Affaire des reclus de Monflanquin

affaire d'emprise mentale en France

Affaire des reclus de Monflanquin
Le village de Monflanquin
Le village de Monflanquin

Fait reproché extorsion de fonds, abus de faiblesse sur personnes sous emprise mentale
Pays France
Ville Monflanquin, Oxford
Date 2000-2009
Jugement
Statut affaire jugée
Tribunal tribunal correctionnel de Bordeaux
Date du jugement 2012
Recours appel en 2013

L'affaire des reclus de Monflanquin est le nom donné par la presse à une affaire d'emprise mentale dont a été victime une famille de notables bordelais pendant près de dix ans.

Un escroc, Thierry Tilly, manipule onze membres de la famille Védrines, leur faisant croire qu'ils sont menacés par un complot. De 2000 à 2009, Tilly extorque près de 4,5 millions d'euros au groupe, retranché dans le château familial de Monflanquin dans le Lot-et-Garonne, puis dans une autre propriété familiale et enfin à Oxford. Christine de Védrines échappe à son emprise en mars 2009 et porte plainte. Tilly est condamné en 2013 à dix ans de prison.

Protagonistes modifier

Les Védrines sont issus d'une famille protestante anoblie en 1828[1], implantée dans l'Agenais[2]. La grand-mère, Guillemette de Védrines[3], née en 1912[4], a trois enfants :

  • Philippe de Védrines[5] est cadre dans l'industrie pétrolière[3]. Il a une soixantaine d'années au moment des faits et vit avec Brigitte Loriot-Martin, sa compagne[6] ;
  • Ghislaine de Védrines dirige une école de secrétariat à Paris[5]. Elle a épousé un journaliste économique[3], Jean Marchand, dont elle a un fils et une fille, laquelle vient de se marier en 2000 [3] ;
  • Charles-Henri de Védrines, obstétricien à Bordeaux, a été candidat en 1995 aux élections municipales sur la liste d'Alain Juppé. Il a épousé Christine, documentaliste de profession[5]. Ils ont une quarantaine d'années en 2000, et trois enfants[5]. Leur patrimoine les assujettit à l'impôt sur la fortune : un château familial à Monflanquin dans le Lot-et-Garonne, une maison à Bordeaux, un appartement près d'Arcachon[3],[7], etc.

Thierry Tilly dirige vers 1997 une société de nettoyage industriel à Paris. Il a alors 33 ans[8]. Après que les six sociétés qu'il a gérées ont été placées en liquidation judiciaire, il a en réalité été condamné à une interdiction de gérer en 2000 et affronte un procès pour abus de biens sociaux[3].

Jacques Gonzalez est, à la même époque, importateur de voitures âgé d'une cinquantaine d’années[9].

Affaire modifier

C'est Ghislaine qui en 1997 fait la connaissance de Thierry Tilly alors qu'elle cherche une entreprise de nettoyage industriel pour l'école qu'elle dirige à Paris[5]. Elle est intellectuellement séduite[5] par cet homme, qui gagne rapidement sa confiance. Tilly devient son bras droit, et courant 1999 elle le présente à ses frères, à sa mère[4]. Il écoute leurs confidences, les conseille dans leurs affaires[5] en se prétendant gestionnaire de patrimoine[6], joue sur les inimitiés familiales et les rivalités successorales[7].

Tilly se prétend agent secret, persuade les Védrines qu'ils sont victimes d'un complot, que les pédophiles[3], les francs-maçons, les Rose-Croix[7], le fisc les menacent[5]. En septembre 2001, il convainc onze personnes du groupe de se retrancher pour leur sécurité dans leur château familial à Monflanquin ; ceux qui sont sceptiques, comme Jean Marchand, sont exclus[4] par leurs proches, selon un scénario précis rédigé par Tilly[3]. Dans le petit village, le groupe de retranchés ne passe pas inaperçu, et coupe les ponts avec ses relations : un voisin s'entend accuser de « participer à des messes noires et à des partouzes », une autre se fait traiter de « salope »[3],[10].

Depuis le printemps 2001, Tilly n'apparaît même plus, se contentant de donner ses ordres à distance : il dresse les uns contre les autres, les force à se surveiller ou se punir mutuellement[3].

Comme ils ne paient plus leurs impôts, l'administration fiscale saisit les meubles de la propriété en 2003[3] ; Tilly les convainc alors de lui céder tous leurs biens, en mai 2004[4]. À l'extérieur, Jean Marchand tente d'alerter les autorités sur la situation de ses proches, en vain[4]. En février 2008, Philippe de Védrines et Brigitte Loriot-Martin sortent du groupe ; Tilly oblige les neuf parents restant à déménager à Oxford[4], où il vit[3] : les Védrines sont tombés dans le dénuement, l'ancien obstétricien doit travailler comme jardinier, son épouse Christine est vendeuse chez un traiteur[3] ; leurs salaires alimentent le compte de Tilly[11].

