Utilisateur:Manon Laroche/Brouillon

Georges de La Tour : le rapport entre littérature et peinture, comment son oeuvre picturale a-t-elle imprégné la littérature?

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INTRODUCTION : le dialogue entre littérature et peinture

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Le rapport entre la littérature et la peinture est étroit[1] : la peinture, pendant des nombreuses années, n'était pas autonome mais sous la tutelle de la littérature. En outre, la peinture occupait une fonction proprement religieuse et politique. Georges de La Tour a lui-même été nommé peintre du roi Louis XIII, et donc peintre de cour attitré avant de sombrer dans l'oubli[2]. Peu à peu, la littérature s'est référée de plus en plus à la peinture, soit "par concurrence mimétique ou alors par fascination pour son autonomie esthétique", selon les mots de Daniel Bergez lui-même. Georges de La Tour est un peintre du XVIIème siècle, mais son oeuvre depuis sa redécouverte dans les années 1930, a fait couler l'encre de nombreux écrivains. Le livre, en tant qu'objet, est un élément récurrent dans les représentations de Georges de La Tour. Il permet au peintre d'exercer sa technique picturale de la lumière : il offre la possibilité de faire jouer les lumières sur ses angles variés. Le livre constitue un exercice de style du peintre. Le livre le plus représenté est sans conteste la Bible. Georges de La Tour ne fait pas exception à cette remarque générale : on sait de lui que la maîtrise de la lumière est une part important de son oeuvre par son usage du ténébrisme. En outre, il a représenté de nombreux sujets religieux mettant en scène la Vulgate. On peut citer Saint Jérôme pénitent qui illustre parfaitement l'idée de dialogue et de tension entre l'image et le livre ainsi que l'Apparition de l'ange à saint Joseph dit aussi le Songe de saint Joseph[3]. A partir du XIXème siècle, la peinture devient source de création pour la littérature soit que l’écrivain tente de restituer un rendu pictural à l'aide de son style, soit la littérature se métamorphose en une écriture de la peinture. Enfin au XXème siècle, les écrivains s'inspirent d'autant plus de l'art pictural dans une visée poétique parmi lesquels on retrouve des surréalistes célèbres tels que André Breton et Paul Eluard. On peut citer aussi : René Char, Henri Michaux, Jean Tardieu, Jacques Prévert, Michel Leiris, Philippe Jacottet, Michel Butor,Yves Bonnefoy... Les rapports entre littérature et peinture sont parfois difficiles à saisir, car la référence à une oeuvre peut être implicite ou mentionnée clairement. A l'aide d'une étude stylistique des textes littéraires, il est parfois possible de percer à jour le lien entretenu par un écrivain entre texte et image.

René Char et Georges de La Tour

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René Char a découvert Georges de La Tour, lors d'une exposition organisée à l'Orangerie (Paris) de novembre 1934 à février 1935: elle était intitulée "Les Peintres de la Réalité en France au XVIIème siècle"[4]. Il a consacré divers écrits au peintre,un texte sur le Prisonnier[5], dans les Feuillets d'Hypnos 178. Le Prisonnier ou Job raillé par sa femme est un tableau dont le sujet a été discuté. René Char dialoge avec le tableau en l'impliquant dans le contexte de seconde guerre mondiale : « ténèbres hitlériennes »[5]. Le tableau est intégré à l'écriture de Char. En outre, l'écriture de Char restitue le mystère qui émane de la peinture de Georges de La Tour : Alain-Madeleine Perdrillat décrit Georges de La Tour en peintre du mystère et de la durée, c'est à dire que ses œuvres s'apparentent à un "tableau" dans le sens d'une image arrêtée[6]. Le texte de René Char se calque à cette vidée en utilisant le présent de narration, son texte ressemble d'ailleurs à une image figée par sa concision : « La femme explique, l'emmuré écoute »[5]. Dans une lettre, Herman Voss parle de l'âpreté de la matière picturale, d'une prédilection pour des plis droits, des ombres bien délimitées[4], ce qui se rapproche de la syntaxe adoptée par René Char : il emploie par exemple une rupture syntaxique pour décrire l'homme «sa maigreur d'ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner»[5]. La rupture syntaxique, ici, anacoluthe, illustre l'âpreté décrite par Herman Voss. Un autre texte de René Char, extrait encore une fois de Fureur et mystère, rend hommage à la Madeleine à la veilleuse :

