Plateforme littorale

En géomorphologie, une plateforme littorale, appelée aussi platier rocheux ou plateforme d'érosion (ou d'abrasion[b]) marine, est un replat taillé par les vagues et la météorisation subaérienne dans une roche présentant un minimum de résistance, et qui s'élève lentement jusqu'à un pied de falaise. Cette entité géomorphologique découverte à marée basse est donc un des marqueurs les plus représentatifs de la dynamique érosive des côtes rocheuses.

Une plateforme littorale peut constituer un véritable musée géologique à ciel ouvert, l'affleurement de grès montrant ici des plis décamétriques.
L'observation d'un platier peut s'intégrer dans l'analyse d'un géomorphosite (cap de la Chèvre).
Physiographie côtière d'une falaise : 1) Encoche littorale ; 2) Plateforme d'érosion ; 3) Plateforme d'accumulation.
Formation d'un platier par le recul de la falaise selon la théorie classique[a].
Les trois formes d'évolution de l'encoche littorale (phase convexe 1, phase linéaire 2 et phase concave 3) témoignent du stade de maturité de l'érosion.

Au niveau des côtes à falaises, le niveau zéro de la mer y est généralement matérialisé par une encoche littorale ou une rupture de pente nommée pied de falaise.

Une plateforme ou un platier rocheux fossile est nommée paléoplatier ou terrasse marine.

Le platier récifal est la partie sommitale, en arrière de la zone de déferlement des vagues, d'un récif corallien.

Caractéristiques modifier

Les plateformes littorales possèdent une profondeur allant de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres. Forme littorale intermédiaire entre les formes d'ablation sur les côtes rocheuses ou à falaise (ces côtes représentant environ 80 % du linéaire côtier mondial) et les formes d'accumulation (rochers, galets, dunes et surtout les plages qui représentant environ 20 % du linéaire côtier mondial)[1], leur développement est directement associé à un niveau marin donné et se présente sur plus de 20 % des côtes rocheuses[2]. Les platiers sont généralement associés aux côtes à falaises mais certaines côtes à falaise plongeante ne possèdent pas de plateformes et il existe des plateformes marines qui jalonnent les côtes basses (côte sableuse et rocheuse)[3].

Les géomorphologues établissent deux grandes catégories de plateforme d'érosion : les plateformes caractérisées par une légère pente (comprise entre 1 et 5°) typiques des régions à moyen et fort marnage, et les plateformes horizontales (avec une pente inférieure à 1°, ces platiers possèdent une rupture de pente appelée marche ou bordure) qui se développent préférentiellement dans les milieux à faible marnage[4].
Ils distinguent aussi les platiers selon la nature de la roche (platier granitique, schisteux, calcaire, etc.).

Formation modifier

Seule une permanence relativement longue de la mer (de quelques milliers d'années) permet la formation d'une plateforme dont la surface n'est généralement jamais entièrement aplanie, des petits reliefs subsistant : crêtes, sillons, chicots rocheux, cavités, marmites et vasques dont la taille peut dépasser un mètre. Les platiers étagés forment de petits gradins taillés par l’érosion de roches de résistance différente. Le géomorphologue distingue essentiellement les plateformes d'abrasion étagées, formées de petits gradins (micro-falaises qui peuvent atteindre le mètre de hauteur) taillés par l’érosion différentielle, et les plateformes rainurées (érosion linéaire selon la ligne de plus grande pente), à pente plus élevée, associées aux hautes falaises[5].

La formation et le développement des plateformes dépendent étroitement de trois paramètres :

  1. l'efficacité de l'érosion marine ;
  2. l'efficacité de la météorisation subaérienne ;
  3. la composition chimique des matériaux.

Les côtes à falaise précédées de platiers voient le recul de leur versant par éboulisation discontinue ou par mouvements de masse instantanés (écroulement, éboulement, glissement). Cette érosion littorale est traditionnellement imputée au travail de sape de la mer : les actions marines au pied de l'abrupt induisent au niveau de la zone de raccordement entre le platier et la falaise, la formation d'une encoche de sapement[c], ou des phénomènes de sous-cavage mettant en porte-à-faux l'escarpement sus-jacent. Les principaux agents d'érosion marine sont l'eau et les vagues qui altèrent les roches : l'altération physique ou mécanique résulte de la pression de l’eau des vagues pouvant atteindre 30 tonnes/m2 (celle de l’air comprimé injecté dans les fissures pouvant être encore plus forte), du phénomène de succion des vagues lorsqu’elles se retirent, du mitraillage né de la projection de sable, blocs et galets, et du phénomène de vibration induit par les vagues (à la suite de chocs successifs, la falaise entre en résonance et peut dépasser la limite de rupture) ; l'altération chimique provient essentiellement des embruns qui, en s’infiltrant, soumettent au lessivage les parois[6]. En réalité, le rôle des processus d'attaque marine dans le recul des falaises a souvent été surestimé. Ce recul résulte principalement de la dénudation des versants (rôles décisifs de la gélifraction, de la desquamation, de l'élargissement des diaclases par dissolution, de la pression hydrostatique de l'eau interstitielle issue du ruissellement et des infiltrations en haut de falaise, phénomène favorisé par les précipitations hivernales et les années pluvieuses)[7],[8]. Les nombreux travaux scientifiques sur ce sujet indiquent que le débat reste encore ouvert quant à la prépondérance d'un facteur par rapport à l'autre[9].

