Utilisateur:Tachymètre/La radioactivité dans la pseudo-science

La radioactivité dans la pseudo-science désigne un ensemble de produits aux propriétés radioactives qui ont été commercialisés au début du 20e siècle à des fins thérapeutiques dans les pays développés, ainsi que le mysticisme qui les entourait.

Suite à la découverte des rayons X en 1895 par Wilhelm Röntgen, et de la radioactivité en 1896 par Henri Becquerel, de nombreuses pseudo-médecines se sont rapidement formées autour de ce phénomène physique curieux et inédit, et dont les effets néfastes sur la santé n'étaient pas encore connus. L'engouement du grand public pour le progrès technologique en général au début du 20e siècle (développement de l'électricité urbaine et apparition des premières voitures) facilita l'apparition de pratiques énergétiques frauduleuses basées sur la radioactivité, et qui ne furent soumises à une stricte régulation qu'assez tardivement au regard de leurs dangers.

S'il est vrai que bon nombre de produits thérapeutiques à base de matériaux radioactifs aient été des escroqueries, d'autres au contraire ont été conçus plus par naïveté que par malfaisance. Certains d'entre eux furent même recommandés par des médecins et des organismes de pharmacologie, jusqu'à ce que les premiers accidents ne démontrent leurs propriétés délétères sur le corps humain, condamnant ainsi progressivement leur utilisation.

Historique modifier

Radioactivité : découverte et applications modifier

La découverte de la radioactivité et des rayons ionisants en 1895-1896 eut un impact retentissant dans les cercles scientifiques de l'époque. Très rapidement, de nombreux chercheurs se mettent en quête de percer les secrets de la radioactivité, quête qui fera la renommée de beaucoup d'entre eux. La découverte de la radioactivité du Thorium indépendamment par Marie Curie et Gerhard Carl Schmidt[1] en 1898, puis l'isolation du Polonium et du Radium par Pierre et Marie Curie la même année, laissent entrevoir les premières applications pratiques des rayonnements ionisants (radiologie et radiothérapie). En 1903, Joseph J. Thomson soumet à Nature un article où il expose ses recherches sur la radioactivité naturelle de l'eau de puits[2], causée par les sels de radium dissous (et le gaz radon qui en émane). Dans la décennie qui suit, plusieurs de ses confrère montrent eux aussi que de nombreuses nappes phréatiques et sources thermales présentent un faible taux d'activité naturelle, ce qui laissait supposer que les radiations étaient inoffensives, voire bénéfique pour la santé[3].

Les années 1910 et 1920 seront marquées par une intense activité de la recherche médicinale dans le domaine des rayonnements ionisants, avec un attrait particulier pour le radium, en raison de sa forte radioactivité. De nombreux traitements expérimentaux – des thérapies anti-cancéreuses pour l'essentiel – voient le jour en Europe puis aux États-Unis. Le sujet a une importance telle que les recherches sont publiées dans des journaux créés pour l'occasion : Journal de Physique et Le Radium édité à Paris, Le Radium édité à Paris, Radium édité à Pittsburgh, etc. Au début, l'Europe aura un temps d'avance sur les États-Unis, à cause de la difficulté pour ce pays de se procurer du radium de qualité. Toutefois, au tournant 1910, d'important gisements d'uranium seront découverts au Canada et dans le Colorado, permettant d'en extraire du radium à hauteur de 120 000 dollars le gramme[4].

Les recherches dans le domaine s'intensifièrent du côté américain (création du journal Radium en 1913), tandis que celles réalisées en Europe doivent être suspendues pendant la Première Guerre mondiale, les médecins et scientifiques étant obligés de participer à l'effort de guerre (radiographie des blessés sur le front, élaboration de techniques chirurgicales faisant intervenir la radioactivité, etc.). Les États-Unis deviennent rapidement les nouveaux leaders de la radiothérapie. Malgré l'intensité des recherches effectuées, les effets des radiations sur le corps humain restent encore très mal comprises, comme en témoigne cette phrase de conclusion d'un article médical paru dans Radium en 1916 : « Le Radium n'a eu aucune action délétère, puisque toléré par le corps humain aussi harmonieusement que l'est la lumière du Soleil chez les plantes[5],[4] ».

