Problème de Waring

En théorie des nombres, le problème de Waring, proposé en 1770 par Edward Waring[1] consiste à déterminer si, pour chaque entier naturel k, il existe un nombre s tel que tout entier positif soit somme de s puissances k-ièmes d'entiers positifs[2]. La réponse affirmative, apportée par David Hilbert en 1909[3], est parfois appelée théorème de Hilbert-Waring[4].

La détermination, pour chaque exposant k, du plus petit s vérifiant cette propriété — noté g(k) — n'était pas pour autant résolue.

Un problème voisin a été dérivé, qui consiste à rechercher la valeur — notée G(k) — du plus petit s tel que tout entier positif assez grand est somme de s puissances k-ièmes d'entiers positifs.

Historique modifier

On a clairement g(1) = 1, et quelques calculs montrent que 7 requiert quatre carrés, 23 requiert neuf cubes[5] et 79 requiert dix-neuf puissances quatrièmes, donc g(2) ≥ 4, g(3) ≥ 9 et g(4) ≥ 19. Waring conjectura que ces inégalités étaient en fait des égalités[1].

Le théorème des quatre carrés de Lagrange de 1770 affirme que tout entier naturel est somme de quatre carrés ; puisque trois carrés ne sont pas suffisants pour décomposer 7, ce théorème établit que g(2) = 4.

Au fil des années, divers majorants de g furent trouvés, avec des techniques de démonstration de plus en plus sophistiquées ; par exemple, Liouville montra que g(4) vaut au plus 53. De même, Hardy et Littlewood démontrèrent que tout entier suffisamment grand est somme de dix-neuf puissances quatrièmes.

Le nombre g(k) modifier

Les valeurs de g(k) pour k de 2 à 17 sont[6] :

k 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
g(k) 4 9 19 37 73 143 279 548 1 079 2 132 4 223 8 384 16 673 33 203 66 190 132 055

Pour k compris entre 3 et 7, elles ont été déterminées entre 1909 et 1986.

VALEURS EXACTES DE g(k) HISTORIQUE DES MAJORATIONS
Valeur Année de détermination Auteur(s) de la détermination Majorants Auteurs des majorations
g(3) = 9 1909
et 1912
A. Wieferich[7]
et A. Kempner (en)[8]
17
13
 E. Maillet (1895)
 A. Fleck (1906)
g(4) = 19 1986 R. Balasubramanian,
F. Dress
et J.-M. Deshouillers[9]
53
47
45
41
39
38
37
35
22
21
20
 J. Liouville (1859)
 S. Réalis (1878)
 É. Lucas (1878)
 É. Lucas (1878)
 A. Fleck (1906)
 E. Landau (1907)
 A. Wieferich (1909)
 L. E. Dickson (1933)
 H. E. Thomas (1973)
 R. Balasubramanian (1979)
 R. Balasubramanian (1985)
g(5) = 37 1964 Chen Jingrun[1] 192
59
58
54
 A. Fleck (1906)
 A. Wieferich (1909)
 W. S. Baer (1913)
 L. E. Dickson (1933)
g(6) = 73 1940 S. S. Pillai[10] 970
478
183
 A. J. Kempner (1912)
 W. S. Baer (1913)
 R. D. James (1934)
g(7) = 143 1936 L. E. Dickson 3 806
322
 A. Wieferich (1909)
 R. D. James (1934)
g(8) = 279 36 119
31 353
595
 A. Hurwitz (1908)
 A. J. Kempner (1912)
 R. D. James (1934)

J. A. Euler, le fils de Leonhard Euler, remarque en 1772 que pour tout k ≥ 1[11],

g(k) est au moins égal à 2k + [(3/2)k] – 2,

où [x] désigne la partie entière de x. En effet, comme l'entier 2k[(3/2)k] – 1 est strictement inférieur à 3k, une représentation de cet entier comme somme de puissances k-ièmes ne peut être formée que de puissances k-ièmes de 2 et de 1, et sa représentation la plus économique est 2k[(3/2)k] – 1 = ([(3/2)k] – 1)×2k + (2k – 1)×1k, donc g(k) ≥ ([(3/2)k] – 1) + (2k – 1) = 2k + [(3/2)k] – 2.

