  1. Hilaire Van Daele 1977, p. 9.
  2. « Aristophane », sur Larousse (consulté le ).
  3. a b et c Demont et Lebeau 1996, p. 169
  4. a b c d et e Jean Defradas, « Aristophane »  , sur universalis.fr, Encyclopædia Universalis, s.d. (consulté le )
  5. a b c d e et f Hilaire van Daele, « Notice » in Aristophane, t. III, Les Oiseaux — Lysistrata, Belles Lettres, 1967, p. 9-11.
  6. a b c et d Debidour « Les Oiseaux. Analyse » in Aristophane, Théâtre complet, t. II, Folio, 2020, p. 25-26 (v. Bibliographie)
  7. Traduction Debibour, Folio, 2020 [1966], p. 36 (v. Bibliographie)
  8. Vers 199-200.
  9. V. 1709-1714 (trad. Laetitia Bianchi, Arléa, 2024, p. 171 — v. Bibliographie).
  10. Claire Paulian, « Tiritiritiritiribrix hup ! », En Attendant Nadeau,‎ (lire en ligne)

Voir aussi

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Bibliographie

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Traductions

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  • Les Oiseaux - Lysistrata (trad. Hilaire Van Daele), t. III, Paris, Les Belles Lettres, coll. « des Universités de France », (1re éd. 1928), 178 p., Notice, p. 9 - 16.
  • Les Oiseaux in Théâtre complet (trad. Victor-Henry Debidour), t. II, Paris, Gallimard, coll. « Folio » (réimpr. 2020) (1re éd. 1966), 508 p. (ISBN 978-2-070-37790-9, BNF 37700663), p. 27-121; introduction et analyse, p. 21-26
  • Les Oiseaux in Théâtre complet (trad. Pascal Thiercy), Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », (1re éd. 1997), XL - 1359 p. (ISBN 978-2-070-11385-9), p. 453 - 561
  • Les Oiseaux (trad. Guy Bégué), Gaeta (Italie), Passerion Editore, (1re éd. 2017), 132 p. (ISBN 978-1-542-68931-1)
  • Les Oiseaux (trad., introd. et notes par Laetitia Bianchi), Paris, Arléa, coll. « Retour aux grands textes », 2024, 192 p. (ISBN 978-2-363-08360-9)

Études

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  • Danièle Auger, « Le Théâtre d'Aristophane : Le mythe, l'utopie et les femmes », Cahiers de Fontenay, no 17 « Aristophane : Les Femmes et la Cité »,‎ , p. 71-101 (lire en ligne)
  • Jean Carrière, « Sur la chorégraphie des Oiseaux d'Aristophane », Revue des Études Anciennes, t. 58, nos 3-4,‎ , p. 211-235 (lire en ligne)
  • Marianne Closson, « Coucouville-les-nuées : une utopie politique ? », L'Entre-deux, Textes & Cultures (EA 4028), no 3 (coordonné par Anne-Gaëlle Weber et Myriam White-Le Goff) « Les oiseaux, de l’animal au symbole »,‎ (lire en ligne)
  • Cécile Corbel-Morana, Le bestiaire d'Aristophane, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Études anciennes », , 352 p. (ISBN 978-2-251-32680-1, lire en ligne), chap. I. IV (« Le sauvage et la Cité dans les Oiseaux »), p. 171-207
  • Paul Demont et Anne Lebeau, Introduction au théâtre grec, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Références », , 254 p. (ISBN 978-2-253-90525-7), p. 169 et passim
  • Ghislaine Jay-Robert, « L'espace dans les Oiseaux d'Aristophane », dans Sylvie David et Evelyne Geny (Dir.), Troïka. Parcours antiques. Mélanges offerts à Michel Woronoff, vol. 1, Besançon, Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité, (lire en ligne), p. 175-188
  • Alexandre Ničev, « L'énigme des Oiseaux d’Aristophane », Euphrosyne. Journal for Classical Philology, vol. 17,‎ , p. 9-30 (lire en ligne)