« Je voudrais aujourd’hui que l’herbe fût blanche pour fouler l’évidence de vous voir souffrir : je ne regarderais pas sous votre main si jeune la forme dure, sans crépi de la mort. Un jour discrétionnaire, d’autres pourtant moins avides que moi, retireront votre chemise de toile, occuperont votre alcôve. Mais ils oublieront en partant de noyer la veilleuse et un peu d’huile se répandra par le poignard de la flamme sur l’impossible solution. » Madeleine à la veilleuse, René Char[7]

Char donne au tableau un tour quasi prophétique par l'emploi du conditionnel « Je voudrais aujourd'hui que ...». Il s'adresse à la deuxième personne du pluriel à la figure du tableau, instaurant un dialogue poétique avec le tableau : « occuperont votre alcôve ». Des termes tels que « souffrir », «  poignard de la flamme », se calque parfaitement sur l'atmosphère sombre suggérée par le peintre. René Char l'interprète comme un fantasme, où la mort côtoie l'érotisme, ainsi s'exprime par la poésie une interprétation possible de l'oeuvre picturale.Madeleine, peinte par La Tour, est vêtue d'une chemise ample qui laisse apparaître sa dimension charnelle et sensuelle, elle a posé sur ses genoux un crâne, symbole des vanités et la mort. Le texte puise implicitement sa force poétique de la peinture : les deux sont empreints d'un message spiritiuel et religieux (l'huile est une marque des sacrements dans la religion chrétienne).

René Char interroge l'oeuvre pour y trouver un secret[1], la peinture revendique « l'honneur de luire dans la nuit »[8], image qui est appropriée à un rapprochement avec la peinture de Georges de La Tour la plupart du temps associé à la technique du clair-obscur et du ténébrisme. Dans Le Nu perdu[9], Char écrit un texte intitulé « Justesse de Georges de La Tour » et dans lequel il fait allusions à divers tableaux du peintre tels que Le tricheur ou Le vielleur.

Malraux et Georges de La Tour

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André Malraux a publié en 1951 Les Voix du silence[10], un ensemble de différents essais sur l'art. Il y exprime sa fascination pour l'oeuvre de Georges de La Tour, notamment sa maîtrise de l'éclairage. Son style tend à reconstituer la technique picturale de Georges de La Tour, selon celle qu'il imagine. Dans un extrait, il parle du profil des femmes peintes par Georges de La Tour, « la ligne du profil » le fascine, et sa syntaxe se déploie à l'image de ce qu'il perçoit dans la peinture de Georges de La Tour. Malraux est fasciné par les détails dans le style picturale de La Tour : la ligne d'un profil, les formes ou encore l'éclairage. Il se sert pour montrer son originalité d'une constante comparaison avec d'autres peintres : Cézanne, Ucello, Giotto etc. Il est, en outre fasciné par les volumes, « volume qui ne tourne pas ». Sa prose tâtonne à la recherche d'une description possible de la peinture de La Tour. Mais il emploie le présentatif de manière récurrente comme pour dépasser les étiquettes apposées sur la peinture de Georges de La Tour, « Ce n'est pas l'obscurité que peint Latour : c'est la nuit.»[10], la tournure présentative « c'est » donne une vigueur au texte. Sa rhétorique s'inscrit dans le cadre d'un projet global : le musée imaginaire[11]. La Tour est donc dans son oeuvre un cas particulier exprimant une conception de l'art proche de l'homme plus que du sacré, elle s'apparente à une recherche du sens de l'art de La Tour.

