Loi Le Chapelier

loi promulguée pendant la Révolution française interdisant les coalitions et autres rassemblements
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La loi Le Chapelier, promulguée en France le , est une loi interdisant tout groupement professionnel, que ce soit de gens de métier, le « maître de guilde », ou de leur ouvrier et apprenti. Cette loi s'inscrit dans une volonté de s'affranchir des groupes de pression qu'étaient devenues les corporations et les guildes sous l'Ancien-Régime, mais se concentre sur les associations d'ouvriers, interdisant de fait les syndicats ou autres revendications collectives.

Loi Le Chapelier
Description de cette image, également commentée ci-après
Isaac Le Chapelier caricaturé en tant que « législateur de biribi »[1].
Présentation
Titre Loi relative aux assemblées d'ouvriers & artisans de même état & profession
Pays Drapeau du Royaume de France Royaume de France
Adoption et entrée en vigueur
Promulgation
Abrogation par la loi Ollivier ; par la loi Waldeck-Rousseau

Cette loi fut précédée par le décret d'Allarde des et promulguant la liberté d'entreprise et supprimant expressément les corporations au nom de la liberté du travail[2], et de la libre concurrence[3].

Origines

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La loi est désignée par le nom de l'avocat au parlement de Bretagne puis député patriote aux États généraux de 1789 Isaac Le Chapelier qui en est l'auteur et la présente à l'Assemblée nationale. Cette loi proscrit le régime général d'exercice collectif des métiers ouvriers (les corporations), avec toutes les réglementations sociales particulières, et par conséquent le régime de dérogation des manufactures privilégiées[4],[5] et d'une façon générale tous les marchés paysans[6].

Dans son exposé des motifs introductifs devant l'Assemblée nationale[7], Le Chapelier décrit pour s'en alarmer un mouvement pré-syndical où, les ouvriers, coalisés en assemblées « qui se propagent dans le Royaume », cherchent à imposer des salaires minimum pour le prix de journée d'un ouvrier, et à créer des sociétés de secours, de la municipalité de Paris qui laisse se développer ces pratiques. Son discours ne laisse aucun doute sur la cible véritable de sa loi : l'associationnisme ouvrier. Ses justifications sont imprégnées du discours libéral[8]. Rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu, et dans l'esprit de la nuit du 4 août 1789, son discours affirme : « Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s'assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s'assembler pour leurs prétendus intérêts communs ; il n'y a plus de corporation dans l'État ; il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation.[…] Il faut donc remonter au principe que c'est aux conventions libres d'individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier »[7],[8] . La loi s'inspire Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau, dont Le Chapelier reprend des passages entiers dans son exposé[9].

Le débat qui suit est très bref. Sans contester le fond, l'avocat clermontois Jean-François Gaultier de Biauzat (alors de la gauche de l'Assemblée) tente d'abord, en vain, de reporter le vote au lendemain. Il s'inquiète que cette loi menace le droit des citoyens de se réunir et de s'associer[10]. Puis il lance l'un des rares sujets qui semble intéresser cette assemblée : sur la nécessité ou non de condamner explicitement les « procureurs du Chatelet » qui cherchent, par les mêmes méthodes associatives, à maintenir leur monopole dans les enchères sur saisies, contre « les autres avoués n'ayant pas fait partie de leur corporation » !

La loi suit de très près le décret d’Allarde des et , à la fois dans ses objectifs et par sa proximité historique. Le décret de Pierre d'Allarde contribuera aussi à établir la liberté d'exercer une activité professionnelle en affirmant le principe suivant : « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouve bon ». Mais la loi Le Chapelier prolonge le décret d'Allarde de façon répressive. Non seulement elle interdit à des assemblées de se fixer des objectifs en matière de négociation salariale ou de prix, mais encore elle interdit aux collectivités publiques d'en tenir compte et d'accepter leurs pétitions, ni même de traiter avec les auteurs de telles pétitions (à moins qu'ils ne s'en soient publiquement repentis), le tout sous peine de 1 000 livres d'amende et de trois mois de prison. Les « attroupements ouvriers qui auraient pour but de gêner la liberté que la constitution accorde au travail de l'industrie seront regardés comme attroupement séditieux. » (art. VIII)

La loi contribue, avec le décret du [11], à la dissolution de l'Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice de la médecine, sans qu'il soit nécessaire d'avoir fait des études médicales ou d'avoir un diplôme, jusqu'à la création des écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg le [12].

