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ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

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Anna Mahé naît en Bretagne, à Bourgneuf-en-Retz, dans un milieu modeste, une famille de quatre enfants. Son père, d'origine vannetaise, exerce le métier de cordonnier, sa mère est une paysanne du Pays de Retz, issue d'une lignée de sabotiers. Anna a un frère jumeau, Émile (1882-1971), qui accomplit une partie de sa carrière dans l'éducation nationale[1]. Sa sœur aînée, Armandine (1880-1968), devient militante anarchiste, elle aussi[2].

Une courte carrière d'enseignante

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Elle obtient son Brevet élémentaire en 1897, ce qui lui permet d'intégrer l’École normale des institutrices de Nantes [3]. Au terme de sa formation, alors qu'elle a passé avec succès son Brevet de capacité en 1900, elle est nommée à Paimbeuf puis à Lande Petite près de St Etienne de Montluc [4]. A la Rentrée des classes de 1902, on la promeut directrice de l’École publique des filles aux Sorinières, près de Rezé. Un poste exposé. La commune est en effet dominée par l'enseignement catholique et elle n'a que vingt ans. Son jeune âge n'est pourtant pas un obstacle à cette nomination car l'Instruction Publique, qui vient de s'engager dans la reconquête de l'éducation des filles manque de cadres féminins laïcs expérimentés alors que la fermeture, sur décision du Ministère Combes, des établissements non autorisés tenus par les congrégations féminines accroit ce besoin.

Bien notée par ses supérieurs, Anna Mahé n'en est pas moins attirée par la pensée anarchiste. Se faisant la porte-parole d'un groupe nommé « les Iconoclastes de Nantes »[5], en août 1903, elle offre à Louise Michel de venir dans la capitale des ducs de Bretagne afin d'y animer une conférence [6]. Déjà, durant le deuxième trimestre de l'année scolaire 1902/1903, elle introduit dans ses leçons d'instruction morale et civique des idées militantes ouvertement libertaires qui lui valent une enquête de l'Inspection d'Académie [7]. Certains de ses cahiers d'école contrôlés par l'inspecteur primaire livrent une citation de Paraf-Javal[8]. Il est donc probable que dès 1902 elle fréquente déjà les milieux individualistes anarchistes montmartrois. En juin 1903, confirmant son engagement militant, elle signe dans l'hebdomadaire de Jean Grave, Les Temps Nouveaux, un article critique sur une manifestation organisée par la Libre Pensée et la Fédération Socialiste à Nantes[9].

Elle n'attend pas les conclusions de l'enquête administrative qui la vise, et, prétextant une grave affection pulmonaire, elle trouve refuge auprès des compagnons de Montmartre. Fin septembre 1903, elle est domiciliée au 4, rue Christiani dans le 18ème arrondissement, vivant de l'indemnité qui lui est versée au titre de son congé maladie[10]. Or elle est enceinte... En janvier 1904, Anna vit chez Libertad, au 30, rue Müller où sont établies les Causeries Populaires. Elle ne tarde pas à contribuer au dynamisme des Causeries et se met à publier dans le Libertaire. Le 26 avril de la même année, naît de cette union libre Minuscule, dit Minus, qui n'est pas inscrit à l'état civil[11].

Une propagandiste anarchiste tournée vers l'éducation libertaire

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Co-fondatrice de l'hebdomadaire individualiste "l'anarchie"

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En 1905, Solidaire des autres individualistes elle quitte Le Libertaire et fonde avec Albert Libertad l'hebdomadaire L'Anarchie dont elle devient la gérante dès la parution du premier numéro en avril. Convaincue que l'orthographe n'est pas neutre et hostile à toute forme de culte, elle obtient que l'on troque le A majuscule de révérence du titre pour un a minuscule, une façon d'affirmer l'iconoclasme assumé du journal anti-autoritaire. Pendant ses trois années de participation intensive à la vie de ce périodique, de 1905 à 1908, elle signe de très nombreux papiers, une centaine environ dont plusieurs articles de tête à vocation polémique, d'une grande diversité thématique. Anna Mahé devient la propagandiste la plus prolifique, l'une des plus connues et l'une des plus incisives parmi les militantes du groupe des Causeries. Le nombre de ses productions écrites la placent, toutefois, un peu en retrait de ses homologues masculins, tels que Mauricius, Rédan, Lorulot, Maurice Imbart, Matar, Armand, Le Vieux, Léon Israel, Jean Goldsky, Henri Zisly, Marestan ou Libertad et d'autres militants moins connus. Une marginalité toute relative car c'est elle qui corrige, quand elle ne les réécrit pas, leurs articles. Convaincue que l'éducation doit être permanente, elle conçoit le journal comme un outil de formation s'inscrivant dans le prolongement des Causeries Populaires. "L'éducacion d'un être humain ne se fait pas durant quelques années seulement. Elle ne s'achève jamais qu'à la mort de l'individu. [12]" Résume-t-elle, une opinion partagée par l'ensemble des membres des Causeries dont le credo est ainsi formulé par Maurice Imbart encore en 1909 : "Éduquons-nous et la vie sera plus belle.[13]"