Ce recul se traduit par la présence d'une surface découverte à marée basse et recouverte à marée haute, constituant un haut-fond qui freine les vagues sur une largeur notable, protégeant le pied de la falaise de leur attaque (effet sur le ralentissement de son recul, pour les côtes d'Europe de Nord à marnages conséquents de l'ordre de la dizaine de centimètres par an depuis la dernière transgression marine holocène)[10] et la plateforme littorale de l'érosion (effet de ralentissement de son abaissement). Le recul de la falaise est bien supérieur à celui du platier, son taux annuel d'érosion étant de l'ordre millimétrique à centimétrique[11]. Celui de l'abaissement de la plateforme est de l'ordre millimétrique voir inférieur[12].

L'établissement des plateformes actuelles, à la suite de la dernière transgression marine holocène depuis 10 000 ans, fait l'objet de datation par isotopes cosmogéniques[13]. Ces méthodes de datation absolue des surfaces des falaises permettent notamment d'estimer le taux de leur érosion sur le long terme[14].

Platiers de néoformation modifier

 
Carrière littorale à Ploemeur (France), avec son platier de néoformation parsemé de mares artificielles, une basse falaise artificielle et le piton résiduel.

L'exploitation de carrières littorales modèle les rivages, entraînant une morphologie anthropique : le recul du front de taille développe des platiers de néoformation parsemés de mares artificielles, en contact avec des falaises néoformées[15].

Paléoplatiers modifier

 
Séquence de terrasses marines :
1) falaise sous-marine, 2) platier actuel, 3) encoche littorale, 4) falaise actuelle, 5) paléoplatier I, 6) angle du paléorivage, 7) paléofalaise I, 8) colluvion, 9) cône de déjection, 10) platier II, 11) paléorivage I, 12) paléorivage II.

Il existe des platiers rocheux fossiles appelés paléoplatiers ou terrasses marines. Ces plateformes perchées peuvent être le résultat de types de processus différents et de leurs combinaisons possibles :

  1. cosismiques
  2. glacio-isostatique
  3. tectono-eustatiques.

Ces plateformes littorales peuvent être à l'origine des plages surélevées.

Les paléotraits de côte sont enregistrés morphologiquement sous la forme de ces terrasses marines d’âges pléistocène ou holocène[16]. Au niveau des paléoplatiers et des paléofalaises, les encoches de sapement sont cependant masquées par des dépôts sédimentaires et des colluvions[17].

 
Le platier peut être recouvert d'un placage sableux et, à son sommet, d'un cordon de galets qui protège assez bien le pied de falaise contre le phénomène d'affouillement[d].

Galerie modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Le modèle d'équilibre propose un recul de la plateforme à l'intérieur des terres au même rythme que la falaise ((en) John Challinor, « A principle in coastal geomorphology », Geography, vol. 34, no 4,‎ , p. 212-215). Le modèle statique propose un recul de la falaise alors que la portion sous-marine de la plateforme reste relativement fixe ((en) T. Sunamura, « Processes of sea cliff and platform erosion », in P.D Komar (éd.), CRC Handbook of Coastal Processes and Erosion, CRC Press, 1983, p. 233-265).
  2. Ce terme d'abrasion est à éviter car l'érosion est mécanique mais aussi chimique.
  3. Les encoches longitudinales se forment aussi bien du côté du large mais aussi de l'autre côté des roches isolées sur l'estran, où elles sont dues à la redescente des galets roulant sur l'estran quand la vague retombe (phénomène du backswash, le « flot de retour »). L'encoche d’abrasion (wave-cut-notch) au pied de la falaise, appelée aussi encoche de marée (tidal notch) proche du niveau des pleines mers, est le plus souvent en forme de U ou de V couchés. L'évolution verticale de la forme de cette encoche de sapement est dissymétrique : la partie inférieure se développe parallèlement à la pente du platier situé devant la falaise alors que la partie supérieure s'érode successivement de manière convexe, linéaire puis concave. Cf (en) Li Erikson, Magnus Larson, Hans Hanson, « Laboratory investigation of beach scarp and dune recession due to notching and subsequent failure », Marine Geology, vol. 245, nos 1-4,‎ , p. 1-19 (DOI 10.1016/j.margeo.2007.04.006).
  4. Certaines régions interdisent le ramassage des galets qui servent de rempart efficace en faveur du ralentissement de l'érosion des falaises.
  5. Les côtés de ces cellules semblent souvent alignés sur des champs de diaclases, tandis que les cœurs rocheux sont constitués par des masses hémisphériques plus ou moins dégagées de l'ensemble. Sur les schistes, grès et même certaines roches volcaniques, le platier prend souvent la forme de trois grandes séries de paliers superposés, aux niveaux des hautes-mers, de la mi-marée et des basses-mers, parfois cernés par un bourrelet du côté du large. Gabriel Rougerie, Biogéographie littorale, Centre de Documentation Universitaire, , p. 43.
  6. Surface rugueuse couverte de crêtes coupantes formée par l'altération de la roche calcaire par dissolution et corrosion.
  7. L'érosion d'un rocher sur un platier peut façonner ce micromodelé granitique : au sommet, la stagnation pratiquement permanente de l'eau de pluie enrichie du sel des embruns donne des cuvettes en forme de vasques ouverts sur les côtés par des rigoles de débordement ; à la base, une encoche de pédogénèse marquant l'extension du niveau de sol fossile (le paléosol) résulte de l'érosion due aux acides (humiques, fulviques) issus de la décomposition de la matière vivante des végétaux par les micro-organismes du sol. L'érosion peut conduire également à l'évidement de cupules, d'alvéoles et de taffoni. Sylvain Blais, Michel Ballèvre, Pierrick Graviou et Joël Role, Curiosités géologiques du Pays Bigouden, Éditions Apogée / BRGM, , p. 87.
  8. Météorisation différentielle de la roche selon des plans de stratification, de fracturation (diaclase, faille), des intrusions magmatiques mineures.

