La désilience est un processus en psychologie qui définit l’inaptitude d'un sujet à dépasser un traumatisme psychique, pire encore à s’effondrer ou développer des conduites relationnelles viciées.

Historique du concept modifier

Entre 2008 et 2010, Nicolas Sajus[1] analyse ce qu'il nommera « la défaillance ou l'envers de la résilience (psychologie) » dans son mémoire en clinique familiale à l'université Paris 8 - Vincennes Saint-Denis[2] : « La résilience: « En-JE » d'un processus au niveau conjugal et familial ». Il dépeint les mécanismes psychiques adaptatifs au traumatisme qui font freins, limites, créant même une impossibilité « au modelage du processus de résilience » selon ses termes. Loin de la résilience, il y développe les enjeux intrafamiliaux de posture victimaire, de perversion relationnelle et la répétition de violences au plan intergénérationnel. ll entre en doctorat sous la direction de la professeure Dominique Groux[3], doyenne de la Faculté d'Éducation à l'Institut catholique de Paris[4] et poursuit ses recherches. Sur cette même période, il fait la rencontre des professeurs Jean-Pierre Pourtois[5] et Huguette Desmet[6] de l'université de Mons-Hainaut en Belgique qui seront membres du jury de sa première thèse à l'université de Guyane . Ils interrogent le néologisme désilience en regard de leurs travaux sur la maltraitance des enfants. Les deux universitaires associés à Bruno Humbeeck citent le terme en 2012[7].

 
Les facteurs de désilience (Nicolas Sajus - 2010)

Lors de la journée du 15 janvier 2013 à Paris : « Attachement, résilience et culture », en présence dans l'assemblée de Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, Nicolas Sajus expose sa communication intitulée : « résilience - désilience : considérations méthodologiques et constructivistes ». Il dialectise le processus de résilience entre ce qu'il modélise comme une dynamique positive, et son miroir, qu'il définira comme « les actes de la résilience paradoxale ou les facteurs de désilience » dans une dynamique délétère du sujet. Ses travaux épistémologiques de recherches[8],[9] s'appuient sur des études longitudinales du psychotraumatisme qu'il réalise et l'observation clinique des voies électives qu'emprunte le sujet aussi bien au plan individuel, familial et communautaire.

Il sera chercheur aux Antilles et étudiera les conséquences de l'esclavage sur la population[10]. Expert à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, aux Pays-Bas, son cadre d'exercice s'inscrit dans l'évaluation psychologique d'enfants et de peuples victimes de crimes contre l'humanité[11].


Processus modifier

Le mot résilience rencontre aujourd’hui un succès considérable notamment en France. Serge Tisseron[12] sera le premier à développer les travaux de Glen Richardson (2002)[13] concernant la troisième vague de la résilience qui fait rupture avec les autres approches, en considérant la résilience comme une aptitude liée à des caractéristiques personnelles en partie innées, mais qui est aussi influencée par l’environnement. Cette perspective présente un avantage considérable par rapport aux précédentes : chacun construit « sa » résilience, et on ne sait jamais comment elle va se manifester chez une personne à un moment donné. Aussi, il est à accepter que les chemins empruntés par certaines personnes sur la voie de leur reconstruction puissent surprendre. Cette troisième approche trouvera un appui dans les travaux actuels des neurosciences sur la plasticité neuronale et psychique. Dès 2002, les diverses significations du mot « résilience » étaient donc précisées. En France, il a existé une confusion complète de l’ensemble des définitions, néanmoins un succès médiatique a suivi.

La pandémie du COVID en 2020 aura magnifié le terme de résilience offrant une visibilité jamais acquise au plan médiatique. Pas un article, pas un discours dans lesquels elle ne soit rappelée comme une essence presque ontologique. L’adversité face au coronavirus serait sauvée par une résilience collective. Cette dynamique s’inscrit bien loin du concept original et de la pensée américaine devenant en France et en Europe une pensée magique[14].

Les interactions actuelles avec la violence, les maltraitances sexuelles, les affaires de pédophilies[15], l’inceste[16], etc., réinterrogent ce concept. En ce sens, la plupart des sujets ne dépassent pas la perspective traumatique, au contraire, ils peuvent même s’en nourrir via des enjeux d’échecs, de ratés qui induisent des aménagements de leur personnalité qui seront manipulateurs en miroir à l’évolution sociétale (Sajus, N., 2022)[17]. À l’aune d’une société en crise, individualiste, hédoniste (entrainant un relativisme éthique), consumériste, néo-libérale, la résilience est à un véritable tournant où elle est grandement menacée. En effet, on ne peut envisager la résilience individuelle sans la résilience collective eu égard à un monde de la postmodernité empreint au chaos[18]. Aussi, que ce soit le sujet, comme certaines politiques, des enjeux psychopathologiques émergent à l’instar de comportements malsains, pervers.

Dans la démarche de désilience, le sujet serait un « mort vivant »: vivant au plan physique, physiologique, mais mort au plan psychique tant les répercussions traumatiques le terrassent.  Il est en perdition de lui-même et répète comme une forme de compulsion à la répétition pour se guérir ou le croire, mais en réalité il ne s’agit que d’une destructivité mortifère. Nicolas Sajus décrit le processus de désilience comme une conséquence de plusieurs facteurs : la dérégulation et la défaillance de la coopération du monde politique, la déliaison des liens sociaux ( travail, malaise social, rituels de passage, famille), et la désubjectivation du sujet[19].