Son passage à la gérance de l'anarchie est marqué par une prise de parole remarquable des femmes du mouvement qui va croissante à partir de 1906 et culmine en 1907 et pendant le premier semestre 1908, période au cours de laquelle Libertad subit plusieurs incarcérations, ce qui semble avoir eu pour effet de renforcer considérablement l'influence d'Anna sur les choix rédactionnels. La résignation de son poste de gérante à la fin de l'été 1908, qu'aggrave le caractère éphémère de la direction de Jeanne Morand qui s'interrompt en janvier 1909, se solde par une nette tendance à la raréfaction de l'expression féminine au sein de l'organe individualiste dans les années qui suivent ; dès le premier semestre 1909 le nombre de correspondancières passe d'une vingtaine à une demi-douzaine à peine (parmi lesquelles Rirette Maîtrejean) et encore ne produisent-elles le plus souvent que des articles ponctuels, très espacés dans le temps, presque exclusivement confinés aux questions d'éducation des enfants, d'amour libre ou de rapports entre les sexes en milieu anarchiste [14].

Jusqu'en 1913 Anna Mahé intervient dans d'autres feuilles libertaires de diffusion plus locale, telles que Germinal (Amiens), La Cravache (Reims), L'Ordre (Limoges), ou Terre et Liberté (St Cyr-Les-Colons) [15].

La question de l'orthographe

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Elle consacre une grande partie de son activité à la réforme de l'orthographe[16]. Dès 1904, elle écrit dans le Libertaire des articles en ortografe sinplifiée qu'elle a elle-même élaborée en se fondant sur les innovations orthographiques proposées par le libre-penseur Jean Barès [17][18]. Cette orthographe nouvelle doit contribuer à libérer la langue française des signes inutiles ou faisant double-emploi sans toucher à son harmonie phonétique. Dans les colonnes de l'anarchie ses contributions relatives à l'éducation et à l'enseignement sont systématiquement rédigées dans cette orthographe réformée car Anna Mahé, "convaincue que les décrets de loi ne servent à rien en aucune circonstance (...)", entend jeter "les quelques réformes [qu'elle] dézire dans l'écriture uzuèle en les pratiquant elle-même [19]". Elle juge, en effet, l'orthographe académique inutilement compliquée et arbitraire, la soupçonnant de surcroît de satisfaire principalement à l'élitisme des dominants, à la soif de distinction des possédants[20]. Elle aime à rappeler qu’au XVIIIe siècle, on écrivait encore comme on le voulait. Les manuscrits de Voltaire ou du marquis de Sade comportent des mots écrits à quelques lignes d’intervalle avec des graphies différentes ; ils s’en remettaient le plus souvent à l’éditeur pour décider de l’orthographe à adopter. C’est seulement au XIXe siècle, lorsque la bourgeoisie se constitue en classe dominante et veut marquer sa différence avec le peuple, que l’orthographe est figée par l’Académie, laquelle tend à privilégier les solutions orthographiques les plus complexes sans grand souci de la logique. En supprimant un moyen d'oppression et de sélection sociales, la simplification de l'orthographe fait œuvre subversive avec pour corollaire de rendre la parole à ceux dont le langage est stigmatisé par la classe dirigeante.

La question de l'éducation

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Francisco Ferrer, le grand pédagogue anarchiste catalan, écrivait dans son manifeste, "La Escuela Moderna" : "Nous voulons des hommes capables d'évoluer incessamment, capables de détruire, de renouveler constamment les moyens, et de se renouveler eux-mêmes, des hommes dont l'indépendance intellectuelle soit la force suprême, qui ne s'assujettissent devant personne, toujours disponibles pour accepter des idées nouvelles, souhaitant vivre plusieurs vies dans une seule vie. La société craint de tels hommes : ainsi, on ne peut jamais espérer qu'elle soit en accord avec une éducation qui cherche à les former."

