En biologie, la radiorésistance est la capacité de certains organismes à survivre dans des environnements soumis à de très importantes radiations ionisantes, dites radiotoxiques car notamment génotoxiques et source de stress oxydatif persisant persistant (p. ex. en causant un dysfonctionnement mitochondrial et en modifiant l'expression des gènes)[1]. Un exemple souvent cité est Deinococcus radiodurans.

En oncologie, la radiorésistance est un terme médical utilisé pour désigner la caractéristique des cellules cancéreuses difficiles à traiter avec la radiothérapie, phénomène souvent lié aux caractéristiques biologiques de ces cellules, mais qui peut aussi être partiellement dû à la sous-oxygénation des tumeurs[2].

La radiorésistance dans l'environnement modifier

Les rayonnements ionisants (RI) produisent divers types de dommages extra- et intra-cellulaires aux acides nucléiques, aux protéines, aux lipides et à d’autres composants cellulaires vitaux (ADN notamment).

Pourtant certains micro-organismes sont dotés de système de réparation extrêmement performants. On en trouve au sein de taxons phylogénétiquement très éloignés (bactéries, archées, champignons), qui se montrent résistants à des niveaux de radioactivité de plusieurs ordres de grandeur au-dessus du bruit de fond naturel[3], certaines de ces espèces étant courantes et ubiqustes (p. ex. le champignon Cladosporium cladosporioides et la cyanobactérie Geitlerinema amphibium) sont largement répandues dans une variété d’habitats naturels), ce qui laisse supposer que des gènes de résistance sont apparus, indépendamment, et à plusieurs reprises, durant l’évolution, dans des environnement radioactifs (près de gisements d'uranium) et/ou comme sous-produit de pressions sélectives exercées par d'autres sources de stress (dessiccation, rayonnement UV, métaux lourds et métalloïdes toxiques, oxydants chimiques..)[3].

Une étude brésilienne faite sur une colline du Minas Gerais où des gisements d'uranium expliquent une radioactivité nettement plus élevée que la moyenne, y a révélé de nombreux insectes, vers et végétaux résistants.

Des résistances sont constatées chez divers champignons, et moindrement ou plus rarement chez quelques espèces et genre au sein de la faune, et la flore, comme on l'a observé dans les zones parmi les plus contaminées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl ; On constate dans tous les environnement radioactifs une perte de diversité chez les micro-organismes, mais au profit de quelques espèces (ou de souches) radiorésistantes, même en cas de très haut niveau de radiation. On a trouvé des bactéries vivant et se reproduisant dans les piscines de stockage de combustible nucléaire usagé et dans les eaux stagnantes du sous sol de la centrale de Fukushima Daïchi, à proximité de réacteurs ayant partiellement fondu, dont le corium a perforé la cuve en acier.

À un certain niveau, les radiations ionisantes ont pour effet d'accélérer la germination de graines.

Degré variable de résistance aux radiations modifier

Des quantités données dans le tableau ci-dessous ne sont qu'indicatives, car ces données proviennent essentiellement d'expériences d’irradiation aiguë en laboratoire (sur des cultures pures, cultivées dans des conditions quasi optimales de croissance). « Il y a beaucoup moins d’informations sur les limites supérieures de la radiorésistance sur le terrain, par exemple dans les zones contaminées par la radioactivité, où plusieurs types de rayonnements (par exemple, α et β, ainsi que γ) et d’autres facteurs de stress (par exemple, des niveaux de température et de nutriments non optimaux, des produits chimiques toxiques, une compétition interspécifique) agissent sur plusieurs générations » rappelait en 2019 Igor Shuryak, spécialiste du sujet au Centre de recherche radiologique de l'Université Columbia[3].

Doses létales (gray)
Organisme Dose létale DL50 DL100 Classe
Chien   3.5 (DL50/30 jours)[4]   Mammifère
Humain 6Gy, 4-10[5] 4.5[6] 10[7] Mammifère
Rat   7.5   Mammifère
Souris 4.5-12 8.6-9   Mammifère
Lapin   8 (DL50/30 jours)[4]   Mammifère
Tortue   15 (DL50/30 jours)[4]   Reptile
Poisson rouge   20 (DL50/30 jours)[4]   Poisson
Escherichia coli 60   60 Bactérie
Blatte germanique   64[5]   Insecte
Coquillage   200 (DL50/30 jours)[4]   -
Drosophile 640[5]     Insecte
Scorpions   900Gy   Arachnide
Amibe   1000 (DL50/30 jours)[4]   -
Guêpe parasite 1800[5]     Insecte
Tardigrada   5000[8]   -
Deinococcus radiodurans 15 000[5]     Bactérie

Chez les microorganismes modifier

Ce phénomène a été découvert à la suite de l'accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis (1975) et confirmé à Thernobyl, Mayak et Fukushima, et les techniques de métabarcoding de l’ADN devraient permettre de découvrir de nouvelles espèce résistantes (chez les diatomées benthiques par exemple)[9].