La montée en puissance du mysticisme modifier

Des médecins peu scrupuleux et des escrocs en tous genres s'emparèrent rapidement du phénomène, en créant des laboratoires spécialisés dans la confection de médicaments et d'élixirs radioactifs. C'est ainsi que de nombreuses formulations au thorium, au radium ou à l'uranium furent rendues disponibles auprès du grand public, principalement à des fins thérapeutiques. Ils seront très vite rejoints par des industriels qui, désireux de profiter de ce nouveau marché, décident d'introduire des radio-éléments dans des produits consommation courante (produits de beauté, cosmétiques, engrais, vaisselle, barres de chocolat, etc.) et de fabriquer des appareils et instruments destinés à irradier de l'eau ou diverses parties du corps. Le succès du Radithor, une eau distillée additivée avec de minces quantités de radium, produite par la firme Bailey Radium Laboratories, popularisa dès 1925 les vertus imaginaires de l'eau irradiée.

Les nombreuses études médicales faites sur le sujet d'une part, et la découverte de la présence naturelle de radioactivité dans les eaux de sources d'autre part, donneront plus de poids à l'argumentaire des publicitaires. Présentant la radioactivité comme une « énergie vitale » ou une médecine miraculeuse, il n'hésitaient pas à affubler leur produits et leurs appareils de toutes les qualités et vertus imaginables, allant jusqu'à prétendre pouvoir guérir de la cécité, de maladies incurables ou encore de soigner les handicapés mentaux[5],[6]. Si les consommateurs se laissaient facilement duper, il en alla de même pour le milieu médical. L'amalgame entre le battage médiatique mensonger sur ces produits et les récentes avancées sérieuses faites dans le traitement des tumeurs par irradiation a induit en erreur bon nombre de médecins, qui se sont mis à recommander ces produits à leurs patients.

À cause de la montée de la charlatanerie dans le milieu médical, l'Association Médicale Américaine met en place en 1916 un système de certification sur les appareils destinés à infuser du radon. En effet, lors de leur conception, les matériaux radioactifs étant très onéreux, il était courant d'en introduire une quantité plus faible que ce qui était spécifié sur l'emballage. Ce système de certification, qui restera en vigueur jusqu'en 1929, consistait à vérifier si l'appareil était capable d'infuser un minimum de 2 µCi de radon par litre d'eau et en 24 heures (6 000 fois la dose maximale recommandée aujourd'hui par l'EPA), afin qu'il puisse être officiellement reconnu d'utilité médicale[7]. Heureusement, peu d'appareils sont parvenus à satisfaire cette condition. Dans le cas où les appareils échouaient au test, il faisaient immédiatement l'objet d'un blâme dans le journal de l'AMA.

Premiers accidents et revirement de l'opinion public modifier

Si les premiers physiciens ayant travaillé sur la radioactivité avaient remarqué l'apparition de brûlures sur leurs bras lors de leurs expérimentations, rien ne laissait présager les véritables dangers des radiations, du moins au début. En 1924, le dentiste Theodor Blum publie une étude surprenante sur des cas d'ostéonécrose du maxillaire survenues sur des ouvrières de la Compagnie américaine du radium (fabrique de cadrans lumineux). Ces femmes eurent à souffrir de graves séquelles de leur sur-exposition aux rayonnements ionisants de la peinture au radium, et furent connues sous le nom de Radium Girls lors du procès contre leur employeur. La nécrose qui rongeait leurs mâchoires a défiguré certaines d'entre-elles, cas médical que Blum surnomma « radium jaw » (mâchoire de radium), et que le Dr. Harrison S. Martland attribuera directement aux effets du Radium dans une publication de 1925[8]. Malgré la campagne de désinformation qui fut élaborée à leur encontre (visant notamment à réfuter la dangerosité du Radium), leur procès puis leur décès seront fortement médiatisés aux États-Unis et en Europe. Mais cela n'était pas suffisant pour démontrer la nocivité des radiations en général. Il aura fallu attendre la publication des travaux de Hermann Joseph Muller en 1927 sur la causalité entre rayonnements ionisants et mutation génétique, pour prendre clairement conscience des dangers de la radioactivité. Sa publication sera rapidement reprise et validée par de nombreux laboratoires de biologie. Propulsé sur la scène médiatique par les révélations de son livre, il essayera d'alerter le public américain sur les dangers de la radioactivité, mais des problèmes personnels en 1929 mettront fin à sa campagne.