À Christine de Védrines, qui commence à avoir des doutes grâce à l'aide de son employeur, Tilly fait infliger des « supplices physiques d'une rare cruauté » : elle est attachée sur un tabouret pendant deux semaines[5] et privée de sommeil par ses parents que Tilly a persuadés qu'elle leur cacherait un trésor[3], « confié par les rois de France aux Védrines »[5]. En mars 2009, Christine de Védrines est exfiltrée[4]. Son récit des sévices endurés enclenche la machine judiciaire[4]. En octobre, Tilly est interpellé en Suisse[11] et incarcéré à la prison de Gradignan[4]. Fin novembre, une opération est montée en Angleterre par Me Daniel Picotin, l'avocat bordelais de Jean Marchand pour libérer le reste de la famille Védrines[4]. En juin 2010 Jacques Gonzalez est arrêté : ce personnage effacé, que Tilly présentait comme « le cousin du roi d’Espagne Juan Carlos » et comme le dirigeant d'un organisme humanitaire canadien, la Blue Light Fondation, a été un bénéficiaire important des sommes dérobées aux Védrines[7].

Procès modifier

Le tribunal correctionnel de Bordeaux juge en 2012 Thierry Tilly pour escroqueries, extorsion de fonds, abus de faiblesse sur personnes en état de sujétion psychologique ou physique et séquestration accompagnée d'actes de torture ou de barbarie[3]. Bien que les experts psychiatriques le tiennent pour sain d'esprit, les propos de l'accusé sont délirants : successivement, il se prétend titulaire à 12 ans d'un brevet de parachutisme délivré par le général Bigeard, il dit avoir joué au tennis contre le 50e joueur mondial, s'être vu proposer un poste de gardien de but dans un club de première division, avoir fait du « renseignement free-lance » pour Jean-Luc Lagardère, etc.[8] Il est condamné à huit ans de prison ferme, privé de ses droits civiques et civils, et doit verser des dommages et intérêts à ses victimes. Son complice Jacques Gonzalez écope de quatre ans de prison ferme[12]. En appel en 2013 la sentence de Tilly est alourdie à dix ans de réclusion[5].

En 2018, le tribunal d'Agen déboute Charles-Henri et Christine de Védrines de leur demande de récupérer leur propriété de Monflanquin, le château de Martel (44° 33′ 09″ N, 0° 44′ 30″ E), édifié au XVIe siècle, restauré au XIXe[2] et présent dans la famille depuis 1610[5]. Le manoir avait été vendu en 2008 à une société civile immobilière alors que la famille était sous l'emprise du gourou, puis acquis par une particulière, de bonne foi, en juin 2009 pour 540 000 [2].

Pour aller plus loin modifier

Plusieurs membres de la famille ont raconté leur expérience :

  • Christine de Védrines, Nous n’étions pas armés, Place des éditeurs, , 221 p. (ISBN 9782259221788) ;
  • Ghislaine de Védrines, Jean Marchand, Diabolique, Éditions XO Document, , 418 p. (ISBN 9782845637221).

Le fait divers a donné lieu :

Références modifier

  1. Régis Valette, Catalogue de la noblesse française subsistante, 2002, page 186.
  2. a b et c Le Point magazine, « Les « reclus de Monflanquin » ne récupéreront pas leur château », sur Le Point, (consulté le )
  3. a b c d e f g h i j k l m n et o Salomé Legrand, « L'improbable envoûtement des reclus de Monflanquin », sur Franceinfo, (consulté le )
  4. a b c d e f g h i et j Cathy Lafon, « L’affaire des "Reclus de Monflanquin" : les dates clés », sur SudOuest.fr,
  5. a b c d e f g h i j k et l Pierrick Baudais, « Reclus de Monflanquin. Une famille entière sous la coupe d’un gourou », Ouest France,‎ (lire en ligne)
  6. a et b Dominique Richard, « Expliquer l’inexplicable », sur SudOuest.fr,
  7. a b c et d Dominique Richard, « Reclus de Monflanquin : un proche du gourou a été écroué », sur SudOuest.fr,
  8. a et b Stéphane Durand-Souffland, « Les Védrines face au «diable» de Monflanquin », sur Le Figaro,
  9. Stéphane Durand-Souffland, « Monflanquin: l'escroc aidé par un infirme », sur Le Figaro,
  10. « A Monflanquin, le château des ombres recluses », Libération,‎ (lire en ligne)
  11. a et b « La justice traque le trésor du gourou de Monflanquin », sur leparisien.fr,
  12. « Reclus de Monflanquin : dix ans de prison pour Thierry Tilly », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. « Hondelatte Raconte : Les reclus de Monflanquin (récit intégral) » (consulté le )

Liens externes modifier