Affaire Saint-Aubin

affaire criminelle française jamais résolue

L'affaire Saint-Aubin est une affaire criminelle française du XXe siècle qui demeure une énigme.

Affaire Saint-Aubin
Pays Drapeau de la France France
Ville Puget-sur-Argens
Nombre de victimes 2 : Jean-Claude Saint-Aubin et Dominique Kaydasch
Jugement
Statut non lieu
Tribunal tribunal de première instance de Draguignan

Historique modifier

Début de l'affaire modifier

 
Une Volvo 122S, similaire à celle de la famille Saint-Aubin

Le , aux Esclapes (commune de Puget-sur-Argens), près de Fréjus (Var), deux jeunes gens, Jean-Claude Saint-Aubin et Dominique Kaydasch, fils et fille de commerçants dijonnais, sont tués dans un accident de la route. Leur voiture, une Volvo 122S noire et blanche[1], immatriculée en Suisse, s'écrase contre un arbre. Les parents Saint-Aubin n'acceptent pas la version officielle de la gendarmerie (accident dû à une vitesse excessive sur une route mouillée) et affirment que leur fils a été victime par méprise d'un attentat des services secrets français traquant les derniers membres de l'OAS, au sortir de la guerre d'Algérie, en l’occurrence Jean Méningaud, le trésorier de l'OAS, qui utilisait une voiture similaire[2]. Un camion militaire aurait provoqué l'accident. Un harki, Mohamed Moualkia, assure en avoir été témoin[3] et dépose auprès des gendarmes en 1965[4]. En 1984, il meurt, asphyxié dans son appartement, quelques jours avant une interview sur l'affaire prévue sur TF1[4],[5]. Officiellement, son lit aurait pris feu à cause d'une cigarette, mais il n'était pas fumeur[6]. C'est son témoignage qui convainc la famille Saint-Aubin que leur fils est mort par erreur[4].

Selon l'ouvrage de Denis Langlois paru en 2019 ("l'affaire Saint Aubin" chapitre 4, 5 et 6): Moualkia est le seul témoin affirmant avoir vu l'accident causé par un camion militaire "conduit par un africain", précisant que ce camion était suivi par une 203 noire à cocarde tricolore, qui ne s'est pas non plus arrêtée aprés l'accident.Les autres témoins interrogés par la gendarmerie, dont étrangement aucun n'apercevra Moualkia, affirmeront tous qu'il n'y avait pas d'autre véhicule sur la route. Selon Denis Langlois (l'affaire Saint Aubin chapitre 11), il sera cependant formellement établi en 1973 (auditions au tribunal de Draguignan) qu'aucun de ces témoins n'avait une vue du lieu de l'accident à l'instant où il s'est produit, sans que cela n'émeuve les magistrats en charge.

Décisions de justice modifier

Les parents Saint-Aubin portent plainte le 4 août 1964 et Monique Mabelly, juge d'instruction, mène l’enquête et détermine un non-lieu[7]. C'est le début d'une bataille juridique au cours de laquelle 26 décisions seront rendues, jusqu'en 1990[3].

Selon Denis Langlois (L'affaire Saint Aubin chapitre 3), le non-lieu repose principalement sur la récusation du témoin Moualkia à la suite d'une « enquête » de gendarmerie démontrant, sur la base du registre d'entrée de l'usine employant Moualkia, qu'il a pris son poste de travail le dimanche 5 juillet à 5h du matin, soit deux heures avant l'accident. Or, il s'avèrera plus tard que, non seulement le registre des heures a été grossièrement maquillé (un 7 surchargé par un 5), mais que l'usine où travaille Moualkia n'ouvre pas à 5h du matin le dimanche, mais à 7h !.

Le Procureur de la République de Draguignan prend rapidement une décision de classement sans suite qui ne sera jamais remise en cause, malgré les multiples recours exercés par M. et Mme Saint-Aubin. On dénombre vingt-cinq décisions rendues par divers tribunaux et la presse parle de « marathon judiciaire exceptionnel », mais aussi de « raison d'État »[8]. Quatre-vingt-dix magistrats travaillèrent sur le dossier[9].

Aucune reconstitution sur place, ni confrontation entre les divers témoignages ne seront jamais réalisées par les magistrats en charge.

Las de tant de procédures, les Saint Aubin peignent en 1977 sur l'arbre percuté par la voiture de leur fils « Ici deux tués par méprise. Crime camouflé et étouffé par les gendarmes et les magistrats du lieu lâches et serviles. »[3].

La gendarmerie porte plainte en 1978, et cette fois la Justice française réagit avec scélérité: en novembre 1979, le juge d'instruction du tribunal de Draguignan, Claude Gauze, déclare un non-lieu car les époux Saint-Aubin sont déséquilibrés et cela sans recourir à l'avis d'experts[10].

En 1981, Robert Badinter, alors garde des sceaux, demande l'ouverture d'une enquête prise en charge par l'Inspection générale des services judiciaires[4],[6].

