Qualification de contraintes

En mathématiques, lorsqu'une partie d'un espace normé est décrit par des fonctions différentiables, appelées contraintes dans ce contexte, la question se pose de savoir si l'on peut obtenir le cône tangent à cet ensemble en linéarisant ces contraintes. Si c'est le cas, on dit que les contraintes sont qualifiées (on simplifie un peu, voir ci-dessous pour une définition précise). L'intérêt d'avoir des contraintes qualifiées est de disposer d'une formulation analytique du cône tangent qui, sans qualification, peut être difficile à calculer.

Cette notion est utilisée

Connaissances supposées : le calcul différentiel, l'algèbre linéaire, les bases de l'analyse convexe, la notion de cône tangent.

Introduction modifier

Soient   un espace normé,   une partie de   et   un point de  . On s'intéresse au calcul du cône tangent à   en  , que l'on note

 

lorsque   est défini comme l'image réciproque d'un ensemble par une fonction. De manière plus précise, supposons que   soit défini comme suit

 

  est une partie d'un espace normé  ,   est une fonction différentiable, que l'on appelle contrainte, et l'exposant « » est utilisé pour désigner l'image réciproque. On introduit le cône linéarisant

 

On montre facilement que

 

On n'a pas nécessairement l'égalité entre les deux cônes   et  , car   peut être convexe (c'est le cas si   est convexe) alors que   ne l'est pas nécessairement. En optimisation (et c'est avec ce point de vue que cet article est écrit), c'est gênant, car c'est le cône tangent   qui intervient dans la condition nécessaire d'optimalité générique de Peano-Kantorovitch alors que le cône linéarisant   a l'avantage d'avoir une expression analytique que l'on aimerait pouvoir exploiter. La notion de qualification des contraintes définissant   est liée au fait de pouvoir avoir l'égalité entre les deux cônes, mais pas seulement. La technique de démonstration conduisant aux conditions d'optimalité du premier ordre cherche à montrer que le gradient   appartient à un cône que l'on peut expliciter. Deux ingrédients interviennent dans cette approche :

  • l'égalité entre le cône tangent et le cône linéarisant, qui permet ainsi d'avoir une expression exploitable du premier,
  • le fait de pouvoir se passer de la prise de l'adhérence après application du lemme de Farkas.

Le second point est à l'origine de la seconde condition ci-dessous.

Qualification de contrainte — Dans le cadre ci-dessus, on dit que la contrainte   est qualifiée en   pour représenter   si   est dérivable en   et si les deux conditions suivantes sont vérifiées :

 

  l'opérateur linéaire adjoint de  .

La seconde condition est immédiatement vérifiée si   est un polyèdre convexe, car alors le cône tangent   est aussi un polyèdre convexe et son dual   également ; il en résulte que   est un polyèdre convexe et donc un fermé. Cette condition de polyédricité sera vérifiée pour les ensembles   et   ci-dessous.

La qualification est une propriété de la fonction  , pas de l'ensemble   dont la définition utilise cette fonction. On peut en effet définir l'ensemble   par diverses fonctions  , sans modifier donc le cône tangent  , alors que   sera le plus souvent affecté par le changement de fonction  . Dès lors, cette notion de qualification permet de sélectionner les bonnes fonctions  , dans un sens qui dépend du contexte.

Qualification de contraintes d'égalité modifier

L'ensemble XE modifier

On considère dans cette section que l'ensemble est décrit comme l'image réciproque d'un point par une application différentiable   entre deux espaces vectoriels de dimension finie   et   :

 

Le point de   dont on prend l'image réciproque par   est l'origine ; c'est sans perte de généralité, car un autre point pourrait être intégré dans la fonction  .

Conditions suffisantes de qualification de la contrainte définissant XE modifier

D'après la formule générale de   ci-dessus, le cône tangent   est inclus dans le cône suivant

 

et on dit que la contrainte   définissant   est qualifiée en   si   Une condition suffisante de qualification est la suivante.

