Centre d'hébergement et d'accueil d'urgence humanitaire de Sangatte

établissement humain en France
(Redirigé depuis Centre de Sangatte)

Le Centre d'hébergement et d'accueil d'urgence humanitaire (CHAUH) de Sangatte, plus communément appelé Centre de Sangatte est un lieu d'accueil temporaire de réfugiés[Note 1] situé sur la commune de Sangatte dans le département du Pas-de-Calais. Le Centre de Sangatte voit le jour en à l'initiative du gouvernement français afin de faire face à l'afflux de migrants du Kosovo alors en guerre souhaitant immigrer en Grande-Bretagne. Le , la fermeture du centre est ordonnée par Nicolas Sarkozy alors Ministre de l'Intérieur et il est finalement détruit en [1]. Entre 65 et 70 000 personnes auraient transité par le Centre entre 1999 et 2002.

Contexte migratoire dans le Calaisis

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Accueil des migrants

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Occupation des terminaux de transport

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Dès la fin des années 80, les premières tensions migratoires apparaissent dans la région de Calais où se trouvent les terminaux de transport permettant de rejoindre la Grande-Bretagne par ferry ou le tunnel sous la Manche. Les étrangers en situation irrégulière découverts en Grande-Bretagne étaient reconduits en France par voie de bateau où il ne leur était pas non plus permis de rester sur le territoire. C'est à partir de cette période que la situation des migrants tentant de traverser la Manche a attiré l'attention d'associations humanitaires[c 1].

La situation empire après la chute du Mur de Berlin ; des migrants en provenance d'anciens pays du bloc soviétique tentent de se rendre en Grande-Bretagne où ils n'ont théoriquement plus besoin de visa. Certains d'entre-eux sont refoulés au poste de frontière de Douvres alors qu'ils disposent de papiers en règle. Ils sont alors reconduits en France où il patientent pendant plusieurs semaines dans les terminaux portuaires de Calais. Au milieu des années 90, une cinquantaine de familles occupent les bâtiments portuaires. Au cours de l'année 1998, la Police aux frontières française a ainsi arrêté 1 450 migrants yougoslaves, 500 migrants sri lankais, 300 somaliens, 200 turcs, 180 albanais, 170 roumains et 150 algériens[2]. A l'automne 1998, la Croix Rouge française et la sous-préfecture de Calais envisagent la création d'un hébergement d'urgence afin de faire face à la venue des migrants qui n'aboutira finalement pas[c 2].

En 1999, la situation migratoire empire à Calais avec le début du conflit au Kosovo qui entraîne la venue de nombreuses familles fuyant la guerre. Les migrants continuent de s'entasser dans les terminaux qui ne disposent pas des infrastructures permettant de les accueillir de manière descente. Pressée par la Chambre de Commerce et d'Industrie, propriétaire des lieux, la Préfecture émet un arrêté le stipulant que « toute utilisation des parties publiques du Terminal Transmanche du Port de Calais à des fins autres que le trafic de voyageurs est INTERDITE »[Note 2]. Les migrants se dispersent alors dans les rues de Calais[c 3].

Structures et camps éphémères

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En , des militants associatifs rencontrent le sous-préfet qui décidé, en accord avec la Chambre de Commerce et d'Industrie, de réquisitionner un hangar dont cette dernière est propriétaire. Le hangar Bore offre ses portes tous les soirs à 18h le soir jusqu'à 9h le matin. Créé pour accueillir 80 personnes, le hangar Bore verra sa capacité rapidement passer à près de 200 personnes certains soirs. C'est l'association La Belle Étoile qui est chargée de la gestion du centre, en partenariat avec d'autres associations et le Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) de Loon-Plage qui distribue des repas le soir aux migrants. Le , le hangar Bore est brusquement fermé par la sous-préfecture. Les associations tentent de reloger les migrants dans des foyers ou des hôtels mais une majorité d'entre-eux retourne errer dans les rues de Calais. De nombreux migrants se retrouvent alors dans le parc Saint Pierre à Calais construisant des abris précaires avec des matériaux récupérés[c 4],[c 5].

