Discriminant d'un corps de nombres

En mathématiques, le discriminant d'un corps de nombres est un invariant numérique qui, moralement, mesure la taille de l'anneau des entiers de ce corps de nombres. Plus précisément, il est proportionnel au carré du volume du domaine fondamental de l'anneau des entiers, et il régule quels nombres premiers sont ramifiés.

Un domaine fondamental de l'anneau des entiers du corps K obtenu à partir de en adjoignant une racine de . Ce domaine fondamental se trouve à l'intérieur de . Le discriminant de K est 49 = 72. En conséquence, le volume du domaine fondamental est 7 et K n'est ramifié qu'en 7.

Le discriminant est l'un des invariants les plus élémentaires d'un corps de nombres et apparaît dans plusieurs formules analytiques importantes telles que l'équation fonctionnelle de la fonction zêta de Dedekind de K et la formule analytique des nombres de classe pour K. Un théorème d'Hermite stipule qu'il n'y a qu'un nombre fini de corps de nombres de discriminant donné, mais la détermination de cette quantité est toujours un problème ouvert et fait l'objet de recherches[1].

Le discriminant de K peut être appelé discriminant absolu de K pour le distinguer du discriminant relatif d'une extension de corps de nombres. Ce dernier est un idéal dans l'anneau des entiers de L et comme le discriminant absolu, il indique quels nombres premiers sont ramifiés dans . C'est une généralisation du discriminant absolu permettant à L d'être plus grand que  ; en effet, lorsque , le discriminant relatif de est l'idéal principal de engendré par le discriminant absolu de K.

Définition modifier

Soit K un corps de nombres, et soit   l'anneau de ses entiers. Soit   une base intégrale de   (c'est-à-dire une base en tant que  -module libre), et soit   l'ensemble des plongements de K dans   (c'est-à-dire des morphismes de K dans le corps des nombres complexes). Le discriminant de K est le carré du déterminant de la matrice B dont le coefficient (i, j) est  . Formellement,

 

De manière équivalente, on peut utiliser la trace de K sur  . Plus précisément, définissons la forme trace comme étant la matrice dont le coefficient (i, j) est  . Cette matrice vaut  , donc le discriminant de K est le déterminant de cette matrice.

Exemples modifier

 
Un entier qui apparaît comme le discriminant d'un corps quadratique est appelé un discriminant fondamental[2].
  • Corps cyclotomiques : soit   un entier, soit   une racine primitive n-ième de l'unité, et soit   le n-ième corps cyclotomique. Le discriminant de   est donné par[3]
 
  est la fonction indicatrice d'Euler, et le produit au dénominateur porte sur les nombres premiers p divisant n.
  • Bases de puissances : dans le cas où l'anneau des entiers peut s'écrire  , le discriminant de K est égal au discriminant du polynôme minimal de  . Pour voir cela, on peut choisir   comme base intégrale de  . Alors, la matrice dans la définition est la matrice de Vandermonde associée à αi = σi(α), dont le déterminant au carré est
 
qui est exactement la définition du discriminant du polynôme minimal.
  • Soit   le corps de nombres obtenu en adjoignant une racine α du polynôme  . Il s'agit de l'exemple original de Richard Dedekind d'un corps de nombre dont l'anneau d'entiers ne possède pas de base de puissance. Une base intégrale est   et le discriminant de K est –503[4],[5].
  • Discriminants répétés : le discriminant d'un corps quadratique l'identifie de manière injective, mais ce n'est pas vrai en général, pour les corps de nombres de degré supérieur. Par exemple, il existe deux corps cubiques (en) non isomorphes de discriminant 3969. Ils sont obtenus en adjoignant une racine du polynôme   ou  , respectivement[6].

Résultats fondamentaux modifier

  • Théorème de Brill[7] : le signe du discriminant est    est le nombre de plongements complexes de K[8].
  • Un nombre premier p se ramifie dans K si et seulement si p divise  [9].
  • Théorème de Stickelberger[10] : 
  • Borne de Minkowski[11] : soit n le degré de l'extension   et   le nombre de plongements complexes de K, alors 
  • Théorème de Minkowski[12] : si  , alors   (ceci découle directement de la borne de Minkowski).
  • Théorème d'Hermite-Minkowski[13] : soit N un entier strictement positif. Il n'y a qu'un nombre fini (à isomorphismes près) de corps de nombres K avec  . Encore une fois, cela découle de la borne de Minkowski ainsi que du théorème d'Hermite.

