Coopération linguistique bilatérale de la France

La coopération linguistique bilatérale de la France relève d'un dispositif administratif et diplomatique qui comprend deux niveaux : le niveau ministériel (Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères) et le niveau local (service culturel d'une ambassade).

Politique, diplomatie et coopération linguistiques modifier

La coopération linguistique bilatérale de la France est l'un des volets de sa coopération culturelle dans un pays accréditaire. Encadrée par des accords[1], la coopération culturelle fait partie des relations diplomatiques entre deux États[2]. La France est d’ailleurs pionnière en matière de diplomatie culturelle[3]. La coopération linguistique bilatérale est un instrument de sa politique linguistique extérieure (ou diffusion de la langue française hors de France). La diplomatie linguistique peut être une arme redoutable, notamment si le chef de l’État partenaire est francophile. La finalité de la politique linguistique extérieure est d’accroître, discrètement[4], l’influence de la langue (et de la culture) françaises dans le monde, et, plus précisément, dans les systèmes éducatifs des pays accréditaires. Elle devient optimale quand, par exemple, le MEN (Ministère de l’Éducation Nationale) d’un système éducatif local décrète que l’étude de la langue française deviendra obligatoire. Cependant, toute forme de coopération, qu’elle soit culturelle, éducative, scientifique ou universitaire, peut, également, y contribuer. Par exemple, une meilleure attractivité des formations universitaires françaises auprès des étudiants étrangers, par la création, notamment, d’universités franco-étrangères[5], ne peut que favoriser notre expansion linguistique.

Le Programme 185 modifier

Pour comprendre les orientations et les moyens financiers et institutionnels mais aussi les failles de la politique linguistique extérieure de l’État français, outre les nombreuses études universitaires consacrées au champ du FLE/FLS[6], une lecture des rapports des commissions des affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée Nationale[7] sur les programmes ministériels ad hoc est indispensable, d’autant plus que les travaux universitaires généralement ignorent ou rejettent ces aspects de la coopération linguistique. Ces rapports analysent, entre autres, le Programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence »[8], l’un des programmes de la Mission « Action extérieure de l’État français »[9] et le Programme 209 « Solidarité avec les pays en développement », l’un des programmes de la Mission « Aide publique au Développement ». Ce dernier programme consacre des fonds à l’essor de la Francophonie multilatérale. La coopération linguistique est « bi-multilatérale »[10]. La diffusion linguistique fait partie du champ d’action des deux programmes. Les Projets annuels de Loi de Finance (PLF) donnent lieu à des descriptifs (Projets Annuels de Performances) sur les objectifs[11], les budgets et les performances des programmes[12]. Afin d’évaluer leurs résultats, leurs rédacteurs disposent d’indicateurs (et de sous-indicateurs) de performances. Voici, à titre d’exemple, deux indicateurs et sous-indicateurs fondamentaux du Programme 185 : i/ « Diffusion de la langue française » avec son sous-indicateur : « nombre de candidats aux certifications en langue française »[13]; ii/ « enseignement français et coopération éducative » avec son sous-indicateur : « taux de croissance du nombre d’élèves étrangers inscrits dans les établissements du réseau AEFE »[14]. Toute politique publique doit pouvoir être évaluée[15].

Dispositif administratif modifier

À partir des orientations données par le gouvernement, voire par le Chef d’État[16], des ministères (ou administrations centrales) élaborent les politiques linguistiques extérieures et les font implémenter, sous forme de planifications, par les postes diplomatiques bilatéraux, responsables de la coopération linguistique. L’enseignement, aussi important soit-il, n’est pas le seul vecteur de l’expansion de la langue française, il s’en faut.

Le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) modifier

Deux ministères sont responsables de la mission de diffusion linguistique : i/ le Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères et ses directions thématiques, notamment la Direction Générale de la Mondialisation (DGM)[17] ; ii/ le Ministère de l'Éducation Nationale et ses directions, notamment, la Délégation aux Relations Européennes et Internationales et à la Coopération (DREIC)[18]. L’action linguistique extérieure est interministérielle[19]. Dans le cadre du Programme 185, des opérateurs de l’État (l’AEFE, l’Institut français Paris, Campus France) aident la DGM à réaliser cette mission. Il convient, cependant, de distinguer entre acteur « institutionnel » de la diffusion linguistique (par exemple : Ministère, Alliance française, lycée français) et acteur « personnalisable » (par exemple : attaché de coopération pour le français, professeur de français).