En , la Préfecture décide finalement de l'ouverture de trois nouveaux lieux d'accueil provisoires: le centre Léonie Chaptal, le centre de loisir municipal de Calais et l'ancienne usine d'Eurotunnel qui deviendra le Centre de Sangatte. Le centre Léonie Chaptal prévu pour accueillir une cinquantaine de personnes accueille finalement près de 65 personnes dès le premier soir et est rapidement saturé. Le centre de loisir est lui chargé d'accueillir les étrangers en situation irrégulière refoulés à la frontière[c 1]. L'ancienne usine d'Eurotunnel est elle d'abord gérée par une association de Loon-Plage, l'Association pour la Prévention et une Meilleure Citoyenneté des Jeunes (APMCJ), qui met en place un contrôle strict des entrées. Certains militants associatifs comparaient le lieu à un « centre de rétention » plutôt qu'un lieu d'hébergement. Le hangar est finalement brusquement fermé à la fin et les familles installées sont déplacées dans les autres lieux d'hébergement ou se réfugient dans les rues de Calais[c 3].

Ouverture du Centre

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Le Centre de Sangatte ouvre ses portes le et sa gestion est confiée par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité à la Croix Rouge française. Il dispose à son ouverture d'une capacité de 200 places.

Selon la Croix-Rouge française, 67 611 migrants ont transité par le Centre de Sangatte pendant toute la durée de son ouverture[c 6].

Profil des migrants

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Caractéristiques du centre

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Localisation

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Le Centre se situe à la lisière de la commune de Sangatte, à une dizaine de kilomètres de Calais où se trouvent les terminaux de transport permettant de traverser la Manche. Il est installé dans une ancienne usine appartenant à l'entreprise Eurotunnel utilisée pour la construction de voussoirs, pièce métallique en arc de cercle constituant la charpente du tunnel sous la Manche.

Fonctionnement

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Fermeture du centre

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Procédures judiciaires

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En , la société Eurotunnel propriétaire du hangar réquisitionné par l'État français en 1999 saisit le Tribunal administratif de Lille pour annuler l'arrêté préfectoral réquisitionnant le lieu. François Borel, porte-parole d'Eurotunnel explique alors : « Nous sommes une entreprise privée, la lutte contre l'immigration clandestine n'est pas de notre ressort »[3]. En , la société est déboutée.

Eurotunnel saisit une nouvelle fois la justice en à la suite de plusieurs assauts de migrants justifiant « un lien de causalité entre la proximité du centre et les perturbations » et réclame le déplacement du Centre. La société estime avoir perdu 32 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2001 à la suite de ces intrusions répétées[4].

La société était condamnée à une amende de 2 000£ lorsqu'un migrant illégal était découvert à bord de ses trains sur le territoire britannique. Elle avait été ainsi condamnée à payer 560 000£ d'amende en 2002. Saluant les efforts d'Eurotunnel pour la sécurisation de ses infrastructures, le gouvernement britannique a finalement levé ces pénalités en [5].

Accords gouvernementaux

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En , les gouvernements français et britanniques décident de la fermeture du Centre pour la fin du premier trimestre 2003 au plus tard[l 1].

Le , un accord tripartite entre le gouvernement afghan, britannique et français prévoit le rapatriement volontaire des migrants afghans vers leur pays d'origine avec une aide financière à la réinsertion de 2 000€. Le Haut Commissariat aux Réfugiés est alors chargé de recenser les migrants candidats au départ. Ces derniers jugent le montant insuffisant au regard des sommes dépensées pour effectuer leur voyage jusqu'à Sangatte estimée entre 5 000€ et 10 000€. Ils ne souhaitent pas revenir dans un pays qu'ils considèrent comme toujours en guerre et dangereux. Finalement, seulement une quinzaine de migrants afghans ont demandé à retourner dans leur pays[l 2].

Une fois la fermeture du centre annoncée, des agents de sécurité d'une entreprise privée commencèrent en à recenser les migrants résidant dans le centre. Le , on recense 5 000 réfugiés d'une quarantaine de nationalités dans le centre. Les irakiens, à majorité kurde, représentaient près de 60 % des migrants transitant par le centre et les afghans seulement 15 % alors qu'ils représentaient près de la moitié des migrants auparavant. Seulement 1/3 des migrants recensés vivaient effectivement dans le Centre[l 1].