Dans le droit fil des principes de la physiocratie, cette loi vise à garantir la liberté d'entreprise et d'établissement, conçue sur les principes de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 comme le moyen d'assurer l’enrichissement de la nation et le progrès social[13],[14].

Conséquences

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Supprimant toutes les communautés d'exercice collectif des professions, la loi Le Chapelier eut pour effet de détruire les guildes, corporations et groupements d'intérêts particuliers (voir Courtier piqueur juré) détruisant du même coup les usages et coutumes de ces corps[15]. Elle provoque, dès 1800 chez les ouvriers charpentiers, la formation de ligues privées de défense, appelées syndicats, et des grèves, qu'elle permet de réprimer pendant presque tout le XIXe siècle[16]. Bien qu'ils soient également interdits, la loi ne parvient pas à empêcher la formation de véritables syndicats patronaux[17]. De même, la loi ne peut empêcher l'organisation de sociétés de compagnonnage[18]. Par ailleurs, les coopératives ouvrières, développées à partir de 1834, sont considérées, hormis une brève période sous la Deuxième République, en 1848, comme des coalitions jusqu'à la loi du sur les sociétés, qui leur reconnaît un statut légal, comportant un chapitre dit « des Sociétés à Personnel et Capital Variables ».

Le , la loi sur la réglementation du travail dans les manufactures et les ateliers renouvelle l’interdiction des coalitions ouvrières. De son côté, le délit de coalition est réaffirmé dans les articles 414 et 415 du Code pénal de 1810[19]. Le , une nouvelle loi est votée contre les coalitions ouvrières et patronales[20].

Par contre, les chambres de commerce, également supprimées par la loi, sont rétablies par Bonaparte le , mais plus comme des services d'information de l’État que comme des corps intermédiaires[21].

Abrogation

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La loi Le Chapelier est abrogée en deux temps le par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

Opinions

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Karl Marx

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Pour le philosophe Karl Marx, cette loi interdisant aux ouvriers de se regrouper est un véritable « coup d’État des bourgeois »[22]. Selon une analyse de Steven Kaplan, dans La fin des coalitions, si cette approche est tentante, il faut plus y voir le reflet « une expression d'horreur, à la Rousseau, envers ces associations intermédiaires ou partielles, qui avaient tendance à s'arroger l'espace vital, et à contester la supériorité de la volonté générale. »[10]

Emile Durkheim

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Pour le sociologue Émile Durkheim, cette loi est à l'origine de la destruction d'un lien social dans les sociétés modernes[23],[24].