Le Service de Coopération et d’Action culturelle (SCAC) modifier

À l’étranger, ce sont les SCAC des ambassades[20] qui prennent le relais de l’action linguistique extérieure. Ils sont dédiés à la coopération culturelle, sous toutes ses formes. Ils disposent d’opérateurs locaux, organisés en réseaux a priori complémentaires : Instituts français[21], Alliances françaises[22] , lycées français[23]. Par exemple, en Colombie, qui n’appartient pourtant pas aux zones traditionnelles de l’influence de la France[24], on ne compte pas moins, désormais, de quatre lycées français et de treize Alliances françaises[25]. Au sein d’un SCAC, dirigé par un Conseiller de Coopération et d’Action culturelle (COCAC), c’est l’Attaché de coopération pour le français (ACPF), en synergie avec les autres attachés d’Ambassade[26] , qui conçoit et/ou coordonne les planifications qui favorisent, la diffusion du français dans le pays accréditaire[27] . Cependant, le rôle de l’Ambassadeur, « plénipotentiaire », est crucial dans l’expansion de la langue française dans le pays d’accueil. Ses bonnes relations avec le gouvernement du pays sont déterminantes dans le destin local de la langue française.

Une coopération linguistique idéale coûterait des millions d’euros. De multiples planifications sont envisageables : formation des professeurs de FLE, promotion de la Francophonie avec d’autres ambassades, enquêtes sociolinguistiques[28] , conception de curricula, promotion du numérique, etc. La question des budgets alloués à la diffusion linguistique par le MEAE et par le Poste diplomatique est déterminante. Une diffusion de la langue française sans budget public[29] serait paradoxale et périlleuse, d’autant plus que des diffuseurs concurrents peuvent disposer de crédits substantiels. Le réseau des Instituts Confucius, créé seulement en 2004, dispose déjà de 525 instituts[30] . Au-delà de cette guerre diplomatique des langues, de nouveaux centres culturels franco-allemands vont voir le jour[31] . Enfin, le «qualitatif» devrait prévaloir sur le «quantitatif»[32] . Or, les centres culturels français doivent être rentables. Le marketing culturel a remplacé la diffusion universaliste des pionniers de la diffusion linguistique.

Bibliographie modifier

Rapports du Sénat, de l’Assemblée nationale et de la Cour des Comptes modifier

  • M. Miraillet, DGM-MEAE, Projet de Loi de Finance, Programme 185, Diplomatie culturelle et d’influence, (lire en ligne [PDF])(consulté le 15 mars 2022)
  • R. Le Gleut et A. Vallini, rapporteurs, Action extérieure de l’État, Programme 185, Diplomatie culturelle et d’influence, Commission des affaires étrangères du Sénat, (lire en ligne [PDF]) (consulté le 15 mars 2022)
  • F. Petit, rapporteur, Action extérieure de l’État, Programme 185, Diplomatie culturelle et d’influence, (lire en ligne [PDF])(consulté le 15 mars 2022)
  • M.-P. Amirshahi, rapporteur, La Francophonie: action culturelle, éducative et économique, (lire en ligne [PDF]) (consulté le 15 mars 2022)
  • Le réseau culturel de la France à l’étranger, Cour des Comptes, (lire en ligne [PDF]) (consulté le 15 mars 2022)

Articles modifier

  • Frédéric Mazières, Georges-Daniel Véronique, « Pour une formation à la politique linguistique éducative et à l’intervention en didactique du français langue étrangère », Synergies-France, 14, (lire en ligne [PDF]), p.167-181 (consulté le 15 mars 2022)
  • Frédéric Mazières, « Les mécanismes des réductions budgétaires et leurs conséquences sur la diffusion de la langue française : analyse de la situation en 2013 », Synergies-Espagne, 6, , p. 199-210 (lire en ligne [PDF]) (consulté le 15 mars 2022)
  • Frédéric Mazières, « Stratégies et contraintes de la diffusion linguistique », Synergies-Espagne, 5, , p. 217-225 (lire en ligne [PDF]) (consulté le 15 mars 2022)
  • Frédéric Mazières, « Un point de vue métadidactique sur la coopération linguistique bilatérale de la France », Synergies-Pologne, 9, (lire en ligne [PDF]), p. 217-227 (consulté le 15 mars 2022)

Revue modifier

  • A. Leconte et C. Troncy (eds), Politique(s) linguistique(s) et formations universitaires dans le monde francophone, Synergies-France, 14-15, (lire en ligne [PDF]) (consulté le 15 mars 2022)