Condition suffisante de qualification de la contrainte de   — Si   est   dans un voisinage de   et si   est surjective, alors   est qualifiée en  

Qualification de contraintes d'égalité et d'inégalité modifier

L'ensemble XEI modifier

On considère dans cette section que l'ensemble est décrit comme l'image réciproque d'un cône particulier   par une application   définie sur un espace vectoriel de dimension finie   :

 

On a noté   et   des ensembles d'indices formant une partition de l'ensemble des   premiers entiers   :

 

Les cardinaux de   et   sont notés respectivement

 

si bien que   Alors   désigne la fonction dont les composantes   sont celles de   avec  . De même pour  . Le cône de   dont   est l'image réciproque par   est donc

 

Son cône tangent en   est donné par

 

Conditions suffisantes de qualification de la contrainte définissant XEI modifier

D'après la formule générale de   et celle de   ci-dessus, le cône tangent   est inclus dans le cône suivant

 

où on a noté

 

l'ensemble des indices des contraintes d'inégalité actives en   On rappelle que la contrainte   définissant   est dite qualifiée en   si   Vérifier que cette égalité a lieu est une tâche difficile car il faut calculer le cône tangent. On connaît un grand nombre de conditions assurant que cette qualification a lieu (des conditions suffisantes donc). Elles supposent toutes que les contraintes actives au point considéré sont différentiables en ce point, car les dérivées de ces contraintes interviennent dans la définition du cône linéarisant. Voici les principales conditions suffisantes de qualification, donnant un petit aperçu de la galerie des conditions qui sont utilisées aujourd'hui.

Affinité locale (QC-A) modifier

Cette condition suffisante de qualification est utilisée pour des contraintes linéaires (ou affines), comme en optimisation linéaire ou quadratique.

Affinité locale (QC-A) —   est affine dans un voisinage de   et   est continue en  

Slater (QC-S) modifier

Les conditions suffisantes de qualification de Slater[1] sont essentiellement utilisées pour les ensembles définis par des contraintes convexes.

Slater (QC-S) —   est continue en   et

  •   est une fonction affine avec   surjective,
  • les composantes de   sont convexes,
  • on peut trouver un point   tel que   et  

Indépendance linéaire (QC-IL) modifier

Cette condition suffisante de qualification a bien des défauts mais elle a l'avantage de la simplicité et de n'utiliser qu'un concept d'algèbre linéaire.

Indépendance linéaire (QC-IL) —   est de classe   dans un voisinage de  ,   est continue en   et l'une des conditions équivalentes suivantes est satisfaite :

  1. les gradients des contraintes actives en   sont linéairement indépendants, c'est-à-dire
     
    implique que   pour tout  
  2.   est surjective,
  3. quel que soit  , le sous-espace affine
     
    est borné.

Au point 3, l'ensemble affine peut être vide (il est en réalité réduit à un point ou vide). Cette condition exprime de manière compliquée que   est injective ; cette affirmation a été mise sous cette forme pour la rapprocher de celle que l'on obtient (condition 4) avec (QC-MF) ci-dessous.

Mangasarian-Fromovitz (QC-MF) modifier

Cette condition suffisante de qualification, qui fut trouvée assez tardivement (1967)[2], est celle qui est la mieux adaptée aux problèmes avec contraintes d'inégalité non linéaires.

Mangasarian-Fromovitz (QC-MF) —   est différentiable en     est continue en   et l'une des conditions équivalentes suivantes est satisfaite :

  1. la condition
     
    implique que   pour tout  
  2. pour tout  , il existe une direction   telle que   et  
  3.   est surjective et il existe une direction   telle que   et  
  4. quel que soit  , le polyèdre convexe
     
    est borné.

La comparaison de la première condition de (QC-IL) et de la première condition de (QC-MF) montre clairement que l'on a

(QC-IL)       (QC-MF).

La réciproque n'est pas vraie, comme le montre le cas de deux boules tangentes intérieurement : au point de tangence, (QC-MF) est vérifiée, mais pas (QC-IL).

La seconde condition de (QC-MF) est aussi clairement plus faible que la seconde condition de (QC-IL), puisqu'elle exprime une espèce de sous-surjectivité de la jacobienne  .

L'expression duale 4 des conditions de Mangasarian-Fromovitz ci-dessus est due à Gauvin (1977)[3] ; elle fait intervenir un produit scalaire sur   et l'adjoint des opérateurs dérivées. Appliquée à l'optimisation, cette expression implique que l'ensemble des multiplicateurs optimaux est borné si et seulement si (QC-MF) a lieu.

Examinons à présent les liens entre (QC-S) et (QC-MF).

(QC-S) et (QC-MF) — Si   est affine, si   est convexe et différentiable en   et si   est continue en  , alors

(QC-S)       (QC-MF).