Notes et références

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  1. Légende : « Toi qui portas les premières atteintes à la franchise de la presse, et châtras impitoyablement la Constitution, le signe de la reprobation est sur ton front, par-tout sur ton passage on te montrera du doigt, en disant : voici Chapelier, ce député breton, qui mit à ses pieds le bonnet de la liberté. »
  2. les corporations contrôlaient l'accès à l'exercice de leur profession y compris la formation
  3. les corporations contrôlaient la formation des prix y compris les salaires
  4. Les règlements des métiers limitant le nombre de compagnons et d'apprentis que pouvait engager chaque maître, il fallait obtenir des lettres patentes de dérogation pour établir une manufacture, c'est-à-dire un nouveau règlement adapté à la production en grand. Mais dans le faubourg Saint-Antoine, qui bénéficiait depuis 1657 d'un privilège royal permettant de travailler sans lettres de maîtrise ni contrôle des jurés parisiens, s'étaient établies des manufactures sans privilèges qui bénéficiaient d'une extra-territorialité par rapport aux communautés de métier de Paris. Espace de concentration ouvrière, c'est dans ce faubourg qu'a lieu l'un des premiers épisodes de la Révolution française, l'affaire Réveillon, en .
  5. Alain Thillay, Le Faubourg Saint-Antoine et ses « faux ouvriers. La Liberté du travail à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Éditions Champ Vallon, 2002, 400 pages, p. 94 (ISBN 2876733382).
  6. La vente des produits agricoles, de la viande, du poisson, se faisait en nom collectif dans des halles, sortes de coopératives publiques fonctionnant comme des bourses.
  7. a et b « Bulletin de l'Assemblée nationale » du , Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel, 15 juin 1791- Deuxième année de la Liberté, dans Réimpression de l'Ancien Moniteur, volume 8, p. 661.
  8. a et b André Gueslin, L'Etat, l'économie et la société française - Livre de l'élève - Edition 1992 : XIXe – XXe siècle, Hachette Éducation, (ISBN 978-2-01-181543-9, lire en ligne)
  9. Laurent Kupferman, Emmanuel Pierrat, Ce que la France doit aux francs-maçons, Éditions Générales First, 2012.
  10. a et b Steven L. Kaplan, La fin des corporations, Fayard, (ISBN 978-2-213-65097-5, lire en ligne)
  11. Le décret du supprime toutes les congrégations d'hommes et de femmes, tant laïques qu'ecclésiastiques, les universités, les facultés et les sociétés savantes.
  12. Jacques Poirier & Françoise Salaün, Médecin ou malade ? La médecine en France eux XIXe et XXe siècles, Paris, Éditions Masson, 2001, 321 pages, p. 4 (ISBN 2294003748).
  13. Jef Blanc-Gras, « L'évolution des relations sociales dans une société en mutation »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), mémoire de Master Ressources Humaines, spécialité Conditions de Travail-Compétences, 2006, p. 15-16.
  14. « Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Naissance d'un grand texte. Petite chronologie de la reconnaissance du droit d'association, 1789-1901 », sur le site de l'Assemblée nationale.
  15. . C'est ce que remarque et dénonce Simon-Nicolas-Henri Linguet dès la parution de la loi.
  16. Cette première grève des charpentiers à Paris est rapportée par Frédéric Le Play dans Les Ouvriers européens.
  17. Gilles Dal, La Sécurité sociale à ses débuts, réactions suscitées, arguments échangés, aux sources du conflit social, Paris, L'Harmattan, collection « Logiques historiques », 2003, 298 pages, p. 30 (ISBN 2747540111) : l'Association pour la défense du travail national (1846) est la première tentative de fédération du patronat français à l'échelle nationale.
  18. F. du Cellier, Histoire des classes laborieuses en France, Paris, Didier et Cie, 1860, 479 pages, p. 342.
  19. Alain Supiot, « Revisiter les droits d'action collective », in Georges J. Virassamy, Isabelle Dauriac, Ferdinand Edimo-Nana, Philippe Saint-Cyr (dir.), Droits et pratiques syndicales en matière de conflits collectifs du travail, actes du colloque des 18 et 19 décembre 2000, Centre d'Études et de Recherches Juridiques en Droit des Affaires, université des Antilles et de la Guyane, Paris, L'Harmattan, 2002, 178 pages, p. 25-58 (ISBN 2747525503).
  20. « La régulation des relations de travail (1950-2006) - Chronologie ».
  21. Claire Lemercier, « La Chambre de Commerce de Paris comme corps intermédiaire, des origines aux années 1880. », Etudes thématiques, de la CCI de Paris,‎ , p34 à 37
  22. Marx et Engels, Le Capital, livre 1, chapitre XXIV (Karl Marx sur la Révolution française) Messidor, Éditions Sociales, 1985, p.165-166.
  23. Claude Gautier, « Corporation, société et démocratie chez Durkheim », Revue française de science politique,‎ (lire en ligne)
  24. Mélanie Plouviez, « Le projet durkheimien de réforme corporative : droit professionnel et protection des travailleurs », Les études sociales,‎ , https://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2013-1-page-57.htm

Annexes

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Bibliographie

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Article connexe

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