En mathématiques, et plus spécifiquement en algèbre homologique, un module injectif est un moduleQ (à gauche par exemple) sur un anneauA tel que pour tout morphismeinjectiff : X → Y entre deux A-modules (à gauche) et pour tout morphisme g : X → Q, il existe un morphisme h : Y → Q tel que hf = g, c'est-à-dire tel que le diagramme suivant commute :
Autrement dit : Q est injectif si pour tout module Y, tout morphisme d'un sous-module de Y vers Q s'étend à Y.
Théorème — Le module Q est injectif si et seulement si le foncteur (contravariant, exact à gauche) est exact.
On en déduit qu'un produit de modules est injectif si, et seulement si chaque facteur du produit est injectif.
Une autre caractérisation est :
Théorème — Un module est injectif si et seulement s'il est facteur direct dans tout module dont il est un sous-module.
En effet, si Q est un sous-module injectif d'un module Y alors le morphisme identité de Q sur lui-même peut se prolonger en un morphisme de Y sur Q, ce qui équivaut à dire que Q est facteur direct dans Y. La réciproque vient du fait que pour tout sous-module X d'un module Y, un morphisme de X dans Q s'étend toujours en un morphisme de Y dans la somme amalgaméeZ de Q et Y sur X donc aussi, si le sous-module Q de Z est facteur direct, en un morphisme de Y dans Q.
Le critère de Baer est l'un des principaux moyens pour établir qu'un module est injectif :
Théorème — Le A-module à gauche Q est injectif si, et seulement si tout homomorphisme , où est un idéal à gauche, s'étend à .
La condition nécessaire est évidente, la condition suffisante s'établit grâce au lemme de Zorn.
On montre à partir du critère de Baer le résultat suivant : si l'anneau A est noethérien à gauche, tout module somme directe de A-modules injectifs est injectif. Réciproquement, si tout module somme directe de A-modules à gauche injectifs est injectif, alors A est noethérien à gauche.
(1) Il existe un A-module à gauche vérifiant les propriétés suivantes :
(i) est injectif et il existe un monomorphisme ;
(ii) pour tout module injectif I tel qu'il existe un monomorphisme , il existe un monomorphisme tel que le diagramme ci-dessous, dont toutes les lignes sont des suites exactes, commute :
(2) Un tel module est unique à un isomorphisme près laissant inchangés les éléments de M, et est appelé l'enveloppe injective de M.
Exemple : Soit A un anneau principal, p un élément extrémal de A et . Soit alors . Le module est enveloppe injective de pour tout .
Démonstration
(1) Par définition de , pour tout .
(2) Montrons que est divisible :
soit et ; soit i le plus petit entier positif pour lequel et écrivons où k est un entier naturel et
n'est pas divisible par p. Il existe tel que , et alors si . Puisque et q sont premiers entre eux, il existe des éléments tels que (identité de Bézout). Donc , par conséquent avec , et donc , ce qui signifie bien que est divisible.
(3) Par conséquent, est injectif, puisqu'un anneau principal est un anneau de Dedekind.
(4) La classe s'identifie
à
pour tout (par la multiplication par p), donc un module divisible contenant contient nécessairement . Par conséquent,
, et par suite .
Définition — Soit A un anneau et Q un A-module à gauche. Le module Q est appelé un cogénérateur si le foncteur est fidèle. Cette définition reste valide dans une catégorie C quelconque.
Soit C une catégorie admettant des produits quelconques (ce qui est le cas des A-modules à gauche). Un objet Q est cogénérateur dans C si, et seulement si pour tout objet M de C il existe un ensemble I et un monomorphisme .
Théorème —
(1) Pour un A-module à gauche Q, les propriétés suivantes sont équivalentes :
(i) Q est cogénérateur ;
(ii) pour tout A-module à gauche M et tout élément non nul x appartenant à M, il existe un homomorphisme tel que ;
(iii) pour tout A-module simple à gauche S, Q contient un module isomorphe à l'enveloppe injective de S.
(2) Soit Q un A-module à gauche injectif. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
(a) Q est cogénérateur ;
(b) pour tout A-module à gauche simple S ;
(c) pour tout module simple S, il existe un ensemble I et un monomorphisme .
Soit un système représentatif de A-modules à gauche simples (c'est-à-dire une famille non vide de modules simples tels que si et pour tout module simple S il existe un indice est un isomorphisme ). Il découle de ce qui précède que le A-module à gauche est un cogénérateur, appelé cogénérateur canonique, et il est injectif si A est noethérien à gauche. Un A-module à gauche Q est cogénérateur si, et seulement si, il existe un monomorphisme . Ceci implique qu'il existe dans la catégorie des A-modules à gauche un cogénérateur, dont l'enveloppe injective est un cogénérateur injectif.