Histoire modifier

 
Richard Dedekind a montré que tout corps de nombres possède une base intégrale, lui permettant de définir le discriminant d'un corps de nombre arbitraire.

La définition du discriminant d'un corps de nombres général a été donnée par Dedekind en 1871. À ce stade, il connaissait déjà la relation entre le discriminant et la ramification[14].

Le théorème d'Hermite est antérieur à la définition générale du discriminant, Charles Hermite en publiant une preuve en 1857[15]. En 1877, Alexander von Brill détermina le signe du discriminant[16]. Leopold Kronecker fut le premier à énoncer le théorème de Minkowski en 1882[17], mais la première preuve ne fut donnée qu'en 1891, par Hermann Minkowski[18]. La même année, Minkowski publia sa borne sur le discriminant[19]. Vers la fin du XIXe siècle, Ludwig Stickelberger obtint son théorème sur le résidu du discriminant modulo 4[20],[21].

Discriminant relatif modifier

Le discriminant défini ci-dessus est parfois appelé discriminant absolu de K pour le distinguer du discriminant relatif   d'une extension de corps de nombres  , qui est un idéal dans  . Le discriminant relatif est défini de manière similaire au discriminant absolu, mais doit tenir compte du fait que les idéaux dans   peuvent ne pas être principaux et qu'il peut ne pas y avoir de  -base de  . Soit   l'ensemble des plongements de K dans   qui sont l'identité sur L. Si   est une base quelconque de K sur L, soit   le carré du déterminant de la matrice n par n dont le coefficient (i, j) est  . Alors, le discriminant relatif de   est l'idéal engendré par les   lorsque   varie sur toutes les bases intégrales de  . Alternativement, le discriminant relatif de   est la norme de la différente de  [22]. Lorsque  , le discriminant relatif   est l'idéal principal de   engendré par le discriminant absolu  . Dans une tour de corps  , les discriminants relatifs sont liés par

 

  désigne la norme relative[23].

Ramification modifier

Le discriminant relatif régule les données de ramification de l'extension de corps  . Un idéal premier p de L se ramifie dans K si, et seulement si, il divise le discriminant relatif  . Une extension est donc non ramifiée si, et seulement si, son discriminant est l'idéal (1)[9]. La borne de Minkowski ci-dessus montre que   n'a pas d'extension non ramifiée non triviale. En revanche, les corps plus grands que   peuvent avoir des extensions non ramifiées : par exemple, si le nombre de classes d'un corps est strictement supérieur à 1, son corps de classes de Hilbert est une extension non triviale non ramifiée.

Relation avec d'autres grandeurs modifier

  • Lorsqu'il est plongé dans  , le volume du domaine fondamental de   est   (parfois une mesure différente est utilisée et le volume obtenu est  ).
  • En raison de son apparition dans ce volume, le discriminant apparaît également dans l'équation fonctionnelle de la fonction zêta de Dedekind de K, et donc dans la formule analytique du nombre de classes, et le théorème de Brauer-Siegel.
  • Le discriminant relatif de   est le conducteur d'Artin (en) de la représentation régulière du groupe de Galois de  . Ceci fournit une relation aux conducteurs d'Artin des caractères du groupe de Galois de  , appelée la formule conducteur-discriminant[24].