Les formules établies depuis semblent indiquer que l'inégalité remarquée par J. A. Euler est en fait une égalité. En effet, Dickson, Pillai, Rubugunday, Niven[12] et d'autres ont démontré que g(k) est égal à cette valeur dès que 2k{(3/2)k} + [(3/2)k] ≤ 2k (où {x} désigne la partie fractionnaire de x) et que dans le cas contraire, i.e. si 2k{(3/2)k} + [(3/2)k] > 2k, g(k) est égal à cette valeur augmentée de [(4/3)k] ou de [(4/3)k] – 1, selon que [(4/3)k][(3/2)k] + [(4/3)k] + [(3/2)k] est égal ou strictement supérieur à 2k. Or on conjecture que ce « cas contraire » ne se produit jamais. Mahler[13] a démontré qu'il ne peut se produire que pour un nombre fini de valeurs de k et Kubina et Wunderlich[14] ont démontré qu'un tel k est nécessairement supérieur à 471 600 000.

Le nombre G(k) modifier

Encadrements
4 ≤ G(2) ≤ 4
4 ≤ G(3) ≤ 7
16 ≤ G(4) ≤ 16
6 ≤ G(5) ≤ 17
9 ≤ G(6) ≤ 24
8 ≤ G(7) ≤ 33
32 ≤ G(8) ≤ 42
13 ≤ G(9) ≤ 50
12 ≤ G(10) ≤ 59
12 ≤ G(11) ≤ 67
16 ≤ G(12) ≤ 76
14 ≤ G(13) ≤ 84
15 ≤ G(14) ≤ 92
16 ≤ G(15) ≤ 100
64 ≤ G(16) ≤ 109
18 ≤ G(17) ≤ 117
27 ≤ G(18) ≤ 125
20 ≤ G(19) ≤ 134
25 ≤ G(20) ≤ 142

Les travaux de Hardy et Littlewood ont mis en évidence un nombre plus important que g(k) : le nombre G(k), défini comme le plus petit nombre s tel que tout entier « suffisamment grand » — c'est-à-dire supérieur à une certaine constante dépendant de k — soit somme de s puissances k-ièmes d'entiers positifs. Il est toujours inférieur ou égal à g(k) mais inversement, sa finitude entraîne celle de g(k).

Puisqu'un entier de la forme 8m – 1 n'est jamais somme de trois carrés, G(2) ≥ 4. Comme de plus G(2) ≤ g(2) = 4, ceci prouve que G(2) = 4. Davenport a établi en 1939 que G(4) = 16, démontrant même que tout entier suffisamment grand non congru modulo 16 à 0 ou –1 est somme de 14 puissances quatrièmes (Vaughan ramena le nombre à 13 en 1985 et à 12 en 1989). Aucune autre valeur exacte de G(k) n'est connue, mais on a des encadrements.

Minorants modifier

Le nombre G(k) est supérieur ou égal à :

  • 2r + 2             si k = 2r avec r ≥ 2, ou si k = 3×2r ;
  • pr + 1             si p est un nombre premier strictement supérieur à 2 et k = pr(p − 1) ;
  • (pr + 1 − 1)/2   si p est un nombre premier strictement supérieur à 2 et k = pr(p − 1)/2.

Ces minorations se déduisent facilement de la structure du groupe des unités de l'anneau ℤ/n : par exemple dans le troisième cas, la minoration vient du fait que modulo pr + 1, toute puissance ke est congrue à 0, 1 ou –1.

On sait aussi que[15] pour tout entier k ≥ 1, G(k) ≥ k + 1 et l'on conjecture (par un argument de densité) qu'en l'absence de restrictions par des congruences, cette inégalité est en fait une égalité.

Majorants modifier

D'après les minorations ci-dessus, on a G(3) ≥ 4 et G(4) ≥ 16.