Exemple[2] : Soit A un anneau principal. Tout module simple S est de la forme où p est un élément extrémal. Puisque l'enveloppe injective de est (voir supra), , où P est un système représentatif d'éléments extrémaux de A, est le cogénérateur canonique (unique à un isomorphisme près), et il est injectif.
En particulier, supposons que A soit l'anneau des opérateurs différentiels où . Un système représentatif d'éléments extrémaux de A est formé des . Soit le -espace vectoriel engendré par les n fonctions et . Alors est un épimorphisme de noyau , qui induit donc un isomorphisme . Par suite, il existe un isomorphisme
,
autrement dit le cogénérateur canonique est, à un isomorphisme près, l'espace des combinaisons linéaires d'exponentielles-polynômes (pour une généralisation, voir l'article Principe fondamental d'Ehrenpreis).
Il résulte des définitions qu'un A-module à gauche Q est cogénérateur injectif si, et seulement si le foncteur (de la catégorie des Q-modules à gauche dans celle des groupes abéliens) est fidèle et exact (ceci reste valide si l'on remplace la catégorie des A-modules à gauche par une catégorie abélienne admettant des produits quelconques). Explicitons ce résultat :
Corollaire — Soit A un anneau, des A-modules à gauche, et Q un A-module à gauche cogénérateur injectif. Alors la suite
est exacte (dans la catégorie des A-modules à gauche) si, et seulement si la suite
est exacte (dans la catégorie des groupes abéliens).
Les résultats de cette section, essentiellement dus à Oberst[3], ont fait récemment l'objet d'une présentation systématique un peu plus générale[2], reprise ci-dessous dans les grandes lignes.
Soit A un anneau et . Soit la multiplication à droite par R, son conoyau et Q un A-module à gauche.
(a) Le groupe abélien s'identifie à de la manière suivante : soit la base canonique de , et pour tout soit . Alors est un isomorphisme canonique de sur .
(b) Par suite, s'identifie aux éléments de qui s'annulent sur , donc à
Supposons A noethérien à gauche et soit . Puisque est de type fini, il existe un entier et une matrice , dont les lignes en forment un ensemble générateur, et pour lesquels la suite ci-dessous est donc exacte :
.
Théorème — Compte tenu des identifications ci-dessus, les deux propriétés suivantes sont équivalentes :
(i) Pour toute suite exacte telle que ci-dessus, la suite ci-dessous est exacte :
.
(ii) Le module Q est injectif.
Démonstration
(ii) implique évidemment (i). Montrons la réciproque : soit un idéal à gauche. D'après le critère de Baer, Q est injectif si, et seulement si le morphisme de restriction est surjectif. Soit une famille finie génératrice de , la colonne formée des éléments et une matrice construite comme il est indiqué. Puisque , la suite
est exacte, où est l'épimorphisme induit par . (i) entraîne que la suite
est exacte ; or , donc . Par suite, et est l'épimorphisme cherché.
Considérons maintenant le système d'inconnue :
.
Puisque , ce système linéaire ne peut avoir de solution que si la condition de compatibilité est satisfaite. Or, l'exactitude de la seconde suite exacte ci-dessus signifie que , donc que si , alors il existe tel que . Par conséquent, si le module Q est injectif, la condition de compatibilité (qui est toujours nécessaire) est suffisante pour que le système linéaire non homogène ait une solution. De plus, pour que cela ait lieu pour tout système linéaire non homogène vérifiant la condition de compatibilité, il faut et il suffit que Q soit injectif.
Soit M un A-module à gauche de présentation finie et Q un A-module à gauche. Posons
.
Posons d'autre part
,
.
En désignant par l'ensemble des sous-modules de type fini de , la correspondance
est une connexion de Galois, à savoir que
.
Théorème — Supposons Q cogénérateur. Alors :
(i) Pour tout , autrement dit la connexion de Galois ci-dessus est bijective.
(ii) Soit . Alors si, et seulement si, il existe une matrice telle que . En particulier, si, et seulement si et il existe une matrice inversible telle que (« quasi-unicité de la matrice de définition »).
Démonstration
(i): On sait que . Démontrons l'inclusion inverse en raisonnant par l'absurde. Si n'appartient pas à N, soit . Alors et, puisque Q est cogénérateur, il existe
tel que . Or est induit par un homomorphisme tel que , i.e. . Puisque .
(ii): Soit .
Si , alors
. D'après (i),
, i.e. . Or, est un épimorphisme
et le module libre est
projectif, donc il existe un A-homomorphisme tel que .
(en) Henri Bourlès et Bogdan Marinescu, Linear Time-Varying Systems : Algebraic-Analytic Approach, Springer, , 635 p. (ISBN978-3-642-19726-0, lire en ligne)