  • Après la fusion du cœur, une bloom algual a été observé dans l'eau contaminée éclairée durant les opérations de démantèlement[10], notamment rapporté par la revue Science en 1987)[11], puis on a découvert qu'un biofilm radiorésistant s'était formé dans une tuyauterie de traitement de l'eau contaminée[12].
  • À la suite de la catastrophe de Tchernobyl (1986) une analyse métagénomique (16S) du sol faite en 2017 sur les communautés procaryotes survivant dans une tranchée d’élimination de déchets radioactifs de la centrale accidentée a mis en évidence que la diversité bactérienne y était réduite sous l'effet de la radioactivité, mais qu'on y trouvait quelques groupes taxonomiques très résistant, non seulement à la radioactivité[13], mais aussi aux espèces réactives de l'oxygène[14].

Chez les champignons modifier

L'apparition de champignons fortement radio-résistants a aussi été observée dans les sols[15], et sur les murs et sur d’autres constructions dans les parties intérieures de l’abri de la quatrième unité endommagée de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1997-98 ; l'étude de ce mycobiote a révélé 37 espèces appartenant à 19 genres ; deux espèces de zygomycètes et d'ascomycètes en faisaient partie : Mucor plumbeus et Chaetomium globosum, respectivement. Deux champignons mitosporiques couramment étaient Cladosporium sphaerospermum et Penicillium hirsutum. Alternaria alternata, Aureobasidium pullulans, Aspergillus versicolor, Acremonium strictum et Cladosporium herbarum ont également été rencontrés. Penicillium ingelheimense, Phialophora melinii, Doratomyces stemonitis et Sydowia polyspora ont été isolés dans l'abri (signalées pour la première fois en Ukraine). Les auteurs notent que les espèces les plus dotées en pigments de mélanine étaient celles qui résistaient le mieux à la radioactivité, retrouvée jusque dans l'enceinte de confinement[16],[17]. Grâce aux progrès de la biotechnologie, on peut maintenant observer des changements transcriptomiques et génomiques associés à la « radioadaptation » (par ex. en 2021 chez Exophiala dermatitidis)[18].

Caractère héréditaire de la radiorésistance modifier

Il existe des preuves concluantes sur le fait que la radiorésistance est déterminée et héritée génétiquement, au moins chez certains organismes. Heinrich Nöthel, généticien de la Freie Universität Berlin, a mené des études poussées sur les mutations du caractère radiorésistant chez les drosophiles. Il est l'auteur de 14 publications à ce sujet.