Pascal Quignard et Georges de La Tour

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Pascal Quignard a publié un essai intitulé Georges de La Tour en 1991[12], republié en 2005[13], le travail d'écrivain de Pascal Quignard est marqué par la peinture : son oeuvre la plus célèbre Tous les matins du monde est construite autour de La Nature morte aux gaufrettes de Lubin Baugin. Son style peut être décrit comme assertif, c'est à dire usant de nombreuses affirmations juxtaposées (la parataxe), d'un refus de de la description et d'une recherche de la concision. Sa narration est nourrie par des images et des associations d'idées : son esthétique est proche de celle du XVIIème siècle classique. Certains passages de Tous les matins du monde donnent à voir des tableaux de l'imagination qui renvoient à la peinture de Georges de La Tour par des images fortement associées à l'esthétique du peintre : «Quand il entendait pleurer durant la nuit, il lui arrivait de monter la chandelle à la main à l'étage et, agenouillé entre ses deux filles, de chanter : Sola vivebat in antris Magdalena/Lugens et suspirans die ac nocte ». La chandelle est une image emblématique de la production picturale de Georges de La Tour. L'emploi du participe passé « agenouillé » indique non un mouvement, mais une posture (posture qui évoque en outre la prière) qui dans son immobilité impose une image statique à l'esprit, association d'idée qui mène à imaginer un tableau. La référence à la nuit, dans les terme à la fois français et latin opère un rapprochement avec la peinture de Georges de La Tour, dans sa période diurne. Magdalena évoque Madeleine, dont le peintre a fait la représentation à au moins 5 reprises. Le film d'Alain Corneau, adaptation du roman, s'inspire des tableaux de Georges de La Tour, et le dialogue entre les deux supports n'en est que plus percutant. D'une manière plus explicite, Pascal Quignard a écrit sur Georges de La Tour, ce qui justifie la quête d'éléments plus implicites dans ses narrations, il voit dans les représentations du peintre une spiritualité. Ainsi, pour lui, la flamme chez Georges de La Tour : "c'est Dieu". Il parle de « la nuit méditative de Georges de La Tour » dans La Nuit sexuelle[14], d'ailleurs Quignard écrit aussi : « une pensée les absorbe »[15]. La tournure qui met « la pensée  » en sujet et les figures en complément d'objet direct « les » instaure un effet de grandeur qui luit sur les personnages et les éclaire. L'écriture simple de Quignard se marie avec la simplicité des sujets représentés par La Tour, et pourtant l'un comme l'autre dégage une grandeur singulière[16].

  1. a et b Daniel Bergez, Littérature et peinture, Paris, Armand Colin, 2004
  2. Jacques Thuillier, Georges de La Tour, Paris, Flammarion, 1992
  3. Georges de La Tour, Apparition de l'ange à saint Joseph dit aussi le Songe de saint Joseph,1ère moitié du XVIIème siècle Georges de La Tour (1593-1652) Huile sur toile Hauteur : 0.930 m - Longueur : 0.810 m. Nantes, musée des Beaux-arts.
  4. a et b « « Le vielleur » (1620-1625) de Georges de La Tour (1593-1652) - Arts & Spectacles - France Culture », sur www.franceculture.fr (consulté le )
  5. a b c et d René Char, Fureur et Mystère, Paris, Gallimard, , Feuillets d'Hypnos 178
  6. Alain-Madeleine Perdrillat, « Le Caravage et La Tour, de fougue et de grâce », Télérama hors-série, no 80 Georges de La Tour,‎ , p. 28-34
  7. René Char, Fureur et mystère, Paris, Gallimard, , Madeleine à la veilleuse
  8. René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Paris, Gallimard,
  9. René Char, Le Nu perdu, Paris, Gallimard,
  10. a et b André Malraux, Les Voix du silence, Paris, Pléiade, , p. 618-621 Vol.IV
  11. MichelMelot, « L'art selon André Malraux, du Musée imaginaire à l'Inventaire général », sur www4.culture.fr (consulté le )
  12. Pascal Quignard, Georges de La Tour, Paris, Flohic,
  13. Pascal Quignard, Georges de La Tour, Paris, Galilée,
  14. Pascal Quignard, La Nuit sexuelle, Paris, Flammarion, , p. 251
  15. Pascal Quignard, « Traits de plume, La nuit nous simplifie », Télérama hors-série, no 80 Georges de La Tour,‎ , p. 47
  16. « Georges de La Tour élut la vie quotidienne la plus simple, la plongea et la simplifia encore dans la nuit, pour la revêtir de ce singulier “reflet de grandeur ” qu'est la luisance, la couche de lumière./Qui est la source même des auréoles et des nimbes qui sacrent./Il obéit aux leçons du Caravage./Il sacrifia toutes les auréoles qui encerclent la tête des dieux et des saints pour leur substituer les reflets d'une bougie. » Pascal Quignard, Georges de La Tour, Paris, Galilée, 2005, p.32