Anna Mahé s'inscrit parfaitement dans ce courant de pensée. Elle développe ses théories sur l'éducation en quatre séries de longs articles ou de rubriques publiées en feuilleton dans l'anarchie : L'hijène du cerveau en 1905, La mère éducatrice en 1906, L'hérédité et l'éducacion en 1907, ce dernier faisant l'objet d'un tiré à part sous forme d'une brochure traduite en espagnol l'année suivante, et Le monopole de l'enseignement en septembre 1908. Il convient de remarquer que dans ses écrits pédagogiques Anna Mahé n'aborde jamais autre chose que l'éducation des enfants en âge de suivre le cursus du Primaire, ceux qu'elle avait eu en charge durant sa brève carrière d'enseignante. Pour elle, comme pour tous les autres éducateurs libertaires," ce qui inporte, surtout, c'est de voir en ces jeunes cerveaus les homes de demain, de savoir les dirijer sans jamais essayer d'abolir leur volonté, de l'amplifier au contraire (...)[21]", il faut donc concentrer ses efforts sur l'éducation de l'enfant car si l'on veut changer le monde il convient de changer l'homme. "(...) du moins ce que nous n'avons pas pu réalizer en nous, grâce aux tares conjénitales, puis aus influences mauvaizes de la famille, de l'école et la société, tâchons de le réalizer autant que possible, en nos enfants. Essayons de les dirijer d'une façon normale dans leur éducacion et de les préserver autant que possible de l'influence néfaste du milieu.[22]" Et de souligner un peu plus loin dans le même opuscule (p. 52) que pour atteindre pareil objectif, la rupture avec le modèle éducatif dominant est indispensable : "Le sistème actuel d'autorité ne saurait nous convenir. Nous ne voulons pas faire de nos enfants des réguliers, des individus lâches devant la discipline. Nous voulons déveloper chez eus l'iniciative, il nous déplaît d'avoir des auditeurs passifs que nos leçons ennuient sans qu'ils ozent l'avouer et qui ne sont capables que de retenir le mot à mot de nos enseignements sans ozer jamais les discuter."

Elle partage ainsi avec Paul Robin, Sébastien Faure, Francisco Ferrer ou Madeleine Vernet les mêmes principes pédagogiques basés sur une éducation non-autoritaire se caractérisant par l'abandon du système de punition et de récompense à l'école, par la mise en place d'une pédagogie active, en particulier en appliquant la méthode expérimentale qu'Anna Mahé tient pour essentielle dans la construction du jugement critique chez l'enfant, par la mixité tant entre filles et garçons qu'entre classes sociales, par la culture du non cloisonnement entre travail intellectuel et travail manuel, par la pratique d'activités physiques. L'originalité de la pédagogie proposée par Anna Mahé repose avant tout sur un apprentissage plus tardif de la lecture qu'elle estime trop précoce, sa conviction de la nécessité de réformer l'orthographe, sa prévention contre la dispensation d'un enseignement libertaire en espace clôt, le rôle fondamental que joue la mère dans le processus éducatif, une critique sans concession des institutions scolaires de la Troisième République. Autant de questions développées dans des termes similaires par d'autres individualistes anarchiste au cours des années 1900, parmi lesquels Emilie Lamotte (1876 - 1909), une ancienne institutrice congréganiste devenue conférencière anarchiste et militante néo-malthusienne dont les vues rejoignent assez largement celles d'Anna Mahé [23]. Convaincue que pour devenir un bon éducateur il est nécessaire d'étudier au préalable l'enfant afin d'acquérir "une conpréhension bien nète" de son cerveau et d'avoir la faculté "d'enployer des métodes différentes selon le tenpérament de chacun", Anna Mahé préconise une individualisation de l'enseignement qui s'appuierait sur la différenciation des facultés de chaque élève, une position très novatrice pour l'époque.