La commercialisation de tous ces produits chute brutalement en 1932 avec le décès d'Eben Byers. Homme d'affaire et sportif amateur, cette personnalité populaire dans les années 20 avait pris l'habitude de consommer de grandes quantités de Radithor entre 1927 et 1928 (près de 1 400 bouteilles[8]), sur conseil de son médecin personnel, exposant ainsi son organisme à 3,6 fois la dose létale de radium[9]. Son décès deux ans plus tard fit la une du Wall Street Journal et ébranlera l'opinion public sur les dangers de l'eau irradiée.

La Food and Drug Administration, jusque là impuissante face à ces fraudes (car situées en-dehors du champ d'application de son autorité), dénonçait depuis des années les dangers liées à ces escroqueries. Peu après cet accident, des membres de la FDA, des journalistes et des agences de protection de consommateurs se regroupèrent pour faire pression sur le Congrès et à l'alerter sur les dangers liés à la libre circulation de produits dangereux, dont les boissons au radium, et qui ne pouvaient être interdits faute du manque d'autorité dont souffrait la FDA. Le Congrès ne jugea pas ces revendications comme étant prioritaires et mit des années pour étudier le dossier, jusqu'à ce qu'éclate le scandale des Sulfanilamides en 1937. Cette tragédie, causée par la mise sur le marché de l'Elixir sulfanilamide, un médicament préparé dans une solution d'éthylène glycol (un antigel), entraîna la mort d'une centaine de patients par intoxication. L'urgence de la situation força le Congrès à promulguer, l'année suivante, la Federal Food, Drug, and Cosmetic Act de 1938[10]. Même si cette loi augmenta légèrement le pouvoir de la FDA sur la question des médecines radioactives, il faudra attendre 1968 pour voir la promulgation du Radiation Control for Health and Safety Act. Cette loi engendrera la création du Bureau of Radiological Health et confèrera enfin à la FDA le pouvoir de réguler la mise sur le marché de tout appareil ou produit présentant une activité radiologique. Une deuxième loi verra le jour en 1976 concernant la régulation des instruments et appareils médicaux et engendrera la création du Bureau of Medical Devices, et les deux bureaux fusionneront en 1982 pour former l'actuel Center for Devices and Radiological Health[11].

Mais ces mesures seront prises bien tardivement au vu des connaissances établies dans les années 50 sur la nocivité des radiations. Les bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki en 1945 firent prendre conscience au monde entier du potentiel destructeur de l'énergie atomique. Mais peu de médias osèrent aborder le sujet de la dispersion des radiations dans l'environnement lors des retombées. Deux jours après Hiroshima, un ancien physicien du projet Manhattan, le Dr. Harold Jacobson, donna une interview à plusieurs journaux américains. Sa déclaration, édifiante, décrivait comment les radiations allaient contaminer le sol, les cours d'eau, et se déplacer dans les villages alentours grâce à la pluie, en empoisonnant tout sur son passage. L'éminent physicien Robert Oppenheimer réfutera publiquement ces accusations, puis le Département de la Guerre des États-Unis et le FBI feront immédiatement pression pour le forcer à se rétracter[4], afin d'atténuer les remous de l'opinion public. La radio de Tokyo annoncera régulièrement la liste des morts mystérieuses qui déciment les groupes de personnes visitant les ruines de Hiroshima, ce que le gouvernement américain réfutera en bloc, en les qualifiant de propagande[4]. Mais le scandale médiatique de la contamination générée par l'essai Castle Bravo en 1954 balayera les derniers doutes que la population avait encore sur l'innocuité des radiations.

Le cas en France modifier

 
Divers produits cosmétiques radioactifs Tho-Radia que l'on pouvait acheter dans les années 1930 (arrière-plan). Les produits Tho-Radia placés en avant-plan datent de 1950 et ne contenaient pas de matière radioactive, en conformité avec la législation.