Voir aussi modifier

Références modifier

  1. Edouard I. Azzam, Jean-Paul Jay-Gerin et Debkumar Pain, « Ionizing radiation-induced metabolic oxidative stress and prolonged cell injury », Cancer Letters, special Issue: Oxidative Stress-Based Cancer Biomarkers, vol. 327, no 1,‎ , p. 48–60 (ISSN 0304-3835, PMID 22182453, PMCID PMC3980444, DOI 10.1016/j.canlet.2011.12.012, lire en ligne, consulté le )
  2. Maurice Tubiana, La science au cœur de nos vies, Odile Jacob, (lire en ligne), p. 352.
  3. a b et c (en) Igor Shuryak, « Review of microbial resistance to chronic ionizing radiation exposure under environmental conditions », Journal of Environmental Radioactivity, vol. 196,‎ , p. 50–63 (DOI 10.1016/j.jenvrad.2018.10.012, lire en ligne, consulté le )
  4. a b c d e et f Radiochemistry and Nuclear Chemistry, G. Choppin, J-O. Liljenzin and J. Rydberg, edition three, page 481, (ISBN 0-7506-7463-6)
  5. a b c d et e « Cockroaches & Radiation » (consulté le )
  6. « Radiation Notes: Radiation Damage and Dose Measurement » (consulté le )
  7. « CDC Radiation Emergencies, Acute Radiation Syndrome: A Fact Sheet for Physicians »
  8. « Radiation tolerance in the tardigrade Milnesium tardigradum », DL50 de 5000 Gy sur 48 heures, toutefois l'animal est rendu stérile au-delà de 1000 Gy
  9. (en) Lory-Anne Baker, Aude Beauger, Sofia Kolovi et Olivier Voldoire, « Diatom DNA metabarcoding to assess the effect of natural radioactivity in mineral springs on ASV of benthic diatom communities », Science of The Total Environment, vol. 873,‎ , p. 162270 (DOI 10.1016/j.scitotenv.2023.162270, lire en ligne, consulté le )
  10. (en) Kenneth J. Hofstetter et Beverly S. Ausmus, « The Identification and Control of Microorganisms at Three Mile Island Unit 2 », Nuclear Technology, vol. 87, no 4,‎ , p. 837–844 (ISSN 0029-5450 et 1943-7471, DOI 10.13182/NT89-A27677, lire en ligne, consulté le )
  11. (en) William Booth, « Postmortem on Three Mile Island: After 8 years and $1 billion, the cleanup is coming to an end. A mass of data has been produced but one nagging question remains: Why wasn't there core on the floor? », Science, vol. 238, no 4832,‎ , p. 1342–1345 (ISSN 0036-8075 et 1095-9203, DOI 10.1126/science.238.4832.1342, lire en ligne, consulté le )
  12. F. B. Mansfeld, T. K. Wood, R. Zuo et D. rnek, « Inhibiting mild steel corrosion from sulfate-reducing bacteria using antimicrobial-producing biofilms in Three-Mile-Island process water », Applied Microbiology and Biotechnology, vol. 64, no 2,‎ , p. 275–283 (ISSN 0175-7598 et 1432-0614, DOI 10.1007/s00253-003-1403-7, lire en ligne, consulté le )
  13. (en) Nicolas Theodorakopoulos, Laureline Février, Mohamed Barakat et Philippe Ortet, « Soil prokaryotic communities in Chernobyl waste disposal trench T22 are modulated by organic matter and radionuclide contamination », FEMS Microbiology Ecology, vol. 93, no 8,‎ (ISSN 1574-6941, DOI 10.1093/femsec/fix079, lire en ligne, consulté le )
  14. Yu. A. Izrael', V. G. Sokolovskii, V. E. Sokolov et V. A. Vetrov, « The ecological consequences of the radioactive contamination of the natural environment in the region of the chernobyl atomic power station accident », Soviet Atomic Energy, vol. 64, no 1,‎ , p. 33–47 (ISSN 0038-531X et 1573-8205, DOI 10.1007/bf01124005, lire en ligne, consulté le )
  15. (en) N.N. Zhdanova, A.I. Vasilevskaya, L.V. Artyshkova et Yu.S. Sadovnikov, « Changes in micromycete communities in soil in response to pollution by long-lived radionuclides emitted in the Chernobyl accident », Mycological Research, vol. 98, no 7,‎ , p. 789–795 (DOI 10.1016/S0953-7562(09)81057-5, lire en ligne, consulté le )
  16. (en) Nelli N. Zhdanova, Valentina A. Zakharchenko, Valeriya V. Vember et Lidiya T. Nakonechnaya, « Fungi from Chernobyl: mycobiota of the inner regions of the containment structures of the damaged nuclear reactor », Mycological Research, vol. 104, no 12,‎ , p. 1421–1426 (DOI 10.1017/S0953756200002756, lire en ligne, consulté le )
  17. David Kothamasi, Jean Wannijn, May Van Hees et Robin Nauts, « Exposure to ionizing radiation affects the growth of ectomycorrhizal fungi and induces increased melanin production and increased capacities of reactive oxygen species scavenging enzymes », Journal of Environmental Radioactivity, vol. 197,‎ , p. 16–22 (ISSN 0265-931X, DOI 10.1016/j.jenvrad.2018.11.005, lire en ligne, consulté le )
  18. (en) Mackenzie E. Malo, Zachary Schultzhaus, Connor Frank et Jillian Romsdahl, « Transcriptomic and genomic changes associated with radioadaptation in Exophiala dermatitidis », Computational and Structural Biotechnology Journal, vol. 19,‎ , p. 196–205 (PMID 33425251, PMCID PMC7772362, DOI 10.1016/j.csbj.2020.12.013, lire en ligne, consulté le )
  • Joiner, M.C. Induced Radioresistance: An Overview and Historical Perspective. Int J Rad Biol, 65(1): 79-84, 1994 (« Abstract »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?))
  • Ling CC, Endlich B. Radioresistance induced by oncogenic transformation. Radiat Res. 1989 Nov;120(2):267-79. PMID 2694214
  • Cordeiro AR, Marques EK, Veiga-Neto AJ. Radioresistance of a natural population of Drosophila willistoni living in a radioactive environment. Mutat Res. 1973 Sep;19(3):325-9. PMID 4796403
  • Nöthel H. Adaptation of Drosophila melanogaster populations to high mutation pressure: evolutionary adjustment of mutation rates. Proc Natl Acad Sci U S A. 1987 Feb;84(4):1045-9. PMID 3103121

Articles connexes modifier