L'orthographe et la lecture : simplification et contre-proposition
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« Nous autres, anarchistes, devrions comencer ce travail de bone santé : épargner des heures d'étude inutile qui leur [les enfants] permètront de s'inicier à la joie de savoir des chozes vraiment intéressantes aus lieus et places de futilités et de chinoizeries. »[24] C'est en ces termes qu'Anna Mahé conclut un article fondateur dans lequel elle expose combien cet apprentissage de l'orthographe officielle représente pour les écoliers un supplice ennuyeux qui, d'une part, leur encombre le cerveau et, d'autre part, retarde l'acquisition de leur capacité à rédiger. Elle souligne le caractère arbitraire de certaines règles académiques (redoublement de consonnes, etc.) lesquelles entrent en contradiction avec la logique. En anarchiste conséquente elle ne peut l'accepter, elle qui entend apprendre aux enfants des vérités scientifiques et de pouvoir justifier rationnellement tout ce qu'elle enseigne. La problématique de l'orthographe renvoie à celle de la lecture. "(...) Je n'éprouverais aucun orgueil à voir mes élèves lire courament à quatre ans et j'avoue que je n'aurais aucune honte de les voir lire seulement à huit ou neuf ans. Temps perdu ? Que non pas. Il n'est pas besoin que l'enfant sache se servir des livres pour être inicié aus éléments des autres siences. Il peut avoir des idées rudimentaires mais précizes sur les propriétés du corps, sur la fabricacion du sucre, du pain. Il peut conaître pas mal de fizique, de chimie, de biolojie, de botanique, d'hijiène, etc., sans savoir lire ni écrire. [25]" Dans l'hypothèse où l'application sans faille d'une pédagogie qui saurait tirer parti de la propension des enfants à sans cesse expérimenter pourrait produire, dans une certaine mesure, de très jeunes individus autodidactes "la lecture n'est à sa place que come couronement de toute une instrucsion, élémentaire, sans doute, mais assez conplète pour que l'enfant ait le dézir de savoir plus encore. [26]" Elle envisage ainsi un apprentissage de la lecture à partir de 7 ou 8 ans.

Critique radicale de l’École de la République
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Anna Mahé joint sa voix à celles d'autres anarchistes qui dénoncent "la Laïque" qu'ils considèrent comme une machine de guerre sociale aux mains de la bourgeoisie qui, sous couvert d'un discours méritocratique et égalitaire, poursuit avec constance ses fins d'exploitation et de domination.

L'enseignement autoritaire : une cause d'aliénation
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D'où cela vient-il que "Les jeunes gens sortent (...) des écoles avec le cerveau déformé, les facultés intélectuèles anihilées ou du moins déviées. [qu'] Ils sortent esclaves, tout prêts à être de bons citoyens inbus de l'idée d'autorité, s'inclinant devant le maître, habitués dès l'école à subir la hiérarchie, la justice (...)." ? L’École de la 3ème République s'est donnée pour mission d'instruire et non d'éduquer mais est-elle un milieu neutre pour autant ? Les méthodes employées témoignent au contraire de l'orientation idéologique de ses fondateurs favorisant la diffusion de l'enseignement sous une forme dogmatique : "L’école est une réducsion extrêmement fidèle de la société. Ele conporte toutes les manifestations de la vie sociale. Ele a la hiérarchie avec le maître come chef suprême (...). Taloches, mauvais points, pensums, caresses, bones notes, classement : chozes abominables dont on souille le cerveau de l'enfant, qui contribuent à le rendre ranpant, vaniteus, hipocrite, car dans l'école come dans la société, le mal et le bien n'eczistent qu'autant que le maître ou le moniteur en conaît l'eczistence. [27]" Ce dressage s'exerce de plus dans des écoles à l'architecture intimidante aussi austères que des casernes dans lesquelles s'égrènent "les heures pezantes passées dans l'immobilité et le silence des heures de classe" favorisant l'ennui et l'étiolement de la curiosité intellectuelle d'élèves "cloués à leur banc", guettés par l'abrutissement. Les classes surchargées, le programme officiel, les instructions du directeur d'école, celles de l'inspecteur, le journal pédagogique, la prise en charge du personnel enseignant par une institution étouffante, les propres motivations de l'intéressé, autant de facteurs qui transforment le maître en une sorte de "machine à instruire" faite pour des "les machines à aprendre" que sont ses élèves. Quelle est la valeur d'un savoir délivré de façon si autoritaire et si routinière pour le développement et l'émancipation individuelle et collective ? Anna Mahé observe finement que "si l'instrucsion est plus répandue maintenant [en raison de l'application des lois Ferry de 1881 et 1882 qui rend l'instruction primaire publique, gratuite, obligatoire et laïque], èle est donée sous des formes qui assurent son inocuité vis-à-vis de la société bourgeoise. [28]" Car, il ne faut pas s'y tromper, développe-t-elle dans une causerie reprise en 1908 dans l'anarchie sous le titre de Le monopole de l'enseignement, "(...) de l'éducacion qui sera donée à tous les enfants d'une nacion dépendra la vie ou la mort des institucions établies. Or, il inporte à un gouvernement de vivre et de prospérer autant que possible. Pour ariver à ce rézultat, il faut que les gouvernés soient des individus soumis aus lois et aus règlements, ignorants des métodes à suivre pour ariver à se débarasser de la tiranie, et qui mieus est, incapables de se rendre conpte de l'eczistence de cète tiranie. (...)[29]"