En France, le commerce des produits contaminés suivait la tendance américaine, mais le caractère nocif des radio-éléments fut rapidement appréhendé par la législation française. Le décret paru le 9 novembre 1937 sur le commerce des substances vénéneuses viendra compléter la liste des substances toxiques du Tableau A du Codex avec les séries des Actinides et des Lanthanides[12]. Il est désormais interdit d'incorporer des radio-éléments dans des produits alimentaires. Les produits à caractère pharmaceutique ou cosmétique peuvent encore en contenir, mais ne peuvent être délivrés que sur ordonnance d'un professionnel de la santé. En outre, ils doivent être estampillés d'un sigle rouge orangé muni d'un avertissement :

  • porte la mention « Toxique» s'il s'agit d'une préparation à ingérer ou à administrer par toute autre voie (à l'exception des applications sur la peau) ;
  • porte la mention « Poison » s'il s'agit d'une préparation à appliquer sur la peau.

Cette disposition condamnera en France le commerce des produits irradiés, en 1937.

Appareils et produits célèbres modifier

Le Radithor modifier

Produit et commercialisé par la firme Bailey Radium Laboratories de 1925 à 1931, le Radithor était une marque d'eau distillée trois fois et additivée avec 1,1 µCi de radium et 1,1 µCi de mésothorium I (ancien nom pour le radium 228) – les proportions exactes pouvaient varier suivant le lot[13]. Son créateur, William J. A. Bailey, était un charlatan et entrepreneur chevronné. On lui doit notamment le Thorone, le Radiendocrinator, le Thoronator, divers papiers pseudo-scientifiques sur le système endocrine et quelques fraudes fiscales, ce qui lui valut plusieurs condamnations judiciaires, dont un séjour à la prison The Tombs de Manhattan[14].

Businessman, il a su tirer profit de la publicité de masse et de la rédaction de faux livres[15] pour imposer le Radithor comme la nouvelle référence médicale, promettant aux consommateurs de guérir une liste interminable de maladies grâce aux pouvoirs miraculeux du radium : 160 maladies et symptômes avaient été recensés par ses publicités[14]. Prétendant frauduleusement posséder le titre de docteur en médecine, il proposait aux médecins prescrivant Radithor à leurs patients un rabais de 17 % sur chaque vente[16].

D'après une estimation, ce produit fut commercialisé à hauteur de 400 000 à 500 000 unités[17], grâce à une publicité efficace et un technique marketing innovante. Le produit était conditionné par caisses de 24 bouteilles, munies d'une mention préconisant de consommer le produit au rythme de 1 bouteille par jour. À 30 $ la caisse (pour seulement 7 $ de matériel radioactif), ce produit restait réservé aux classes aisées de la population[9]. Traînée en justice, l'entreprise de Bailey sera dissoute sur ordre de la Federal Trade Commission (injonction cease and desist) en 1932[18],[19].

Le Radithor restera tristement célèbre pour avoir causé la mort d'Eben McBurney Byers, un industriel très populaire dans les années 1920. Suite à une blessure au bras en 1927, son médecin personnel, le Dr. Moyar, lui prescrivit un traitement à base de Radithor pour faire cesser la douleur. Convaincu que la radioactivité guérirait son patient, il encouragea Byers à consommer près de 1 400 bouteilles[8]. Celui-ci se plaignit de douleurs dans la mâchoire dès juin 1928, et sur une radiographie de son crâne, un spécialiste des rayons X reconnut les caractéristiques d'une nécrose de la mâchoire, similaires à celles des Radium Girls. La nécrose ne pouvant être enrayée, il fallut procéder à l'ablation chirurgicale de ses mâchoires inférieure et supérieure, en vain. Sa boîte crânienne était fortement contaminée et commençait elle aussi à se désagréger.

Son décès survint en 1932 d'un abcès cérébral doublé d'une anémie, et sa mort fit la une du Wall Street Journal sous le titre ironique « The Radium Water Worked Fine Until His Jaw Came Off » (L'eau au radium fonctionnait bien jusqu'à ce que sa mâchoire ne se décroche). À partir des données issues de l'autopsie, il fut calculé que son squelette renfermait 36 mg de radium – 10 mg sont suffisant pour tuer un homme[9]. Byers repose actuellement au cimetière d'Allengheny (Pittsburgh, Pennsylvanie), dans un cercueil plombé[16]. Son corps fut exhumé en 1965 afin de mesurer l'activité résiduelle ; la valeur calculée lors de l'analyse peut laisser penser que Byers avait consommé bien plus que 1 400 bouteilles[8].