La majoration G(3) ≤ 7 a été démontrée en 1943 par Yuri Linnik[16] et George Leo Watson en a donné une preuve bien plus élémentaire en 1951[17]. Mais aucun nombre strictement compris entre 1 290 740 et 1,3.109 ne nécessite plus de 5 cubes et quand N croît, le nombre d'entiers entre N et 2N nécessitant cinq cubes décroît à une vitesse qui incite à conjecturer que G(3) = 4[18]. En 2000, le plus grand nombre connu qui n'est pas somme de quatre cubes est 7 373 170 279 850, avec des arguments indiquant que c'est probablement le plus grand dans l'absolu[19].

Comme signalé plus haut, G(4) = 16. Plus précisément, tout entier strictement supérieur à 13 792 est somme de 16 puissances quatrièmes (Deshouillers, Hennecart et Landreau[20] l'ont démontré jusqu'à 10245 et Kawada, Wooley et Deshouillers à partir de 10220).

Les majorants de la table ci-contre, pour k de 5 à 20, sont dus à Vaughan et Wooley[21].

Vinogradov, à l'aide de sa version améliorée de la méthode de Hardy-Littlewood, publia de nombreux raffinements, arrivant en 1947 à[15] G(k) ≤ k(3logk + 11) et finalement, en 1959, à G(k) ≤ 2k(logk + log logk + C log log logk) pour une constante C suffisamment grande, non explicitée.

Karatsuba, utilisant sa forme p-adique de la méthode de Hardy-Littlewood-Ramanujan-Vinogradov pour estimer certaines sommes trigonométriques (indexées par des nombres à petits diviseurs premiers), obtint une majoration plus précise[22] :  

Il obtint par la suite[23],[24] la généralisation 2-dimensionnelle suivante de ce problème :

Considérons un système d'équations de la forme   où les entiers naturels Ni tendent vers l'infini à la même vitesse. Il existe deux constantes c0, c1 telles que :

  • si k > c0n2logn, un tel système a toujours des solutions (x1, … , xk, y1, … , yk) ∈ ℕ2k ;
  • si k < c1n2, il existe des Ni pour lesquels il n'en a pas.

Des raffinements mineurs ont été obtenus en 1989 par Vaughan.

Wooley a ensuite établi[25] l'existence d'une constante C telle que  

Vaughan et Wooley ont écrit un article de synthèse complet sur le problème de Waring[21].