Références modifier

  1. Roland Paskoff, Côtes en danger, Masson, , p. 49
  2. (en) T. Sunamura, Geomorphology of Rocky Coasts, , p. 143.
  3. Ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, La gestion du trait de côte, éditions Quae, (lire en ligne), p. 5-10
  4. (en) T. Sunamura, Geomorphology of Rocky Coasts, , p. 140.
  5. Encyclopædia universalis, Encyclopædia universalis France, , p. 49.
  6. François Ottmann, Introduction à la géologie marine et littorale, Masson et Cie, , p. 72
  7. (en) J. Brossard, A. Duperre, « Coastal chalk cliff erosion: experimental investigation on the role of marine factors », Geological Society London, vol. 20, no 1,‎ , p. 109-120 (DOI 10.1144/GSL.ENG.2004.020.01.08).
  8. (en) Pauline Letortu, S. Costa, Jean‐Michel Cador, Cyril Coinaud, « Statistical and empirical analyses of the triggers of coastal chalk cliff failure », Surface Processes and Landforms, vol. 40, no 10,‎ , p. 1371-1386 (DOI 10.1002/esp.3741).
  9. R. Williams, European Shore Platform Dynamics, in David A. Robinson; Yannick Lageat (eds), Zeitschrift für Geomorphologie, suppL vol. n°144, 2006, v-vi
  10. (en) W. J. Stephenson, « Shore platform : a neglected coastal feature ? », Progress in Physical Geography, vol. 24, no 3,‎ , p. 311–327.
  11. (en) Vincent Regard, Thomas J.B. Dewez, Céline Cnudde, and Nicolas Hourizadeh, « Coastal chalk platform erosion modulated by step erosion and debris shielding : example from Normandy and Picardy (northern France) », Journal of Coastal Research, vol. 65, no 2,‎ , p. 1692–1697 (DOI 10.2112/SI65-286.1).
  12. (en) Lukar E. Thornton & Wayne J. Stephenson, « Rock Strength: A Control of Shore Platform Elevation », Journal of Coastal Research, vol. 22, no 1,‎ , p. 224–231 (DOI 10.2112/05A-0017.1).
  13. (en) John C.Gosse, Fred M.Phillips, « Terrestrial in situ cosmogenic nuclides: theory and application », Quaternary Science Reviews, vol. 20, no 14,‎ , p. 1475-1560 (DOI 10.1016/S0277-3791(00)00171-2).
  14. (en) Willem P.de Lange, Vicki G.Moon, « Estimating long-term cliff recession rates from shore platform widths », Engineering Geology, vol. 80, nos 3-4,‎ , p. 292-301 (DOI 10.1016/j.enggeo.2005.06.004).
  15. Louis Chauris, « L’exploitation des ressources minérales sur le littoral en Bretagne méridionale », dans Le Milieu littoral. Actes du 124e Congrès national des Sociétés historiques et scientifiques, Nantes, CHTS, , p. 258.
  16. (en) E. G. Otvos, « Beach ridges: definitions and significance », Geomorphology, vol. 32, nos 1-2,‎ , p. 83-108 (DOI 10.1016/S0169-555X(99)00075-6)
  17. Paolo Antonio Pirazzoli, Les Littoraux, Nathan, , p. 39
  18. Guillaume Pierre, Dynamique et gestion d'un littoral à falaises, l'exemple du Boulonnais. Évolution morphotectonique et morphodynamique à long terme dans les domaines de socle (Appalaches, Massif central, Ardenne), thèse, décembre 2005, p. 65

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