Le Revigator modifier

Suivant la croyance que l'eau radioactive était meilleure pour la santé que l'eau « normale », beaucoup d'industriels se lancèrent dans la production d'émanateurs et d'infuseurs à radon, destinés à produire, en continu, de l'eau contaminée par infusion la nuit. Le concept de la jarre à radon, un récipient en céramique radioactive, fut inventé et breveté par l'allemand Curt Schmidt le 7 juillet 1912[20]. Toutefois, la littérature attribue la paternité de l'invention à une autre personne, l'américain R. W. Thomas (probablement à cause de l'apparition systématique du nom R. W. Thomas dans les brochures publicitaires de la Radium Ore Revigator Company).

Dans la description de son brevet, la jarre est fabriquée par moulage et cuisson d'une argile radioactive, puis par vernissage de l'extérieur. Un matériau combustible, de la sciure de bois par exemple, peut être ajoutée afin de laisser des espaces vacants par combustion lors de la cuisson, et ainsi augmenter la porosité de la céramique. La jarre n'avait plus qu'à être remplie d'eau la nuit pour la laisser infuser dans les pores et se charger en gaz radon.

 
Exemple de Revigator.

Une impressionnante variété de jarres virent le jour dans les années 20, l'exemple le plus célèbre étant le Radium Ore Revigator. Commercialisé début 1920 par la Radium Ore Revigator Company de San Francisco (aussi connue sous le nom de Revigator Water Jar Company), et vendu 29,50 $ l'unité en 1929[21], cet article était facilement accessible aux ménages américains. Il s'agissait également d'un concurrent direct au Bailey Radium Laboratories : là où la bouteille de Radithor de 59 mL (2 onces) coûtait 1,25 $ l'unité, le Revigator offrait une source de radon bon marché et quasi-inépuisable, car régénéré en permanence par la décomposition naturelle du radium contenu dans la céramique. Pour fabriquer le Revigator, la manufacture mélangeait de la carnotite brute (minerai d'uranium) avec de l'argile et de la sciure de bois. Le matériau ainsi obtenu était moulé et enfourné. La radioactivité provenait des traces de radium naturellement présentes dans la carnotite, mais la dose émise était beaucoup plus faible que pour le Radithor, ce qui lui valut un blâme acerbe de la part du système de certification de l'AMA[22].

Le Revigator fera l'objet d'une étude toxicologique en 2009 visant à déterminer sa nocivité pour l'homme[23]. L'étude, portée sur trois modèles de Revigator, montrera que l'activité de l'eau infusée était supérieure à la dose limite recommandée par l'EPA, mais que ses effets sur la santé n'étaient pas aussi dramatiques que prévu. En réalité, le vrai danger posé par cette jarre provient des nombreux éléments toxiques naturellement présents dans la carnotite : Arsenic, Plomb, Uranium et Vanadium pour l'essentiel. La concentration relevée pour les trois premiers éléments était légèrement supérieure aux limites fixées par l'EPA, et celle en Vanadium très supérieure à la limite proposée par la California Office of Health Hazard Assessment (l'EPA n'a pas fixé de limite pour le Vanadium). Toutefois, l'adjonction d'un produit acide dans la jarre (jus de fruit, vin, vinaigre, etc.) provoque un relargage important des métaux contenus dans le minerai de carnotite : par introduction d'eau à pH = 4, il est possible de mesurer une concentration de 3,3 µg/L d'Arsenic (la norme limite de l'EPA étant de 0,01 µg/L) et de 2,8 à 60 µg/L de Vanadium suivant le modèle de jarre (contre 0,015 µg/L selon la recommandation de la COHHA).

Tho-Radia modifier

 
Poudre à maquiller Tho-Radia à base de radium et de thorium, datant du milieu des années 1930.

L'engouement pour les produits radioactifs sévit également en France. Les laboratoires Millot, dirigés par Alexandre Millot, entrent en contact au début 1920 avec un spécialiste des terres rares, le pharmacien Alexis Moussali. La commercialisation des Ovules Néothorium (comprimés gynécologiques anti-inflammatoires à base de néodyme et de thorium) en 1922 inaugure la vente des produits radioactifs pour cette entreprise. Alexis Moussalli se rapproche de plus en plus des laboratoires Millot et finit par succéder à Alexandre Millot, fin 1926-début 1927. Il élabore alors la formule de la crème de beauté Tho-Radia, qu'il fait déposer au greffe du Tribunal de commerce de Paris par le docteur Alfred Curie, un homonyme de Pierre Curie (sans aucun lien de parenté avec lui). Cet artifice lui permet de commercialiser le produit sous le nom A. Curie, et ainsi de gagner la confiance du public[24].