Notes et références modifier

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Waring's problem » (voir la liste des auteurs).
  1. a b et c (en) Eric W. Weisstein, « Waring's Problem », sur MathWorld .
  2. Ou encore : d'au plus s puissances k-ièmes d'entiers strictement positifs.
  3. (de) D. Hilbert, « Beweis für die Darstellbarkeit der ganzen Zahlen durch eine feste Anzahl n-ter Potenzen (Waringsches Problem) », Math. Ann., vol. 67,‎ , p. 281-300 (lire en ligne).
  4. (en) Melvyn B. Nathanson, Additive Number Theory, Springer, coll. « GTM » (no 164), , 342 p. (ISBN 978-0-387-94656-6, lire en ligne), chap. 3 (« The Hibert-Waring Theorem »).
  5. G. H. Hardy et E. M. Wright (trad. de l'anglais par François Sauvageot, préf. Catherine Goldstein), Introduction à la théorie des nombres [« An Introduction to the Theory of Numbers »] [détail de l’édition], chapitre 20 (« Représentation d'un nombre par deux ou quatre carrés »), section 20.1.
  6. Pour plus de valeurs, voir la suite A002804 de l'OEIS.
  7. (de) Arthur Wieferich, « Beweis des Satzes, daß sich eine jede ganze Zahl als Summe von höchstens neun positiven Kuben darstellen läßt », Mathematische Annalen, vol. 66, no 1,‎ , p. 95-101 (lire en ligne).
  8. (de) Aubrey Kempner, « Bemerkungen zum Waringschen Problem », Mathematische Annalen, vol. 72, no 3,‎ , p. 387-399 (lire en ligne).
  9. Ramachandran Balasubramanian, Jean-Marc Deshouillers et François Dress, « Problème de Waring pour les bicarrés », C. R. Acad. Sci. Paris Sér. I Math., vol. 303, 1986 : « I. Schéma de la solution », n° 4, p. 85-88 et « II. Résultats auxiliaires pour le théorème asymptotique », n° 5, p. 161-163.
  10. (en) S. S. Pillai, « On Waring's problem g(6) = 73 », Proc. Indian Acad. Sci., Section A, vol. 12,‎ , p. 30-40.
  11. L. Euler, Opera posthuma, vol. 1, 1862, p. 203-204. Lire en ligne.
  12. (en) Ivan M. Niven, « An unsolved case of the Waring problem », Amer. J. Math., vol. 66, no 1,‎ , p. 137-143 (JSTOR 2371901).
  13. (en) K. Mahler, « On the fractional parts of the powers of a rational number II », Mathematika, vol. 4,‎ , p. 122-124.
  14. (en) J. M. Kubina et M. C. Wunderlich, « Extending Waring's conjecture to 471,600,000 », Math. Comp., vol. 55,‎ , p. 815-820.
  15. a et b Pascal Boyer, Petit compagnon des nombres et de leurs applications, Paris, Calvage et Mounet, , 648 p. (ISBN 978-2-916352-75-6), V. Équations diophantiennes, chap. 1.5 (« Problème de Waring »), p. 469-470.
  16. (en) U. V. Linnik, « On the representation of large numbers as sums of seven cubes », Mat. Sb. N.S., vol. 12, no 54,‎ , p. 218-224.
  17. Nathanson 1996, p. 46-49 et 71.
  18. Nathanson 1996, p. 71.
  19. (en) Jean-Marc Deshouillers, François Hennecart, Bernard Landreau et appendice par I. Gusti Putu Purnaba, « 7 373 170 279 850 », Mathematics of Computation, vol. 69, no 229,‎ , p. 421-439 (DOI 10.1090/S0025-5718-99-01116-3).
  20. (en) Jean-Marc Deshouillers, François Hennecart et Bernard Landreau, « Waring's Problem for sixteen biquadrates - numerical results », Journal de théorie des nombres de Bordeaux, vol. 12,‎ , p. 411-422 (lire en ligne).
  21. a et b (en) Robert Charles Vaughan et Trevor Wooley, « Waring's Problem: A Survey », dans M. A. Bennett et al., Number Theory for the Millenium, vol. 3, A. K. Peters, (ISBN 978-1-56881-152-9, lire en ligne), p. 301-340.
  22. (en) A. A. Karatsuba, « On the function G(n) in Waring's problem », Izv. Akad. Nauk SSSR, Ser. Math., vol. 49, no 5,‎ , p. 935-947.
  23. (en) G. I. Archipov et A. A. Karatsuba, « A multidimensional analogue of Waring's problem », Dokl. Akad. Nauk SSSR, vol. 295, no 3,‎ , p. 521-523.
  24. (en) A. A. Karatsuba, « Waring's problem in several dimensions », Mathem. Forschungs, Oberwolfach, Tagungsbericht, vol. 42,‎ , p. 5-6.
  25. (en) R. C. Vaughan, The Hardy-Littlewood method, CUP, coll. « Cambridge Tracts in Mathematics » (no 125), , 2e éd., 232 p. (ISBN 978-0-521-57347-4, lire en ligne), chap. 12 (« Wooley's upper bound for G(k) »).

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • (en) W. J. Ellison, « Waring's problem », Amer. Math. Month., vol. 78,‎ , p. 10-36 (lire en ligne)
    Exposé, contenant une formule précise pour g(k), une version simplifiée de la preuve de Hilbert et de nombreuses références.
  • G. H. Hardy et E. M. Wright (trad. de l'anglais par François Sauvageot, préf. Catherine Goldstein), Introduction à la théorie des nombres [« An Introduction to the Theory of Numbers »] [détail de l’édition], particulièrement les chapitres 20 (« Représentation d'un nombre par deux ou quatre carrés ») et 21 (« Représentation par des cubes ou des puissances plus élevées »).

Articles connexes modifier