Notes et références modifier

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Discriminant of an algebraic number field » (voir la liste des auteurs).
  1. (en) Henri Cohen, Francisco Diaz y Diaz et Michel Olivier, « A Survey of Discriminant Counting », dans Claus Fieker et David R. Kohel, Algorithmic Number Theory, Proceedings, 5th International Syposium, ANTS-V, University of Sydney, July 2002, Berlin, Springer-Verlag, coll. « Lecture Notes in Computer Science » (no 2369), , 80-94 p. (ISBN 978-3-540-43863-2, DOI 10.1007/3-540-45455-1_7, MR 2041075).
  2. Définition 5.1.2 de (en) Henri Cohen, A Course in Computational Algebraic Number Theory, Berlin, New York, Springer-Verlag, coll. « GTM » (no 138), (ISBN 978-3-540-55640-4, MR 1228206).
  3. Proposition 2.7 de (en) Lawrence Washington, Introduction to Cyclotomic Fields, Berlin, New York, Springer-Verlag, coll. « GTM » (no 83), , 2e éd. (ISBN 978-0-387-94762-4, MR 1421575, zbMATH 0966.11047).
  4. (de) Richard Dedekind, « Über den Zusammenhang zwischen der Theorie der Ideale und der Theorie der höheren Congruenzen », Abhandlungen der Königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, vol. 23, no 1,‎ (lire en ligne, consulté le ), p. 30-31.
  5. (en) Władysław Narkiewicz, Elementary and Analytic Theory of Algebraic Numbers, Berlin, Springer-Verlag, coll. « Springer Monographs in Mathematics », , 3e éd. (ISBN 978-3-540-21902-6, MR 2078267, lire en ligne), p. 64.
  6. Cohen 1993, Theorem 6.4.6.
  7. (en) Helmut Koch, Algebraic Number Theory, Springer-Verlag, coll. « Encycl. Math. Sci. » (no 62), , 2nd printing of 1st éd. (ISBN 3-540-63003-1, zbMATH 0819.11044), p. 11.
  8. Lemme 2.2 de Washington 1997.
  9. a et b Cor. III.2.12 de (de) Jürgen Neukirch, Algebraische Zahlentheorie, Berlin, Springer-Verlag, coll. « Grundlehren der mathematischen Wissenschaften » (no 322), (ISBN 978-3-540-65399-8, MR 1697859, zbMATH 0956.11021, lire en ligne), p. 211.
  10. Exerc. I.2.7 de Neukirch 1999.
  11. Prop. III.2.14 de Neukirch 1999.
  12. Th. III.2.17 de Neukirch 1999.
  13. Th. III.2.16 de Neukirch 1999.
  14. Nicolas Bourbaki, Éléments d'histoire des mathématiques, Hermann, (réimpr. 1984, 2007), 3e éd. (1re éd. 1960), 376 p. (ISBN 978-3-540-33938-0, présentation en ligne).
  15. C. Hermite, « Extrait d'une lettre de M. C. Hermite à M. Borchardt sur le nombre limité d'irrationalités auxquelles se réduisent les racines des équations à coefficients entiers complexes d'un degré et d'un discriminant donnés », Journal de Crelle, vol. 1857, no 53,‎ , p. 182-192 (DOI 10.1515/crll.1857.53.182, lire en ligne, consulté le ).
  16. (de) Alexander von Brill, « Ueber die Discriminante », Mathematische Annalen, vol. 12, no 1,‎ , p. 87-89 (DOI 10.1007/BF01442468, MR 1509928, JFM 09.0059.02, lire en ligne, consulté le ).
  17. (de) L. Kronecker, « Grundzüge einer arithmetischen Theorie der algebraischen Grössen », Journal de Crelle, vol. 92,‎ , p. 1-122 (JFM 14.0038.02, lire en ligne, consulté le ).
  18. (de) H. Minkowski, « Ueber die positiven quadratischen Formen und über kettenbruchähnliche Algorithmen », Journal de Crelle, vol. 1891, no 107,‎ , p. 278-297 (DOI 10.1515/crll.1891.107.278, JFM 23.0212.01, lire en ligne, consulté le ).
  19. H. Minkowski, « Théorèmes arithmétiques », Comptes rendus de l'Académie des sciences, vol. 112,‎ , p. 209-212 (JFM 23.0214.01).
  20. (de) L. Stickelberger, « Über eine neue Eigenschaft der Diskriminanten algebraischer Zahlkörper », dans Proceedings of the First International Congress of Mathematicians, Zürich, , 182-193 p. (JFM 29.0172.03).
  21. On trouve tous les faits de ce paragraphe dans Narkiewicz 2004, p. 59 et 81.
  22. Neukirch 1999, p. 212.
  23. Cor. III.2.10 de Neukirch 1999 ou Prop. III.2.15 de (en) Albrecht Fröhlich et Martin J. Taylor, Algebraic Number Theory, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Advanced Mathematics » (no 27), (ISBN 978-0-521-43834-6, MR 1215934).
  24. Section 4.4 de (en) Jean-Pierre Serre, « Local class field theory », dans J. W. S. Cassels et A. Fröhlich, Algebraic Number Theory, Proceedings of an Instructional Conference at the University of Sussex, Brighton, 1965, Londres, Academic Press, (ISBN 0-12-163251-2, MR 0220701).

Bibliographie modifier