Qualification de contraintes générales modifier

L'ensemble XG modifier

Dans cette section, on suppose que l'ensemble   est défini comme dans l'introduction de cet article, à savoir

 

  est une fonction et   est un convexe fermé non vide de l'espace euclidien  . Le produit scalaire des espaces euclidiens   et   sont tous deux notés  .

Condition suffisante de qualification de Robinson modifier

La condition suffisante de qualification de Robinson[4] est une généralisation à l'ensemble   de la condition de Mangasarian-Fromovitz de l'ensemble  .

(QC-R) — La condition de qualification de Robinson a lieu en   si   est différentiable en   et si

 

Dans (QC-R), l'écriture   est une autre manière de désigner  , l'image de l'opérateur linéaire  . Cette condition (QC-R) n'est pas simple ; elle est difficile à décrire géométriquement et à mémoriser. Lorsqu'elle est écrite en  , il est sans doute utile (et c'est comme cela qu'elle intervient dans son analyse) de la voir comme l'image de la multifonction «linéarisée»

 

Cette dernière multifonction est en effet une espèce de linéarisation en   de la multifonction

 

qui a tout son sens dans l'analyse de   puisque   si, et seulement si,  .

Le résultat de qualification précis est le suivant ; il demande un peu plus de régularité pour   en  .

Condition suffisante de qualification de Robinson — Si   est   dans un voisinage de   et si (QC-R) a lieu en  , alors   est qualifiée en   pour représenter  

La condition de Robinson peut s'écrire sous les différentes formes ci-dessous ; on y a noté   le cône des directions admissibles de   en  .

Autres formes de (QC-R) — Si   est différentiable en  , alors les propriétés suivantes sont équivalentes :

  1.  ,
  2.  ,
  3.  ,
  4.  .

La condition de Robinson a essentiellement un lien avec la stabilité de   pour de petites perturbations   de  , dans le sens où l'on a la caractérisation suivante.

(QC-R) et régularité métrique — Si   est   en  , alors les propriétés suivantes sont équivalentes :

  1. (QC-R) a lieu en  ,
  2. il existe une constante   telle que pour tout   proche de  , on a
     

Le point 2 de ce résultat est équivalent à la régularité métrique en   de la multifonction   définie en   par   parce qu'avec cette multifonction, on a   et  . Ce qu'affirme ce point 2 est la propriété suivante : pour tout   proche de   et pour toute petite perturbation   de  , la distance de   à la perturbation   de   reste contrôlable par la distance de   à la perturbation   de  .

Maintenant, le membre de droite de l'inégalité du point 2 est toujours fini (  est non vide), si bien que le membre de gauche l'est aussi; ce qui a pour conséquence que la perturbation   de   est non vide lorsque   est suffisamment petit.

Corollaire 1: stabilité de   — Si   est   en   et si (QC-R) a lieu en  , alors pour tout   petit
 

Un autre corollaire est obtenu en prenant   dans le point 2 : on obtient alors une borne d'erreur pour  .

Corollaire 2: borne d'erreur pour   — Si   est   en   et si (QC-R) a lieu en  , alors il existe une constante   telle que pour tout   proche de  , on a
 

Annexes modifier

Notes modifier

  1. (en) M. Slater (1950). Lagrange multipliers revisited: a contribution to non-linear programming. Cowles Commission Discussion Paper, Math. 403.
  2. (en) O. L. Mangasarian, S. Fromovitz (1967), The Fritz John necessary optimality conditions in the presence of equality and inequality constraints, Journal of Mathematical Analysis and Applications, 17, 37–47.
  3. (en) J. Gauvin (1977). A necessary and sufficient regularity condition to have bounded multipliers in nonconvex programming. Mathematical Programming, 12, 136–138.
  4. (en) S.M. Robinson (1976). Stability theory for systems of inequalities, part II: differentiable nonlinear systems. SIAM Journal of Numerical Analysis, 13, 487-513.

Articles connexes modifier

Lien externe modifier

Ouvrages généraux modifier

  • (en) J. F. Bonnans, A. Shapiro (2000). Perturbation Analysis of Optimization Problems. Springer Verlag, New York.
  • J.-B. Hiriart-Urruty (1996). L’Optimisation. Que sais-je, n° 3184. Presses Universitaires de France.
  • (en) J.-B. Hiriart-Urruty, C. Lemaréchal (1993). Convex Analysis and Minimization Algorithms. Grundlehren der mathematischen Wissenschaften, 305-306. Springer-Verlag.
  • (en) R. T. Rockafellar (1993). Lagrange multipliers and optimality. SIAM Review, 35, 183– 238.