Sainte-Vehme

société secrète d'inspiration chrétienne
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Le terme de Vehme[1] vient du bas allemand médieval[2] et correspond à la fois à la notion de corporation[3] et de punition. De facto, il désigne au Moyen Âge à la fois la juridiction professionnelle d'appel des sentences pénales seigneuriales (les juridictions de Fehm ou Fehmgerichte) et les sentences prononcées par ces dernières. Seuls les hommes libres en relevaient. Le principe corroborant parfaitement la notion chrétienne de la Justice, ces juridictions furent conservées et adaptées, C'est ainsi que la Sainte-Vehme vit le jour au XIIIe siècle en Westphalie et resta active jusqu'au début du XIXe siècle.

Une séance de déliberation de Sainte-Vehme sur une miniature du Herforder Rechtsbuch, v. 1375.

Charles IV eut recours à l'aide de la Sainte-Vehme pour assurer la paix. Wenceslas introduisit la Sainte-Vehme, en 1382, le droit d'appel dans tout l'Empire[4].

Le pic d'activité de ces cours se situe aux XIVe et XVe siècles, une activité moindre étant attestée pour les XIIIe et XVIe siècles, et des preuves éparses établissant leur existence continue aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elles ont finalement été supprimées par ordre de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, en 1811.

Cependant, sous la République de Weimar (1918-1933), le terme fut détourné par l'extrême droite et utilisé pour désigner des meurtres perpétrés contre des femmes pour des raisons politiques — bien loin du sens initial de la Vehme médiévale.

Histoire modifier

 
Le Tribunal de la Sainte-Vehme, par Friedrich Hiddemann, v. 1880.
 
La citation à comparaître, ill. d'un livre pour enfants, 1922.

Le terme Fehmgerichte vient d'un mot bas-allemand signifiant « châtiment ». Le mathématicien Leibniz a trouvé au mot Vehme (Fehm en allemand), une origine latine : fama, c’est-à-dire « loi fondée sur l’opinion commune ».

Origine modifier

L'apparition de la Sainte-Vehme coïncide avec les troubles qui suivent la mort du roi Conrad IV de Hohenstaufen en 1254 : la vacance de la monarchie centrale, la lutte entre les maisons de Habsbourg et de Luxembourg, le pillage des domaines de la couronne et la division du clergé permettent aux seigneuries locales et aux villes d'acquérir une autonomie politique, conduisant à l'explosion politique de l'Empire allemand[5]. L'objectif de la Sainte-Vehme est de contrebalancer l'éparpillement politique par une unité juridictionnelle. Son succès est également dû aux difficultés des roturiers à obtenir justice autrement[4].

Fonctionnement modifier

La Sainte-Vehme rend justice de manière ferme et expéditive, les condamnés étant généralement pendus[5]. Composée initialement d'échevins, elle s'ouvre ensuite aux chevaliers teutoniques. Elle se compose de 14 francs-juges, ou Freyschöffe, (7 nobles et 7 bourgeois), tenus au secret quant aux statuts, fonctionnement et délibérations du tribunal. Chaque séance est présidée par un franc-comte, ou Freygraf. La Vehme se réunit souvent en secret, d'où sa réputation de tribunal secret[6].

La Sainte-Vehme est réputée compétente pour juger :

L'accusé est cité à comparaître au moyen d'un parchemin cloué à sa porte. La Vehme ne prononce que deux sentences : soit l'acquittement, soit la condamnation à mort, exécutoire dans les plus brefs délais[4].

Le siège central se trouve à Dortmund, mais de nombreux tribunaux locaux apparaissent en Allemagne.

Créée dans l'espace laissé par les carences du pouvoir impérial, la Sainte-Vehme perd sa raison d'être avec l'affermissement du pouvoir sous les règnes de Maximilien Ier et de Charles Quint et la restauration de l'autorité de la justice impériale. Provisoirement restaurée pendant la guerre de Trente Ans (1618–1648), elle disparaît totalement à la fin du XVIIIe siècle, tout en continuant cependant à exercer une fascination macabre sur les mentalités allemandes du XIXe siècle.

Déclin et dissolution modifier

 
Vestiges de la Sainte-Vehme à Dorsten.

Le fait qu'une organisation de ce type ait donné lieu à des abus intolérables, tels que la corruption, était en soi inévitable ; dès le milieu du XVe siècle, des protestations ont été soulevées contre les inimitiés de la cour[7].

Avec le pouvoir croissant des souverains territoriaux et l'amélioration progressive du processus de justice ordinaire, les fonctions des tribunaux de la Sainte-Vehme ont été supplantées. Par l'action de l'empereur Maximilien et d'autres princes allemands, ils ont été, au XVIe siècle, à nouveau limités à la Westphalie, et là aussi, ils ont été placés sous la juridiction des tribunaux ordinaires, et finalement confinés à de simples fonctions de police. Avec ces fonctions, cependant, mais avec les anciennes formes depuis longtemps dépouillées de leur caractère impressionnant, ils ont survécu jusqu'au XIXe siècle. Elles ont finalement été abolies par ordre de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, en 1811. Le dernier Freigraf est mort en 1835[6].

Dans la littérature modifier

« Au Moyen Âge, il y avait en Allemagne un tribunal secret, la “Sainte-Vehme”, qui vengeait tous les méfaits commis par des puissants. Quand on voyait une croix rouge sur une maison, on savait que son propriétaire aurait affaire à la Sainte-Vehme. Aujourd’hui, la croix rouge mystérieuse marque toutes les maisons d’Europe. L’histoire elle-même rend la justice, et le prolétariat exécutera la sentence. » (Marx, « Les révolutions de 1848 et le prolétariat »[8].)

Bibliographie modifier

Dans la culture modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

Références modifier

  1. également Fēme, Feym, Veme, Veime, Vēm, Veeme, Vehme, Veime, Veym
  2. On retrouve le mot en néerlandais: veem
  3. (en) Thomas Keightley, Secret Societies of the Middle Ages, p. 344, Google Books, consulté le 18 avril 2015.
  4. a b et c Bernard Vogler, « LA VEHME », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
  5. a et b Jean-Pierre Bayard, Les francs-juges de la Sainte-Vehme, Dualpha, (ISBN 978-2-915461-07-7, lire en ligne).
  6. a et b   (en) « Sainte-Vehme », dans Encyclopædia Britannica [détail de l’édition], (lire sur Wikisource)..
  7. McCall, Andrew The Medieval Underworld Sutton Publishing (2004) p111
  8. « Les révolutions de 1848 et le prolétariat », sur www.marxists.org, (consulté le )

Liens externes modifier