Le , Nicolas Sarkozy se rend en Grande-Bretagne et rencontre son homologue David Bunkett ainsi que le Premier ministre Tony Blair. Les gouvernements français et britanniques s'accordent alors sur les modalités du démantèlement du Centre initialement prévu en . A l'issue de cette visite, Nicolas Sarkozy annonce la fermeture du Centre de Sangatte pour le . L'accord prévoit que près d'un millier de réfugiés kurdes irakiens et entre 200 et 300 réfugiés afghans qui ont déjà de la famille en Grande-Bretagne puissent y être accueillis et disposer d'un permis de travail d'un durée de trois mois. Ils constituent 80 % des migrants présents sur le Centre. Les 300 à 400 réfugiés restants sont autorisés à rester sur le territoire français et ont reçu un titre de séjour ainsi qu'une autorisation de travail[6]. Finalement, 1 100 migrants irakiens et afghans furent accueillis en Grande-Bretagne et 400 migrants de différentes nationalités furent autorisés à rester sur le territoire français[l 3]. De son côté, le gouvernement britannique annonce le durcissement des conditions d'accès au droit d'asile et la fin du régime de protection spécifique dont bénéficiaient les réfugiés afghans (permission de séjour exceptionnelle ainsi qu'un permis de travail)[l 1].

Le , le hangar abritant le Centre est restitué à son propriétaire, la société Eurotunnel.

Réactions

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Notes et références

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  1. La notion de "réfugié" est définie par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Or les étrangers transitant par Calais ne peuvent prétendre à ce statut tel qu'il y est défini. Le terme est pourtant employé de manière récurrente par les médias, les administrations ou les organisations non-gouvernementales.
  2. Article 1er de l’arrêté préfectoral du .

Références

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Références extraites d'ouvrages

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  • Le jeu des frontières dans l'accès au statut de réfugié
  1. a et b (Clochard et al. 2007, p. 242)
  2. (Clochard et al. 2007, p. 242-243)
  3. a et b (Clochard et al. 2007, p. 244)
  4. (Clochard et al. 2007, p. 240)
  5. (Clochard et al. 2007, p. 241)
  6. (Clochard et al. 2007, p. 254)
  • Sangatte : vie et mort d'un centre de «réfugiés»
  1. a b et c (Liagre et al. 2005, p. 109)
  2. (Liagre et al. 2005, p. 108)
  3. (Liagre et al. 2005, p. 110)

Autres références

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  1. « La destruction du centre de Sangatte a commencé », sur lesechos.fr, (consulté le )
  2. Nord Littoral, 19 février 1999
  3. « Eurotunnel veut faire fermer le centre de Sangatte. », Libération.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. « Centre de Sangatte : Eurotunnel attaque à nouveau l'Etat en référé », sur lesechos.fr, (consulté le )
  5. (en-GB) Alan Travis (Home affairs editor), « Blunkett drops Eurotunnel fines », The Guardian,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. « Sangatte : fermeture anticipée », sur www1.rfi.fr (consulté le )

Voir aussi

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Bibliographie

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  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Liagre Romain et Dumont Frédéric, Sangatte: vie et mort d'un centre de «réfugiés», vol. 114, coll. « Annales de Géographie » (no 641), (lire en ligne), p. 93-112.  
  • Olivier Clochard, Le jeu des frontières dans l’accès au statut de réfugié : Une géographie des politiques européennes d'asile et d'immigration, Université de Poitiers, , 493 p. (lire en ligne), chap. 6 (« La situation singulière de la région de Calais »).  
  • Romain Liagre et Frédéric Dumont, « Sangatte: vie et mort d'un centre de «réfugiés» », Annales de géographie, vol. 641, no 1,‎ , p. 93 (ISSN 0003-4010 et 1777-5884, DOI 10.3917/ag.641.0093, lire en ligne, consulté le )

Articles connexes

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