Au cours de sa longue instruction, l'inspection générale fait entre autres procéder en juillet 1983, soit 19 ans après les faits, à la première et unique reconstitution sur les lieux de l'accident, en présence de Moualkia et des Saint Aubin (voir denis Langlois, l'affaire Saint Aubin)

En 1985, l'Inspection générale des services estime dans son rapport final que la cause la plus plausible de l'accident est la manœuvre (involontaire cependant) d'un camion militaire[4],[5]. (Voir Denis Langlois, ibid)

Selon Denis Langlois, la thèse d'un accident provoqué délibérément par un service action gouvernemental est au contraire jugée peu crédible par les enquêteurs de l'inspection générale. Il leur parait peu vraisemblable d'utiliser dans ce scénario des véhicules officiels de l'armée, facilement reconnaissables à distance, et de pratiquer une intervention, à l'issue très aléatoire, à une heure où de nombreuses personnes circulent déjà sur la N7, et à proximité immédiate d'une ferme habitée.

En septembre 1990[3], à la suite d'interventions politiques, notamment celles du président de la République François Mitterrand et de Robert Badinter, le médiateur de la République, Paul Legatte demande au ministère de la Justice d'allouer aux parents Saint-Aubin une indemnité de 500 000 francs pour mauvais fonctionnement de l'institution judiciaire[3]. Le ministère de la Défense refuse de s'associer à cette indemnisation[11].

En 1992, un lieutenant colonel se confie au magistrat Hubert Dujardin et parle d'« une méprise »[6] des services spéciaux. Il retire cependant sa déclaration lors de l'enquête interrne du ministère de la défense. En 1997, c'est un ancien parachutiste qui montre aux Saint Aubin et à un journaliste des copies d'archives militaires décrivant le projet d'attentat sur le trésorier de l'OAS, mais le ministère de la Défense considère ces documents comme des faux, au motif qu'ils seraient à entête du ministère de la défense nationale, alors qu'en 1964, la terminologie utilisée était "ministère des armées"[6].

En 2000, la Ligue des droits de l'homme, le Rassemblement national pour la vérité sur les « accidents » de l'armée (RNVAA), le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature demandent, en compagnie d’Andrée Saint-Aubin, à être reçus par la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou pour la levée du secret défense de ces archives[2].

Importance et suites modifier

Cette affaire, qui a connu de multiples rebondissements (la découverte de faux, la disparition du dossier, une reconstitution officielle mais secrète sur les lieux, la mort suspecte de Moualkia ou les révélations d'un officier supérieur) n'a jamais été véritablement élucidée. Elle donne lieu à divers ouvrages et films qui soulignent le courage et l'opiniâtreté d'Andrée Saint-Aubin décédée en 2003[12]. Le frère de Jean-Claude reprend ensuite l’enquête[4],[9].

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

 
Denis Langlois, auteur de deux ouvrages notables sur l'affaire

Filmographie modifier

  • L'Affaire Saint-Aubin, téléfilm réalisé par Jacques Vigoureux, dans le cadre de la série Vérités interdites, diffusé le sur TF1
  • Accident volontaire, séquence de l'émission Aléas réalisée par Jacques Vigoureux, diffusée le sur France 3, vidéo sur le site de l'INA
  • L'Affaire Saint-Aubin, une obsession de justice et de vérité, documentaire de Jean-Charles Deniau, diffusé en 2000 sur La Cinquième et sur Arte

Émissions de radio modifier

Notes et références modifier

  1. Site auto-moto.com, article d'Andy David "Saint-Aubin : l’inquiétant vrai-faux accident sur la Nationale 7".
  2. a et b René Grando, « Affaire Saint-Aubin: la clef du mystère à Toulouse? », dans La Dépêche, .
  3. a b c d et e Luc Bronner, « Le mystère du camion fantôme », sur Le Monde, .
  4. a b c d e et f « Côte-d'Or - Faits divers . L'émission de radio relancera-t-elle la mystérieuse affaire Saint-Aubin ? », sur www.bienpublic.com (consulté le ).
  5. a et b « L'AFFAIRE: Saint-Aubin », sur LExpress.fr, (consulté le ).
  6. a b c et d Patricia Tourancheau, « 36 ans après la mort de Jean-Claude Saint-Aubin. La longue guerre d'une mère. Elle réclame la nomination d'un sage pour obtenir justice. », sur Libération (consulté le ).
  7. « L’affaire Saint-Aubin, le combat d’une mère - L'intégrale », sur Europe 1 (consulté le ) : « [00:09:43] La plainte est déposée le 4 août 1964 à Trat Guignen et une juge d'instruction, la juge Monique Mably, et désignée pour mener l'enquête. [00:11:10] et la juge va rendre un non-lieu. https://www.youtube.com/watch?v=nc4TydEYz5E ».
  8. « L'affaire Saint-Aubin. Quand la route des vacances croise celle de la raison d'État », sur Le Progrès, .
  9. a et b Philippe Michon, « Accident ou affaire d'Etat? "L’affaire Saint-Aubin" relancée sur les ondes ce mardi », Var-Matin,‎ (lire en ligne  ).
  10. « À LA COUR D'APPEL DE DIJON Le serment des Saint-Aubin », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  11. Charles Gilbert, « L'affaire Saint-Aubin », sur L'Express, .
  12. « Andrée Saint-Aubin ne dort pas en paix », sur Le Bien Public, .
  13. « Affaire Saint-Aubin : 55 ans de mystère », sur RTL, (consulté le ).
  14. « L'affaire Saint-Aubin : l'étrange accident de la Nationale 7 », sur France Inter, (consulté le ).
  15. « Rendez-vous avec X, le site non-officiel de l'émission de Patrick Pesnot », sur rendezvousavecmrx.free.fr, (consulté le ).
  16. « Hondelatte raconte : L'affaire Saint Aubin, le combat d'une mère (récit intégral) » (consulté le ).