Disponible en pharmacie dans la région parisienne à partir de 1933 et bientôt disponible dans la France entière, cet article a le mérite de contenir des radio-éléments véritables : il était composé de 0,50 g de chlorure de thorium et de 0,25 mg de bromure de radium pour 100 g de produit. Cet article rencontre suffisament de succès auprès du public pour motiver Moussalli à élargir la gamme Tho-Radia à d'autres types de cosmétiques. Le prochain produit de cette gamme fut la poudre à maquiller Tho-Radia, composée de 0,10 g de sulfate de thorium et de 10 mg de de bromure de radium. Vint ensuite le savon Tho-Radia et le dentifrice Tho-Radia (quoique la présence de radio-éléments dans ce dernier produit n'ait pas été attestée). L'importation du radium en France et la fabrication de ces produits était à la charge de l'entreprise SECOR[24].

L'évolution de la législation française sur le commerce des produits radioactifs en novembre 1937 marquera un tournant dans l'histoire du Tho-Radia. Les laboratoires étant désormais obligés d'informer le consommateur sur la présence de radio-éléments par l'apposition d'un sigle « Poison » rouge orangé[12], il n'est plus envisageable d'en poursuivre la commercialisation sous cette forme. La marque sera péalablement rachetée par l'entreprise SECOR en avril 1937, qui la redéposera au greffe du Tribunal de commerce sous son propre nom, afin d'évincer le docteur A. Curie. Afin de rester en règle avec la législation, les composés radioactifs seront définitivement retirés de la formulation des produits de la gamme. Leur commercialisation se poursuivra afin de profiter de l'engouement du public pour cette marque, même dépourvue de radium.

Les installations de production doivent être délocalisées en zone libre à Vichy en 1940. L'Occupation signe le déclin de la marque, qui ne réapparaîtra qu'en 1948. Malgré un effort publicitaire important, notamment radiophonique, et l'élargissement de l'offre (savons, parfums, rouge à lèvres, etc.), la marque ne parviendra pas à retrouver son ancien prestige. Le décès de Moussalli en 1952 portera un nouveau coup dur à la marque. Elle déclinera lentement, vaincue par la concurrence, et sera rachetée par un un autre laboratoire en 1962, avant d'être définitivement abandonnée[25].