Le monopole de l'enseignement : une mesure liberticide
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Conférer à l'Etat l'exclusivité de l'Instruction, comme le veulent certains Radicaux-Socialistes et l'aile gauche de la SFIO (un projet envisagé quelques années auparavant par les éléments les plus extrémistes du Bloc des Gauches dans la foulée des lois de Séparation de l’Église et de l’État), c'est, selon les anarchistes individualistes, encourir le risque d'uniformiser définitivement les consciences et de les anesthésier, "[de] produire de bons citoyens, de bons Français, des instruments dociles, de futurs soldats bien disciplinés et inbus de l'idée de la nécessité de leur oeuvre. [30]" Anna Mahé dont l'hostilité envers l'enseignement confessionnel est aussi virulente que celle dont elle témoigne contre l’École de la République, craint que "si l’État supprime la liberté d'enseigner aus catoliques, il la suprime à tous en même tenps [31]" pour le seul profit de la "vérité" promue par l’État, de sa propagande mise au service des intérêts de la classe dominante.

Pour une pédagogie libertaire critique
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Le rejet des institutions suspectées de perpétuer l'ordre établi ne peut que déboucher sur cette question : comment faire pour construire une école rationnelle dans une société déraisonnable ? Les expériences tentées par d'autres camarades libertaires n'échappent pas au feu de la critique individualiste.

La mère éducatrice
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L'anarchie, un milieu de vie libre

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L'équipe des Causeries qui s'investit dans l'anarchie forme une petite communauté ouverte d'une dizaine de personnes ayant pour finalité, outre la fabrication du journal, l'organisation des causeries populaires ou des balades libertaires, la mutualisation de leurs moyens d'existence, l'émancipation et le développement intégral des individus qui la composent, en un mot de permettre à ses membres de vivre en anarchistes ; de vivre libre « ici et maintenant », non en dehors de la société mais à l'intérieur de celle-ci [32]. Ce parti pris tranche avec les expériences de communisme pratique menées dans les Milieux libres depuis le début du siècle lesquelles sont connus pour leur relatif isolement [33]. Tous vivent dans un local commun qui sert de siège au journal : d'abord domiciliées rue Müller, c'est grâce à la générosité d'Eugénie Rey Rochat de Théollier qui en assume les loyers, que les Causeries migrent dans un bâtiment plus vaste, rue du Chevalier De La Barre. Au rez-de-chaussée on installe l'imprimerie à bras et une salle de réunion munie d'une bibliothèque servant de réfectoire, à l'étage quelques chambres sont laissées à la disposition des occupants ; à l'arrière de l'immeuble une petite parcelle de terre accueille un potager.

Autour de Libertad, d'Anna Mahé et des autres compagnes et compagnons, volontiers exubérants, de la rue du Chevalier De La Barre où vient de s'installer le siège de L'anarchie en janvier 1906, la Révolution repeinte aux couleurs de la camaraderie effective est servie toute chaude et joyeuse au coin de la rue lors de conférences, de fêtes ou de bals en plein air... que ne manquent pas de réprimer les forces de l'ordre avec leur violence coutumière. Vivre en rupture avec les conventions sociales du temps participe à la fois de la propagande par le fait et de la réalisation de toutes les potentialités de l'être, de sa révolution intérieure. "Le bonheur est dans la satisfaction la plus complète de nos sens, dans l'utilisation la plus grande de nos organismes, le développement le plus intégral de notre individu." Écrit Libertad en 1906 [34]. Les transgressions, souvent synonymes d'innovations, dans les domaines alimentaires, vestimentaires, hygiéniques, éducatifs, relationnels, sensuels ou sexuels sont considérées comme autant d'armes subversives destinées à forger des individus forts et épanouis, débarrassés de leurs préjugés et conscients de leurs buts, les seuls capables, aux yeux des individualistes anarchistes, de mener à bien les transformations sociales qu'ils appellent de leurs vœux. La liberté de mœurs est très grande et Anna Mahé, refusant l'institution du mariage qu'elle tient, comme les autres individualistes, pour de la prostitution légale, pratique l'amour libre et plural. Les « deux sœurs », une expression de Jean Grave désignant Armandine et Anna Mahé, font, au moins pendant quelques temps, ménage à trois avec Libertad dont il semble bien qu'elles aient eu chacune un enfant. Ces derniers ne sont pas immédiatement déclarés à l'Etat Civil, une institution que les individualistes rejettent. Ce sont deux petits garçons qui se voient attribués chacun un prénom provisoire - minus et diamant - qu'ils pourront changer lorsqu'ils le voudront.