Notes et références modifier

  1. Accords-cadres, conventions, traités bilatéraux, etc. Ils définissent, notamment, le statut des agents expatriés et des opérateurs locaux (exemple : lycée français) dans les pays accréditaires. Voir : « base-pacte » du MEAE : https://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/recherche/mae_internet___traites
  2. Le point de vue adopté dans ce texte est administratif, diplomatique et budgétaire. Pour un point de vue didactique et pédagogique sur la diffusion linguistique, voir, par exemple, le numéro de Synergie-France, numéros 14-15, 2021, 193 p. [1]
  3. C’est elle qui a fait inscrire dans l’article 3 de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques l’action culturelle publique parmi les missions d’une ambassade.
  4. Les conquêtes militaires, qui contribuent aussi à son expansion, le sont moins.
  5. Exemple : l’Université Franco-Tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée (UFTAM).
  6. Français Langue Étrangère et Seconde. Le pionnier de cette approche « métadidactique » fut Louis Porcher.
  7. Voir les sites Internet du Sénat et de l’Assemblée nationale qui en publient régulièrement.
  8. Ce programme finance les Services de Coopération et d’Action culturelle (SCAC) des ambassades ainsi que les opérateurs ministériels et locaux (voir infra).
  9. Les budgets publics sont structurés autour de trois niveaux : missions, programmes et actions. Exemple d’action : « Coopération culturelle et promotion du français ».
  10. L’OIF et ses opérateurs (AUF, TV5 Monde, etc.) rassemblent 88 États et gouvernements.
  11. Exemple d’objectif : « renforcer l’influence culturelle, linguistique et éducative de la France » (Programme 209).
  12. voir : https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/9850 (Programme 185) ; https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/9895 (Programme 209) (consultés le 15/03/2022).
  13. Exemples de certifications FLE : DILF, DELF, DALF, TCF. Voir : https://www.fle.fr/Les-Certifications-FLE (consulté le 15/03/2022).
  14. PLF 2021, Programme 185, p. 12-15.
  15. C’est le principe de la LOLF.
  16. Voir le discours du Président de la République française en 2018 à l’Institut de France : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/21_03_transcription_du_discours_du_president_de_la_republique_a_l_institut_de_france_cle8b8911.pdf. Voir aussi ses discours à la Sorbonne et à Ouagadougou (2017).
  17. Direction Générale de la Mondialisation (de la Culture, de l’Enseignement et du Développement).
  18. Délégation aux Relations Européennes et Internationales et à la Coopération.
  19. Le MESR (Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche), le Ministère de la Culture, etc. concourent, également, à la diffusion linguistique (et culturelle).
  20. Le SCAC est constitué généralement d’agent détachés de leur administration d’origine alors que la chancellerie politique est constituée, autour de l’ambassadeur, de diplomates de carrière.
  21. Les Instituts français sont placés sous l’autorité de l’ambasseur et du COCAC (voir infra). Ce sont des EAF (Établissements à Autonomie Financière).
  22. Un peu moins de la moitié des Alliances françaises, associatives et de droit local, bénéficient d’une convention avec les ambassades. Elles reçoivent à ce titre un appui financier et/ou humain (directeurs détachés).
  23. Les programmes officiels du MEN y sont appliqués, de l’école maternelle au lycée. Ils avaient été créés pour accueuillir les enfants d’expatriés français.
  24. Cependant, depuis quelques années, elle bénéficie d’une APD bilatérale conséquente (source : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b3403-tiii_rapport-avis.pdf, p. 16).
  25. Voir le site de l’ambassade de France à Bogota : https://co.ambafrance.org/-Presence-francaise- [consulté le 15/03/2022].
  26. Attachés de coopération universitaire, éducative, technique, audio-visuelle, etc.
  27. Voir les profils d’ACPF sur le site Internet du MEAE (« Transparences ») (consulté le 15/03/2022).
  28. Un diagnostic sociolinguistique, par le biais d’enquêtes sociolinguistiques réalisées dans des centres de diffusion du français (collèges locaux, lycées français, alliances françaises, etc.), donne aux planifications de l’ACPF un ancrage et une légitimité scientifiques.
  29. Néanmoins, des multinationales privées, pour mieux intégrer leur personnel local, peuvent y contribuer (exemples : formations internes de Carrefour, Michelin).
  30. Source : http://www.senat.fr/rap/a21-165-2/a21-165-21.pdf , p. 18 (consulté le 15/03/2022).
  31. Source : PLF 2021, Programme 185, p. 51 (consulté le 15/03/2022).
  32. Dans un rapport parlementaire, on parle, de « produire » [sic] 120 francophones par an. Source : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b2303-tii_rapport-avis.pdf (2019, p. 54). (consulté le 15/03/2022).