Notes et références modifier

  1. (de) G. C. Schmidt, « Über die von den Thorverbindungen und einigen anderen Substanzen ausgehende Strahlung », Annalen der Physik und Chemie, vol. 65,‎ , p. 141-151 (lire en ligne).
  2. (en) Joseph Thomson, « Radio-active Gas from Well Water », Nature, vol. 67,‎ , p. 609 (DOI 10.1038/067609c0, lire en ligne).
  3. (en) Paul W. Frame, « Radioactive curative devices and spas », sur www.orau.org, Oak Ridge Associated Universities, publié dans l'Oak Ridger newspaper, (consulté le ).
  4. a b c et d (en) Catherine Caufield, Multiple exposures: chronicles of the radiation age, Secker & Warburg, , 304 p. (ISBN 0-436-09478-9, OCLC 21671623)
  5. a et b (en) Albert Schatz, « Low-level fluoridation and low-level radiation – Two case histories of misconduct in science », sur www.fluoridation.com, (consulté le ). Citation :
    « Radium has absolutely no toxic effects, it being accepted as harmoniously by the human system as is sunlight by the plant. »
  6. [PDF](en) Austin M. Brues et Israel E. Kirsh, « The fate of individuals containing radium », Transactions of the American Clinical & Climatological Association, Argonne, (Illinois), vol. 88,‎ , p. 211-218 (lire en ligne). Lien alternatif : www.osti.gov
  7. (en) APEC Water Systems, « Water And Health », sur www.freedrinkingwater.com (consulté le ).
  8. a b c et d [PDF](en) R. E. Rowland, Radium in Humans – A Review of U.S. Studies, Argonne (Illinois), Argonne National Laboratory, , 246 p. (lire en ligne)
  9. a b et c (en) « Medicine: Radium Drinks », Time,‎ (lire en ligne).
  10. (en) Carol Ballentine, « Taste of Raspberries, Taste of Death – The 1937 Elixir Sulfanilamide Incident », sur www.fda.gov, FDA Consumer magazine, (consulté le ).
  11. (en) « Center for Devices and Radiological Health - CDRH/FDA », sur www.healthfinder.gov, Département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis, dernière mise à jour le 10 septembre 2008 (consulté le ).
  12. a et b J. B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d'État, t. 37, A. Guyot et Scribe (Paris), , 854 p. (ISSN 17624096[à vérifier : ISSN invalide], lire en ligne). Consulter les pages 614 à 617 relatives au décret du 9 novembre 1937.
  13. [PDF](en) Roger M. Macklis, Marc R. Bellerive et John L. Humm, « The Radiotoxicology of Radithor – Analysis of an Early Case of latrogenic Poisoning by a Radioactive Patent Medicine », Journal of the American Medical Association, vol. 264, no 5,‎ , p. 619-621 (lire en ligne).
  14. a et b [PDF](en) AMA Bureau of Investigation, « Radium as a “Patent Medicine” – The Methods and Activities of William A. Bailey in the Field of Radioactivity », Journal of the American Medical Association, vol. 98, no 16,‎ , p. 1397-1399 (lire en ligne).
  15. [PDF](en) AMA Bureau of Investigation, « Queries and Minor Notes – “Radithor” and William J. A. Bailey », Journal of the American Medical Association, vol. 88, no 5,‎ , p. 343 (lire en ligne).
  16. a et b [PDF](en) C. Prentiss Orr, « Eben M. Byers: The Effect of Gamma Rays on Amateur Golf, Modern Medicine and the FDA », Allegheny Cemetery Heritage, Allegheny Cemetery Historical Association, vol. 8, no 1,‎ , p. 6-7 (lire en ligne).
  17. (en) Robley D. Evans, « The Effect of Skeletally Deposited Alpha-ray emitters in Man (silvanus Thompson Memorial Lecture) », British Journal of Radiology, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, British Institute of Radiology, vol. 39,‎ , p. 881-895 (DOI 10.1259/0007-1285-39-468-881).
  18. (en) « North Side: Eben M. Byers », sur www.clpgh.org, The Literary Digest, (consulté le ).
  19. (en) Science Service, « Law does not forbid shipment of radioactive substances », Journal of Chemical Education, American Chemical Society, vol. 9, no 5,‎ , p. 939 (DOI 10.1021/ed009p939, lire en ligne).
  20. (en) Brevet US 1032951  ; lien alternatif : US Patent 1032951
  21. (en) Oak Ridge Associated Universities, « Revigator (ca. 1930) », sur www.orau.org, (consulté le ).
  22. [PDF](en) Association Médicale Américaine, « The propaganda for Reform », Journal of the American Medical Association, vol. 85, no 21,‎ , p. 1658-1660 (lire en ligne).
  23. (en) Michael Epstein, « What Were They Drinking? A Critical Study of the Radium Ore Revigator », Applied Spectroscopy, Society for Applied Spectroscopy, vol. 63, no 12,‎ , p. 1406-1409.
  24. a et b Thierry Lefebvre et Cécile Raynal, « De l'Institut Pasteur à Radio Luxembourg: L'histoire étonnante du Tho-Radia », Revue d'histoire de la pharmacie, vol. 50, no 335,‎ , p. 461-480 (ISSN 0035-2349, lire en ligne)
    Sur le site internet mis en URL, un appendice a été ajouté au texte, provenant de Tho-Radia : une expérience riche d’enseignements, des mêmes auteurs. Une coquille s'est glissée à la fin du texte concernant la circulaire imposant le port de l'étiquette « Poison » : celle-ci date du 9 novembre 1937, et non pas du 29 mars 1932, date à laquelle le produit n'était de toutes manières pas encore en vente.
  25. [PDF]Thierry Lefebvre et Cécile Raynal, « Le mystère Tho-Radia », La Revue du praticien, vol. 57,‎ , p. 922-925 (lire en ligne).

Voir aussi modifier

Liens externes modifier