Références

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  1. Archives départementales de Loire-Atlantique, STi 181, dossier Emile Mahé
  2. Archives départementales de Loire-Atlantique État civil de Bourgneuf-en-Retz
  3. Archives départementales de Loire-Atlantique cote STi 423
  4. Archives départementales de Loire Atlantique cote STi 181
  5. D'après Gaetano Manfredonia, Libertad et le mouvement des causeries populaires, La Question sociale, 1998, p 8, Libertad a fait lui aussi parti d'un groupe qui s'appelait les Iconoclastes de Montmartre dans les années 1900.
  6. Louise Michel, Je vous écris de ma nuit, correspondance générale - 1850-1904, Édition de Paris, 1999, page 715.
  7. Archives départementales de Loire-Atlantiques STi 181, rapport de l'Inspection Primaire de Nantes n°4195
  8. L'en dehors n°28 du 31 janvier 1924, Vers une éducation nouvelle : les cahiers d'une institutrice
  9. Les Temps nouveaux du 20 juin 1903
  10. Archives départementales de Loire-Atlantique STi 181, correspondance Meslier et notes de service de l'Inspection d'Académie
  11. Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques 4 E Art 102-205 état civil
  12. Anna Mahé, l'Hérédité et l'Educacion, Editions de l'anarchie, Paris, 1908, p.30
  13. Hugues Lenoir, Les anarchistes individualistes et l'éducation (1900 - 1914), Atelier de création libertaire, Lyon, 2015
  14. Cf. l'ensemble des numéros de l'anarchie entre 1905 et 1914 consultables sur Gallica
  15. René Bianco, Répertoire des périodiques anarchistes de langue française : un siècle de presse anarchiste d’expression française, 1880-1983, Aix-Marseille, 1987.
  16. Marie-Hélène Larochelle, Invectives et violences verbales dans le discours littéraire, Presses de l'Université Laval, (ISBN 9782763784458), p. 54, lire en ligne.
  17. L'idée libre janvier 1961 p. 13, nécrologie d'Anna Mahé par André Lorulot
  18. Anna Mahé, A propos des jestes inutiles, l'anarchie n°11 du 22/06/1905
  19. Anna Mahé, L'hijiène du cerveau, la lecture, l'anarchie n°2 du 20/04/1905
  20. Anne Steiner, Rirette l'insoumise, Milles sources, 2013 p. 144
  21. Anna Mahé, Le rôle de l'éducateur, l'anarchie n°58 du 17/05/1906
  22. Anna Mahé, l'Hérédité et l'Educacion", Editions de l'anarchie, Paris 1908, p. 41
  23. Hugues Lenoir, "Les anarchistes individualistes et l'éducation (1900 - 1914)", Atelier de Création Libertaire, 2015, p. 15
  24. Anna Mahé, A propos des jestes inutiles, l'anarchie n°11 du 22/06/1905,   
  25. Anna Mahé, "l'Hérédité et l'Educacion", Editions de l'anarchie, Paris 1908, p. 58
  26. Anna Mahé, L'hijiène du cerveau, l'anarchie n°2 du 20/04/1905
  27. Op. cit. p. 53
  28. Op. cit. p. 52
  29. Anna Mahé, Le monopole de l'enseignement, l'anarchie n° 178 du 3/09/1908
  30. Anna Mahé, Le monopole de l'enseignement, l'anarchie n° 180 du 17/09/1908
  31. Anna Mahé, Op. cit.
  32. Gaetano Manfredonia, Libertad et les causeries populaires, La Question sociale, 1998, p. 31
  33. Céline Beaudet, Les Milieux Libres : vivre en anarchiste à la Belle Époque en France, Les Éditions libertaires, 2006
  34. Libertad, La joie de vivre, l'anarchie n°81 du 25/10/1906,