Une thèse doctorale est soutenue à l'université de Toulouse 2, par Wiam Bouaziz en juillet 2021 concernant la résilience et la désilience dans le cadre d'une perspective à la fois addictive (l'alcoolisme) et insulaire[20] .

Ce concept est en écho à la notion de « capabilité » (anglicisme), de l'anglais « capability » qui connut d’importants développements avec les travaux de la philosophe Martha Nussbaum.

Serge Tisseron postule en regard de ce nouveau paradigme que « ce choix évoque bien entendu la désillusion de beaucoup de ceux qui ont cru qu’un traumatisme allait forcément leur ouvrir un monde plus beau »[21].

Vers une voie d'espérance modifier

Surmonter le désespoir passe par restaurer le concept de résilience dans sa véritable sémantique et créer des ponts d’humanité dans une démarche de résilience collective. Il est nécessaire de rentrer dans une nouvelle espérance enracinée dans l'humanité : le désir d'une vie réussie, une fraternité sociale et politique, restaurer la sollicitude du prochain, construire de la fécondité et non se situer toujours dans le primat de l’indifférence et du succès, retrouver le dialogue, source de liens d’humanité, développer la culture de l’art de la rencontre du prochain, renouer à la notion de probité, de vérité ainsi que la valeur et le sens du pardon, le devoir de mémoire.

 
Sajus, N. (2024). La Désilience ou l’envers de la résilience, L’Harmattan.

Il s’agit d’un travail à mener au plan communautaire où chacun à sa place à trouver:  les acteurs d’une politique saine et vraie, des liens sociaux authentiques et des citoyens du monde qui accueille le prochain comme une altérité sacrée, dans la fraternité, la bienveillance, l’empathie et le partage[22]. C’est la véritable espérance de notre monde de demain souligne Nicolas Sajus.

Références modifier

  1. « Nicolas Sajus - Biographie, publications (livres, articles) », sur www.editions-harmattan.fr (consulté le )
  2. « Inscription - DFSSU Clinique familiale et pratiques systémiques », sur Université Paris 8 (consulté le )
  3. « Bienvenue sur le site de Dominique Groux », sur www.dominiquegroux.com (consulté le )
  4. Frédéric Rapinel, « Faculté d'Éducation et de Formation », sur ICP (consulté le )
  5. « Jean-Pierre POURTOIS - érès », sur www.editions-eres.com (consulté le )
  6. « Huguette DESMET - érès », sur www.editions-eres.com (consulté le )
  7. Jean-Pierre Pourtois, Bruno Humbeeck et Huguette Desmet, Les ressources de la résilience, PUF, (ISBN 978-2-13-059515-1)
  8. Nicolas Sajus, Approche transculturelle comparée des apprentissages psycho-éducatifs et de l’usage des discours de résilience auprès d’adolescents victimes de maltraitances : le cas de Jean en Guyane et de Marie en Métropole, Guyane, (lire en ligne)
  9. Nicolas Sajus, Psychopathologie du traumatisme psychique et enjeux cliniques entre répétition, perversion et sublimation, Université Paris Cité, (lire en ligne)
  10. « Nicolas SAJUS », sur Université de Guyane (consulté le )
  11. « Liste des Experts auprès de la CPI au 16 juin NOM, Prénom Nationalité Champs d expertise Langue Utilisée Langues supplémentaires - PDF Téléchargement Gratuit », sur docplayer.fr (consulté le )
  12. Serge Tisseron, La résilience, Presses Universitaires de France - PUF, (ISBN 978-2-13-056033-3, lire en ligne)
  13. (en) Glenn E. Richardson, « The metatheory of resilience and resiliency », Journal of Clinical Psychology, vol. 58, no 3,‎ , p. 307–321 (ISSN 0021-9762 et 1097-4679, DOI 10.1002/jclp.10020, lire en ligne, consulté le )
  14. Nicolas Sajus, Adolescence : du traumatisme de vie à la résilience - Quand les mots de l'âme humaine dépassent les, ESF Social, (ISBN 978-2-85086-305-9, lire en ligne)
  15. « Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise - CIASE », sur Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (consulté le )
  16. « Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants - CIIVISE Commission Inceste », sur CIIVISE (consulté le )
  17. Nicolas Sajus, « Les enjeux de la répétition. Loyautés familiales et psychotraumatisme », Les Cahiers Dynamiques, vol. 79, no 1,‎ , p. 41–58 (ISSN 1276-3780, DOI 10.3917/lcd.079.0041, lire en ligne, consulté le )
  18. Adolescence : du traumatisme de vie à la résilience. Quand les mots de l'âme humaine dépassent les maux - Nicolas Sajus (lire en ligne)
  19. « La désilience ou l’envers de la résilience », sur liseuse.harmattan.fr (consulté le )
  20. Wiam Bouaziz, « Étude psychopathologique des processus de résilience et de désilience chez le sujet alcoolique dans un contexte insulaire : l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon », Toulouse 2 (thèse),‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. Serge Tisseron, « Désilience », sur sergetisseron.com/blog (consulté le )
  22. La désilience ou l’envers de la résilience - Nicolas Sajus (lire en ligne)